Best Friends Forever [Mia & Jezabel]

Avec un sourire satisfait, je laisse le soleil couler sur mon visage. Port-Salem, Renaissance. Je me suis légèrement éloignée du port. Voilà que maman m'a accordé quartier libre pour les deux prochains jours. Je me suis tout de même entraînée toute la matinée durant, et je n'ai quitté le Némésis qu'au milieu d'après-midi, en vérifiant que je n'étais pas suivie par ma très chère petite sœur. Ces moments sont bien trop rares pour que je laisse quiconque me gâcher cet instant. Aussi, considérant le lieu dans lequel je suis, j'ai délaissé mes habituels vêtements de seconde officieuse et de future capitaine du Némésis. Cependant, j'ai conservé une de mes lames. Il me semble que papa et maman voulaient profiter de ces deux jours en une tentative de retrouvailles qui, je l'espère, sera fructueuse. Il m'est douloureux de les voir ainsi s'entre-déchirer, alors que l'amour qu'ils ressentent l'un pour l'autre illuminerait les plus obscures des nuits.

Passons. Je souhaite réellement profiter de ce temps-libre inespéré. Comme maman me l'a dit, je l'ai mérité. Alors, seule, vêtue de vêtements toujours élégants mais passe-partout, je parcours les rues de la ville trinitaire, observant avec curiosité cet endroit que je ne suis guère habituée à arpenter. Mon dévolu se jette finalement sur une taverne reculée, mais néanmoins dotée d'un charme certain. Je franchis le seuil de la porte, observe l'endroit. L'ambiance me sied à merveilles. Tête droite, gracieuse, j'avance en direction d'une table disponible, et commande aussitôt une bouteille d'un rhum ambré que j'apprécie tout particulièrement. Je ferme les yeux un instant, profitant de cet instant de calme, loin de la pression permanente et de l’exigence toujours plus poussées qu'offre le Némésis. Je m'autorise même le luxe de pousser un soupire de bien-être.

Ma commande parvient jusqu'à moi, suffisamment prestement pour que je n'ai nullement le temps d'attendre et de réellement m'imprégner de l'ambiance des lieux. Le liquide s'écoule dans mon verre, je prends le temps de l'admirer. Je prends le temps. Seigneur, quelle douce joie ! Il me semble que rien ne saurait gâcher cet instant de paix. Rien, excepté... La porte s'ouvre à la volée, tandis qu'un groupe d'individus fort mal apprêtés pénètre dans ce que j'avais pourtant cru être une antre de paix seulement quelques secondes auparavant. Sans lâcher mon verre déjà quasiment vide, j'observe les sombres olibrius qui osent perturber ce moment qui devait pourtant être parfait.

Le monde tourne. Au loin, il y a du bruit ; quelques hommes chantent à voix basse. J'ouvre les yeux sous l'ombre d'un cercueil de bois, entre quatre paires de bottes, une chope renversée à la main. Je suis dos au mur ... Non, au sol. Bon sang, j'ai dormi par terre ?! Je me relève d'un bond, de surprise, heurtant mon front.

La table, au-dessus, râle alors que quelques boissons déversent leur contenu sur les genoux de deux hommes, qui s'exclament soudain, de colère. Je rampe entre deux bancs et me relève, massant ma tête endolorie tant par la gueule de bois que son contact récent avec la table faite de la même matière. Je titube sous les insultes sans les entendre, ma chope encore à la main. Madre mia, je crois bien que je suis encore saoule.

La porte s'ouvre violemment, et la surprise me fait perdre pied, et je manque de tomber dans la bière renversée quelques instants plus tôt. Quelques hommes entrent et, alors que je me recule pour laisser le dernier franchir le seuil, je glisse cette fois pour de bon, n'ayant pour seul réflexe salvateur que m'appuyer sur la porte encore ouverte, qui vient heurter de plein fouet le nez de l'un des arrivants. Et, alors que les voix s'étaient tues à l'entrée des malandrins, tous retiennent à nouveau leur respiration.

Le silence se fait ... et se rompt par un rire étouffé, du nez. Merde, le mien.

