Les secrets d'enfance [Hannabeth & Jezabel]

Il est amusant de constater la vitesse à laquelle ma jeune sœur se ferme à la discussion, lorsqu'il est question de ce qu'elle peut ressentir. Soit. En d'autres occasions, sûrement aurais-je poursuivi dans ma lancer. Cependant, aujourd'hui, je ne m'en sens point le cœur. Surtout alors que Jayn s'impose à mon esprit, acheminant avec elle toute la violence des derniers instants passés en sa compagnie. Malgré mes efforts, je ne sais que trop bien qu'ils laisseront leur marque à tout jamais.

Je fixe les plats que l'on nous apporte, sans la moindre envie. Ils ont pourtant l'air appétissants, évidemment. Cependant, savoir ma Jayn dans cet état me procure un profond sentiment de désespoir. Je n'ai point été à la hauteur. Il m'aurait fallu pouvoir éviter cela. Il s'agit-là du rôle d'une mère. Je relève les yeux lorsqu'Hannabeth m'annonce avoir quelques pistes à explorer. Lentement, j'hoche la tête. Mon sourire a disparu, et me voilà plongée dans de sombres pensées.

- Je ne souhaite que son bonheur. J'espère qu'elle ne manque de rien, en ce moment. J'espère que nous parviendrons à la retrouver. Si elle ne veut plus vivre avec moi, je veux au moins la savoir en sécurité.

Le silence s'abat à nouveau sur nous.

-Par ailleurs, je te remercie pour ce que tu accomplis pour elle, et pour moi. Sans ton aide...

Je grimace, comme si les mots étaient douloureux.

- Sans ton aide, il est certain que je n'aurais pas pu nourrir l'espoir de la revoir un jour.

Hannabeth hoche la tête aux paroles de sa soeur. Elle compte bien tenter de convaincre Jayn - ou plutôt Azel désormais - d'accepter de reparler avec sa mère. Ultimement, elle espère que sa nièce acceptera de retourner sur le Némésis, mais si tout le reste ne fonctionne pas, elle souhaite au moins s'assurer qu'elle soit en sécurité.

"C'est normal. Elle est ma famille, à moi aussi."

La blonde n'hésite qu'un bref instant avant de tendre la main au dessus de la table et de venir prendre celle de sa soeur pour la serrer dans ce qu'elle espère être une étreinte réconfortante.

"On va la retrouver."

Elle accompagne son geste d'un sourire puis inspire profondément et baisse les yeux pour la première fois sur son assiette. Son estomac s'est délié, après avoir enfin pu parler de son projet d'adoption de Croyance avec sa soeur, et maintenant la faim se fait sentir. Il faut dire qu'elle n'a que peu mangé depuis la veille et que le risotto aux crevettes et homard encore fumant devant elle donnerait l'eau à la bouche à n'importe qui.

"Qu'est-ce que tu dirais qu'on fasse honneur à la fine cuisine du Crust, maintenant, hmm?"

Son sourire devient amusé alors qu'elle hausse un sourcil et elle libéré la main de Jézabel afin d'attraper sa fourchette.

Malgré les paroles rassurantes de ma jeune soeur, je ne puis guère détacher mon esprit de l'image qui me hante depuis désormais plusieurs semaines : celle de mon aînée, terrorisée, esseulée, brisée. Je sais que je pourrais survivre si elle venait à choisir une existence loin de moi. Cependant, plus que tout au monde, je désire son bonheur. Rien ne m'importe davantage que son bien-être et sa sécurité. Pour l'heure, je n'ai pas le moindre indice me permettant de songer qu'elle bénéficie de l'un ou l'autre.

- Tu sais que j'ai confiance en toi à ce propos, Hannabeth. Je te remercie pour l'aide que tu m'apportes. Sans toi, j'imagine que je serai particulièrement désœuvrée. Je sais te l'avoir déjà dit, cependant... Je suis heureuse de la tournure que prend notre relation. Il serait mentir que de prétendre que cela me paraît tout à fait naturel, cependant... Avoir une famille est agréable.

Puis, je me redresse, recouvrant mon air usuel - ce même sourire arrogant et fier, cette même droiture singulière et parfaite. J'attrape élégamment mes couverts.

-Nous sommes ici pour cela, n'est-ce pas? Bon appétit, Hannabeth.

J'entame mon repas, retenant avec de grandes difficultés un soupire de satisfaction. Seigneur, que ces mets sont délicats...

-D'ailleurs, cela va de soit Hannabeth, mais puisque Croyance va intégrer notre famille -ou qu'elle est importante à tes yeux, en un premier temps, je te prie de ne point hésiter si tu as besoin d'aide à son propos- qu'il s'agisse d'aide pécuniaire ou... Que sais-je.

Hannabeth offre un sourire u peu tiré à sa soeur avant d'hocher la tête pour toute réponse à sa déclaration d'affection. Elle n'est pas douée avec ce genre de choses, mais elle n'en pense pas moins. Oui, avoir une famille est agréable. C'est tout ce qu'elle a toujours voulu, après tout.

