At The Gallows End ▬ Hannabeth & Jézabel

Les battements de mon coeur, assourdissants, étouffent le bruissement de la pluie et mes sanglots désordonnés. Ma petite soeur m'aide à me relever. Mon corps n'est que souffrance, mon âme que violence, mon monde que silence. Je la regarde ; essaie de la regarder. Ma vision trouble, les mèches de cheveux écrasées sur mon visage ne me permettent que d'apercevoir sa silhouette. Une nouvelle ombre parmi mes ombres. Je pose une main tremblante sur la joue dégoulinante d'Hannabeth.

- Hanna... Pourquoi pleures-tu ? Hanna... Sont-ce les larmes du ciel, ou les tiennes ? Hanna...

Hanna, je suis perdue. Où sommes-nous ? Chancelante, j'observe autour de moi, ne reconnait rien. Et brusquement, la nausée s'empare de moi ; appuyée contre le mur, je déverse tout ce qu'il m'est possible de déverser. Irrépressible, les sanglots me reprennent, je suffoque, je défaille. Encore une main sur ma poitrine, l'autre toujours appuyée contre le mur. Le sang bat à mes tempes, un sifflement sourd raisonne à mes oreilles. Seigneur, pourquoi suis-je si mal ?

- Hanna... Il me semble... Je crois...

... Que la vie me quitte. Ou peut-être m'a-t-elle déjà abandonnée. Suis-je morte ? Est-ce la raison du trou béant dans ma poitrine, de ce froid insensé qui s'empare de mon corps, de mes doigts que je parviens plus à bouger ? La rigidité cadavérique qui vole mon corps avant même que je ne l'ai quitté ? Est-ce cela, l'éternité ? Suis-je morte ?

- Suis-je morte, Hanna ?

Hannabeth est incapable de répondre à la première question de sa soeur et se contente donc de l'aider à se redresser. Elle ne la lâche pas lorsqu'elle est malade, retenant elle même la bile lui montant à la gorge, puis l'enjoint à la suivre hors de la ruelle.

"Non, Jez, on est bien vivantes."

La blonde les fait traverser la rue aussi rapidement que possible malgré la défaillance de Jézabel et le tremblement toujours présent de ses propres mains. Elles entrent dans l'auberge, désert à cette heure, et avant même que l'intendante puisse ouvrir la bouche pour les accueillir malgré son air étonné, Hannabeth lui dit sur un ton qui n'attend aucune réplique :

"Une chambre pour la journée et la nuit. J'aurais besoin de linges propres puis que personne ne nous dérange, même pour le repas. Si j'ai besoin de quelque chose, je viendrais vous voir. Ça devrait couvrir les frais, et votre discrétion."

Elle attrape la bourse à sa ceinture et la lance sur le comptoir. Il y a amplement de quoi payer, et la femme ne pourra pas se plaindre de s'être mal fait graisser la patte. Il y a surement même trop de crédit dans cette bourse, mais Beth s'en fou. L'intendante attrape la bourse et la Corsaire prend cela pour une entente, aussi elle se dirige aussitôt vers l'étage, soutenant toujours Jézabel d'un bras. Entrant dans la première chambre libre, elle aide sa soeur à s'étendre sur le lit puis va refermer la porte.

Mon regard fou remarque le tricorne sur le sol. J'ignore où je trouve la force de le ramasser, cependant, je le serre contre mon coeur, comme s'il s'agissait d'un trésor inestimable. Un éclair me frappe ; des souvenirs, des cris, des pleurs, et partout, la mort. La mort. Hannabeth affirme que je suis vivante, mais toutes mes forces m'ont déjà abandonnées. J'ignore où l'on va. Aveugle, je suis aveugle, et je la suis avec une confiance absolue. Il n'y a plus qu'elle ; juste Hanna. Elle est mon dernier rempart devant la mort et la perdition, aussi, je m'agrippe à son bras avec force.

Nous entrons dans un endroit que je ne reconnais pas, je vacille. Le monde est flou, tout tourne autour de nous. Si je lâche ma petite soeur, je vais m'effondrer, m'enfoncer dans les ténèbres. Elle me guide à l'étage, m'allonge sur un lit, s'arrache à mon étreinte. Je tombe.

- Hanna, reste... Hanna...

Où suis-je... Où suis-je... Des images me reviennent, envahissent mon esprit. Maman. Papa. Jayn. Hanna. Jym. Les cauchemars dansent devant mes yeux, m'emportent. Je porte mes mains à mon visage, couvre mes yeux, me recroqueville. Faible, lâche, effrayée ; une enfant terrorisée par les ombres dansantes et les monstres défigurés. Tout se mêle, tout s'emmêle. Un bruit de bouteille qui se brise sur le sol, des cris, des pleurs. Des os qui se brisent, une foule. Hanna.

"Je ne vais nulle part."

