La jeune pirate et le jeune papa [Crust]

"C'est une bonne philosophie de vie. Le truc c'est que t'as l'air de ce que t'es toi donc les autres te sous-estiment pas non plus." Alors que moi, le nombre de types qui me prennent pour une fille fragile, c'est impressionnant. Ce sont surtout des mecs d'ailleurs, les filles se laissent moins tromper par mon masque de p'tite chose fragile. La meilleure à ce jeu ça reste Mod. Bon. J'sais plus quoi dire. J'aimerais bien continuer à cause pourtant mais voilà, l'Passeur c'est le genre de type avec lequel j'peux passer du temps à rien dire au lieu de déblatérer dix mille conneries à la seconde. Je me met contre le dossier de ma chaise, j'allonge les jambes. Je souris. C'est sincère et ça brille. "Si tu veux j'pourrais apprendre à ton fils à ne pas avoir l'air de ce qu'il est."

Il se regarde un instant.

- un vieux monsieur pauvre habillé d'un vieux manteau avec le charisme d'une huitre ? demande Enguerrand.

C'est dont il a l'air, il le sait et le constate aisément. A Tortuga on le connait et les gens agissent d'une façon parfaitement en accord avec le fait qu'il est réputé très doué avec une épée et potentiellement mortellement dangereux. Ailleurs les gens ne savent pas, et ce sont des regards condescendants, voir plein de pitié pour cet homme propre mais définitivement dans le besoin.

J'ris. Genre le bon gros fou rire qui fait du bien par où il passe. Au moins Porte de Prison il se fait pas trop d'illusions sur ce à quoi il ressemble. Par contre le charisme, il se trompe, il en a. Ou plutôt il a de la présence. La même qu'un GROS mur en pierre incassable qui serait là depuis des années avec des trous de balle dedans et tout. "T'as surtout l'air incassable t'sais. C'pas une question de charisme mais genre t'es un rocher, le genre que même la mer elle arrive pas à éroder. Bref." Ca m'a fait du bien de me marrer, ça me fait penser à autre chose qu'à lui et Jezabaise. "N'empêche, t'es vache avec les moules, ou alors elles te font peur, va savoir." Même pas j'ai mis de sous entendu pour une fois.

Il regarde la petite s'amuser avec étonnement. Mais c'est toujours mieux que de la voir faire la tronche. Elle est pas faite pour être sombre mais pour briller. A sa façon à elle. Il hausse les épaules. Il a toujours été le truc derrière sur lequel on s'appuie parce qu'on sait qu'il vous laissera pas tomber au combat. Ou qu'il enverra un message silencieux par sa seul présence. C'est ce deuxième aspect que les plus intelligent des capitaines utilisent souvent, comme De Nieves par exemple qui l'avait pris pour sa réunion de capitaine. Enguerrand n'avait rien dit. Inutile. Tous les autres capitaines savaient par sa seule présence que la réunion resterait dans la non-violence.

- je ne fais peur à personne. Mon nom oui. Pas moi. dit-il simplement.

"Je me permet de pas être d'accord." J'suis passionnée quand je parle et ça s'entend. "Tu fais la gueule et t'es toujours super concentré, évidemment que ça va pas rassurer les gens. En plus t'es sec comme un saule, on se doute bien que ton métier c'est pas d'enfiler des perles quoi. Et pis y a tes yeux. Enfin faut pas croire, moi j'ai pas peur de toi. Sauf que je suis pas un modèle d'instinct de survie parait. Sauf au boulot, parce qu'on ne déconne pas avec la vie de ses hommes. Alors ouais, ptet que t'es pas la baraque pleine de cicatrices mais moi, quand je la vois celle-là, j'ai plus peur de celui qui les a faites, les cicatrices." Je souris toujours, malgré mon sérieux inhabituel. Et puis d'un coup, de nouvelles paillettes. "Alors que moi tu vois, quand on me regarde, avec les sandales et tout, on se dit que pour vivre, j'dois faire des bouquets de fleurs ou une autre connerie du style. On s'imagine pas du tout que je sais me défendre. Tu vas pas me faire croire que qui que ce soit en te regardant va te prendre pour un fleuriste."

Il écoute tranquillement. C'est un peu comme une balade sur l'eau. On se laisse bercer par le rythme et on suit le cours d'eau là où il nous guide. Visiblement certains voient plus qu'un homme vieillissant et sans le sous. Sans doute que des personnes plus .. ouverte aux autres ou vigilantes sont capables de mieux le cerner.

- danseuse étoile est plus couru en général. lâche -t-il de sa voix neutre et sans vie.