La blonde se concentre sur son assiette, prenant le temps de savourer quelques bouchées avec délice. C'est un véritable festin digne de mention, l'un des meilleurs trucs qu'elle ait jamais mangé et qui ferait définitivement passer le nutrisoja pour de la bouillie de carton. C'est du bonheur en bouche. Néanmoins, Hannabeth se raidit aux paroles suivantes de sa soeur et la nourriture perd instantanément de sa saveur. Elle a horreur de demander de l'aide, à la base, et encore plus de l'aide financière. Si la situation était différente, elle prendrait même surement la mouche, voyant la proposition de Jézabel comme une insulte à son autonomie, ses capacités et celles de son équipage tout entier. Le fait est néanmoins qu'elle aura surement besoin d'aide, justement.

Hannabeth avale sa bouchée avec difficulté puis cherche un instant ses mots, visiblement mal è l'aise de nouveau, avec une pointe d'irritation et d'inquiétude en plus. Pour qu'elle accepte une offre pareille, c'est que la cause lui tient définitivement à coeur plus que sa propre fierté.

"Je... il y a bien quelque chose. J'ai peut-être trouvé une solutions à sa maladie, mais le prix de l'opération et des cyberwares sont... astronomiques."

Il faudrait très certainement être aveugle pour ne point remarquer que la situation n'enchante en rien ma jeune sœur. Cependant, elle ne décline guère mon offre ; à l'inverse, elle me fait part d'une potentielle solution qu'elle aurait trouvé. Une opération capable de sauver l'enfant. Je fronce les sourcils un instant.

- De quel genre d'opération s'agit-il, et combien coûte-t-elle ?

Je dois bien avouer que je suis méfiante. Hannabeth semble tellement désemparée face à cette situation, tellement prête à tout, qu'il serait idiot de ne pas envisager la possibilité que l'on puisse abuser d'elle. Et grand Dieu, personne n'abuse de ma sœur sans en subir les conséquences. J'irais, par conséquent, m'assurer que personne n'envisage de se moquer d'elle, simplement pour lui soutirer de l'argent.

Hannabeth repose sa fourchette. Un noeud s'est formé dans sa gorge et malgré la qualité de la nourriture et le fait qu'elle se régalait un instant plus tôt, elle n'a soudainement plus aucun appétit. Elle inspire ensuite un bon coup et se passe une main dans les cheveux.

"J'en sais encore peu pour le moment. Les spécialistes que j'ai rencontrés se montrent très pessimistes et refusent de faire ce genre d'opérations, qu'ils jugent trop risquée. J'cherche donc un chirurgien spécialisé en cybernétique qui serait suffisamment qualifié pour le faire, mais... disons que ca pleut pas en Dorado. C'est possible que j'doive prendre contacte avec des gens d'un autre système. Que je m'y rende avec l'albatros également. Même si c'est très... risqué, ca en vaudrait la peine."

Hannabeth pince les lèvres et son regard se perd un peu dans le vide entre elles avant que ses iris clairs trouvent de nouveaux ceux bleu plus profonds de sa soeur.

"De ce que j'en comprend, mais les détails peuvent varier selon la provenance des prothèses et le chirurgien, il s'agirait d'un remplacement complet de ses poumons par cyberware aussi coûteux qu'une frégate. C'est... risqué, elle pourrait ne pas survivre l'opération. Et si elle survit, c'est pas garanti que sa maladie n'affectera pas également son coeur."

La boule dans sa gorge lui semble de plus en plus grande et encombrante.

"Mais c'est la seule option qu'on a pour l'instant, l'autre étant de ne rien faire et la regarder mourir, c'que je refuse de faire."

Je l'écoute avec toute l'attention dont je suis capable. Il ne me semble jamais avoir vu ma jeune sœur dans un tel état. Oh, j'ai cru déceler quelques causes auxquelles elle prêtait de l'important, cependant, cette fois-ci me semble ne rien avoir en commun avec les autres. Cette enfant a déjà su s'installer en son cœur, avec tant d'ardeur qu'elle serait dévastée si la fillette venait à trépasser.

- Bien.

Je frotte la table devant moi.

- Je ne serai guère d'une aide satisfaisante pour la partie renseignement. Tu me surpasses hautement dans ce domaine, depuis presque toujours. Cherche le meilleur chirurgien en cybernétique que tu puisses trouver. Je possède beaucoup d'argent de côté. Si tu as besoin d'aide pour compléter la somme, je t'en ferai don avec joie. Cette enfant aura le droit à ce qu'il peut y avoir de mieux. Je serai également présente pour couvrir tes arrières s'il le faut.

Je lui souris avec douceur, mais mon regard est grave et sérieux. Je ne laisserai personne profiter de cette faiblesse nouvelle pour l'attaquer ou la faire souffrir. J'hésite un instant avant de poser une question que je sais pouvoir être fort délicate.

- Est-ce que cette opération lui permettra de guérir de sa maladie, ou seulement de ne plus attaquer ses poumons ?

