Bien ama, quien nunca olvida

Fort heureusement pour moi, je m'étais préparée à cette question. Elle était directe, certes, mais assez prévisible, venant de quelqu'un qui l'était tout autant. Il était grand temps de répondre tout en fermant l'interrogation avant qu'elle n'empire.

« J'ai rencontré Jezabel Alvarez, que je n'ai malheureusement pas pu mettre derrière les barreaux. » Et c'était vrai, bien que je ne précisais tout simplement pas que je l'avais laissé partir de mon propre chef. « Ainsi que sa soeur, Hannabeth, quand elle était encore corsaire, dont la date de revirement du côté pirate ... est à peu de choses près celle de l'attaque du convoi. »

Intéressant...et surprenant ce que je ne pris pas la peine de cacher. Elle jouait cartes sur table avec moi, j'allais en faire de même. "Les implications que vous laissez passer sont inquiétantes en effet et pourtant, je suis étonné, tous les rapports que j'ai pu lire concernant les soeurs Alvarez faisaient état d'une inimité frôlant la tragédie classique. Vous insinuez qu'elles auraient pu être en contact et même collaborer ensemble ou bien ai-je trop rapidement sauté aux conclusions ?" J'étais redevenu extrêmement sérieux. C'est une chose de parler géopolitique devant un café et une corbeille de fruits. C'en est une autre de se dire que deux pirates notoires qui se tiraient dans les pattes s'étaient acquoquinées. Mais aussi sérieux que j'étais, je n'oubliais pas pour autant ma mousse au chocolat.

Je haussais les épaules. C'était étonnant, oui, raison même pour laquelle je ne partageais l'information qu'avec des gens de confiance. Et, fort étrangement, je plaçais déjà instinctivement Felipe dans cette catégorie.

« Ce ne sont que des suppositions à ce stade, mais tout me semble à la fois trop impossible et pourtant trop évident. Réfléchissez-y : après d'innombrables années de conflits, combien de fois avez-vous entendu dire ou lu que le Némésis et l'Albatros se sont affrontés ? Elles avaient toutes les bonnes raisons du monde de le faire : une haine mutuelle, un statut d'ennemies - corsaire et pirate - et sans doute d'autres raisons dont nous n'avons pas connaissance. Et pourtant ... Rien. L'Albatros étant corsaire, des rapports seraient tombés, dans le cas contraire. Et tout à coup, les deux Alvarez se retrouvent dans le même camp, celui des pirates, quelques jours ou semaines après l'attaque du convoi de Durilium ? Je pense, et je précise à nouveau que je n'ai aucune preuve de cela, que les Alvarez jouent un rôle, et ce depuis fort longtemps. »

Il semblait que non et mon interlocutrice n'avait absolument pas l'air de plaisanter. Je repassais ces nouvelles données dans ma tête. La Milice n'avait pas pour seule vocation de courir après les pirates. C'était le lot des corsaires mais si ce qu'elle disait était vrai, alors une discussion avec ceux-ci pouvait être bénéfique à la grandeur de l'empire et, même si je plaisantais souvent en prononçant ces mots, celle-ci était le ciment de mon engagement dans la Force. Je fronçais les sourcils, me forçant à envisager toutes les implications. "Il y a eu des escarmouches entre les deux bâtiments, j'ai lu des rapports en ce sens mais rien qui ne soit significatif en effet. Il y a tellement de pirates autour de nous et l'Albatros, en dix ans, a tout de même aidé à capturer un bon nombre de ruffiant aussi je ne me suis pas attardé sur le sujet. Il serait intéressant de surveiller en effet l'accueil que les pirates vont accorder à l'Albatros. Ils ont toutes les raisons de le haïr, non ? Le Nemesis mis à part."

« Pardonnez-moi Capitaine, mais je considère pas les escarmouches sans impact majeur comme autre chose que ce qu'elles sont : des petites rixes conséquences. Cependant, je suis d'accord avec vous. Si l'Albatros est rejeté par le reste des pirates, nous en entendrons sûrement parler. A l'inverse, une absence de communication là-dessus pourrait valider que leur accueil s'est bien déroulé, malgré le passif du vaisseau. Si tel est le cas, cela voudrait également dire qu'ils ont plus d'alliés que le Némésis. Ou peut-être même que mes suppositions d'origine sont fausses, et que l'allié principal de l'Albatros n'est pas le Némésis, mais un autre. »

Je soupirais doucement, terminant machinalement le dessert dont, malheureusement, je n'avais pu que très peu profiter : j'avais toujours eu tendance à me perdre dans mes discours, et manger sans savourer en était une conséquence.

« Bref », fis-je finalement, comme pour clore le chapitre. « Désolée, je m'emporte un peu, Capitaine. Pour revenir sur le sujet principal de notre rencontre, sachez que le Cerberus sera honoré de vous accueillir à bord, vous et votre fils. »

Vous êtes toute pardonnée, Capitaine, disent sans doute mes yeux à ce moment là, tandis que j'esquisse un sourire. Je ne suis pas de ceux qui se fâchent à la simple idée qu'on puisse être d'une opinion différente et je pense qu'elle s'en souvient. Malgré un amusement sous-jacent et non dissimulé, je l'écoute avec la plus grande attention et m'aperçois avec plaisir que nous nous rejoignons sur ce qui est important, la marche à suivre et pourquoi.

"Excuses balayées, votre emportement est intéressant. Bien que notre mission principale ne soit pas la chasse aux pirates, il pourrait être utile de garder un contact avec quelques corsaires bien sélectionnés de l'empire pour se renseigner sur une quelconque collusion. Les pirates saignent notre faction au moins autant que les autres et y mettre fin nous permettrait de prendre un avantage significatif. Si vous le désirez, il me serait peut-être possible de le faire de façon officieuse avant ma prise de poste ? J'aurais également aimé pouvoir visiter les canons de façon anonyme et jeter un oeil sur ma future équipe afin d'observer sans biais leurs axes d'amélioration..."

Mon discours en lui-même accuse réception de l'acceptation de ma candidature. Je n'en doutais pas vraiment. Avec mon grade et mon expérience, je suis un plus pour n'importe quel équipage de ce système. Je le sais, je n'en tire aucune gloire, c'est ainsi, c'est tout. Dani était mon inconnu. C'est réglé, tant mieux, passons à la suite.

Notre mission principale n'était effectivement pas la chasse aux pirates, mais je commençais à croire que, de gré ou de force, cela le deviendrait tôt ou tard. Inutile cependant de nous étaler plus que nécessaire sur le sujet.

« Je suis bien trop fourbe pour vous le refuser, Capitaine. C'est votre équipe, vous avez carte blanche. Je mettrais au courant les gardes en poste, ils sont en général accueillants comme des portes de prison, mais ils sont tout aussi muets. »

Me levant, j'offrais une dernière et franche poignée de main à de Golazzo. Je ne saurais dire si mes sentiments passés influençaient mon jugement, mais je ne pouvais m'empêcher d'être rassurée à l'idée de remplacer notre ancien maître artilleur par un autre de son calibre.

"C'est entendu. Je vous tiendrais au courant de l'avancée de mes investigations. C'est un plaisir et un honneur de vous rejoindre, Capitaine de Moya." Je me suis également levé tout en parlant, Cariño bougeant dans ma poche en protestation contre ce traitement absolument intolérable. Malgré mon sourire toutefois, on peut sentir que je suis à la fois sérieux et sincère. Je sers la main tendue, professionnel et sûr de moi et m'éloigne tranquillement pour aller payer avant qu'elle n'ait l'idée.