Il a quand même une commissure des lèvres qui se soulève légèrement. Personne ne l'a jamais imaginé en danseuse étoile. Mais ça l'amuse.

Je souris clairement. J'dois être la seule personne au monde à imaginer le Passeur en tutu noir à paillettes. Non parce que le rose, clairement, ça lui ira pas au teint. Et puis je suis heureuse parce qu'il fait des blagues et ça, ça me donne l'impression d'être spéciale. "Enguerrand de Cassagnac, Danseur des étoiles." Que je dis d'un ton presque rêveur et clairement amusé. "Ca claque moi j'dis. Evidemment en noir, avec genre une lame dans chaque main pour faire des éclats métallique quand tu tournes dans ton chausson sur les pointes. Et une cape rapiécée. Indispensable, la cape rapiécée." Ouais, j'ai de l'imagination. "C'est ça que tu voulais faire quand tu étais tout gosse ? Tu sais quand on a cinq ans et aucune notion des réalités ?"

Il ne se souvient plus de ses rêves d'enfant. Genre plus du tout. Le seul sentiment qui lui reste de cette époque est celui de ne pas être à sa place.

- pas de souvenir de cette époque. dit-il simplement. Et toi ?

Il est curieux de savoir le millier de métier qui est passé dans la tête de la jeune femme hyper active.

"Colonel des Forces Spéciales." Et nan, pas de la légion parce que j'étais déjà frondeuse et que je voulais emmerder mon père. "Ou générale, j'hésitais, c'était pas mal, générale. Plus d'étoiles sur l'uniforme tu vois. J'avais même dessiné un uniforme violet pour mon escadron. Evidemement j'aurais pas été une générale dans son bureau mais aux commandes de mon vaisseau et à l'abordage aussi et évidemment à l'artillerie. J'aurais sauvé les corporations en désobéissant aux ordres et j'aurais été nommée Généralissime à vingt ans avec les honneurs et j'aurais dit au Vieux "maintenant tu m'obéis" et il aurait dit qu'il était fier." J'ai les yeux qui brillent à ce souvenir Je sais que c'est banal à en pleurer, mais c'était mon rêve. Et si je sais bien que je n'aurais jamais fini Colonel, je regrette un peu mon titre de lieutenant. Je sais pas comment rendre mon père fier de moi. Enfin, c'est la vie. Je souris. "Avec la cousine dans les Forces Spéciales et mon père dans la Légion l'armée c'était toute ma vie hein."

Enguerrand écoute et sourit un peu intérieurement en imaginant le Vieux sous les ordres de sa fille. Comme si ça pouvait arriver. La Légion est une famille à part et les généraux normaux ne donnent pas d'ordre aux Légionnaires. Il faut être le père de l'arme. Le général légionnaire. Il n'y en a qu'un pour une bonne raison d'ailleurs. Mais les rêves de la petite restent amusant.

- idée amusante. dit-il simplement. L'armée c'est pas une vie. ajoute-t-il ensuite.

Il le sait, il a été dans la meilleure de toute. La seule qui peut se rapprocher d'une vie. La Légion. Mais même cette dernière est soumise au Triumvirat. Et obéir au Triumvirat c'est vendre un peu son âme.

L'armée est une vie. Elle l'est pour beaucoup de monde. Papa par exemple mais pas que. Je connais des Légionnaires qui y ont trouvé plus qu'une famille. Et puis j'étais jeune, un peu idiote. L'armée est une famille pour Théo aussi, je pense que c'est ce qui m'a perdue. Elle n'est pas un endroit pour moi par contre, je le sais maintenant et derrière une légère amertume, je souris toujours, heureuse. J'ai trouvé une place sur l'Albatros. Ce n'est pas toujours facile, il y a de sacré têtes de bourriques mais je peux être moi-même et ça me permet de revivre. J'attrape sa main sans réfléchir. "J'espère que tu trouveras une vie pour toi, une où t'as pas besoin d'aller de l'un à l'autre et où tu pourras te poser librement. Que son leader brille ou pas."

La fille attrape sa main de métal. Encore une réaction étrange et spontanée de la petite. C'est toujours amusant parce qu'on ne sait jamais ce qui va se passer d'une seconde à l'autre. Sûr qu'il s'ennuie pas. Il hausse les épaules.

- je suis pirate, c'est déjà bien. dit simplement le bonhomme en noir.

Il n'a pas besoin de beaucoup plus. Ça et la possibilité d'améliorer son art du combat et si possible de le transmettre.

