Leçon n°1

Je jette un coup d’oeil aux commandes qu’elle décrit en acquiesçant du menton.


« Ça doit pas être bien compliqué !... » dis-je en attrapant un jeton. « On s’échauffe sur la première, on verra ensuite... » Insertion. « Allez ! »

Je sélectionne multijoueur. 1 contre 1. Je lance la partie. L’écran s’anime de multiples lumières et nous transporte dans l’espace. L’espace, le pilotage, les vaisseaux... Un domaine qui m’est totalement étranger. Mais pas dénué d’intérêts, loin de là ! D’ailleurs, fidèle à moi même, je m’agite sur mon siège, et un sourire d’enfant fasciné vient irrésistiblement étirer mon visage.

« Prête ?? »

Je sens qu’elle va me laminer ! Elle va avoir des réflexes que je n’ai pas, sûrement ! Enfin les jeux vidéos c’est un truc de jeunes à la base. Non ? Je compte un peu là dessus pour me laisser une chance...

Start.

- Prête !

Et la course démarre. Ca n'a pas grand chose à voir avec une course de speeder, et pourtant, Dieu sait que je m'y connais ! Je fronce les sourcils, et j'observe bien la route. Enfin, ce qu'ils osent appeler "circuit" sur leur maudit jeu ! Il n'avance pas, ce fichu speeder ! Oh ! Mais qu'est-ce que !

- Nom d'une... ! Je te... !

La course se déroule plus mal que prévu ! C'est pas un pilote qui a fait leur foutu jeu, ça c'est certain ! Depuis quand est-ce qu'un speeder a cette foutue sensibilité ? Et même avec ma titine vieille de soixante ans, j'vais plus vite que ça ! Nom de nom !

Rapidement, la course est lancée. Toute ma concentration est soudain happée par l’exercice.
Je regarde le décor nous arriver dessus, illusion de s’élancer dans le vide. Les premières secondes sont assez stables mais vite ébranlées par la succession des premiers virages. La relative lenteur du jeu n’est pas pour déplaire à la novice que je suis. Pour moi, ça a déjà l'air d'aller trop vite !
Et pis d’un coup tout a foiré. La première zone d’astéroïdes vient me cueillir. J’ai beau essayé de bien faire, j’ai l’impression d’être à pied sur l’autoroute. C’est un carnage. Je couine et me penche sur le côté, à droite, puis à gauche, dans l’espoir illusoire d’aider mon vaisseau à se rétablir.
Je suis trop concentrée par ma prestation pour jeter un œil sur l’écran de Mam’, mais l’air est comme tendu ! À côté de moi. Mon vaisseau part en n'importe quoi dans le décor, je me crache sur un énorme astéroïde. Je disparais pour réapparaître gentiment au centre de la piste, après quelques secondes de pénalité.
J’aperçois le vaisseau de Mam non loin ! Ragaillardie je revois mes chances de réussite à la hausse. Rien n'est joué.

La course se poursuit, et je vois que Sixtine me rattrape. Il faut dire que ce foutu vaisseau me donne du fil à retordre ! Simulateur mon cul ! J'ai déjà connu des simulateurs fait avec les pieds qui étaient mieux conçus que celui-là ! Mes réflexes de pilotes me permettent quand même de sauver la mise, et après une bataille acharnée, je finis par passer la ligne d'arrivée, pas bien longtemps avant Sixtine.

- Ce jeu est mauvais ! Ils osent ça appeler simulateur ! C'est une honte, une honte ! Je t'emmènerai faire un vrai tour de vrai speeder, mon chou. Tu verras la différence.

Je fais claquer mes mains et j'essaie de me lever de mon siège, sans franc succès.

- Je vais avoir besoin d'un petit coup de pouce pour me relever, mon petit. On essaie autre chose ? Tiens, celui-là, là-bas. On dirait un jeu de réalité virtuelle.

J'donne tout ce que j’ai jusqu’à constater que c’est foutu pour moi. L’avantage penche clairement pour Mam. Course achevée je lâche les commandes et me tourne vers elle. Bouche entrouverte d’abord, l’air mi-surpris mi admiratif, je l’observe pester contre la machine puis éclate de rire.

