Au bal des débutants

Evidemment. Elle ne pouvait pas se contenter de frapper un coup dans la coalition, il fallait aussi qu'elle secoue son monde. Il retint un soupir. "Je ferais le nécessaire. Je suis capable de l'éliminer si elle devient trop gênante même si je ne te cache pas que je préférerais l'éviter." Il n'explique pas pourquoi. Il n'a rien à justifier. A personne. "D'autres impériaux gênants puisque j'y suis ?"

Conrad hausse un sourcil.

- une cible de cette ampleur c'est déjà bien suffisant, et non, les impériaux n'ont pas assez de génie dans leur rang. Pas en Dorado en tout cas. explique simplement Conrad. Des choses que je dois savoir sur tes raisons pour ne pas l'éliminer ?

Il n'aime pas les conflits d'intérêts. C'est quelques choses qu'il préfère connaitre.

"Elle joue bien aux échecs." Il laisse le doute planer puis reprend, sur le même ton mais plus sérieusement. Comme s'il ne discutait pas de la vie ou de la mort de sa belle-soeur. "Le Capitaine de Moya a fait des recherches sur moi récemment dans le cadre d'une enquête sur la mort de sa soeur cadette. Nous nous connaissions d'avant. J'ai réussi à la persuader de ne pas poursuivre cette voie. J'aimerais la retourner, elle serait un allié de poids au sein d'un vaisseau. Evidemment, ce n'est pas la personne la plus facile à manipuler mais avec les bons leviers... cela peut s'envisager. Peut-être. En attendant, je me sers de ses enquêtes pour récupérer des renseignements par la bande. Comme je le disais, je peux l'éliminer moi-même mais tant qu'à faire, je préférerais ne pas avoir à perdre ce que j'ai mis en place ces dernières années. Elle ennuie des gens que j'ai de très bonnes raisons de vouloir occupés, enquête sur des faits qui m'intéressent et a une intelligence suffisante pour peut-être arriver à des résultats qui me seraient profitables."

Ainsi donc le capitaine De Nieves est en lien avec elle... merde. Ça complique tout. Conrad soupire parce qu'en ce moment rien en va dans la direction qu'il désire. C'est pesant.

- je comprends... ça ne fait pas mes affaires, mais je ne vais pas empiéter sur ton domaine d'action pour le moment. Je te laisse gérer alors. Si je devais me décider à mener une action je te tiendrais au courant avant. explique Conrad. Sauf si c'est contraint en temps.

Les choses se compliquent toujours quand il faut faire avec les problèmes de ses alliés en plus des siens. Mais c'est aussi une force que d'avoir des alliés. Alors il faut faire avec les inconvénients.

"Bien." C'est tout ce qu'il a à dire sur le sujet. La réaction de Conrad lui convient. Il n'en demandait pas plus et est satisfait qu'ils aient pu arriver à un accord. Il tiendra bien entendu sa part du marché. Cela ne lui est pas difficile. Lâcher quelques informations au bon endroit, au bon moment. La Vendetta détruira des vies supplémentaires. S'il faut cela à ses alliés du moment, il peut nourrir le monstre quelques temps encore. Un jour...plus tard. Il remplit à nouveau les verres, lève le sien à nouveau. "A l'avenir." Ce doit être la première fois qu'il boit à une telle chose avec quelqu'un d'autre qu'un de ses officiers.

Conrad sourit et lève son verre. C'est une chose qu'il sait faire et qu'il apprécie.

- à l'avenir. dit-il avec un grand sourire.

Dès qu'il aura déchiffré cette satanée carte il pourra réellement commencer à ce projeter dans l'avenir. Mais ça va prendre plus de temps que ce qu'il avait tout d'abord planifié. Ca l'irrite un peu. Mais d'un autre côté c'est difficile de faire autrement que de rester constant dans l'effort. Parce qu'il lui faut ce qu'il y a au bout du trésor. C'est l'étape qui lui permettra d'aller au delà. Et il est pressé désormais.

Ils boivent et, chose étrange aussi, Jaziel vide son verre. Si Conrad semble pensif - du moins silencieux - le Capitaine de l'Iceberg l'est tout autant. Sans réfléchir, il attrape un papier carré dans son sac, blanc avec des motifs bleus et commence un pliage.

