Leçon n°1

Vanguard, quelque part en ville.
Ce pâté de maison est parcouru d’effluves délicieuses, de bouillon et de friture, de poêlée et de brochettes. Par l’odeur alléchée la jeune femme se tient là, sur le trottoir, debout devant la vitrine d’une bicoque Mo’at. Cela fait déjà deux bonnes minutes qu’elle le questionne.

« Et ça qu’est-ce que c’est ? » dit-elle pointant du doigt la marmite qui plop, plop tranquillement.

« Ça c’est soupe Payo'tswayon... » mime-t-il d’un jeu de mains ondulant signifiant poisson. « … Et Ma’wup. »

« Oooh !... » fait-elle les yeux ronds comme des billes, emballée par la proposition. Ces noms lui parlent. Elle sait ce que c’est, elle l’a appris dans ses livres. Elle frétille d’excitation lorsqu’elle commande « Une portion s’il-vous-plaît… ».
Il hoche son visage inflexible d’un air entendu, s’essuie les mains dans son tablier, attrape un gros gobelet en carton, chope une louche…
Pour patienter Sixtine détaille les mets présentés dans la vitrine, les deux mains à plat contre le verre. Un sursaut l’arrache de sa contemplation.

« Pas mains sur vitrine !!! »

Elle se redresse, l’air désolée, et prend le gobelet de soupe qu’on lui tend.

« Pardon je… »

« 5 Crédits. » coupe-t-il sèchement. Elle fouille alors dans sa poche. Ah non c’est pas la bonne. Il la dévisage, elle commence à rougir. Celle-là non plus… Étonnant comme le stress peut nous faire agir bêtement. Au bout de plusieurs reprises elle trouve enfin ce qu’elle cherche, secoue sa main pour l’extirper, puis lui tend un gros billet de crédits. Le genre qu’on voit pas souvent. Évidemment elle vient de passer à la banque…
Le gros moustachu, poing sur la hanche, attrape la coupure en soupirant, le regard exaspéré.  Cons de touristes.

« Toi attendre. Moi pas monnaie. »

Pour le coup elle se sent un peu bête, débutante qu’elle est. L’homme revient quelques minutes plus tard et lui donne le change. Sans trop s’épandre en politesses elle prend congé et s’éloigne rapidement.
Elle ne remarque pas la silhouette qui se détache d’un banc, dans son dos...
Le nez en l’air, un vague sourire aux lèvres, elle observe le ruban de ciel bleu qui défile entre les immeubles de verre et de métal.
Un sifflement la tire de sa rêverie. Elle ne comprend pas tout de suite.
Un deuxième sifflement la fait ralentir. C’est elle qu’on siffle ?

« Hé Mademoiselle ! »

Elle tourne la tête par dessus son épaule et arrête de marcher.
Un homme la suit, à trois/quatre mètres derrière. Pas bien grand, quelques piercings, un air stupide de hyène décharnée…

« T’habites par ici ? J’t’ai jamais vu...»

Interloquée, elle secoue la tête. Que faire ? Répondre poliment ? Courir ? Il s'approche, elle commence à flipper.

« T’as pas quelques crédits à me refiler ? J’suis un peu en galère...

Nous sommes à terre, à Vanguard très précisément. J'ai débuté ma promenade par un passage chez les mécaniciens du coin, afin de trouver une pièce qu'il manque afin de booster mon speeder. Bien entendu, je n'ai pas été prise au sérieux. J'ai eu le droit à toute la panoplie de remarques quant à mon âge et son incompatibilité avec la vitesse. Garnements ! Rustres ! Chafouins ! Voyous ! Ah ça, je leur ai montré, si je n'étais qu'une vieille dame sénile ! Plusieurs coups de poêle plus tard, mon amour propre a été restauré ; encore davantage lorsque j'ai reçu cette proposition indécente de faire une course, à un contre un, et j'ai même obtenu d'eux qu'ils m'offrent la pièce si jamais je gagne. Ma mauvaise humeur s'estompe donc à mesure que j'avance vers le port, lieu où je compte bien récupérer ma Titine, afin de leur en mettre plein les yeux, à ces jeunes arrogants !