Sa voix n'est ni chaleureuse ni réconfortante, mais elle est indéniablement pleine de conviction. Beth n'ira nulle part finalement, peu importe ce qui se passe actuellement ou qui se passera plus tard. Elle n'est peut-être pas aussi faible qu'elle l'avait cru un peu plus tôt, après tout.

Une fois la porte refermée, la blonde va à la salle de bain, attrape un linge et le passe sous l'eau chaude. Elle revient ensuite vers sa soeur et, avec un étrange souvenir d'un après midi sur Tortuga une dizaine d'années auparavant se rappelant à elle, commence à nettoyer les plaies sur les mains de Jézabel. Elle essuie le sang, éponge doucement les blessures puis, après que l'intendante soit venue timidement frappé à la porte pour lui apporter des linges propres, applique des bandages.

"Tu devrais essayer de dormir un peu, ça ira mieux après."

Hannabeth rabat la couverture sur sa soeur et replace une mèche de ses cheveux blonds si semblables au sien dans un geste tendre qui la surprend. Malgré tout ce qu'elles ont vécu, malgré les cris, l’indifférence, les insultes ou la souffrance, Jézabel reste sa soeur. De plus, en cet instant, leurs rôles sont inversés : Jez a besoin d'elle comme d'une grande soeur, et Hannabeth ne songe même pas à la privé de ce besoin comme elle l'a pourtant toujours fait. Elle est définitivement stupide, incroyablement stupide, mais c'est la seule chose qu'elle sait faire en cet instant, alors elle s'y accroche désespérément.

La certitude que je vais mourir, que je suis morte, devient de plus en plus importante en moi. J'ai froid, si froid... Je m'accroche à Hannabeth, mes yeux se ferment seuls, les abysses m'emportent et je lutte. L'on m'a arraché une partie de moi. Quand, pourquoi, comment ? Il n'y a que cette suffocation pour me le rappeler, ce poids qui m'écrase la poitrine. Les mots sont douloureux, pourtant, je veux qu'elle sache. Je veux qu'elle me promette. Si je sombre, ce sera peut-être à jamais.

- Hanna... Pourquoi fais-tu tout cela pour moi ?

Un rire doux amer secoue ma poitrine, m'arrache une douleur terrible. Au milieu de mes larmes, de ces images qui envahissent mon esprit, je ris. Je ris et je pleure, parce que je ne sais plus rien faire d'autre. Jezabel n'est plus. Elle s'en est allée. Qui suis-je ? Suis-je seulement ?

- Je sais... Je sais que j'ai fait une bien piètre grande soeur. Tant de fois, j'ai rêvé de pouvoir agir différemment... Il est trop tard, désormais.

Les mots sortent de mes lèvres sans même que je ne sache réellement ce qu'ils signifient. La fatigue s'abat sur moi avec tant de force que ma voix se meurt, que le monde se tait. Dans un effort qui me parait sur-humain, je tends ma main glacée, et tente de toucher celle d'Hannabeth.

La jeune femme hésite puis hausse les épaules. En cet instant, elle a l'air d'avoir dix ans de plus. Elle repense à son enfance sur le Némésis, à toutes ses tentatives pour attirer l'attention de sa mère et de sa soeur, à leur indifférence ou comportement blessants. Puis elle repense à cette journée sur Tortuga, au corps de leur mère pendant au bout d'une corde, à leur père...

"Parce que tu es ma soeur."

Et on a plus que l'une et l'autre.

À la tentative d'explications et d'excuses de Jézabel néanmoins, Hanabeth pince les lèvres et secoue négativement la tête. Elle a l'impression que sa tête va exploser ou qu'elle va devenir folle si elle en entend davantage. Trop de choses se sont passées ou ont été dites en trop peu de temps, et bien qu'elle lui a dit qu'elle lui accordait son pardon même si elle ne le lui réclamait pas, certaines choses ne peuvent disparaître aussi rapidement. Elle a besoin d'un temps d'arrêt, que les choses se calme et de tout reconsidérer pour tout bien comprendre. Ensuite seulement, peut-être, pourra-t-elle en entendre davantage.

"Pas maintenant. Là tu dois dormir."

Hannabeth tire une chaise près du lit et s'y assoit. Elle ramène ses genoux contre sa poitrine, les entours de ses bras, puis tend la main et attrape celle de Jézabel. Elle tourne la tête vers la fenêtre sans pourtant la voir puis s'isole à l'intérieur d'elle-même, des larmes coulant en silence sur ses joues.

- Tu es courageuse, Hanna...

Je voudrais parler davantage, lui répondre, la rassurer, m'accrocher à elle, à sa voix, mais je suis incapable d'en faire davantage. Depuis combien de temps n'ai-je pas dormi ? Depuis combien de temps ? Maman... Je me sens attirée dans les abîmes sans fonds, et plus rien ne me retient à la surface. Le néant m'engloutit. Silence.


