Des jouets par millier [Suu & Hush]

Hush l'écoute. Il ne connait pas suffisamment l'endroit duquel Suu vient, ni même Suu, pour pouvoir lui assurer qu'il se trompe et qu'il n'aurait fini ni fou, ni mort. Prétendre qu'il en sait davantage que lui serait simplement prétentieux et mal avisé. Il ne sait par contre pas ce qu'est la légion. Alors, il demande, poussé par sa curiosité.

"C'est quoi, la légion ?
Est-ce que tu as vu des endroits sympas, pendant tes voyages ?"

- C’eeeeest…

Ha oui, trouver un moyen de parler de la Légion sans dire des choses que Tobias ne devrait pas entendre et sans se faire passer pour une brute sanguinaire. Son sport préféré.

- Quand tu veux avoir la citoyenneté corporatiste mais que tu es pas né au bon endroit pour ça, tu peux t’enrôler dans la Légion, qui fait partie de l’armée. Si tu sers dix ans et que tu en sors vivant, tu es un citoyen et tout le monde te dit que tu as été courageux.

Et c’est inutile et même vexant et franchement, lui cracher au visage serait plus agréable que lui dire qu’il a dû tellement souffrir et qu’on oubliera pas votre sacrifice. Personne veut en entendre parler, du sacrifice. Les gens sont des hypocrites.
Donc il va pas en parler. Il va plutôt raconter les endroits qu’il a vu, c’est plus sympa.

- J’ai été sur plein de planètes différentes. J’ai vu des choses incroyables. Il pleuvait des cailloux à un endroit. Il y avait un océan rose ailleurs. Des forêts de cactus. Des lacs gazeux. Des arbres de toutes les couleurs. Tout ce que tu peux imaginer existe sans doute quelque part.

Hush fronce légèrement les sourcils en l'entendant. Il ne comprend définitivement pas la logique des envahisseurs. Et pourtant, il a vécu parmi eux bien plus longtemps qu'il n'a vécu auprès de ses frères mo'ats, chez lui. Faire la guerre et se battre pour appartenir à un peuple lui semble être une idée vraiment farfelue, que son esprit - aussi créatif soit-il - n'arrive pas à intégrer. Cependant, il écoute sans jugement. Ne pas comprendre quelque chose ne veut pas dire que ce n'est pas bien. Après tout, les trinitaires ne comprennent pas les mo'ats, et pourtant, les mo'ats ne sont pas mauvais.

Le reste de sa réponse quant aux endroits visités fait plus de sens pour Hush. En tous les cas, ça lui parle. Tellement qu'il sent sa main qui le démange. Il a envie de les dessiner, ces lacs gazeux, cet océan rose, ces forêts de cactus et même cette pluie de cailloux. Il a envie de créer cet univers qui semble fantastique, et qui existe pourtant. Il prend des notes dans un coin de son carnet à dessin, résiste à l'envie de commencer dès à présent.

"Ca a l'air incroyable. Tu dois avoir plein d'histoires à raconter."

Tobias attire son attention vers un jouet qui a une matière étrange, et qui fait avoir un mouvement de recul à Hush lorsqu'il essaie de le toucher. A nouveau confronter à l'incompréhension il l'attrape et le brandit devant Suu.

- Ouais. J’ai assez d’histoires pour occuper plein de soirs.

Tiens, il est sincère, cet air heureux. Il est agréable. Et même si sur toutes les histoires que pourrait raconter Suu il n’en offre qu’une petite partie, ce n’est pas grave. Il y a largement de quoi faire avec les souvenirs qui ne sont pas horribles. Les autres n’ont rien à faire ailleurs que dans ses cauchemars.

- Tu sais qu’il y a une planète avec des lacs pleins de… C’est quoi ce truc ?

Interruption. Incompréhension. Qu’est-ce que c’est que ce bidule avec une texture de… De… C’est liquide ou c’est visqueux ? Il tend les doigts pour savoir.
C’est liquivisqueux. Y’a pas d’autre mot. Ca n’a pas vraiment l’air de le traumatiser, plus de l’intriguer. L’idée qu’on puisse vendre ça comme jouet le rend perplexe.

- Ca sert à quoi ? Est-ce que c’est amusant ? Tobias, t’en dis quoi toi, t’es un expert ? Ca doit pas être dangereux sinon ils le vendraient pas. Je crois.