Mon sac à main sur l'épaule - avec ma poêle, mes cigares, mon tabac, ma pipe, mes allumettes -, j'avance d'un bon pas, en faisant bien attention de ne pas tâcher ma belle robe de velours d'un vert profond. C'est alors qu'une scène désespérément commune déclenche un nouveau mouvement d'humeur ; un garçon très laid suit une jeune fille tout à fait mignonne, l'air terrorisée.

- Ah non!!! Toi, mon garçon!

Je m'approche de lui, et lui tire l'oreille.

- Est-ce que c'est une façon de s'adresser à une jeune fille, MMMMMH?!

Elle ne réagit pas tandis qu'il s’approche. Vaguement elle essaye de trouver une excuse pour mettre les voiles.
… mais n’a pas le temps de réfléchir d’avantage que l’énergumène est stoppé net dans son élan. Son visage se déforme de surprise autant que son oreille semble s’allonger. Sixtine est aussi surprise que lui. Une petite vieille !? Elle écarquille les yeux tandis que l’importin réalise qu’une dame d’un certain âge l’a attrapé par l’oreille. Que faire ? Tout s’est passé si vite… Est-ce qu’elle a besoin d’aide ? Faut-il intervenir ? Là franchement elle se sent pas d’interférer... Et puis pour le moment la dame semble avoir la situation bien en mains. Enfin… Surtout entre le pouce et l’index.

Il commence à se débattre mais cela ne fait que lui tirer d’avantage sur la feuille !

« Mais AÏÏÏÏEUUUUH !!! »

Il n’a pas répondu à la question...
La jeune femme reste là, gobelet de soupe à la main, yeux rivés sur la scène.

Le petit semble aussi surpris que la jolie jeune fille, tous les deux à peine sortis de l'oeuf. Décidément, que font les parents de nos jours? N'y a-t-il donc plus aucune éducation? Je ne décolère pas plus que je ne lâche l'oreille du garçon. Elle vire au rouge, et il aura certainement mal pendant quelques jours. Tant mieux. Au moins pourra-t-il peut-être tirer des leçons de son comportement!

- En voilà des manières! Embêter ainsi une jeune fille, n'as-tu pas honte?! Tu vas demander pardon sur le champ, si tu ne veux pas que je me fâche pour de bon!

Le garçon se débat, il tente de m'échapper.

- Lâche-moi sale vieille!

Oh ! Ni une ni deux, j'attrape ma poêle dans mon sac à main, et je distribue plusieurs coups à l'insolent.

- Je t'ai dit de demander pardon, petit malotru! J'en ai dressé des pires que toi, mon garçon, alors ne crois pas que tu seras celui qui me fera plier!

L'enfant met ses mains devant son visage, lâche plusieurs cris de douleur avant de finalement capituler.

- D'accord, pardon madame, pardooooon!

Je cesse les coups, sans lui lâcher l'oreille.

- Bien, voilà qui est mieux. Et que dit-on à la demoiselle que l'on a importuné?

Le petit semble penaud. Il baisse les yeux, rouge de honte.

- Désolé.

Je hoche la tête, satisfaite, puis je le lâche. Le garçon détale sans demander son reste. Lorsqu'il a filé, je regarde la fillette.

- Tout va bien, mon chou?

Il se débât l’animal ! Mais Sixtine n’a pas le temps de paniquer que … BIM ! Elle sursaute. Renverse un peu de soupe. BAM ! Elle rentre sa tête entre ses épaules, inconscient mouvement de protection. PAF ! Une grimace pleine d’empathie déforme ses traits. Le pauvre homme couine de misérables cris de douleur. À peine lâché qu’il s’éloigne tel un chien battu la queue entre les jambes. Elle, ne bouge plus. Elle entend la question, lointaine, de la vieille dame. Pendant quelques secondes elle ne répond pas, bouche bée, complètement hallucinée. Bon sang c’est qui celle-là ?
Son regard tombe sur la poêle toujours dans sa main. Elle sait y faire ça y’a aucun de doute !