Lorsque j'ouvre les yeux, je suis incapable de reconnaître l'endroit dans lequel je suis. Il fait nuit, je suis dans un lit. J'ai la sensation d'avoir bu plus d'alcool qu'au cours de l'entièreté de mon existence. Ma main serre celle de quelqu'un d'autre, là, à ma droite. Malgré l'obscurité qui s'étend sur nous, je la reconnais. Hannabeth. Alors les souvenirs reviennent, douloureux, meurtriers. Maman est morte. Ma fille avait survécu à sa naissance. Deux réalités terriblement difficiles à admettre. Papa est mort. Jamais je n'ai eu l'occasion de le pleurer. Maman a perdu l'esprit, s'est enfoncée dans l'alcoolisme, a été torturée. J'ai échoué à la sauver. J'ai échoué. Et je n'ai pu dire au revoir ni à l'un ni à l'autre. Je lâche la main de ma soeur, me redresse dans le lit. Elle n'est encore qu'une enfant. Tout juste plus âgée que ma fille aînée.

- Hannabeth. Sait-on que nous sommes ici ?

Hannabeht ne parvient pas à dormir. Malgré le temps qui s'écoule sans qu'aucun bruit ou que rien ne se passe dans la petite chambre d'auberge, elle ne dort ni ne bouge pas. Son regard reste fixé sur la fenêtre alors qu'elle se repasse sans cesse les événements des dernières 24 heures à répétition et en détail dans sa tête pour tenter d'y trouver un sens. Le poids de la main de Jézabel dans la sienne semble peser aussi lourd que l'univers lui même, mais elle ne la lâche pas.

Aussi, lorsque celle-ci glisse hors de ses doigts, la blonde sursaute légèrement. Beth tourne la tête vers sa soeur en se redressant un peu sur sa chaise, réalisant que ses muscles sont particulièrement ankylosés, mais garde ses genoux repliés contre sa poitrine. La voix de Jézabel, comme son regard, semble avoir repris de leur aplomb. Dormir était réellement ce dont sa soeur avait besoin pour ne pas sombrer dans la folie, finalement.

"Non. L'aubergiste est la seule à savoir que nous sommes ici et elle ignore qui nous sommes."

Elle n'ajoute rien, malgré que mille et un mots flottent pourtant dans l'air entre elles. Sur ses gardes, Hannabeth reste silencieuse et laisse son aînée faire les premiers pas, si premiers pas il y aura. Quelque part, elle à peu d'espoir que les excuses et les douces paroles de Jézabel plus tôt n'aient pas été dites que sous le coup du choc ou d'une folie passagère.

Ma tête me fait souffrir. J'ai la sensation que le poids d'un millier d'astéroïdes s'est abattu sur moi. Comment diable tout cela a-t-il pu arriver ? Je souhaite plus que tout au monde pouvoir croire qu'il ne s'agit que de mensonges, de cauchemars trop réalistes, de défaillances momentanées de mon esprit pourtant alerte. La boule déjà bien installée dans ma poitrine m'informe cependant du contraire, et m'empêche de démentir l'horreur des derniers jours. Mon regard ne quitte pas Hannabeth, prostrée sur cette chaise, tout près du lit.

- Bien. As-tu pris le temps de te reposer ?

Je laisse le silence s'installer un instant. Il me semble qu'un élément, aussi infime et insignifiant soit-il, s'est modifié en moi. La haine et la colère que j'éprouve en vers Hannabeth n'ont guère disparus. Cependant, elles n'ont plus guère le monopole en ce qui concerne ce que je ressens pour elle. Une douloureuse étincelle essaie de percer un chemin. La nausée s'empare de moi, et je détourne le regard. Il y a bien autre matière à être préoccupé. Maman. Il me faut m'assurer de la véracité des faits, et pourtant, questionner Hannabeth à ce sujet semble être l'acte le plus profondément difficile qu'il m'ait été donné d'accomplir depuis fort longtemps. Immobile sur le lit, je prends une inspiration légère quoi que profonde.

- Maman est morte, n'est-ce pas ?

À la première question, Hannabeth ne répond pas. Elle ne saurait pas quoi dire, de toute façon. D'un côté, la tranquillité de l'endroit et ce long moment immobile aurait dû être "reposant", mais Beth se sent toujours autant, sinon d'avantage épuisée que dans la ruelle quelques heures plus tôt. De toute façon, ses traits tirés et les cernes sous ses yeux probablement encore rougis doivent parler pour elle.

À la seconde, tout le corps de la blonde se tend et Beth détourne la tête, reposant son regard sur la fenêtre. Pendant les heures de sommeil de sa soeur, une question atroce n'a cessé de tourner dans sa tête : Voit-on la place d'exécution depuis cette fenêtre? Elle ne s'est pas levée pour vérifier, mais son esprit a malgré elle analysé la situation. Ils sont en périphérie de la grande place publique, tout près, et d'après l'angle du bâtiment et de la lumière, leur chambre devrait théoriquement faire face à la potence.

La voix rouillée et la mâchoire serrée, comme si le mot lui coûtait infiniment cher, elle répond simplement.

"Oui."