Quel spectacle singulier... Une jeune femme, qui doit avoir mon âge, qui apparaît soudainement d'on-ne-sait où, qui titube, certainement fortement alcoolisée. Elle s'avance jusqu'aux hommes qui viennent à peine d'entrer dans la salle et elle choit, se retenant de justesse à la porte qui heurte le nez d'un des malvenus. Le silence s'étend autour de nous, épais. Elle rit, et je sais dire pourquoi, mais je ris aussi. La pression qui retombe, mon propre verre bu trop rapidement, la tension étrange qui règne dans un endroit que je jugeais tranquille, l'air profondément perdu ou le rire trop contagieux de Miss-Catastrophes. Qu'importe, les regards se tournent en ma direction, tandis que mon rire empli la pièce. Nos compagnons ne semblent guère dotés d'humour, et très vite, je vois se peindre sur leurs visages un air carnassier que j'ai déjà eu l'occasion de voir à bien des reprises. Seigneur, dans quoi me suis-je embarquée ? Malgré la situation qui se teinte d'une aura dramatique, j'ai le plus grand mal à étouffer le fou rire - désormais en partie nerveux - qui me secoue.

Je ne remarque que maintenant la femme assise plus loin, qui se met à poursuivre mon hilarité. Et plus elle rit, plus je l'imite. Quelques secondes et des flots de larmes plus tard, je parviens à me relev- ... Ah non, on me soulève par le col ... attendez, je n'ai pas de col, je porte une robe de mari-

« Mais à qui sont ces fringues ?! » Je m'inspecte, ignorant complètement l'homme qui me hurle dessus, et son ami derrière qui fait de même en se tenant le nez, bien trop écarlate. Je porte un vieux manteau qui sent la noisette, un jean usé et une chemise au décolleté bien trop plongeant. « Et plus important, où sont les miennes ?! »

Lorsque les hommes soulèvent la maladroite du sol, mon rire s'arrête de lui-même, aussi sec qu'il a commencé. Les hommes de main de celui qui doit avoir le nez cassé s'approchent de moi, certainement mécontents que j'ai pu oser bafoué leur honneur en riant. Et pourtant, quel bonheur de rire ainsi ! L'un d'eux renverse ma précieuse bouteille de rhum ambré ; voilà que je n'ai plus guère l'envie de rire. Aucun client ne semble décidé à nous venir en aide, à Miss-Catastrophes ou à moi. Je n'ai pas le temps de réagir que la situation dégénère. Seigneur, heureusement que j'ai eu la présence d'esprit de prendre mon épée...

Quelques mètres plus loin, à l'autre bout de mon perchoir de fortune, le géant recule son poing, et s'apprête à frapper alors que d'autres s'en vont embêter celle qui, par ma faute, se retrouve dans de sales draps.

« Eh, minute, Papillon », fait l'un d'eux à la jeune femme en présentant le pistolet à impulsion à sa ceinture, lorsque celle-ci semble se préparer à l'action.

Je ferme les yeux, à demi prête à encaisser le coup qui s'annonce ... Mais il n'en est rien, puisque, de nouveau, la porte s'ouvre d'un seul coup, pour la seconde fois sur le nez de celui qui venait à peine de s'en remettre et tombe à terre, trouvant réconfort dans une position fœtale improvisée.

Quant à moi, je suis jetée en arrière, droit sur l'un des agresseurs qui tombe avec moi sur la table, mais contrairement à lui, je roule maladroitement sur celle-ci et emporte ma somptueuse camarade dans ma chute de l'autre côté de la table.

« VOUS ÊTES TOUS EN ÉTAT D'ARRESTATION ! », s'écrie un homme, quelques instants avant que les premiers coups de feu et de sabre ne se fassent entendre.

Nous voilà dans de beaux draps. Je n'ai pas même l'occasion de tirer ma lame que l'on pointe sur moi une arme capable de m'ôter la vie en un temps record. J'observe ce qui nous entoure, cherchant activement une manière de m'en sortir. Je n'ose imaginer le massacre qui sera fait à Port Salem si jamais je venais à y perdre la vie ; j'hésite un instant à proférer des menaces au nom de ma mère, cependant, je n'en fais rien. A quoi cela servirait-il ? Je ne pourrais pas me cacher derrière mon nom toute ma vie durant. J'aime l'idée qu'ils n'en sachent rien, et... Je n'ai guère le temps de réfléchir plus avant. Un groupe d'hommes ouvre encore la porte à la volée, achevant celui au nez cassé.

