Caractère
Serena ne sait pas mentir. Quand bien même les enseignements de sa mère pour être une dame respectueuse, les conseils stricts de son père pour bien se tenir au sein d’une assemblée, elle n’a jamais su faire semblant. Au début son père a lâché du lest, acceptant qu’elle s’entraîne avec un mentor pour parfaire son art du combat, pensant que son énergie allait se canaliser et qu'elle allait s'adoucir. Pourtant, tout s’aggrava, Serena devenait incontrôlable :
― Je refuse de croupir ici dans l’ennui.
― Quoi ? Qu’est-ce que je vais faire ? Coller mon genou à ton entrejambe si fort que je vais soulager le monde d’une possible descendance si tu ne le laisses pas tranquille !
― Mais je me moque de la bourgeoisie, père ! C’est pas ça qui m’intéresse ni vos marchés, c’est l’aventure, la vraie !
― Je ne veux pas faire ces études-là ! Pourquoi vous voulez choisir toujours pour moi ?!
― Je ne serais pas une épouse exemplaire et je m’en fous.
Serena fond sur le monde comme un cataclysme, libre, indomptable, impétueuse.
Elle flamboie d’une énergie urgente, passionnée, elle apparaît comme une personne confiante, sûre d’elle, inconsciente aussi, sûrement. Malgré les remontrances sévères de son père, Serena s’est entêtée, acceptant les punitions et les sentences colériques du patriarche, les regards déçus et froids de sa mère. Malgré cela, elle sait faire preuve d’une lucidité, d’une clairvoyance assez surprenante et se garde de juger les autres. Qu’ils le veuillent ou non, Serena ne sait pas mentir, ni se revêtir d’airs, de grands airs, de petits airs charmants.
Pourtant charmante et douce, elle sait l’être, mais ses envies étant toujours muselées ont fait d’elle un sacré caractère.
Elle est bourgeoise ; mais déteste sa condition.
Elle aime être regardée ; n’aime pas être abordé.
Pourtant elle peut l’être, aimable, gentille, apaisante, souriante – elle l’est, d’une certaine manière. Mais elle refuse qu’une personne lui dicte la vie qu’elle doit avoir. En l’occurrence, la pousser dans les bras d’un homme qu’elle n’aime pas.
S’il y a bien une chose que Serena aime, c’est la liberté, l’aventure. Les récits de sa grand-mère ont bercé sa jeunesse dans le fantasme que sa vie ne serait pas ici, mais au loin, en Hell Dorado. D’où sa fuite, d’où son exil. Serena a décidé qu’on ne déciderait plus pour elle, quitte à mettre son père dans l’embarras face au mari qu’elle devait épouser pour devenir noble, quitte à ce que sa mère s’étouffe dans des sanglots de déception et que ses cris déchirent la douleur d'avoir perdu un enfant.
Serena s'est envolée, emportant avec elle ses rêves et ses espoirs.
Histoire
Planète Tyrion,
Camélia caresse son ventre arrondi avec amour, assise sur un fauteuil. Après des années à se battre avec son mari, Sibelius, pour donner la vie. Elle est ici, désormais, présente au creux de son ventre. Camélia savoure sa grossesse comme une sucrerie. Elle est belle, resplendissante même – elle qui auparavant paraissait austère, le visage immaculé de toutes émotions, discrète dans sa démarche, d’une diplomatie sévère et d’un regard acerbe. Elle arbore désormais un sourire épanoui, les traits détendus. Jamais Camélia Divocci n’avait été aussi resplendissante de sa vie.
Soudain, un bruit se fait entendre au fond de la salle, Camélia quitte du regard son ventre pour fixer celui qui vient d’entrer. Son cher et tendre, Sibelius. Qu’à cela n’en tienne, ils se détestent mais ont étrangement besoin l’un de l’autre, une relation à base d’amour haineux ou de haine amoureuse.
Leur relation est tumultueuse et s’ils se sont mariés, l’amour n’était pas la priorité. Seul la Gloire compte.
― Comment vas-tu ? Balance-t-il froidement.
Mais Camélia a été habituée aux sautes d’humeurs de son mari, sans cesse dans la combine pour gravir les échelons de la société. Il pouvait entrer dans une pièce en clamant une future réussite, l’embrassant, ou être accablé par la frustration de ne pas réussir à atteindre la grande noblesse.
― Ça va, murmure-t-elle, et ses yeux se dérobent du regard de Sibelius pour couver son ventre. Elle se porte bien.
― Tant mieux, c’est tant mieux.
Il se dresse.