« Ou.. Oui tout va bien, merci Madame... » se ressaisit-elle.

Elle secoue vaguement sa main pleine de soupe sans cesser de l’observer. Attendez elle avait quand même un poêle dans son sac ! Normal !

« J’sais pas ce que j’aurais fait si... » Si elle l’avait pas dégommé, tout schuss ? Bah elle lui aurait donné son argent ça me semble assez claire... « … C’est… C’est souvent que vous vous promenez avec... » Elle pointe du menton l’ustensile initialement prévu pour un usage domestique. « … Avec une poêle dans vot’ sac ? »

Se faire sauver la vie par une vieille dame... Ou comment se remettre en question. Volume 1.

La jeune fille a l'air surprise, peut-être quel que peu choquée, mais saine et sauve. Je ris sincèrement à l'entente de sa question. Il est vrai qu'avoir une poêle dans son sac à main n'est pas chose courante. Je regarde ma poêle avec beaucoup d'amour. Elle commence à avoir de l'âge, puisque c'est celle qui appartenait à feu ma mère. Un des seuls souvenirs qui demeurent d'elle. Qui aurait cru !

- Oh, non. Je ne porte pas toujours de sac. Parfois, ma poêle est attachée à ma ceinture.

Après un ultime regard, je range mon précieux trésor dans le sac.

- Pour répondre à ta question, je ne vais nulle part sans elle. Une vieille habitude. Beaucoup préfère les épées, et fussé-je jadis une épéiste tout à fait potable, mon arme favorite a toujours été la poêle à frire. Je crois que je n'ai pas besoin de t'en vanter l'efficacité plus que je ne l'ai déjà fait. Tu devrais essayer, si tu te fais souvent embêter ainsi dans la rue. C'est radical.

Alors le sac c’est pas obligatoire mais la poêle oui ??
Elle note à tout jamais dans un coin de son crâne : en cas de danger => poêle à frire. Surtout que ça doit pas être compliqué de viser avec ça. Après sûrement que y’a une technique bien rodée genre flexion du poignet, rotation de l’épaule...

« Je… J’m’en souviendrai. »

Elle se décrispe tout en observant la mamie, mais reste interloquée, yeux ronds comme des billes.
Le tableau est complet. Robe en velours, chignon gris, visage ridé.
Elle regarde sa soupe. Elle peut pas juste dire merci et tourner les talons. Hors de question ! Elle est bien trop intriguée.

« Qu’est-ce que je peux faire pour vous remercier ? »

Elle se dit qu’une vieille dame qui aligne comme ça les ptits délinquants n’a peut-être pas besoin qu’on l’emmène se balader ou qu’on lui fasse les courses…

« J’peux vous payer un truc... » Elle réfléchit deux secondes à ce qui pourrait lui faire plaisir et ajoute plus vivement. « Ou vous inviter quelque part ? »

Que voilà une jeune fille bien élevée ! Il est bien rare de nos jours, de voir un jeune qui se soucie du respect de ses aînés. L'honneur me fait toujours plaisir à voir. C'est avec une moue satisfaite que je choisis bien entendu d'accepter sa proposition. On ne refuse pas les invitations, surtout celles de personnes qui se sentent redevables, enfin !

- Mmh, volontiers, mon chou.

Je tire doucement sur ma manche, la réajustant.

- Emmène-moi donc dans ton endroit préféré de Vanguard, quel qu'il soit.

Je n'attends pas qu'elle accepte ni m'indique une direction. Déjà, j'avance, me servant peut-être exagérément de ma canne.

- Comment as-tu dit que tu t'appelais, déjà ?

La dame accepte. Génial. Par contre elle amorce déjà un départ. Son endroit préféré à Vanguard ? Beeen… Elle n’en a pas. Pas encore. Ou on peut dire là-bas perdu à travers champs mais elle se voit mal emmener sa sauveuse en rase campagne.
Elle réagit, fait un petit bond, trottine deux/trois secondes jusqu’à la rejoindre.