« Bravo, bien joué ! C'était presque serré... » mais la pilote s'est montrée incontestablement la meilleure.

Je me lève prestement encore en proie à l’hilarité et lui tend ma main pour l’aider à s’extirper du fauteuil.
Elle parle de speeder.

« En vrai ??? »

Je ne sais pas si je dois m’exalter ou m’inquiéter. Il y a ce petit quelque chose, au fond de moi, qui saute de joie à l’idée. Et une autre partie qui se dit que ça va finir en pipi-culotte… Je l’observe encore pendant que je l’aide à se mettre debout. Je ne sais pas encore quoi penser de cette rencontre. Mais ce qui est sûr c’est qu’elle vient bousculer, tout en gentillesse et avec style, le cadre fade et rigide de ma petite vie bien ordonnée.
Monter dans un vrai speeder. L’idée m’aurait paru farfelue encore une heure auparavant. Mais à présent je me dis qu'elle est tentante. Et qu’à elle, je lui ferais confiance.

« Ça serait sûrement génial... Si je ne tombe pas dans les pommes... »

Elle désigne un jeu, plus loin.


« Bonne idée ! » j’attrape les jetons et nous nous y rendons.

« Donc ! Faut mettre un casque c’est ça ? » j’attrape un des deux casques et l’observe sous toutes ses coutures.

Sa question et son enthousiasme me surprenne, mais dans le bon sens du terme, bien sûr.

- Bien sûr que oui, en vrai ! Tu ne serais pas la première que j'embarque dans mon speeder pour une petite virée, et tu ne seras certainement pas la dernière ! Et ne t'inquiètes pas, j'ai quelques remèdes très efficaces pour ceux qui tombent dans les pommes, mon petit.

Je ne parle pas - seulement - de ma poêle. Les remèdes de grand-mère, ça me connait ! Feu ma mère était une fervente utilisatrice de tous ces petits trucs qui sauvent des vies au quotidien. Elle a, fort heureusement, eu le temps de me les transmettre. Elle m'aide à sortir de cette cabine, et je récupère ma canne et mon sac.

- Merci, mon chou.

Puis, nous nous rendons dans cette fameuse cabine que j'avais repéré, et qui a l'air bien plus sympathique que le simulateur. Je prends le casque à mon tour.

- Mmh... Oui... Oui, je suppose.

Une fois enfermées à l'intérieur, il fait plutôt sombre, et nous sommes coupés du reste de la salle de jeu. Je place le casque solidement sur mon crâne, et mes prothèses mettent quelques instants à s'habituer à leur nouvelle vue.

- Ooooooooh ! Ooooh, mais qu'est-ce que c'est...

Je me retrouve brusquement dans une grande forêt - celle de Renaissance ? - arme à la main, corps de jeune femme.

- Tu vois ça mon chou ?! Tu vois ?!

La petite virée en speeder semble soudain actée, et je panique légèrement. Mon visage passe d’enjoué à blême quelques instants. Je n’ai jamais fait de choses très rock’n’roll dans ma vie. Être dans une salle de jeux avec une vieille dame pilote et maîtresse dans le maniement de la poêle à frire, c’est déjà énorme. Faut qu’je réfléchisse. J’élude.

Je m’amuse de la rapide découverte de l’équipement, puis Mam’ enfile son casque. Je l’imite. Immédiatement je me retrouve, comme elle, au beau milieu d’une forêt. Je tends mon bras devant moi. Un avant-bras musclé et velu apparaît à mes yeux. « Oh ! Haha !... » bon bah moi j’suis dans un grand bonhomme. Drôle d’idée mais je m’en accommode en riant. Je tourne la tête vers ma coéquipière et découvre son avatar.

Grand sourire. « Sympa ! » Pas sûr que mon faciès numérique retranscrive l’émotion.

Qu’importe, j’observe déjà les alentours.