― J’ai discuté avec Salomon. Sa femme a lui aussi, est enceinte. Il s’humecte les lèvres, s’accordant une pause. Il aura un fils.
Camélia relève la tête. Sibelius est dos à elle, fixe l’extérieur, les mains derrière le dos.
― Eh bien ?
― Salomon a accepté notre partenariat, Camélia.
Il se tourne vers elle.
― Et il sera scellé par les fiançailles de Serena.
E N F A N C E
Quatre ans.
Très tôt, Sibelius surplombe son monde de sa superbe.
Très tôt, sa main rugueuse empoigne celle de Serena et essaie de lui apprendre son commerce, il la veut comme lui, et plus ambitieuse encore.
Serena n’a que quatre ans mais elle est l’unique fille des Divocci, c’est tout naturellement qu’elle deviendrait l’héritière du savoir ancestral, et qu’un jour elle reprendrait le flambeau, son destin est déjà écrit, tracé, elle sera brillante – et bien plus encore pour Sibelius.
Mais très tôt, Sibelius comprend qu’avec elle ça allait être difficile.
Le regard de Serena se perd dehors quand il lui parle de ses futurs devoirs, ses yeux ne sont pas à la recherche de l’approbation de son père, ses petites jambes l’amènent dans les rues loin de lui, dans la remise de Marco.
Sibelius est un homme intelligent et comprend que l’averse de punition ne freine pas Serena.
Très tôt, il se rend compte que sa petite fille adorée passe plus de temps dans la remise hypnotisé à observer Marco – un ami commerçant et forgeron - le regarder s’entraîner au corps à corps plutôt que de jouer à la poupée.
― Je deviendrais aussi forte que toi, Marco !
Et elle lui avait tiré la langue.
Marco avait fait mine de s’offusquer.
Alors il a réfléchi – très longtemps, à n’en pas dormir la nuit. Il a réfléchi à comment la forcer à se concentrer sur d’autres choses. Et l’idée lui vient en tête.
Il accepte avec l’accord de Marco d’entraîner Serena, en contrepartie, tout est clair. Elle promet de travailler à l’école en retour, accepte le marché de son si jeune âge avec toute l'insouciance d'une enfant.
Ce fut sa première et grosse erreur.
A D O L E S C E N C E
Quinze ans.
L’impact de son corps retombe au sol dans un bruit mat, soulevant un nuage poussière.
― Alors, Serena, c’est tout ce que tu sais faire ?
Serena se dresse difficilement sur ses appuis, des hématomes se marbrent sur sa peau. Elle grimace et se remet en position. Ses jambes tremblent – non pas par la peur, mais bel et bien parce que Marco s’avère être un monstre aux arts martiaux.
Une énième joute martiale s’offre à elle, elle reçoit des chocs de bâtons correcteurs sur le coin des genoux, sur les bras lorsqu’elle tente de les mettre en bouclier afin de se préserver. Elle tente de rendre les coups mais ses assauts se referment sur une parade ou alors sont contrés par une myriade de coups de poings encore plus fort. Elle est harcelée de toute part, à bout de force, et capitule en laissant ses genoux s’écraser au sol.
Essoufflée, décontenancée, énervée aussi. Elle frappe du poing au sol.
Un sifflement réprobateur l’accueille. Le bout du bâton se pose sur son menton et le relève sèchement. Serena observe Marco, face à elle.
Le fait de se voir dans une position de faiblesse la met hors d’elle.
Elle va pour se redresser mais il lui fauche ses appuis en les balayant d’un coup de bâton.
― Pourquoi tu insistes ? Tu sais que je t’ai vaincu. Ça ne sert à rien d’insister, Serena. Le vaincu apprend plus que le vainqueur. Comprends pourquoi je t’ai battu, Serena. Et cesse de t’acharner comme ça, tu finiras par te tuer !
Marco la sermonne pendant un moment, Serena serre les dents et accepte. Marco sait qu’il n’a pas le choix, qu’il ne doit pas la ménager. Serena a une bonne technique de combat, une excellente analyse, sa souplesse, son agilité, sa force aussi font d’elle une bonne combattante. Néanmoins, son acharnement buté finit toujours par la perdre lorsqu’elle se sent démunie.
― C’est fini pour aujourd’hui, rentre chez toi. On continuera demain quand tu rentreras des cours. Soigne-toi.
Dix-sept ans
Serena est en train de changer. Avant, elle était petite, maigrichonne, sa musculature sèche dû aux entraînements qu’elle suit assidument. Fade, elle l’était comme sa mère. Mais quand elle a grandi, le changement fut radical, en quelques mois à peine, Serena atteignit les 1m67, la sécheresse de son corps s’est répartie en des formes féminines, et athlétique, une taille fine se traça, les traits ingrats de l’adolescence laissa place à un visage plus harmonieux.