"Bien." J'souris toujours, c'est amusant. Je repense à un truc qu'un de mes formateurs disait toujours pendant mes classes. Ptet qu'on leur apprend la même chose dans la légion. Je sais pas du tout si le vieux l'avait aussi, j'écoutais pas toujours quand il parlait. "Bien c'est bien le minimum." J'fais un clin d'oeil, j'vire ma main de celle en métal. Il m'a même pas menacé cette fois. L'idée allume des lumières dans mes yeux. A part ça, et bien je sais pas quoi dire donc, pour une fois, j'vais dire rien.

Enguerrand boit une gorgée, le vin est pas mauvais et c'est déjà une bonne chose.

- tu te sens comment à bord de ton navire avec tous ces pirates ? demande le Passeur pour relancer la conversation.

On lui a rendu sa main et c'est... bien. Il n'a jamais été à l'aise avec ce genre de contact, surtout avec ses membres cybernétiques qui ne sont que du métal. La petite lui fait un clin d'oeil. Visiblement pour une raison inconnue elle fait partie de cette petite frange de l'humanité qui apprécie passer un peu de temps avec lui. Étrange pour quelqu'un qui n'est pas légionnaire ou spécialiste des armes.

"Ca va. Ils sont pas si différent des soldats au final, c'est juste le but qui est différent." Après je suis consciente d'être sur un vaisseau qui a été corsaire et suit le Code. Ca doit être différent sur le Nemesis par exemple ou même pire, sur un vaisseau sanguinaire. "Après y en a qui me font toujours la gueule à cause de mon passé mais hein, s'ils veulent être cons c'est pas mon problème. J'gère comme je peux et l'Cap'tain est vigilante à ce que personne ne se tire dans les pattes donc ça roule. J'ai une apprentie qui est nouvelle dans la piraterie elle aussi, on discute. Et quand faut péter les galons et montrer son autorité, je le fais. De toute façon y a plus grand monde en Dorado qui est aussi douée que moi dans ce que je fais." ce n'est pas une fanfaronnade, c'est vrai. Vasco ayant quitté le système, je suis une des dernières vraies pilotes/navigatrices.

Pas si différent que des soldats... c'est un point de vue. Et il n'est absolument pas d'accord avec celui-ci. Mais sans doute que l'ambiance sur l'Albatros est un poil différente. Après tout c'est un navire avec un passé familiale, ça compte pour créer une ambiance particulière.

- je ne dirais pas ça. Mais si tu le ressens ainsi sur ton navire c'est un bon navire pour toi alors. dit simplement le pirate.

Il est content que la petite ce soit trouvé une place où vivre sereinement. Enfin en paix avec sa nature.

Bah, pas étonnant qu'il dirait pas ça. Le connaissant, il dirait probablement rien hein. Mais j'aime qu'il me lance des sujets quand moi je sais plus quoi dire. Je le connais assez pour savoir que s'il se faisait chier, il se serait tiré depuis longtemps. C'est cool. Ca met du baume au coeur après la nouvelle. Mais bon, au bout d'un moment, faut savoir s'arrêter et comme je sais plus quoi dire derechef, ben c'est mon tour de dire au revoir. C'est la life. On se reverra. Je pense. J'espère.

"Bah écoute c'est cool ouais. Par contre je vais devoir filer où mes hommes vont finir par croire que t'avais un contrat sur ma tête. Félicitation encore pour le bébé tout ça. Permission de te faire la bise ?"

- je ne prends pas de contrat. Je suis un honnête pirate. précise Enguerrand. Accordée.

La petite a la bougeotte il le sait et n'est pas surpris de la voir prendre la tangente. Ca ne le dérange pas plus que ça même si les moments avec elle sont toujours plein de petites surprises amusantes.

Mais oui mais oui, un honnête pirate. On lui dira. J'souris. J'aime quand il se justifie de bêtises et qu'il me permet de lui faire la bise. J'me lève donc, mains derrière le dos pour prouver ma bonne foi puis c'est marrant et lui claque une bise au dessus de la barbe. "Tchö, hésite pas à repasser." J'sais pas quand je le reverrais mais j'sais que ce sera le cas. Vu qu'il est sur le Nemesis et qu'on est soi-disant redevenus amis. Je me méfie toujours de Jezabel moi, et de sa réputation mais on verra bien. J'commence à me tirer, me retourne a mi chemin, lui fait un coucou de la main et retourne tranquillement vers mes pénates.

Tchö... elle lui aura tout fait décidément.

- a plus tard. confirme le pirate qui la regarde partir.

Le monde est tout de suite beaucoup plus ennuyeux autour de lui. Il est temps de reprendre l'entrainement.