« C’est Sixtine, Madame ! Sixtine Pearson ! Et vous ?... »

Elle lui emboîte le pas. Enfin le pas… La canne. C'est fou comme d'un coup elle a l'air fragile et fébrile, alors qu'il y a une minute elle tambourinait la tronche d'un toxicomane.

« J’connais pas bien… En fait… J’suis arrivée y’a pas longtemps, j’suis pas d’ici… »

Elle tourne son nez vers elle pour voir sa réaction. Puis sur le chemin. Puis re sur elle.

- Sixtine, mmh ? C'est un très joli prénom. Il te va à ravir. Alors, Sixtine, je suis enchantée. Quant à moi, tout le monde m'appelle Mam'. Pas de Madame avec moi, compris ? Appelle-moi Mam' !

J'ai toujours aimé ça, les balades en famille, surtout lorsqu'on a le privilège de pouvoir respirer l'air pu de Renaissance ! Puisque je m'attache si facilement aux uns et aux autres, j'apprécie déjà la petite, aussi timide soit-elle. Je vais vous la détendre, moi, cette petite ! Même si elle ne connait pas Vanguard. Peut-être que je devrais lui montrer quelques endroits sympathiques, mais puisque c'est elle qui invite, laissons-la donc guider !

- Oh. Et bien dans ce cas, emmène-moi là où tes pas te guident. Si tu n'es pas pressée, bien entendu. En ce qui me concerne, j'ai tout mon temps, et si la solitude est une amie fidèle, rien ne vaut le contact humain, n'est-ce pas !

« Merci… Enchantée également, Mam’ ! » répond-elle enjouée.

Alors ce sera Mam ! Elle ne sait pas si c’est le diminutif de maman, ou de mamie, ou bien même de madame mais ceci n’a guère d’importance pour le moment. Immédiatement elle se dit qu’elle n’oubliera pas ce nom de si tôt.
Bon ! Alors… Un endroit… Elle a raison ! On va marcher pis voilà, on trouvera bien ! Ça fera l’occasion de visiter un peu.

« Ouai !... » Répond-elle dans un souffle à travers son sourire. « Je ne suis pas pressée non plus, j’ai touuut mon temps. »

Elle se laisse alors porter par ses pas, une main avec le gobelet, l’autre dans la poche. Elle aussi aime bien les balades en famille ! Enfin… Même si ça doit bien faire une quinzaine d’années qu’elle n’en a plus fait.

« Marchons un peu, alors… »

Elle ne sait pas à quoi Mam s’attend mais faut pas qu’elle espère un truc bien rock’n’roll… Oooh elle n’est pas si timide que ça… Juste un peu coincée… Quoique, peut-être pas tant… C’est juste qu’elle n’a pas encore eu le temps de faire grand-chose de sa vie, vu qu’elle l’a intégralement consacrée à ses études. Brave fille.
Et c’est aussi vrai qu’un peu de compagnie ne fait pas de mal. Surtout quand on est fraîchement débarquée, sans famille et sans ami !

« Vous avez des petits-enfants ? » Plaf. Pieds dans le plat.

Elle m'assure qu'elle n'est pas plus pressée que moi. Bien, bien. Sa première question me tire un gloussement léger.

- Oh, plusieurs centaines, oui.

J'hésite à laisser ma réponse en l'état, simplement pour observer sa réaction.

- Et toi mon chou, est-ce que tu as de la famille ? Tu viens d'arriver sur Vanguard ou bien tu es simplement de passage ? Raconte-moi donc ton histoire.

Comment ça plusieurs centaines ? Au début elle croit à une blague. Puis le doute lui fait froncer les sourcils ; c’est du lard ou du cochon ?? Pour un homme, avoir cent descendants ça peut éventuellement être faisable, pourquoi pas hein… Mais pour une femme ?
La jeune biologiste la détaille du regard cherchant à comprendre, mais Mam’ ne lui laisse pas le temps de répondre qu’elle a déjà fait bifurquer le sujet sur elle.
Sans trop réfléchir, Sixtine répond directement.