« Oui !… Je vois ça !… C’est dingue ! » Ça doit être comique de me voir de l’extérieur à cet instant, casque sur la tête, bouche bée, mains qui tâtonnent vaguement dans le vide. Je ne sais pas si c’est la forêt de Renaissance. Si je pouvais me rapprocher de la végétation...

« Bon… Qu’est-ce qu’on est sensé faire... » Je constate que nous sommes armées.

« Je suppose qu’on va devoir se défendre… Ou faut-il avancer ? » Je suis pas encore bien en phase avec mon avatar, j’étudie son fonctionnement. « On fait comment pour attaquer ? »

Je me tourne vers Sixtine, découvrant un homme séduisant et musclé. Cette découverte me fait glousser comme une midinette.

- Tu es devenue un bien bel homme, mon chou, huhu. Mmh-mmh. Alors, alors...

Je ne sais pas bien comment toutes ces technologies fonctionnent, mais on a l'air de pouvoir se déplacer en faisant du surplace dans la cabine... Je fais un pas en avant, lève mes bras, tourne sur moi-même, observe les alentours.

- Je n'en ai pas la m...

A ce moment là, un grondement puissant retentit autour de nous. Je sursaute. Tout est tellement réaliste que les battements de mon cœur accélèrent.

- OUH ! Qu'est-ce que c'était ?!

Je ne peux m’empêcher de glousser en retour. Je me tortille sur moi-même pour détailler chaque partie de mon effigie. « Oui… Stupéfiant ! »

L’euphorie est vite soufflée par un grondement tout à fait terrifiant. Je sursaute en même temps que Mam’. « AH ! » Tout mon corps se fige, je me crispe, aux aguets. J’aperçois une queue rayée qui danse avec les hautes herbes sur ma gauche. « Là ! » J’crois même entendre l’herbe crisser ailleurs sur la droite. Un deuxième assaillant ? « Et meeerde... »
La créature se rapproche et très vite se dévoile, aplatie au sol, ondulante comme un félin. « UN ATIKAYA! » et j’crois même qu’il nous a clairement pris en chasse ! Panique à bord. Je fais n’importe quoi, je cafouille, mais finis, après un temps fou, par découvrir comment tirer avec mon arme. Une salve d’impulsions laser va balayer le décor. « J’ai trouvé !!! » Trop tard ! Le fauve est déjà sur moi et m’assène de grands coups de griffes. « AAAH !… Mais… Nooon ! » Il m’achève d’une morsure. C’est un désastre.
Réanimation coéquipier.
Comment ça ? J’observe la sentence qui clignote.

« Mam ? » Je la cherche du regard, ça donne quoi pour elle ? « J’suis à terre, le truc m’a bouffé ! Faut v’nir m’aider ! »

Contrairement à moi, Sixtine parvient très vite à identifier la bestiole qui nous course. Je sens l'adrénaline s'emparer de moi, la panique me gagner avec elle.

- COMMENT ON TIRE ?! COMMENT ON TIRE ?!

Un message s'affiche seulement quelques secondes après le début du jeu, m'invitant à aller aider mon coéquipier. Je tourne sur moi-même, cherchant ma petite Sixtine devenue un beau mâle viril, sans succès.

- Où est-ce que tu es ? Je ne te vois pas, mon chou ! Je... AAAAAAAAAAH !

Sans avoir le temps de chercher plus en profondeur, je vois l'énorme Atikaya bondir sur moi et m'achever en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. J'essaie malgré tout de donner des coups de pistolet, comme j'aurais donné des coups de poêle dans la vraie vie. Mais évidemment, c'est sans succès. Il fallait s'y attendre.

Devant nous, de grosses lettres rouges dégoulinantes de sang s'affichent. DÉFAITE.

- Nom de... Tu as vu ça mon chou ? On n'a rien pu faire ! C'est quand même un monde !

Je lève la tête et la vois se tourner vers moi. « Je… J’suis là ! » J’agite ma main réelle en l’air mais mon avatar, cloué au sol, ne réagit pas. Elle n’a pas bien le temps de me chercher que la bestiole lui saute dessus à son tour. J’observe -et c’est plutôt comique- la belle jeune femme fouetter l’air de vains coups de crosse. « Non !… Le !… »
DÉFAITE.