Dans ce joyeux bazar, je me retrouve emportée par Miss-Catastrophes - que j'appellerai désormais Miss-K par manque de temps. Je me plaque contre le sol, elle sous moi, ou peut-être moi sous elle, je ne sais plus réellement. Les coups pleuvent, le sang gicle ça et là. Ce n'est guère le mien. Il s'agit désormais de ne pas attirer l'attention, et de laisser les deux groupes d'hommes se livrer une guerre sans merci, loin de moi - de nous. Je suis moi-même surprise par la facilité avec laquelle je considère former un groupe avec Miss-K. Je lui prends la main, me dégageant des débris de bois et autres qui tâchent nos vêtements, et je montre la porte demeurée grande ouverte.

Je relève vaguement la tête pour la baisser subitement peu après, alors qu'une balle passe bien trop près de mes yeux. « Woah, dangereux », lance la Mia alcoolisée, faisant exactement ce qu'elle déteste en temps normal : citer les évidences. Après un nouveau et bref coup d'oeil, je décide de renverser la table pour nous offrir un couvert plus efficace.

« Il faut qu'on s'enfuit, Papillon. Mais il y a beaucoup trop de gens. Tu as un plan ? »

Je ne relève point le surnom qu'elle m'a donné ; en d'autres circonstances, j'aurais été fort amusée, peut-être étonnée par cet élan de familiarité. En l'état, mon unique préoccupation est de sortir entière de cet endroit, où la situation dégénère à une vitesse folle. Partout aux alentours, les insultes, les bris de verre et autres munitions fusent. J'vais t'crever, bâtard ! Elles sont où les deux salopes qui s'sont foutues d'nous ! Lâche ton arme, enfoiré ! Tout allait si vite qu'il était difficile de croire en cette étrange réalité.

Lorsque ma compagne d'infortune me questionne quant à un potentiel plan de fuite, je demeure mutique, réfléchissant aussi prestement qu'il m'est possible de le faire. La porte est bien trop gardée pour qu'il puisse s'agir d'une issue envisageable. Les fenêtres sont, également, trop exposées. En revanche, notre chute nous a amené non loin du bar, derrière lequel j'aperçois une porte. Rien ne dit qu'elle mène à une quelconque sortie secondaire ; cependant, mise à part demeurer derrière cette table qui faiblit de plus en plus sous les coups, en attendant la mort, je ne vois point d'autres solutions. Aussi, j'empoigne à nouveau la main de ma comparse, demeurant baissée.

- Suis moi, Miss-K. Il me semble avoir une idée.

Je n'attends point son aval ; sa main dans la mienne, je la traîne derrière moi, courant aussi vite et discrètement qu'il m'est possible de le faire, priant pour que nous arrivions entière à l'abri derrière le comptoir.

Ensemble, nous courrons derrière le comptoir. Assez rapidement, je pense comprendre son idée. Bon sang, ce que ce manteau pue ! A mesure que mes sens reviennent, il me semble que l'odeur se fait de plus en plus oppressante. Enfin à l'abri près de la porte encore légèrement entrouverte - sans doute le barman a-t-il eu la bonne idée de s'en aller, lui aussi -, je prends le temps de le retirer, le jetant en bas des trois marches d'escalier glissantes, manifestement lavées depuis peu avec le sol de la pièce, que nous emprutons après avoir passé la porte.

Derrière nous, celle-ci claque, ouverte à la volée par un homme au visage couvert de sang, et dont le nez ressemble désormais plus à la chair d'une pastèque trop mûre qu'autre chose.

« JE VOUS TIENS ! », s'exclame-t-il en sautant les marches, épée dans une main et pistolet dans l'autre, conscient que celles-ci sont humides, manifestement satisfait de s'en être rendu compte, avant qu'il n'atterrise sur le manteau, ne perde n'équilibre et glisse, puis retombe au sol ... tête la première, abandonnant sa position foetale de tout à l'heure pour simplement giser-là, sans bouger. Inconscient, sans doute.