« Oui, j’ai mes deux parents. » à comprendre entre les lignes inexistantes : Sixtine ne sait pas à quel point elle n’y connaît rien au fait d’avoir une famille, une vraie.

Elle préfère éluder à son tour plutôt que de s’épandre en pleurnicheries.

« Je viens d’arriver. J’suis de Valenos à la base. Pour ça que j’connais pas encore bien les lieux… Et j’suis là pour un joli bail normalement ! Plusieurs années je pense… Je suis biologiste... »

Succinct mais efficace. Bien assez pour le moment.

« Et vous ? C’est quoi vot’ métier ? »

Elle se garde bien de lui dire qu’elle l’imagine à la retraite, on sait jamais… Cette formule de phrase lui paraît moins vexante.
Elle a quand même calé cette histoire de centaines d'enfants quelque part au fond de sa tête et cela ressortira au moment opportun.

- Ni frères, ni sœurs ? je demande.

Bien sûr que non, sinon elle en aurait certainement parlé. Je suis désormais trop habituée aux grandes familles nombreuses pour ne pas trouver ça étonnant, n'est-ce pas. Même si finalement, peu de mes enfants ont un véritable lien de sang entre eux, et aucun n'a un lien du sang avec moi. Bah, ça ne veut pas dire grand chose.

- Biologiste, hein ? Tu étudies donc la faune et la flore de Renaissance, j'imagine ? C'est un bel endroit, j'espère que tu vas t'y plaire et que tu trouveras ton bonheur. Enfin j'imagine que tu sais déjà à quel point la biodiversité est surprenante et intéressante ici... Sinon tu ne serais pas venue, n'est-ce pas ? Qu'étudies-tu ?

Lorsqu'il est question de mon propre métier, je suis pleine de fierté, et je me redresse même presque tout à fait.

- Je suis pilote. L'une des meilleures de cette galaxie, sans vouloir me vanter. Enfin, je suis maître navigatrice, pour être tout à fait exacte, mais ça n'a pas beaucoup d'importance. Mon domaine de prédilection reste le pilotage.

« Heuuu… Non... » elle arque un sourcil. Des frères ou des sœurs ? Tiens, étrange idée. Sixtine a un petit rire nerveux et surpris du style c’est quoi cette question bizarre?. Bon faut la comprendre, sur Valenos le commun des mortels a une vision bien particulière de la reproduction. Cette dernière étant strictement contrôlée…
Elle fait le point à toute allure dans sa cervelle. C’est vrai qu’ailleurs, ici en l’occurence, les gens peuvent faire beaucoup de marmots. « En fait y’a pas vraiment de grandes familles chez nous… »
Elle bug un peu, les yeux dans le vide, à se demander ce que ça doit faire d’avoir une sœur, ou pire un frère.

Mam’ lui parle de Renaissance, elle s’arrache alors de la contemplation du bout de ses bottes « C’est ça ! J’adore Renaissance. Enfin pour le moment ! » elle rit à l’idée qu’elle pourrait le regretter à l’avenir, puis reprend « J’ai toujours rêvé de venir ici ! Tout est si… beau… florissant ! » sauf que pour le coup elle n’a pas très envie de faire un long topo sur ses études. Les trucs de nerds n’enthousiasment vraiment que les nerds… Alors elle répond un vague « Grosso modo j’étudie les organismes ; végétaux, microscopiques, animaux... Et cherche ce que l’on pourrait adapter de eux à nous. »

La révélation de Mam la fait bondir, tout le reste n'a plus aucune importance « WOW ! » bouche bée, une expression de pure admiration sur le visage « Mais euh... Vous exercez encore ?? »

Pas vraiment de grandes familles ? Eh bien.

- Oh, nous n'avons pas que de grandes familles ici. Il y a de tout en réalité. Des enfants uniques, des familles si nombreuses qu'ils vivent entassés... Que sais-je ! Enfin, j'espère que tu trouveras rapidement tes marques.

Je glousse devant son air surpris et admiratif. Voilà une jeune femme bien adorable, même si sa remarque pourrait presque être une offense à ma personne.