Hush voudrait écouter toutes ces histoires. Et vraiment, il est un peu triste d'avoir interrompu l'homme à roulettes dans son élan. Il s'installerait volontiers autour d'un feu vif et épais, et l'écouterait parler pendant des heures. Il lui raconterait alors tout ce qu'il a vu, et Hush l'illustrerait aussi vite que sa main le voudrait. Il voyait déjà cette scène là dans son esprit, et il avait très envie qu'elle prenne vie. Mais pour le moment, cette chose étrange qu'il avait entre les mains les empêchaient de faire autre chose que de se poser mille et une question quant à son bien-fondé.

Hush est ravi que Suu le débarrasse de cette immondice, et il est obligé de regarder sa main pour s'assurer qu'un morceau de ce truc n'y est pas resté. Non pas qu'il soit très inquiet à l'idée d'être tâché, mais il n'aime pas beaucoup ce truc là. Et visiblement, Tobias non plus. Le petit garçon regarde et touche une première fois, mais retire aussitôt sa main, un air paniqué sur le visage. Il tend alors sa petite main en direction de son père puis de Suu, comme s'il essayait de montrer quelque chose. Hush reprend alors le machin et comme un réflexe, il le jette en arrière...

Le réflexe de Hush est de balancer le jouet; celui de Suu est de tendre sa manche sur sa main pour nettoyer celle du mini-humain sur ses genoux. S’il l’a montrée, c’est bien qu’il doit y avoir un truc qui le gène, non ? Il sait pas trop en fait mais ça ne peut pas faire de mal de nettoyer après la texture bizarre.

- Ouais, c’était pas fou… Je t’essuie ça. Tu vas pas rester avec de la gelée sur les mains si t’aimes pas ça.

Pour le pilote ça va en tout cas, il a eu bien pire sur la peau. Il vérifie que la main de Tobias soit bien nette puis tend son torchon improvisé -très improvisé, sa main quoi- au père du petit.

- Si tu veux t’essuyer aussi. Le pull ira au sale dès que je retourne sur le Némésis, ne t’en fais pas pour lui.

Encore une fois, Hush se trouve être très touché par la réaction paternelle que l'homme a à l'égard de Tobias. Ca semble assez naturel chez lui, et si Tobias commence à geindre une seconde, il s'arrête immédiatement devant les réactions rapides et rassurantes des deux adultes qui l'entourent. Hush jette tout de même un regard en direction de la vendeuse qui, heureusement, n'a pas semblé remarquer qu'il venait juste de balancer un de ses jouets à l'autre bout du magasin. Le truc gluant est d'ailleurs aller s'accrocher au plafond, plusieurs mètres plus loin. Il pendouille dans le vide, et il n'est pas certain qu'il s'en décollera un jour. Ou peut-être tombera-t-il pile quand un client se trouvera juste au-dessous. Oui, c'est probable.

Le grand mo'at reste muet et immobile un instant devant la manche tendue de l'homme à roulettes, touché plus que gêné par la proposition pleine de tendresse et attentionnée. Il regarde sa propre main, hésitant, et finit par essuyer tout doucement sa paume contre la main recouverte de manche de Suu. C'est comme une caresse, douce, appuyée sans être forcée. Ca perturbe Hush plus que de raison, et son regard s'accroche à celui de Suu un court instant, avant qu'il ne rompe le contact en le remerciant silencieusement.

Y’a un truc qui se passe.
Ou pas ? Ou si. C’est compliqué. Et puis c’est inutile, c’est donc bloqué immédiatement par Suu dès qu’il s’en rend compte. Rien ne doit arriver, il ne peut pas se le permettre. Et oui, ils ont parlé d’accepter l’imprévisible, de l’amour et de toutes ces bêtises, mais non c’est non. Pas de drôle d’étincelle dans le cou quand son regard croise celui de Hush, on a dit.
Voilà qui est mieux.

- D’rien. On va rester dans les jouets normaux, je crois que c’est moins dangereux. Hmmm… Ca, là bas ? Des jeux de construction, ça te dit Tobias ?

Sans trop attendre le père du minuscule humain -il suivra sans doute-, il se lance vers les jeux de construction en question et fait la discussion devant les boîtes.

- Plutôt bâtiments ou transports, alors ? Ils font même les églises trin… itaires.

Et non pas TriniCoincées, n’est-ce pas Suu ?

- Choisis pas les églises, Tobias. Le vaisseau de Valmor ça semble mieux.

Suu les ramène rapidement à la réalité en indiquant à juste titre qu'il vaut mieux chercher parmi les jouets pas trop bizarres. Et les jeux de constructions semblent être une idée incroyable, qui sonne vraiment très bien aux oreilles du jeune père. Alors il suit Suu et Tobias jusqu'aux étagères remplies et autres caissons pleins à ras bord de jeux de constructions. Tobias serre toujours Bleu contre lui, et son attention se reporte assez vite sur les tas de petits jouets mis à sa disposition.