Quand j'entends la voix, je sursaute, sans lâcher la main de Miss-K, et je me fige l'ombre d'un instant... Avant que notre ami ne choie lourdement sur le manteau abandonné au sol, et ne perde connaissance. Le coeur battant, le souffle court, je regarde le corps inanimé quelques longues secondes, puis, j'étouffe un rire.

- Seigneur, j'ignore ce que nez-brisé t'a fait subir, mais il faut croire que tu lui en veux, soufflai-je tout bas.

Bien entendu, les autres demeurent occupés à se battre au coeur de la taverne, aussi, sans lâcher la main de Miss-K, je me remets en mouvement, afin que nous sortions finalement de cet enfer - et bien entendu, avant qu'un autre de ces hommes ne nous tombe dessus... Ou ne tombe devant nous, peu m'importe.

« Ca va te paraître difficile à croire, mais c'est simplement un second accident. »

Tirée par la main, le souffle court, je la suis dans sa course en direction de la sortie. N'étant ni endurante ni sportive, il va sans dire que je ne tarderais pas à la ralentir. Fort heureusement, une nouvelle porte se présente à nous, que je me presse d'ouvrir, m'exclamant, positive. « Enfin sauves ! » Tout du moins le crois-je pendant quelques secondes, avant de sortir d'un bond ... et de me retrouver nez à nez avec deux soldats trinitaires qui tentaient de faire le tour de l'établissement, les yeux écarquillés.

C'est à mon tour de tirer Papillon par le bras, en courant à toutes jambes à travers les ruelles.

« ARRÊTEZ-VOUS ! », hurle l'un des fantassins, sabre à la main.

Doux jésus ! Miss-K n'est guère uniquement une catastrophe sur pattes ; il semble qu'elle les attire également comme un véritable aimant. Nous tombons quasiment dans les bras de deux soldats trinitaires, certainement aussi surpris que nous par cette rencontre inespérée. Je crains l'espace d'un instant qu'ils ne me reconnaissent. Cependant, aussitôt, Miss-K me tire par le bras et nous courrons ensemble. Lui faisant confiance un instant, je me tourne en direction de nos poursuivants, afin de m'assurer qu'eux n'ont pas de quoi nous tirer dessus. Visiblement pas, ce qui me rassure. Néanmoins, ma comparse ne semble point capable de courir plusieurs minutes à ce rythme soutenu, aussi, je conserve une main sur la poignée de la lame qui m'accompagne. Il serait préférable de ne point faire couler le sang ; en revanche, s'ils ne me laissent en rien le choix...

J'observe les ruelles, et brusquement, j'aperçois une porte entrouverte. J'ignore où cela nous mènera. Cela sera cependant toujours préférable que de se retrouver épris par la police trinitaire. En réalité, s'ils parviennent à nous arrêter, je serai certainement reconnue et condamnée à mort, et quant à ma compagne d'infortune... Et bien, puisque nous avons été vues ensemble, il n'est guère impossible qu'elle connaisse le même sort pour complicité. Aussi, je n'hésite guère, et lorsque nous arrivons à hauteur de la porte, je pousse Miss-K à l'intérieur, et je ferme la porte derrière nous. Je compte sur nos zig-zags incessants pour que les hommes ne nous aient guère vues entrer.

Poussée à l'intérieur, je manque de tomber au sol, ne me rattrapant que grâce à la poignée d'une chaise. Le souffle court, je me redresse, contente d'avoir trouvé un couvert ... ou plusieurs, en fait, pour continuer sur la métaphore : attablés, un homme, sa femme et une fillette de quelques années nous regardent avec des yeux de poisson.

Sous les effets de la boisson, les plans qui hantent habituellement mon cerveau ne sont plus aussi vifs ou précis qu'à leur accoutumée. Au lieu de trouver l'idée du siècle, je saute sur la première venue : armée d'un sourire commercial, je prends place en silence, avant d'attraper un bol de soupe et d'y goûter. C'était affreux.