Plutôt, prononcer ce simple "oui" aurait fait couler des larmes sur ses joues. Maintenant, néanmoins, ses yeux sont aussi secs que des déserts. Même si elle le souhaitait, elle croit qu'elle ne parviendrait pas à pleurer. Elle ressent un vide immense dans sa poitrine, et toutes ses émotions lui semblent étranges. L'irréalité du réel ne parvient pas à faire sens, ne laissant qu'un néant angoissé et une colère latente.

J'appréhende la réponse de ma petite soeur ; pourtant, la vérité est déjà profondément ancrée en moi. Marquée au fer rouge dans l'antre de mon âme - si seulement j'en possède une. Cependant, malgré mes attentes, malgré mes connaissances, l'unique mot d'Hannabeth résonne en moi avec une violence inouïe. La sensation que le monde se morcèle autour de moi revient à une vitesse phénoménale, et les images lui succède. Je vois. Je vois son corps meurtri, ses traits tirés, son visage émacié toujours profondément beau. Je vois son sourire, la fierté dans son regard, j'entends ses mots, sa force, son courage. La tristesse est engloutie par la rage, la détermination et un désir de vengeance qu'il me faudra assouvir. Sans un mot, je m'approche du bord du lit, demeure assise. Elégance, prestance, dignité. Dos à Hannabeth, mon poing se serre contre ma poitrine. Un soupire las et désabusé s'échappe bruyamment de mes lèvres.

- Ah, les trinitaires...

Je tourne légèrement la tête sur le côté.

- J'ai échoué, Hannabeth. Je ne suis guère parvenue à la sauver.

Je ne parviens guère plus à considérer la culpabilité de ma petite soeur à ce propos. Cela n'est plus la vérité absolue qu'il me semblait avoir à l'esprit. Oh, elle est coupable de bien des crimes. Mais celui-ci n'est pas le sien. Il est vrai que nous sommes toutes les deux orphelines, endeuillées par la perte de nos parents.

Hannabeth hausse les épaules sans détacher son regard de la fenêtre. Étrangement, elle ne lui en veut pas du tout pour cela. Peut-être qu'au fond elle sait que leur mère était malade, et que malgré tous les efforts du monde, personne n'aurait pu la sauver.

"Moi non plus."

La jeune femme blonde prend une grande inspiration, ferme les yeux quelques instants, le temps de chasser l'obsession de la potence potentiellement visible depuis la fenêtre de son esprit, puis retourne enfin la tête vers sa soeur. Elle l'observe un moment comme pour évaluer son état puis, doucement, lui demande finalement :

"Comment tu te sens?"

Beth déplie ses jambes endolories, ignorant les fourmillements douloureux qui parcourent alors ses muscles, et se lève pour aller leur servir chacune un verre d'eau. Elles auraient définitivement besoin de quelque chose de plus fort, mais Hannabeth n'a pas envie de rappeler l'aubergiste, sans compté qu'elle croit se souvenir que Jézabel ne touche bois pas vraiment. Elle revient vers le lit et tend le verre à sa soeur avant de se rasseoir sur la chaise. Pendant tout le processus, elle a consciencieusement évité de regarder du côté de la fenêtre. Elle ignore si elle tiendra le coup de voir le corps sans vie de sa mère pendre au bout d'une corde de nouveau et n'est pas pressée de le savoir.

Pour une fois une situation désastreuse n'était pas directement imputée à Hannabeth... Bien évidemment, l'on pouvait trouver l'origine de la situation désastreuse en la naissance d'Hannabeth, et nous dire avec une certitude immuable que rien de tout cela n'aurait pu arriver si elle n'était pas née. Cependant, ma petite soeur a mis le doigt sur un point que je songe être essentiel. Elle n'a guère choisi de naître, et quand bien même elle se serait ôtée la vie, beaucoup de torts auraient déjà été faits. Cela n'aurait jamais empêché Jym ni Jayn de m'être enlevés. Cela n'aurait jamais empêché la dispute entre maman et moi. Cela n'aurait guère changé quoi que ce soit à sa mort.

- Ce n'était pas ta faute.

Les mots sont douloureux ; ni le poids de ma culpabilité ni le goût de la trahison ne me laisseront en paix, désormais. J'accepte le verre d'eau qu'elle me tend, et le vide d'une traite. Je n'avais pas même remarqué la soif qui me tiraillait la gorge. La question d'Hannabeth manque cependant de me faire recracher tout le précieux liquide. Un rire sans joie secoue ma poitrine.

- Merveilleusement bien. Et toi donc ?

Je me lève, vais remplir encore mon verre et le vide à nouveau d'une traite. Je le pose ensuite bruyamment sur la table, et enfin, je fais face à Hannabeth.

- Il le paieront tous, Hanna. Ils mourront pour ce qu'ils ont fait.

Pour ce qu'ils m'ont fait. Pour ce qu'ils nous ont fait.

La blonde pouffe d'un rire ironique et sans joie lorsque sa propre question lui revient.

"Like a fucking charm."