Elle est devenue si jolie, ravissante.
Son père, premièrement n’en cru pas ses yeux, sa mère non plus, même Marco semblait la regarder différemment.
Son caractère enflammé, embrasé, s’est propagé comme un incendie. Enchaînant les cours dans le lycée de Tyrion, ses notes sont à un niveau convenable sans non plus être dans l’excellence, les confrontations avec Sibelius sont fréquentes, les échanges de confidences avec sa mère diminuent. Elle crache une colère fiévreuse et une haine violente cogne dans son cœur.
― Il faut que tu grandisses, Serena ! Tu es disposée à avoir un avenir immense, tu ne te rends pas compte de l’honneur ni de l’opportunité que c’est ! Tu n’es qu’une enfant, il faut que tu GRANDISSES.
― Et toi tu n’es qu’un égoïste ! Un sale égoïste ! Tu t’es pas dit à quel moment – non, vous vous n’êtes pas dit à un moment, mère et toi, que c’était ce que je voulais, hein ?! A quel moment j’ai envie d’avoir cette vie ?
― Si je fais ça, c’est POUR la FAMILLE.
Elle crache des mots qui font mal et Sibelius la fait taire en menaçant de lui lever la main dessus. Serena rattrape le coup en lui attrapant le poignet et en y plantant ses ongles. Sibelius se rendit compte que le fait que Marco lui ait enseigné l’art de se défendre était une terrible erreur. Camélia essaie de les calmer.
― Arrêtez, je vous en supplie !
Les deux se regardent en chien de faïence, jusqu’à ce que Serena relâche sa prise à contre-coeur, et monte dans sa chambre, la porte claquant violemment. Camélia s’effondre et Sibelius soupire.
― Ce n’est plus possible, elle n’en fait qu’à sa tête, Camélia. Il faut que tu fasses quelque chose, elle doit comprendre. Elle doit absolument comprendre.
― Je sais… Murmure-t-elle. Je sais…
Sibelius aime sa fille – il a juste tellement de projets pour elle qu’il n’a jamais réellement compris qu’elle n’était pas une extension mais bel et bien une personne à part entière. Et Serena ne lui a jamais pardonné cela. Quant à sa mère, Camélia, Serena déteste la manière hypocrite qu’elle a de se soumettre à son mari et de baigner sa fille dans des mots d’amour sans réellement agir derrière. Camélia, pourtant, porte un amour à sa fille. Elles sont juste trop différentes l’une et l’autre pour chercher à se comprendre et à s’apprécier en tant qu’êtres.
Vingt ans.
Serena esquive de peu le coup qui effleure sa joue en décalant son visage rapidement sur la droite. Profitant de l’ouverture et de la faille, elle remonte son poing d’en bas pour venir percuter le menton. Elle se fait mal lors de l’impact mais cela suffit à instaurer une distance de sécurité.
Marco se masse le menton en jurant douloureusement.
― Bon sang d’bordel…
― J’ai pas fini encore !
Sans attendre sa réponse, elle s’élance jusqu’à lui, tourne sur elle-même en levant sa jambe, comme une danseuse avant l’envoyer contre son flanc. Marco parvint à stopper le coup en lui attrapant la jambe.
― J’te tiens !
Serena sourit, dégaine un couteau rapidement à sa taille. A l’aide de sa jambe, rapproche Marco dangereusement d’elle, bondit sur lui tel un félin.
Ils tombent tous les deux au sol. Elle-dessus, et vint poser souplement la lame contre sa gorge.
― Qui tient l’autre, maintenant ? Murmure-t-elle d’un ton malicieux, bien qu’essoufflée.
― Quand est-ce que t’as appris ça ? Lui aussi est essoufflé.
Il lève les mains en signe de capitulation, Serena lui tend la main et le redresse.
― A côté, je fais de la danse. Je ne pratique pas autant, mais j’ai compris pourquoi je perdais face à toi. (Elle range sa lame.) Je me suis dit que mon style était trop similaire alors autant m’inspirer de ce que je faisais autour. Tu voyais trop dans mon jeu, anticipais les mouvements que j’allais faire. Ils étaient tiens, je ne faisais que les copier. Alors je me suis dit qu’il fallait que j’utilise mon propre style.
Une légère pause, avant de reprendre.
― Le coup de la lame était bas, je l’avoue.
― Tu fais sans cesse des progrès, tu m’épates, Reina.