« C'est ... Délicieux. »

« Mademoiselle, c'est ... C'est le rince-doigts. Et que ... Que nous voulez-vous ? »

Seigneur, dites-moi qu'il s'agit-là d'un mauvais rêve. Il me semble avoir suffisamment bu pour trouver la situation et cette jeune femme hilarante, mais guère suffisamment pour me laisser emporter par l'hilarité, devant cette situation qui pourrait aisément me coûter ma si belle tête. Je m'approche de Miss-K, la si bien-nommée, et je pose une main sur son épaule, offrant un sourire séducteur à nos hôtes malchanceux.

- Pardonnez notre intrusion, Monsieur, Mesdames. Il se trouve que ma jeune amie et moi-même étions poursuivies par quelques hommes qui souhaitaient nous occire de la pire des manières. Dans notre tentative de leur échapper, nous sommes, fort heureusement, tombées sur votre porte qui, sous la grâce divine, n'était guère close.

Je prends la main de Miss-K, afin qu'elle se relève.

- Nos poursuivants doivent certainement nous chercher ailleurs, désormais ; aussi, je me contenterai de vous remercier pour votre hospitalité, ainsi que pour votre charité. Vous venez de sauver deux âmes qui ne l'oublieront point.

Avec tout cela, les gardes doivent être passés depuis déjà quelques instants devant cette porte désormais bel et bien close. Aussi, j'attire Miss-K à ma suite, mes doigts solidement mêlés aux siens. Ensemble, nous rejoignons la porte, et je prends tout de même le temps d'écouter les bruits au dehors ; il serait fâcheux que nous nous fassions coincer de la sorte. Assurée que la ruelle est vidée de toute âme qui vive, je salue une ultime fois la famille, et nous sortons.

L'homme et ses proches restent figés, ne sachant que dire ou faire. Ils se contentent d'écouter Papillon, hochant religieusement la tête lorsque cela leur semble opportun. La femme soupire, rassurée, lorsqu'on lui annonce que nous partons.

Tirée au dehors, j'observe avec elle les alentours et referme derrière moi la porte, délicatement, avant qu'une main hésitante ne la bloque. En sort la tête du père, un peu inquiet.

« S-si vous êtes en danger, nous pouvons appeler la garde et vous prêter une cachette. »

« Pas besoin, c'est eux qui nous recherchent », lui réponds-je avec un sourire sincère. Que ces gens sont bons, et ... Oh mince. « Enfin, je veux dire, je ... » Et l'homme, lentement, les yeux écarquillés, rentre sa tête et ferme la porte à clé.

Je. Je. Je. Seigneur. Je regarde Miss-K, bouche bée, pendant quelques secondes durant. Délicatement, deux de mes doigts viennent pincer l'arrête de mon nez, en un geste profondément désespéré.

- Bien, nous voilà désormais ennemies public numéro 1. Je te préviens, Miss-Catastrophe : la prochaine fois que tu ouvres la bouche pour dire des sottises, je ne t'en laisserai nullement le temps.

Ce n'est guère une menace ; je ne ferai rien, contre cette pauvre fille certainement trop enivrée pour se rendre compte de la portée de ses actes, qui, sommes toutes, sont terriblement amusants de par leur maladresse. D'ailleurs, tandis que mon regard demeurait sévère jusqu'à lors, je sens l'hilarité s'emparer de moi, et, incapable de lui résister, me voilà riant aux éclats. Cela faisait bien longtemps que je ne m'étais point amusée ainsi ; aussi, je reprends sa main, et je l'entraîne encore à ma suite. Il nous faut partir d'ici au plus vite, disparaître, nous isoler avant que Miss-K ne trouve le moyen de réellement nous faire tuer. Il est, par ailleurs, hors de question que je l'abandonne dans cet état profondément lamentable. J'ai bon espoir qu'elle soit quelqu'un d'avisé, lorsque son sang n'est point entièrement composé d'alcool.

Je l'écoute, penaude, avant qu'elle n'éclate de rire. Je tentais de me retenir, sans grand succès : j'étais à mon tour partie dans une hilarité complète, avant que sa main n'attrape à nouveau la mienne, m'emportant dans une nouvelle course effrénée.