Hannabeth ne croit pas s'être déjà sentie aussi mal de toute sa vie, et cela en dit beaucoup. Sans même parlé de ses années d'enfance à se croire bonne à rien, à pleurer en s'endormant tous les soirs au souvenir de l'indifférence ou la cruauté de sa mère et sa soeur, Beth a cru mourir un an plus tôt lorsqu'elle a perdu son père. Antonio Di Rozas était toute sa vie. Sans lui, elle n'était plus rien, vidée, perdue. Elle s'en est sortie par la force des choses, forcée de devenir capitaine et de garder la tête haute comme son sang-froid pour sauver son équipage. Pour honorer les dernières volontés de son père.

Maintenant? Elle a l'impression que ce vide qu'il a laissé en elle s'est agrandi et que le rideau de ses responsabilités et de sa promesse n'est plus assez grand pour le couvrir. Après son père, perdre ainsi sa mère, malgré tout ce qu'elle était, est peut-être trop. Beth se que quelque chose c'est brisé en elle. Elle sait qu'elle remontera dans quelques heures sur l'Albatros, qu'elle continuera à avancer malgré tout, montrant au monde le visage de celle qu'elle doit être. Mais à l'intérieur, en elle, quelque chose n'est plus, même si elle ne sait pas encore quoi, exactement.

C'est ainsi d'une voix intensément calme qu'elle répond à sa soeur, comme une évidence.

"Je sais."

Je hoche la tête avec conviction. La scène est encore trouble dans mon esprit vide, la colère et l'abattement tentent en vain de combler la plaie béante léguée par la mort de maman. Ils m'ont arraché une partie de mon âme, ils m'ont pris celle qui, depuis toujours, faisait battre mon coeur. J'aimais cette femme plus que je ne pourrais jamais l'exprimer. Je lui dois tant qu'il me serait impossible de lui rendre la pareille, même si je décide d'y consacrer le reste de mon existence.

Néanmoins, alors même qu'elle a donné sa vie pour moi, à cause de moi, je donnerai tout ce que je possède pour elle. Je ferai en sorte que son honneur demeure sauf, que l'on se souvienne d'elle comme la merveilleuse capitaine et la femme forte et puissante qu'elle était ; et plus que tout, je la vengerai.

- Je suis tout à fait consciente que je ne possède pas la moindre légitimité pour cela, néanmoins, je souhaiterais requérir une faveur de ta part.

Je m'approche d'Hannabeth, m'assied à nouveau sur le lit, face à elle.

- Ma vie ne doit guère avoir de valeur à tes yeux, et cela m'importe peu. Je voudrais être sûre que, si je venais à rendre mon dernier souffle prématurément, tu serais en mesure de veiller sur notre famille, et de prendre soin de notre nom.

Il ne s'agit plus ni de moi ni d'elle. Il s'agit de ma fille. Ma Jillian.

Hannabeth se redresse légèrement en fronçant les sourcils aux premières paroles de sa soeur. Elle ne peut s'empêcher d'être sur ses gardes, malgré leurs derniers instants si particuliers passés ensemble. Une vie de réflexes ne s'oublie pas en quelques heures et la blonde n'est toujours pas certaine que Jézabel pensait réellement ses excuses prononcées plus tôt dans la ruelle. Elle observe donc son aînée revenir s’assoir près d'elle, une étrange impression contradictoire d'étrangeté comme de familiarité dans le fait d'être aussi près d'elle. Beth ne dit rien, n'acceptant pas d'avance la requête, mais lui laissant la parole pour la poser. Les mots suivants de Jézabel la rendent encore plus confuse, et un point de douleur brûle dans sa poitrine alors qu'elle rétorque d'une voix retenue et teinté d'une note d'incompréhension :

"Jez, tu es la dernière famille qu'il me reste."

Elle plante ses yeux bleus dans ceux de sa soeur, tentant en vain d'y trouver une réponse ou d'y lueur de folie qui lui avait fait tout oublié un peu plus tôt. Ses paroles ne font aucun sens. Leur mère venant de perdre la vie, elles sont en effet les deux seules survivantes de la famille Alvarez. Jézabel le sait tout aussi bien qu'elle, ni Ersébeth ni Antonio n'ayant eu de frères et soeurs, alors où veut-elle en venir? Parle-t-elle de l'équipage du Némésis? Hannabeth n'a aucun sentiment particulier pour eux, sinon un arrière-gout de ressentiment, alors les considéré comme sa famille n'est absolument pas au menu. Alors quoi?

Je soutiens le regard de ma soeur, aussi glacial que le mien, et malgré tout, son incompréhension me donne une satisfaction puérile dont je ne saurais exactement expliquer les raisons. Peut-être est-ce simplement dû au fait de détenir une information qu'elle ne possède pas ? Peut-être est-ce la fierté immense dont ma fille me pourvoit ? Toujours est-il que, malgré l'océan de tristesse qui entoure la glace en moi à perte de vue, un léger sourire naît à nouveau sur mes lèvres ; inévitablement, je me sens déborder d'un amour et d'une fierté infinis et inconditionnels.