Hannabeth hoche la tête. Malgré sa fierté qui en prend un coup, elle est hautement soulagée de l'accord de sa soeur. Ça en vaut le coup. Elle prendrait beaucoup plus qu'une simple blessure d’orgueil pour Croyance. Elle a d'ailleurs déjà prévu de demander la même chose à l'unique autre personne à qui elle peut faire confiance ainsi, soit Conrad.  

"Merci, Jez. Vraiment c'est... merci. Lorsque tout ça sera derrière nous, j'te rembourserais entièrement."

Ce n'est même pas une question, Hannabeth compte absolument s'acquitter de sa dette. Elle a horreur de devoir quoi que ce soit à qui que ce soit, et bien qu'elle est prête à s'endetter par-dessus la tête pour Croyance, il n'est pas question qu'elle ne rembourse pas le moindre crédit. La question suivante de sa soeur lui fait pousser un nouveau soupire, alors que le sujet revient sur les risques de l'opération.

"Pas nécessairement, non. C'est complexe, et de c'que j'en ai compris, soit l'opération aidera à diminuer considérablement les risques de propagation de sa maladie, qui pourra être contrôlée ou éradiquer ensuite avec un traitement médical... soit sa maladie persistera et s'en prendra à son coeur."

Et si c'est le cas, il n'y aura plus rien à faire.

"Mais ça, c'est à condition qu'l'opération soir une réussite, qu'elle soit assez forte pour y survive et qu'elle fasse pas de rejet du cyberware. Ça fait... beaucoup d'incertitudes et de risques, j'sais. Mais c'est la seule option qu'on a."

Je souhaiterais dire à ma jeune sœur que je refuse qu'elle me rembourse, que cela est inutile. Cependant, je la connais suffisamment pour savoir qu'elle ne voudra rien entendre. Le moment n'est pas propice pour mener ce combat-ci. Nous verrons avec le temps et les évènements, et peut-être trouverai-je un moyen suffisamment subtile afin de pouvoir lui apporter mon aide sans lui donner la sensation qu'elle est dépendante. J'hoche la tête une fois qu'elle a terminé de m'exposer la situation.

- Nous allons faire le nécessaire afin que tout se déroule au mieux. Nous ne laisserons pas cette enfant seule face à ses problèmes, et il est hors de question que je t'abandonne toi. Occupe-toi de trouver le meilleur matériel et le meilleur praticien possible pour elle. Je me charge de réunir autant d'argent que possible, entendu ?

Malgré la délicatesse des mets servis, je crains de ne plus être capable d'avaler quoi que ce soit. Cette histoire m'inquiète follement, bien que je ne puisse exprimer mes craintes au près de ma jeune sœur. Je ne suis guère partisane du défaitisme ; néanmoins, les espoirs de sauver cette fillette paraissent bien maigres et fort aléatoires. Je n'ose imaginer l'état dans lequel pourrait se retrouver Hannabeth si l'enfant venait à décéder des suites de sa maladie. Ma mine s'assombrit. Hannabeth n'a jamais connu que la perte et l'abandon, au cours de son existence. Je ne laisserai point cela se reproduire encore sans essayer tout ce qui pourrait être en mon pouvoir.

Les mots de sa soeur la touchent profondément. Elle a encore du mal à réaliser qu'elle n'est plus toute seule, que sa soeur veuille être présente ainsi pour elle. C'est tout ce qu'elle a toujours voulu, tout ce qu'on lui a toujours refusé. C'est donc un rêve devenu réalité. Un rêve qui, malheureusement, se teinte d'un gout particulièrement amer maintenant, au vues des circonstances.

"Entendu. Merci encore, Jez."

Elle ne le dira pas assez. Elle est d'ailleurs à court de mots pour s'exprimer et lui offre donc un regard lourd de sens qu'elle tente d'accompagner d'une sourire, mais qui doit sonner trop tendu et concerné pour être réellement rassurant. La blonde reste confiante néanmoins. Elle refuse de se laisser abattre, d'être négative ou de baisser les bras. Elles VONT trouver un moyen de sauver Croyance. Toute autre option est inconcevable.

Les faits sont exposés, les plans d'attaque montés - pour la plupart, en tous les cas. J'observe mon assiettée, qui n'est qu'à moitié entamée. Il est certain que je ne parviendrai point à faire honneur au repas comme il se devrait. Il me faut agir. Rester inactive face à la peine et au désespoir de ma jeune sœur me semble être insoutenable. Cependant, il est bien hors de question que je le lui confie, ou le lui montre d'une quelconque manière. Elle a bien assez d'éléments auxquels songés ; il me faut lui apporter aide et soutien, sans jamais rajouter d'autres inquiétudes à celles qu'elle ressent d'ores et déjà. Aussi, je lui offre un sourire doux et chaleureux tout à la fois, et dépose une main légère sur la sienne.

- Bien. Tiens moi au courant des avancées, Hanna. Nous nous reverrons dès que possible afin de reparler de tout cela. N'aie crainte, nous parviendrons à nos fins, comme toujours.

Je me lève élégamment, et dépose de quoi payer nos deux repas sur la table.

- Prends soin de toi, Hannabeth.

Et sans rien ajouter, je tourne les talons et quitte la salle.