« ... Désolée, je ... Je crois que je ne gère pas très bien la boisson. » Et en parlant de boisson ... « C'est pas une cave, ça ? » Je pointe du doigt vers une porte orientée à 45 degrés contre un mur, un cadenas peu solide en bloquant le loquet. « Avec un peu de chance on y trouvera de quoi boire et manger. » Mais surtout boire.

Alors qu'on court, Miss-K pointe de son doigt catastrophique une cave, scellée par un simple cadenas sans allure. Je m'arrête, et avec une once d'hésitation, m'approche de l'endroit. Il est certain qu'au vu de notre situation, il serait fâcheux de poursuivre nos allers et venus au sein de cette charmante ville où la mort nous guette. Il serait certainement préférable de demeurer cacher dans un tel endroit, et, je l'avoue, ces aventures m'ont donnée fort soif. Puisqu'il n'est pas davantage envisageable d'assouvir cette soif au sein d'une taverne. Quoi, s'agit-il d'un vol ? Seigneur, je suis une pirate, n'est-il point ? Je dégaine mon épée avec grâce et aussitôt, je donne un coup de pommeau puissant dans le cadenas. Un second. Il choit sans demander son reste. Je ramasse l'objet brisé, et ouvre la porte de la cave. Les murs sont couverts de bouteilles que je reconnaitrais entre mille. Une cave à vins. Parfait. Je fais signe à Miss-K de pénétrer à l'intérieur, et referme la porte derrière nous, bloquant le loquet de l'intérieur afin qu'on ne puisse pénétrer par surprise. Enfin, je soupire de soulagement, et prends le temps d'admirer la pièce avec davantage d'attention.

« Bingo. »

C'est-là exactement le genre de butin recherché. Certes, nous allons dans les faits procéder à un vol, mais mon esprit embrumé par l'alcool préfère ignorer le fait pour se concentrer sur ce qui nous tend les bras : une soirée de beuverie en très charmante compagnie.

Et en parlant de charme, ce n'est que maintenant que je me rends compte à quel point j'ai été aveugle : ce n'est pas seulement une beauté, mais une muse, une sirène ou les deux.

Boisson. Je secoue la tête, pour retrouver mon objectif d'origine : ce n'est pas la journée des romances, mais celui des interdits. Erika a bravé les siens, et il est grand temps que je suive son exemple en avalant deux ou trois caves à vin, dans l'espoir d'oublier un seul instant que l'on m'a enlevé ma petite sœur. Sans plus attendre, je récupère la première bouteille qui passe. Bon sang, c'est du champagne !

Je soulève la bouteille, grand sourire au visage, pour montrer le Graal à ma compagne, et m'apprête à l'ouvrir sans aucune précaution, bouchon pointé vers elle.

Plus je découvre la cave, et plus le sourire s'agrandit sur mon visage. Des bouteilles de toutes les tailles, de tous les âges, avec quelques merveilles qu'il va nous falloir absolument goûter. Mon premier choix se porte sur une bouteille de rouge ; une excellente cuvée vendue à prix d'or. Maman c'en était procurée une bouteille lorsque l'on a fêter mes vingt années. J'en garde un souvenir tout à fait exquis. Je me tourne vers Miss-K, afin de lui présenter ma trouvaille, juste au moment où elle s'apprête à ouvrir une bouteille...

Le bouchon pointé en ma direction. Je n'ai que le temps d'écarquiller les yeux et de mettre mes mains devant moi en esquissant un "non" angoissé, qu'elle ouvre la bouteille, libérant le bouchon qui... Vient terminer sa course sur mon front. Je demeure un instant debout, assommée, avant de m'écrouler sur les marches de la cave, la tête en arrière, les mains et l’entièreté de mon corps abandonné aux lois de la gravité. Je suis tellement hébétée que je ne sais pas même ce qu'il vient de se produire. Je remarque simplement les trente-six chandelles qui dansent autour de moi. Non, attendez...

- Eh, Miss-K... Je viens d'avoir une révélation.

Je ne bouge plus, échouée, assommée, cependant consciente.

- On nous ment depuis toujours. Tu sais, ces fameuses trente-six chandelles ? Et bien il n'y en a que trente-trois. Les menteurs... Les sales menteurs...