- Cette affirmation aurait encore été incontestable il y a deux an de cela.

Cette douce réalité ne s'impose cependant pas sans en rappeler une autre, bien plus douloureuse. Mon sourire vacille, s'éteint. Pourrais-je un jour seulement faire le deuil de Jayn ? Sans lui, pourrais-je parvenir à faire celui de maman ? J'en doute fortement. Maman. Elle était si fière, si profondément aimante en vers Jillian. Pourtant, tout ce temps durant, elle connaissait la vérité. Elle la gardait enfouie en elle comme un poison qui s'étendait un peu plus chaque jour ; s'est-elle comportée ainsi avec sa petite-fille par simple culpabilité ? Je prends conscience qu'instinctivement, j'ai porté une main à mon ventre. Ce ventre qui a couvé les deux êtres qui ont révélé ma capacité à aimer. Ce ventre qui conserve les souvenirs intacts de la douleur, de la peine et de la joie.

La blonde dévisage sa soeur alors qu'elle croit comprendre ou elle veut en venir. Elle a ressentit beaucoup trop d'émotions fortes aujourd'hui, aussi, elle comprend mal ce qui naît en elle : une confusion de surprise, de bonheur imprévu et de crainte. Émotivement épuisée, elle parvient néanmoins à hausser un sourcils et un faible sourire étire le coin droit de sa bouche, sincère.

"Tu veux dire..."

Les mots lui manquent. Elle sonde les yeux clairs de Jézabel, y cherchant milles et unes réponses à milles et une questions sans formules. Comment cette information lui a-t-elle échappée? A-t-elle une nièce ou un neuveu? Qui est le père? Comment Erszébeth a-t-elle réagit à l'arrivée d'un autre enfant sur le Némésis? Est-ce que sa propre histoire se répète avec l'enfant de Jézabel?

Hannabeth, étonnamment, ne pense pas à la possibilité que sa soeur puisse reproduire ce que sa mère lui a fait subir. Un vague souvenir d'enfance, alors qu'elle était allé tenté de consoler Jézabel venant de perdre son premier enfant, l'en empêche surement. Elle s'inquiète d'avantage pour Erszébeth, même si, au final et amèrement, quoi qu'ai été son attitude, celle-ci ne pourra jamais plus être un problème.

La blonde hoche la tête, acceptant la demande de sa soeur en silence même avant d'en avoir la confirmation. Elle ne comprend pas encore très bien elle même ce qui la pousse à être aussi sure d'elle sur le sujet, mais peu lui importe actuellement.

"Une fille ou un garcon?"

Bien que je tente de ne rien en montrer, je suis profondément émue par la réaction sincère d'Hannabeth. Si nos relations n'ont jamais été fraternelles, si je ne suis jamais parvenue à aimer ma petite soeur, je sais d'ores et déjà qu'elle a bien trop souffert de sa propre enfance pour risquer d'une quelconque façon de briser celle d'un autre. Aussi ai-je entièrement confiance en elle pour prendre soin de ma fille si je venais à disparaître prématurément.

Et lorsqu'elle accepte ma demande silencieusement, une vague de soulagement m'envahit. Je ne pourrais supporter de disparaître en sachant ma fille livrée à elle-même, sans la moindre famille pour veiller sur elle - et ce quand bien même quelques membres de mon équipage forment une véritable famille pour elle. J'inspire profondément, et hésitante, je vais déposer ma main droite sur une des siennes.

- Je te remercie, Hanna.

Je serre légèrement sa main dans la mienne, sans détourner mon regard du sien.

- Il est vrai que nous ne sommes jamais parvenues à nous entendre, toi et moi. Nos différends sont peut-être trop importants pour être surmontés, la rancoeur trop inscrite pour être oubliée. Néanmoins, je tiens à ce que tu saches que j'ai entièrement confiance en toi pour prendre soin d'elle.

Ma formulation est sans nul doute fort maladroite. Je suis bien trop confuse pour parvenir à mettre des mots sur les émotions qui s'emparent de moi.

- Elle s'appelle Jillian.

Lorsque sa soeur la remercie, Beth sent sa gorge se nouer de nouveau. Elle détourne le regard pour se ressaisir, surprise par la nouvelle vague d'émotion qui souhaite l’emporter. C'est la première fois que Jézabel la remercie sincèrement pour quoi que ce soit. Sans qu'elles en ait conscience ni l'une ni l'autre, ce simple geste recoud lentement quelques-uns des fils abîmés à l'intérieur d'elle-même la reliant à sa famille.

Le nom de sa nièce résonne dans sa tête pendant de longues secondes alors qu'Hannabeth prend le temps d'intégrer toutes ces nouvelles informations et leurs implications. Il lui semble être une éponge remplie d'eau, trop pleine pour pouvoir absorber quoi que ce soit d'autre, mais si elle prend son temps et ne se concentre que sur une chose à la fois, elle a moins l'impression qu'elle va exploser.

"Jillian."