- Oui mon petit, j'exerce toujours, et j'exercerai jusqu'à ma mort ! N'est pas né celui qui m'empêchera de piloter ! Hmpf. Enfin, n'oublie jamais que l'âge, c'est dans la tête.

Pour illustrer mon propos, je stoppe notre marche et je tapote sur sa tempe avec mon index.

- Reste jeune là-dedans et rien ne t'arrêteras jamais.

Je lui fais un clin d'oeil entendu, et nous recommençons à marcher.

- Mais parle-moi davantage de cette histoire d'adaptation de la nature, tiens. Je ne suis pas biologiste, mais je ne suis pas encore totalement gâteuse non plus.

Heureusement qu’elle fait preuve de sagesse, parce que je pourrais blesser plus d’un fébrile avec ma sincérité ingénue.
Et bah dis donc. Je l’imagine aux commandes de son vaisseau. Putain ça rocks. Pour ce qui est de la jeunesse, je me fais une autre réfléxion : moi je suis jeune dans les faits. Elle, elle est âgée, mais elle déchire. Résultat de l’équation je sais pas trop si c’est vraiment une question de jeunes années, ça.  C'est autre chose.
Mam’ me relance sur mes recherches. Je pousse un soupir de réflexion et reporte mon regard sur la rue que nous arpentons. C’est que… J’avais pas envie d’en parler. J’ai plus envie que Mam’ me parle de sa vie, que de raconter, une énième fois, mon sujet d’études. Mais je fais un effort pour elle.

« Et bien que dire… S’inspirer des solutions créées par la Nature. Étudier ses processus, ses mécanismes, pour ensuite s’en servir pour améliorer notre technologie. » Tiens, elle qui est dans le pilotage : « Par exemple on s’inspire de certains animaux volants pour augmenter les performances de vol en aéronautique. Ou des propriétés d’une plante : ici ce sont les algues bénites qui remportent la palme de plantes les plus étudiées du moment. Elles ont des propriétés de régénération vraiment hal-lu-ci-nan-tes !! ... J’ai plein d’autres exemples si vous voulez… »

Je m’arrête net et lève le nez sur une enseigne lumineuse -Bowling-Salle de Jeux-Restaurant-. Je pointe l’entrée du menton. Les exemples attendront la réponse à la question suivante.

« Ça vous dit ?... »

Je l'écoute attentivement me faire part de ses sujets d'étude. Voilà qui semble tout à fait passionnant ! Je me sens particulièrement captivée par le moment où il est question d'aéronautique. Il est ingénieux de s'inspirer de ceux fait naturellement pour voler afin d'apprendre de leurs techniques, bien sûr. Elle arrête ses explications presque au milieu d'une phrase, pointant un établissement lumineux, d'où s'échappe un rock entraînant et des éclats de rire.

- Excellent choix, mon chou ! Ce sera parfait pour passer un agréable moment.

Me voyant approcher, un homme chargé de la sécurité ouvre la porte pour que nous puissions passer. Satisfaite, j'hoche la tête.

- Bien aimable, merci mon petit.

Nous entrons alors, et je souris à la petite Sixtine.

- Dis moi laquelle de ces activités te tente le plus en premier.

J'enchaîne quant à ses recherches qui me semblent tout à fait passionnantes.

- Ton travail a l'air absolument passionnant. Depuis combien de temps fais-tu cela ?

Je souris à l’homme qui nous ouvre la porte et emboîte le pas à Mam’. On entre dans une pièce bien éclairée et cosy. Y’a de quoi s’installer pour prendre un verre et j’aperçois plus loin des tables de restaurant. Je ne suis pas une grande habituée de ce genre d’endroits.

« Oh ça fait à peu près 7 ans... C'est passionnant oui ! Je n'ai toujours aimé que ça alors bon... » Je lui souris en hochant des épaules.