« Oh merde ! Oh merde ! » L'exclamation en perd son verbe habituel, tant je suis à la fois surprise, désolée et hilare. Je m'accroupis vers elle, tâchant d'écarter les bouts de verre de son côté droit pour minimiser les dégâts ; d'où viennent-ils, d'ailleurs ? La bouteille qu'elle portait, sans doute. Bah, il y en a plein d'autres !

Je l'écoute en achevant mon œuvre, toute ouïe et bien plus intéressée que je ne l'aurais été en temps normal. « Euh ... D'accord », fais-je simplement, avant de simplement m'allonger à côté d'elle, sur le dos, yeux au plafond ... en plein sur la flaque d'alcool. Non que ça me dérange, puisque je ne m'en absolument pas compte.

« Je crois comprendre ce que tu veux dire. Des sales menteurs, il y en a partout. » Même parmi les frères et sœurs.

Miss-K s'allonge à côté de moi. Je ne sens qu'à peine son bras effleurer le mien. Nous fixons le plafond comme nous aurions fixé le plus beau des ciels étoilés. Nous sommes mal éclairées, mais cela n'a que peu d'importance. Avec ces petites tâches qui tournent d'elles-même, cela fait presque le même effet. Après tout, techniquement, nous sommes fugitives. Seigneur, quelle histoire. Je tourne la tête vers Miss-K.

- L'on t'a menti, à toi aussi ?

Puis j'inspire profondément. Il me semble sentir le cœur de Renaissance battre sous mes doigts, à l'unisson avec mon propre cœur. Je bouge légèrement ma main, à la recherche de celle de mon acolyte. Je l'attrape, et ne compte plus la lâcher, comme si je craignais de m'enfoncer dans le sol, sinon.

Elle me pose la question à laquelle je n'ai pas de réponse. Erika m'a-t-elle menti ? Par omission, peut-être ? M'abandonne-t-elle pour ce Jaziel dont je ne sais rien ? Je n'ose la regarder, de peur de laisser s'afficher les quelques bribes d'émotions, jusqu'alors si bien contenues, qui bouillent en moi. Bon sang, pourquoi suis-je tellement à fleur de peau, quand je bois ?

Elle m'attrape finalement la main, et je sens que je vais craquer. Que je craque. Que je ... Non. Mia de Moya ne craque pas. Mia de Moya ne pleure pas. Je serre sa paume dans la mienne, laissant l'enfer des sentiments, celui-là même que je tente de noyer dans la boisson, s'ouvrir à moi sous une forme que je pouvais accepter. Erika n'est plus une enfant. Elle n'a plus besoin de moi. Je ... Je veux que quelqu'un ait besoin de moi. Quelqu'un. N'importe qui.

Je pivote sur le côté, subitement, et enlace ma partenaire, forçant un baiser, avant de reculer légèrement la tête, indécise et incrédule de ma propre réaction. Que ... Qu'est-ce que je fais ? Comment va-t-elle réagir ?

Je... Seigneur, je... Je sens mon coeur accélérer dans ma poitrine... Je me sens soudainement étrange. Elle... Elle me regarde, m'enlace, je sens ses mains sur mon corps, et brusquement, ses lèvres sur les miennes. Je demeure les yeux ouverts, d'abord trop choquée pour réagir autrement. Jusqu'à présent, je n'ai eu d'aventures qu'avec des hommes. Jamais je n'avais songé pouvoir m'intéresser aux femmes... Bien entendu, je les trouve... Belles... Attirantes... Et le regard de Miss-K m'hypnotise. Je... Tandis qu'elle recule sa tête, je la regarde, surprise, incrédule, désorientée.

- Je... Tu...

Oh, et puis à bas la bienséance et les questionnements perpétuels. Je crois... Il me semble que j'ai aimé qu'elle m'embrasse. Aussi, sans réfléchir davantage, j'approche mon visage du sien, et je plaque mes lèvres contre les siennes. Toujours hésitante, je pose ma main sur sa hanche. Je ne suis guère certaine de ce que je fais et de ce qu'il se passe, mais au diable la bien-pensance, au diable la bienséance, au diable...