Oui, bien sûr qu'elle accepte de prendre soin d'elle, si Jézabel n'est plus en mesure de la faire. Instinctivement, viscéralement, tout son être désir que l'enfance de Jillian soit plus belle que la sienne et que rien ne vienne cicatriser son coeur. Elle la protégera de la folie du monde ou des ennemis de sa mère sans y penser à deux fois, et même de sa mère elle-même, si un jour elle n'en a plus le choix. Est-ce qu'elle ressentirait les mêmes choses, si elle-même devenait mère? Un gout d'amertume se pose sur la langue de la blonde alors qu'elle chasse cette idée de son esprit.

"Comment est-elle?"

La voir s'intéresser ainsi à ma fille me conforte dans l'idée que j'ai pris la décision adéquate en lui demandant de prendre soin d'elle. L'ironie a voulu que ma petite soeur tombe sous le charme du père de Jillian ; il est d'ailleurs fort surprenant qu'elle ignore sincèrement qu'elle possède une nièce. Je n'aurais sans doute pas été capable d'y croire auparavant, mais il me semble que cette nuit, rien n'est plus semblable. ependant je considère davantage la possibilité qu'elle n'ait été au courant de rien à ce propos.

- Elle possède de beaux yeux bleus clairs, une peau laiteuse. Ses cheveux sont si blonds qu'ils paraissent d'ores et déjà blancs. Ses traits sont fins et harmonieux. Une véritable Alvarez. Elle est une enfant merveilleuse ; très éveillée pour son âge, mais également souriante et curieuse. Dieu merci, elle a hérité de nos gènes...

... Et non pas de ceux de l'imbécile qui l'a conçue avec moi. Inévitablement dès lors que je parle de Jillian, je me sens envahie par une vague phénoménale d'amour et de fierté. Peut-être est-ce la maternité qui m'aide à reconsidérer avec tant de simplicité mon aversion en vers Hannabeth ? Depuis la naissance de Jillian, je ne parviens plus à comprendre. Comment peut-on haïr son enfant ? Mon coeur se serre ; je me sens coupable de ne pas parvenir à songer radicalement de la même manière que maman. A mi-voix, j'ajoute :

- Je l'ai ardemment désirée, et elle ne saurait me combler davantage.

Hannabeth écoute attentivement chaque détail concernant cette petite fille qu'elle ne connait pas. Elle a la soudaine envie de la rencontrer, de pouvoir la tenir dans ses bras et lui parler, mais elle sait cela impossible. Sa relation avec Jézabel, si elle semble prendre un étrange tournant, est beaucoup trop compliquée et beaucoup trop fragile pour le permettre. Peut-être que plus tard, les choses changeront néanmoins.

La description se termine et Beth peut lire dans les yeux de sa soeur une fierté et un amour qu'elle n'y a pas vu souvent. Lorsqu'elle parle de Jillian, Jézabel se transforme, deviens quelqu'un d'autre. Un quelqu'un que Beth n'a entraperçu qu'à de rares occasions dans son enfance. Et savoir que Jézabel à un être dans sa vie qui fait ressortir cette partie d'elle même que Beth a tant cherché à éveiller la rassure.

"Je suis heureuse pour toi."

Les mots sont étranges sur sa langue. À peine 6 heures plus tôt, jamais elle n'aurait cru les prononcer à Jézabel un jour. Et pourtant, elle est réellement sincère. Beth se demande si sa soeur serait heureuse pour elle également, malgré leurs différents, si elle lui annonçait la même nouvelle. Que leur relation en reste à ce point, s'améliore ou se dégrade néanmoins, cette question restera à jamais sans réponse. Deux ans plus tôt, lors d'une consultation médicale par peur d'être enceinte, Hannabeth, qui n'avait même jamais pensé vouloir d'enfants, ne s'était pas douté à quel point apprendre être stérile lui ferait mal.

Nos certitudes s'effondrent progressivement, alors même que ni elle ni moi ne sommes prêtes à garder la tête haute face au raz-de-marée qui menace de nous engloutir. La colère, la lassitude et le sentiment amer d'avoir vécu un mensonge toute ma vie durant se mêlent en moi avec tant de force que je ne parviens plus à les distinguer les uns des autres. De la même manière que si mes doigts avaient été en contact avec une surface trop chaude, je finis par retirer ma main de celle d'Hannabeth. Peut-être ai-je parfois quelqu'éclairs de lucidité qui me permettent de refaire surface et de reprendre ma respiration face au flot continu d'émotions qui me ballottent.

- Qu'en est-il de toi, Hannabeth ? Il semble que tu n'as encore guère connu la maternité, n'est-ce pas ?

Malgré moi, je prononce cette phrase avec satisfaction ; non pas que l'absence de maternité d'Hannabeth m'apporte un quelconque plaisir pervers. Cependant, il s'agit de tout mon soulagement qui s'exprime. J'ai craint avec bien trop d'intérêt que Lloyd ne la mette enceinte elle aussi. Il se trouve même que j'ai songé qu'il avait abandonné Hannabeth pour la même raison qui l'a poussé à m'abandonner moi. Si ma rage à son égard s'est muée en mépris, il suffirait d'une unique étincelle pour ranimer le dégoût que ce rat savait si bien provoquer en moi.