Conrad regarde Jaziel avec circonspection. Il a une question qui lui brûle les lèvres, mais pour le moment il cherche à savoir si ça serait une bonne idée. Somme toute il y a pire actuellement, sûr qu'il ne rentre pas dans la norme, et difficile de savoir ce qu'il désire vraiment. Finalement il ravale sa question. Parce que la réponse pourrait ne pas lui plaire tout compte fait. Il préfère miser sur un autre cheval. Un de ceux qu'on sait pertinemment où il vont. Trop faible la flamme du capitaine De Nieves... beaucoup trop faible.

Il regarde donc le pliage prendre forme avec intérêt.

"Hum ?" fait distraitement le Capitaine en continuant à plier ce qui commence à s'esquisser comme une baleine ou du moins un très gros poisson.

Rien ... rien... je me contente d'admirer. dit Conrad.

Après tout chacun ses hobbies. Lui c'est le piano, il adore ça, mais en ce moment il n'a pas vraiment la motivation. Sa partenaire principale et lui ne sont plus sur la même longueur d'onde et ça le dérange un peu.... beaucoup en fait. Un voile sombre passe sur ces yeux mais il le chasse rapidement. Il est entraîné à ça, sauf que d'habitude c'est le souvenir d'Emilie qu'il doit chasser.

Rien donc. Il reprend son pliage, appuie délicatement du bord de l'ongle sur un plis pour rendre correctement le jet d'eau qui sort du dos du cétacé. Les nageoires latérales sont mobiles, la bouche est ouverte, sans fanions, la queue relevée bouffe un peu si l'on souffle sur les côtés. Il pousse la sculpture de papier vers son vis à vis, indifférent au fait qu'il ne brille pas du tout comme d'habitude. Il reste silencieux, attrape un nouveau papier, violet cette fois et recommence à plier.

Conrad récupère la baleine. C'est un animal qu'il a toujours aimé même s'il ne les a vu qu'en film. C'est majestueux, puissant et ça règne sur les mers sans être pour autant agressif. Lui est agressif il le sait. Mais ça ne l'empêche pas d'aimer les baleines.

Il se ressert et observe l'autre qui fait ses pliages et reconnait que le capitaine n'est pas mauvais à ce jeu là. Ensuite il boit son verre curieux de voir ce qui va sortir des mains de son homologues.

L'animal est plus fin cette fois et les plis plus fragiles. Il se construit en longueur, et pourtant, la tête caractéristique du Payo'tawng apparait petit à petit. Animal typique de Renaissance aux particularités diverses, il vient en quelques minutes rejoindre la baleine du côté de Conrad. Jaziel, lui, reste silencieux, impassible.

Conrad regarde les pliages et sourit.

- il y a un message ? Je te fais penser à une grosse baleine et je suis aussi inclassable qu'un Payo'tawng ? demande Conrad amusé par les animaux devant lui.

Il lève les yeux, vaguement surpris puis laisse s'afficher un léger sourire. "Aucun. Si je devais vous attribuer un animal, ce serait..." Il laisse sa voix calme trainer pendant qu'il réfléchit."Swirya."

Conrad se remémore l'animal en question et éclate de rire. C'est un parallèle pas entièrement dénué de sens il doit bien l'admettre. Et ça l'amuse et le détend pour le coup.

- c'est bien trouvé. finit-il par dire une fois son fou rire calmé.

Il prend un verre et le lève pour trinquer.

- A Providence ! s'exclame-t-il alors.

Sa Patrie et l'endroit qu'il lui faudra prendre pour assurer sa retraite. Mais seulement quand le vieux aura passé l'arme à gauche, en espérant que ça arrive un jour....

Il rit. C'est bien. Il aurait peut-être pu mal le prendre, il est vrai que le Swirya n'est pas l'animal le plus populaire de Renaissance et pourtant, d'un point de vue parfaitement rationnel, c'est une espèce à la fois protectrice et sociale, loyale, intelligente. Bref, elle n'est pas belle mais au moins, elle est civilisée.

"A Providence" répète-t-il peut-être moins fort, mais avec autant de conviction