Elle sourit. Ca lui fait plaisir qu’il s’en rende compte et ce surnom lui plaît.
― Comment ça va, avec tes parents ?
Elle hausse les épaules nonchalamment.
― Toujours au même endroit. Ils se sont mis en tête de me faire rencontrer mon futur mari dans les mois à venir. Pour mes vingt quatre ans.
Son sourire est sans joie et cruel. Marco soupire.
― Ton père pense que ce qu’il fait est bien. Il ne se rend pas compte. Il… Il veut ton bien, je pense, en quelque sorte.
― Ce n’est pas ce que je veux. Je veux faire comme toi, je veux parcourir le monde, aller en Hell Dorado. Ma grand-mère m’a déjà raconté des histoires quand j’étais gamine. J’ai besoin d’y aller.
― Ton père ne te laissera jamais aller… Ni ta mère, d’ailleurs.
― Ne me parle pas d’elle, s’il te plaît. Elle est lâche, elle ne veut pas prendre position. Elle ne dit rien mais je sens le soutien silencieux envers mon père, elle ne veut juste pas me mettre à dos.
― Qu’est-ce que tu vas faire ? Accepter ?
Serena regarde pensivement ailleurs, un instant.
― Je vais réussir à faire ce que je veux, Marco.
Il soupir en souriant. Cette fille a toujours eu le caractère buté de son père.
Vingt deux ans.
Camélia toque à la porte de la chambre. Timidement.
― Entrez.
Camélia ouvre et s'engouffre. Elle aperçoit Serena, sa fille, sa chair. Resplendissante.
― Tu es magnifique, ma chérie. Si belle.
Serena se tourne vers elle et affiche un air contrit.
― Je ne sais pas.
― Si tu l'es ! Il va t'adorer, c'est sûr. Nous partons demain, ma chérie, tu vas enfin pouvoir les rencontrer. Tu es prête, tu as préparé tes affaires ?
Serena hoche la tête. Elle n'ose pas regarder sa mère dans les yeux. Cette dernière glisse sa main sur la joue de sa famille.
― Je suis si heureuse. Je suis si heureuse que tu aies entendu raison !
Un éclair de bienveillance passe dans le regard de Serena, pourtant teinté d'une culpabilité grandissante. Sa mère l'embrasse sur la joue.
― A demain, Serena.
― A demain, mère.
Tout en sachant que le lendemain, il n'y aurait plus de Serena.
Elle s'est fondue dans la nuit, s'est glissé dans le premier vaisseau.
Dans une destination hasardeuse.
Renaissance, c'était le meilleur nom qu'il fallait pour rebâtir une vie.
Serena une fois diplômée voulait arrêter les études pour se consacrer complètement à sa passion avec Marco. Ce ne fut pas aux goûts des parents. Il fallait qu’elle soit belle, instruite aussi, c’est pour cela qui l’ont orienté en droit. Ce fut une période houleuse, mais Serena s’en est tirée tant bien que mal en alternant les entraînements avec Marco et les cours jusqu’à ce que ses parents soient satisfaits. Sans exceller dans cette branche qui ne lui plaisait pas, elle s’est contentée de fournir le strict nécessaire.
Elle a rencontré son futur mari. Plusieurs fois, sa belle famille aussi. Des faux sourires, des compliments cachés, s’extasier sur les futurs petits enfants. Les rencontres s’espaçant moins, c’est à partir de là qu’elle prit la décision.
La décision de partir. Loin, loin d’ici.
De cette vie qu’elle rejetait.
La veille du mariage lors de ses vingt-deux ans.
Sibelius est entré dans une colère tellement noire lorsqu'il a remarqué qu'elle s'était enfuie avec une petite fortune qu'il cachait dans son bureau, assez pour survivre quelques temps, qu’il s’est enfermé pendant trois jours avec le père de la famille noble. Ils se sont expliqués, Sibelius s’est excusé maintes fois en jurant sur l’honneur qu’il retrouverait celle qui s’est lâchement dérobé à ses devoirs. Il allait la retrouver, quitte à secouer tout l’univers. Il allait la retrouver et mettrait tous les moyens en place, accompagné par Salomon.
Ils ont trouvé quelques semaines plus tard la frégate qui avait eu le malheur d’héberger Serena en l’échange d’une somme qu’elle avait volé. Ce qui avait eu l’horreur de labourer un visage soigneusement tiré par la haine sur celui de son père.
Il connait sa fille par cœur.
Elle n’avait pas été soigneuse dans son départ, elle avait en elle toute la précipitation et l’urgence de son père et non le calme apaisant de sa mère.
Un jeu d’enfant pour la retrouver.