« Oh… Mais !.. » Je scrute les lettres de sang d’un air scandalisé. « On n’était pas prêêêtes ! » dis-je pour nous dédouaner. « Rien pu faire, c’est clair ! »
Je reste quelques secondes sonnée par l’échec cuisant. Je ne m’attendais pas à rentrer aussi vite dans le vif du sujet.

« J’sais pas vous mais moi j’ai quand même envie de voir un peu plus loin ! Ce coup-ci on y va préparées ! » J’en profite pour lui expliquer comment tirer. « On devrait déjà y arriver un peu mieux. Y’a plus qu’à bien viser... »

« On réessaye ?? Attendez, j’vais remettre des jetons… » Sitôt dit, j’enlève mon casque et retrouve la grande cabine. Je vais directement piocher dans le pot à jetons le plus proche. J’en glisse plusieurs dans la machine.

De retour à mon casque, j’expose mon plan simpliste. « Dès qu’on le voit, on lui tire dessus ! »

- Je ne suis pas bien douée avec tous ces engins. Mais réessayons, réessayons. Cet engin va voir de quel bois on se chauffe, mon chou !

Elle me montre comment me servir de cette fichue arme - ça fait bien quarante ou cinquante ans que je n'ai pas tenu une arme dans mes mains, alors vous imaginez bien que j'ai totalement perdu la main... Je devrais peut-être retrouver quelques réflexes au bout de plusieurs minutes, je ne sais pas bien. En tous les cas, je m'amuse follement, malgré cet échec, et c'est avec plaisir que je vois le jeu redémarrer.

Cette fois-ci, la forêt semble plus tranquille. Je tiens mon arme à deux mains, prête à faire feu au moindre mouvement un tant soit peu suspect.

- Tu vois quelque chose, mon chou ? LA, IL EST LA !

Je tire à l'endroit où j'ai aperçu une branche bouger de façon suspecte.

- ACHEVE LE, VAS-Y MON CHOU !

Dès que le jeu se relance, je vise devant moi. Ce coup-ci ils vont pas nous avoir.
J’ai l’impression que ça met un peu plus de temps. D’ailleurs je baisse mon arme, et observe plus largement.

« Non j’vois r... »

Elle si, apparemment ! Je sursaute. « OÙ ÇA ??? » Je focalise la zone, grosso modo, où est allé se perdre son tir. Et effectivement, là-bas ça bouge ! Une ombre émerge du feuillage.

« AH OUI LÀ !!! » Aussitôt je me mets à tirer.

Il faut quelques secondes avant que j’arrive à toucher la bestiole, mais la salve qui s’ensuit a vite raison d’elle. Elle couine puis choit.

« YEEES !!! Vous avez vu ça Mam’ ?! » je me tourne vers elle.

Du coin de l’oeil j’aperçois un mouvement sur notre droite.

« Un autre ! LÀÀÀ ! » hurle-je en pointant du doigt un deuxième atikaya bondi hors d’un fourré.

Je suis bel et bien rouillée, ah... Ca ne va pas être une partie de plaisir ! Enfin... J'espère bien que si. Je m'amuse déjà comme une petite folle. Elle abat le premier monstre - celui qui nous avait eu toutes les deux lors de notre premier essai. Je suis bien décidée à ne pas me faire avoir comme la première fois !

- Bien joué mon petit !

Bien sûr que j'ai vu ça ! Elle semble certainement plus douée que moi... On va les avoir, ces foutus vauriens ! Ah ça oui, on va les avoir ! Sixtine pointe un second ennemi, et cette fois-ci, je m'en sors un peu moins mal et j'arrive à le cueillir - presque - au vol.

- Et voilà ce qui arrive quand on s'en prend à Mam' et à ses enfants ! Non mais.

Je regarde tout autour de nous, essayant de déceler le moindre mouvement suspect.

- Tu en vois d'autres ? Regarde par là, il y a un chemin... Peut-être qu'on devrait essayer par là ?