Au passage je repère une poubelle et y jette mon gobelet de soupe froide à demi finie. C’était pas mal mais c’est pas tous les jours qu’on rencontre une vieille dame pilote ! Elle a happé toute mon attention. Je n’ai plus faim du coup… Ni très soif. Un ascenseur est à disposition pour les activités dans les étages. Un comptoir trône non loin et semble attendre que l’on s’en approche. Un homme attend derrière, sagement. Il nous salue poliment et nous explique le concept. Ici on paye pour le bowling et on loue des chaussures spéciales, ou on échange des crédits contre des jetons qui nous permettront de jouer dans la salle de jeux à l’étage.

« Salle de jeux ? » je dégaine mon Hcom pour payer avec dès confirmation.

Sept ans... Elle a pourtant l'air si jeune. Quoi qu'il en soit, cela signifie qu'elle voue sa vie à cette activité, comme moi j'ai voué la mienne au pilotage. Cela nous fait un point commun. J'observe l'endroit dans lequel nous sommes entrées ; très agréable, il semble fait pour que l'on passe des heures entières à s'y perdre. Cela me convient bien. Je ne suis pas une grande addict, cependant, j'apprécie tout à fait ce genre de passe-temps. Pourquoi pas, après tout ? J'espère simplement qu'ils ont un espace destinés aux fumeurs.

- Eh bien, va pour la salle de jeux. Je préfère te prévenir : je suis une compétitrice dans l'âme.

Je la laisse payer sans m'y opposer, puisqu'elle m'invite. Je trouverai d'autres moyens de lui rendre la pareille plus tardivement, pourquoi pas autour d'un repas ?

- Tu n'aimes rien d'autre que ça, mon chou ? Tu n'as donc pas de passe-temps, ou d'activités autres ?

« Okay ! » Je commande deux pots de jetons bien fournis, histoire de s’amuser un minimum, puis paye. C’est pour la remercier de m’avoir secouru ne l’oublions pas !

Je suis impatiente à l’idée de me mesurer à elle. Je n’en ai aucun doute : la bataille s’annonce acharnée. Chaque petit intello qui se respecte n’aime pas perdre. C’est bien connu. Enfin j’crois… Donc oui je pense que je vais me révéler être une adversaire acharnée !

« On va voir ça ! Première fois que j’entre dans un endroit comme ça... » Un sourire fend mon visage d’une oreille à l’autre. Enjouée, je trottine presque jusqu’à l’ascenseur et appuie sur le bouton. Une vraie gamine. Pis faut dire qu’un peu de loisir va me faire du bien. Sortir de mes réflexions, de mes éprouvettes, de mon petit monde bien carré clos.

« Hum… » Non j’ai pas grand-chose d’autre dans ma vie. J’ai un peu honte j’dois avouer. Je fixe la porte de l’ascenseur, gênée. J’me sens tellement ennuyeuse pour le coup. « Non j’fais rien d’autre... » Ah mais attends j’pense à un truc ! « Je dessine, un peu… » puis pour faire diversion, et aussi parce que j'suis réellement curieuse de l'apprendre « Et vous ? A part le pilotage ? »

La porte s’ouvre, nous entrons. J’appuie sur le bouton du deuxième étage.

On peut dire qu'en tout cas, elle n'est pas radin ! Elle commande suffisamment de jetons pour que nous restions plusieurs heures à jouer, entre deux moments d'accalmie. Surtout qu'il s'agit de sa première fois... C'est toujours intéressant, une première fois ! Ca me permettra peut-être de gagner plus facilement. Nous marchons jusqu'à l'ascenseur, je me contente de sourire. Je ne doute même pas que ça va bien lui plaire. Tout le monde aime s'amuser de temps en temps, n'est-ce pas. Surtout quand on ne fait rien d'autre que travailler. Cela m'étonne quelque peu, cependant, je me doute bien qu'il y a certainement d'autres activités dont elle ne souhaite pas forcément me parler. Pour l'instant. Je la suis dans l'ascenseur en réfléchissant à ma réponse.

- Eh bien... Je suis maman à plein temps, je cuisine parfois, j'écoute les ragots... Lorsque nous sommes à terre, je participe à des courses de Speeder, mais ça compte certainement comme du pilotage, n'est-ce pas ? Je pilote beaucoup, en réalité. Je suis tombée dedans quand j'étais petite, comme on dit !