Tobias se détourne des bâtiments pour attraper les vaisseaux et des petits personnages rigolos. Il se tourne vers Suu et lui montre ce qu'il a choisi dans ses petites mains, Bleu toujours serré contre lui. Il commence à raconter une histoire difficilement compréhensible, même pour les oreilles d'un adulte entraîné à comprendre le langage des enfants.

Hush s'approche à son tour de tous les jouets proposés, et il se penche pour les observer de plus près et apprécier les finitions des bâtiments, des vaisseaux, des véhicules ou des animaux qui sont exposés.

C’est pas très compréhensible mais c’est pas très grave. C’est un peu comme avec les gens qui marmonnent dans leur sommeil, il suffit d’être attentif et de réagir de la manière appropriée. Quand ça l’air d’être une question, Suu répond des “hm-hm, je trouve aussi”, quand la phrase est en suspens il relance d’un “et ce mur là, tu crois que ça irait mieux ?”, quand Bleu s’agite il hoche la tête et annonce que “tout à fait, Bleu peut le faire”. En fait un enfant et un type bourré, c’est pareil, sauf pour l’odeur.
Quand le petit humain se tait un peu plus longtemps, les yeux rivés sur une baleine en bois articulée -”Construisez-la vous-même !” dit la boite derrière-, le pilote se tourne vers Hush avec un sourire.

- Un préféré ?

Le petit Tobias qui s'agitait jusqu'à lors devient plus calme, et garde une boite entre ses petites mains. Il n'a plus d'yeux que pour ce jeu-là, et comme pour Bleu, plus rien d'autre ne semble l'intéresser. Hush s'approche légèrement, juste pour pouvoir apercevoir ce dont il s'agit, et lorsqu'il remarque la baleine à construire, il ne peut s'empêcher d'avoir un sourire attendri. Tobias a toujours eu un faible pour les animaux, et il se demande s'il ne va pas faire en sorte d'être en lien avec eux en grandissant. En attendant, les jeux comme celui-là lui semblent être idéaux. Alors il hausse les épaules en direction de Suu, souriant et hochant la tête doucement pour signifier que le petit garçon semblait avoir fait son choix.

D'ailleurs, Tobias relève la tête à cet instant en tapotant avec sa petite main sur l'image de la baleine, la montrant tour à tour à Suu puis à son père, et se lançant à nouveau dans un long discours, duquel quelques mots se détachent, comme "'leine", ou "joli". Hush a un sourire très tendre à l'intention de son fils, et puis il écrit sur son carnet d'écriture.

"Je crois qu'il a fait son choix, qu'est-ce que tu en dis ?"

Le choix est donc fait, il le voit lui aussi. Baleine et Bleu ce sera, et si un jour le petit humain se retrouve biologiste marin, Suu ne sera pas étonné. En attendant que ce moment arrive, il se concentre sur le long discours d'investiture de la baleine en bois, avec tout les hochements de têtes et les affirmations enthousiastes qu’il faut pour encourager Tobias à continuer.

- Je pense, qu’il fait après avoir levé les yeux sur le carnet, qu’il a clairement décidé. Tu sais, si dans vingt ans il s’occupe de bestioles marines, je pourrais dire que je l’avais deviné.

Enfin, si dans vingt ans il est encore en vie, ça voudra dire que… Non. Allez, stop les idées noires. Au pire son âme immortelle ou une débilité comme ça sera toujours là pour le dire.

- A ton avis, tous les enfants passent par des moments où ils n’aiment qu’une chose ?

Tobias a fait son choix, et Hush décide que deux jouets sont largement suffisants pour contenter l'enfant pour le moment. Il se dirige lentement en direction de la caisse pour payer, en écoutant Suu. Il penche légèrement la tête d'un air pensif lorsque Suu lui parle des bestioles marines et de la possibilité que Tobias se dirige dans ce domaine. Il se souvient d'ô combien l'enfant avait aimé l'océan lorsqu'il l'avait vu pour la première fois, et il doit bien admettre que lui non plus ne serait pas étonné que le petit garçon décide de se lancer corps et âmes là-dedans. Tant que l'enfant est heureux, Hush l'est aussi. Rien d'autre ne l'importe.

"Ce ne serait pas étonnant, tu as raison."

Puis, il est question des phases que peuvent traverser les enfants. Hush hausse les épaules mais prend quand même le temps de répondre en écrivant sur son carnet à nouveau.

"Je ne sais pas, Tobias est mon premier enfant."