- Y songes-tu néanmoins ?

Hannabeth a maintenant l'impression de flotter, comme si elle s'était trop enivrée d'alcool. Elle se sent petit à petit dépossédée de ses sentiments et de son corps alors même qu'elle reste intimement liée au vide et à la douleur brûlante au creux de son ventre. Le tout est... comme un bruit blanc, indescriptible, mais omniprésent. Est-ce que c'est cela qu'on appelle un état de choc?

La question de sa soeur coule donc sur elle sans d'abord provoquer d'autre réaction chez Hannabeth qu'une vague de lassitude profonde. Néanmoins, lorsqu'elle tente de formuler une réponse, l'amertume lui colle à la langue et les battements de son coeur s'accélèrent sous un effet confus de colère et d'impuissance. Toujours cette foutue impuissance, bon sang qu'elle la haït.

"Non. C'pas pour moi, c'genre de projets."

Jézabel pourrait très facilement interpréter ses paroles comme sa simple volonté à ne pas fonder de famille, ce qui au final n'est pas particulièrement loin de la vérité. Hannabeth voudrait-elle seulement des enfants si elle le pouvait? Probablement pas. Elle n'en voulait pas il y a deux ans, et sa situation n'a fait que se compliquer. Avoir un enfant serait également une sentence pour lui, qui serait fiché par l'UC et coincé comme elle dans une vie de Corsaire qu'elle n'a choisis qu'à moitié, alors tomber enceinte serait hors de question. Mais plus tard? Si elle n'a jamais voulu d'enfants, Beth avait au moins toujours cru avoir la possibilité de changer d'idée.

Je n'envisageais d'autres réponses. Elle est encore fort jeune, et si à son âge, j'avais déjà eu une enfant, l'envie de fonder une famille ne s'était guère présentée avant que je ne tombe enceinte par accident. Mes entrailles, à nouveau, se tordent. Voilà qu'absolument tout me ramène à Jayn, et à la vérité si longtemps ignorée. L'envie de laisser mes larmes couler revient avec force, et avec elle, toutes les questions qui me brûlent la langue et qui demeureront sans réponse. Hurler. J'ai envie de hurler. Alors je me lève, et ma voix n'est plus qu'un murmure rauque au goût amer.

- Eh bien, tu as l'entièreté de ton existence ou presque pour changer d'avis à ce propos.

L'enfance d'Hannabeth expliquerait fort bien qu'elle ne supporte pas même l'idée d'enfanter à son tour. Si Jayn avait été parmi nous... Nos destins auraient-ils été différents ? Aurais-je pu aimer Hannabeth ? La rage m'envahit à nouveau, et je tente tant bien que mal de refouler cette odieuse énergie qui menace de me déchirer de l'intérieur. Un peu d'eau me fera le plus grand bien. Je m'avance vers le verre que j'ai abandonné plus tôt, le rempli, le vide, le rempli encore. Respire, Jezabel. Respire. Sans le lâcher, je m'approche de la fenêtre pour l'ouvrir, avoir de l'air. Respirer. Ma main s'approche du battant, arrête sa course en plein vol. Mon coeur rate un battement. Après un moment de flottement, le verre glisse de mes mains et vient s'écraser à mes pieds.

Ailleurs, Hannabeth hausse simplement les épaules.

"On verra."

Beth n'a pas envie d'aborder le sujet avec Jézabel. Du moins, pas maintenant. Elle n'en serait de toute façon probablement pas capable, et elle ne sait toujours pas bien sur quel pied danser avec sa soeur. Tout va... trop rapidement. Soudain, Jézabel laisse échapper son verre au sol et Hannabeth sursaute. Elle saute aussitôt sur ses pieds, la main sur la poignée de son épée dans un réflexe devenu instinctif chez elle.

"Qu'est-ce qui se passe? Jez, qu'est-ce qu'il y a? Jez?"

Soucieuse, Beth s'avance vers sa soeur et tend la main pour la poser sur son épaule, mais stoppe net son geste lorsque son regard tombe sur la scène en contrebas. La blonde se fige et son expression se décompose alors que les couleurs quittent son visage pour ne laisser place qu'à l'horreur. Un bourdonnement s'empare des oreilles d'Hannabeth et l'air ne veut plus entrer dans ses poumons.

La révélation de Jez sur Jayn puis la question de son propre désir à avoir des enfants lui ont fait momentanément oublier son obsession pour la fenêtre. Elle aurait aimé se tromper dans ses doutes, avoir mal jugé l'orientation du bâtiment ou que quelque chose vienne leur bloquer la vue... mais non. Là, quelque deux-cents mètres plus loin sur la place publique, le corps qui se balance au vent dans l’indifférence totale des passants est celui de leur mère.