L'ascenseur arrive à destination, et s'ouvre devant une salle pleine de lumières qui clignotent, de sons en tout genre, de machines cliquetantes, et de personnes qui rient, poussent des râles de frustration, ou se terrent dans un silence secret débordant de bluff.

- Bien. Choisis par laquelle tu veux commencer, mon chou.

Je l’imagine dans sa cuisine, tablier noué à la taille, en train de siffloter, et touillant une marmite à l’odeur alléchante dont seules les grands-mères ont le secret. J’ai envie de lui demander quelle est sa faction mais…

« Des courses de speeder ?... » Wow… Décidément. Elle est tellement cool ! J’oublie de lui demander son appartenance ethnique, le visage peint d’étonnement. Dommage… Parce que des pirates j’en connais pas. En fait, j’suis pas bien au courant de ce qu’il se passe réellement dans le système. Juste que… J’en ai pas bien conscience quoi. « C’est vraiment… Très cool... »

Nous sommes interrompues là par la porte qui s’ouvre sur un monde coloré et bruyant.

« Woaw… » Je balaie la zone d’un regard pétillant. « Houla… Par où commencer... »

Bonne question. Je sors de l’ascenseur et prend une direction au hasard. Nous nous faufilons doucement dans une allée.

« J’sais pas trop... » Avide, je regarde partout. Mes iris bleutées s’arrêtent sur deux simulateurs de pilotage spacial, installés côte-à-côte pour permettre à deux joueurs de s’affronter. Bon bah… Tant qu’à faire commençons par ça !

« Celui-ci ? » Ma main se pose sur le dossier du premier siège tandis que je cherche son approbation du regard. Je le contourne et pose mon séant. Le truc est imposant. Moi et mon gabarit de plume avons l’impression de flotter dans l’assise. En attendant que Mam' s'installe dans celui d'à côté, je déchiffre les instructions sur l'écran.

- Absolument, oui ! Des courses de speeder.

Je me redresse, pas peu fière de mes talents de pilote. Je voudrais lui demander si elle en a déjà vu, mais nous sommes interrompues par les bruits des machines, et c'est avec une grande tendresse que j'observe ce petit bout de jeune femme.

- Allons y pour celui-ci.

Je m'assieds sur le siège de la machine qu'elle a choisi. Un simulateur de pilotage ! Mon cœur s'emballe, je suis comme une enfant qui vient d'ouvrir ses cadeaux. Je me frotte les mains.

- Alors, alors...

Les machines sont bien simplistes, mais dans l'ensemble, elles ne sont pas outrageusement infidèles. Bien sûr, il n'y a pas les dizaines et les dizaines de boutons, mais bon...

- Ca semble être une version simplifiée de nos véhicules. Alors, là tu as le booster pour accélérer, ici tu as les commandes qui te permettent de tourner, là, c'est pour gérer ta direction 3D. Mmmmh... Tu as lu autre chose, mon chou ? Je serai prête quand tu le seras.

Je jette un coup d’oeil aux commandes qu’elle décrit en acquiesçant du menton.


« Ça doit pas être bien compliqué !... » dis-je en attrapant un jeton. « On s’échauffe sur la première, on verra ensuite... » Insertion. « Allez ! »

Je sélectionne multijoueur. 1 contre 1. Je lance la partie. L’écran s’anime de multiples lumières et nous transporte dans l’espace. L’espace, le pilotage, les vaisseaux... Un domaine qui m’est totalement étranger. Mais pas dénué d’intérêts, loin de là ! D’ailleurs, fidèle à moi même, je m’agite sur mon siège, et un sourire d’enfant fasciné vient irrésistiblement étirer mon visage.

« Prête ?? »

Je sens qu’elle va me laminer ! Elle va avoir des réflexes que je n’ai pas, sûrement ! Enfin les jeux vidéos c’est un truc de jeunes à la base. Non ? Je compte un peu là dessus pour me laisser une chance...

Start.