C’est vrai qu’il a l’air jeune pour en avoir plus d’un. Et c’est aussi vrai que ce ne sont pas les oignons de Suu, les histoires familiales de l’artiste avec qui il se dirige vers la caisse. Le passé tout entier de Hush n’est pas ses affaires en fait.
Il va donc pas demander s’il a pas côtoyé d’autres petits humains. Il ne va pas non plus essayer de savoir si l’autre homme lui-même n’a pas fait de fixation sur quelque chose étant enfant, entre autres parce que lui-même serait infichu de savoir si c’est son cas.
Il va donc juste ouvrir sa bouche pour dire des choses qui n’ont aucun risque d’ennuyer qui que ce soit.

- J’ai connu une fille qui avait un enfant. Enfin, plusieurs. Filles. Pas enfants. Bref.

Un instant de silence pour arrêter de se confuser tout seul.

- Elle avait un petit et elle me disait que quand elle était partie de chez elle, rien l’intéressait à part les lézards. Ca a l’air d’être assez courant… Je devrais demander au gens du Némésis...

Hush se perd encore dans ses pensées, dans plein de réflexions quant à son fils. Il essaie de savoir si c'est la première fois que Tobias n'aime qu'une seule chose, au point de ne plus s'intéresser à rien d'autre. Ca ne semble pas inquiétant en l'état, mais il ne voudrait pas que ça le devienne. Et les réflexions de Suu lui provoque quand même une vague sensation d'inconfort. Peut-être qu'il a raison. Peut-être qu'il y a quelque chose dont Hush devrait réellement se préoccuper ? Il fait mine de réfléchir quelques instants.

"Je n'ai pas connu beaucoup de personnes avec des enfants, et je n'ai jamais pensé que c'était quelque chose à demander. Tu crois que je devrais m'en inquiéter ?"

Il en sait trop rien lui, si Hush doit s’inquiéter : il n’a pas d’enfant, n’en a pas côtoyé des dizaines non plus, et en plus de ça il n’arrive pas à se souvenir de si lui, il a eu une fixation bizarre dans son enfance. Bref, Suu est inutile.
Mais il n’a pas totalement un mauvais fond et il ne veut pas voir l’autre homme s’inquiéter outre mesure. C’est la raison pour laquelle il fait “non” de la tête comme s’il y connaissait quelque chose.

- Nope, je pense pas. Ca a l’air courant.

Et un mensonge, un ! Il va pour le continuer, raconter comment la fille qu’il a connu lui racontait les histoires de lézard de son gamin, lorsque soudain son H-Com se rappelle à lui.
Et ses obligations avec. Le message sur l’écran est un mot d’amour disant que le départ du Némésis est dans vingt minutes alors bouge-toi les roues, Galwaïn, sinon on te laisse là. Il grimace.

- J’vais devoir te laisser, je crois. Ma patronne menace de décoller sans moi...

Hush se sent légèrement rassuré quand Suu lui dit que c'est courant, et que par conséquent, il n'a pas à s'inquiéter. Bien qu'il ne connaisse pas beaucoup l'homme à roulettes, il a l'impression de l'avoir toujours connu, et qu'un lien particulier s'est créé entre eux. Alors il sourit légèrement et hoche doucement la tête, rassuré par les dires du mécanicien. Néanmoins, il se fait une petite note mentale pour vérifier ça la prochaine fois qu'il aura un médecin sous la main. Histoire de ne pas s'inquiéter pour rien s'il n'y a pas lieu de s'inquiéter.

Et puis brusquement, Suu semble recevoir un message et lui annonce qu'il doit s'en aller, sinon son vaisseau va décoller sans lui. Hush semble surpris par de telles pratiques, mais il se contente encore une fois d'hocher la tête, légèrement incrédule. Il n'arrive pas à envisager qu'un capitaine puisse vouloir décoller sans l'un des membres de son équipage.

"D'accord, alors va. J'ai été heureux de te rencontrer. Merci pour tout."

Et puis il prend la petite main de Tobias dans la sienne avec délicatesse, et doucement, il fait un signe d'au revoir, d'abord avec sa propre main toute seule, puis avec celle de Tobias ensuite. Il espère qu'il recroisera le pilote un jour.

Il répond à Hush et à son fils en agitant la main lui aussi, un sourire en tranche de courge vissé au visage.

- Ca m’a fait plaisir aussi. Prenez soin de l’autre, d’accord ?

Un regard très sérieux à Tobias.

- Veille bien sur ton père. Sois sage. Mange des légumes. On s’reverra. C’est obligé.

C’est fini les recommendations ? Ouais, c’est fini, il a fait le tour. Et puis le Némésis décolle dans vingt minutes moins quelque chose maintenant, il n’a pas le temps de trainer. Un dernier hochement de tête, et Suu repart vers l’astroport à toute vitesse, sans regarder en arrière.