Hush my little boy [Logan & Hush]

Aäsh'an Kame venait à peine de s'enfuir des griffes de sa maîtresse. Il était encore craintif, et essayait au mieux d'éviter d'attirer l'attention. Un mot de travers, un regard, et il pouvait se retrouver à la case départ. Il n'osait pas imaginer comment sa maîtresse l'accueillerait. Quant à son fils, l'avenir qui lui serait réservé était si terrible qu'il ne voulait même pas y penser. Nouvellement papa, cela faisait seulement trois jours qu'il devait s'occuper de son petit. Il n'avait pas pu réellement l'approcher avant leur fuite, et élever un enfant n'avait rien de simple. Hush avait clairement des progrès à faire. De plus, son incapacité à parler à l'enfant était un handicap de taille, qu'il comblait du mieux qu'il pouvait. Jusque là, il ne s'en était pas trop mal sorti.

Seulement, voilà. Cela faisait à peu près une heure que le petit garçon pleurait, et il n'y avait rien à faire ; Hush avait pourtant tout essayé. Il l'avait bercé, il l'avait promené, il avait essayé de le nourrir, de lui donner un truc à mâchouiller, de le câliner, de lui faire faire son rot, de changer sa couche, de le distraire avec des jouets qu'il avait d'ores et déjà fabriqué pour lui, de le mettre à l'ombre, au soleil, de lui donner à boire, de l'allonger, de le garder encore dans ses bras. Rien n'avait fonctionné. Et après les premières minutes, l'on avait commencé à le regarder de travers. Ils attiraient l'attention, et cela laissait Hush totalement perdu et de moins en moins serein. Après tout, rien ne l'avait jamais préparé à ça.

- Arrêtes un peu de bouger, Eëa, bon sang.

- Oui, mais papa, j'arrive pas à voir!

J'essaye en vain de garder ma cadette en équilibre sur mes épaules. Elle a insisté pour y grimper et s'y assoir, pour avoir une meilleure vue sur la rue. Cette gamine est déjà terrible à dix ans, j'ai peur de la voir à l'âge de sa grande soeur... Comment allons-nous réussir à la tenir en place... Mission impossible.
Quand à ma précieuse Ali'Sha, elle me tient fermement la main. Elle pourrait marcher seule, elle a quinze ans. Seulement, elle est aveugle. Elle se perdrait bien trop vite entre les passants. Je la couve plus que les deux autres... C'est peut-être une erreur, mais je ne peux m'en empêcher. Elle est si fragile... J'ai toujours peur de la casser en deux.

Un bruit de pleurs parvient à mes oreilles. Je tourne ma tête, Eeä grogne parce que je la détourne de sa curiosité. Là, j'aperçois un homme au regard désemparé, stressé. Un petit au creux de ses bras. Il n'est pas serein, mes sourcils se froncent.

- P'pa, t'fronces encore tes sourcils.

Eeä essaye de me les défroncer, j'la laisse faire et m'approche de l'homme perdu et du pauvre enfant en pleurs. Je me penche vers lui, lui offre un sourire. Et ma cadette insolente prend la parole en première, toujours perchée sur mes épaules. Ali'Sha s'accrochant plus encore à ma si grande main.

- T'as b'soin d'aide?

Et elle lui fait son sourire.

Alors qu'il est de moins en moins rassuré, un homme encore plus grand que lui, et qui doit être au moins trois fois plus large, s'approche avec deux fillettes qui ne doivent pas être bien vieille. L'une sur ses épaules, la seconde lui tenant la main. Hush remarque immédiatement les iris blancs de cette dernière. Les deux fillettes rassure beaucoup le jeune homme, qui songe qu'il n'a pas grand chose à craindre d'un gars qui, aussi impressionnant soit-il, est papa aussi.

La petite fille sur les épaules du grand bonhomme lui demande s'il a besoin d'aide. Hush pince les lèvres en un sourire reconnaissant, et il hoche la tête. Il ne peut rien dire, de toutes les façons, et Tobias ne se calme pas davantage. Le petit bonhomme hurle toujours malgré les gestes désespérément doux et rassurants de son papa, qui tente toujours de le calmer.

Bien que ma taille soit impressionnante, rien n'y fait lorsque l'on me voit en papa poule, accompagné de mes puces. Regardez leur bouille, n'est-ce pas normal? On n'peut pas craindre un père avec de telles gamines. Enfin... sauf si t'as décidé de m'les embrouiller, ces petites. Là, j'te dégomme et tu fais l'tour de Dorado en moins d'temps qu'il n'en faut pour dire Calypso.
Quoiqu'il en soit, le garçon - j'appelle tout le monde garçon ou gamin, pas de quoi se vexer si jamais j'vous l'fais - semble se rassurer lorsqu'il voit mes deux gosses.
Je réajuste Eeä sur mes épaules, pas qu'elle soit lourde, juste qu'elle bouge beaucoup trop. Un jour, elle va tomber. Quoiqu'elle est déjà presque tombée... heureusement que j'ai quelques réflexes.
Je m'assied alors sur un muret non loin de l'homme. Je tire doucement ma précieuse Ali'Sha vers moi, dépose sa main sur mon genou, qu'elle ne perde pas ses repères. Le regard toujours fixé sur le jeune père. Un signe de menton vers le petit.

- Je peux ?

- T'peux y aller, p'pa il est super fort! Enfin, c'est c'que m'man me raconte. Parce que j'ai pas d'p'tite soeur, c'moi la p'tite, donc j'sais pas trop en vrai...

Mon regard en coin suffit à la calmer, elle rougit et se tait. Je reporte mon attention sur le jeune papa désemparé.

Hush hésite un court instant. Il n'est pas tranquille avec l'idée de confier son fils à d'autres. Après tout, ça ne fait que trois jours qu'il ne le quitte pas, et qu'il reste tout le temps collé à lui. Trois jours qu'il est réellement devenu papa, et que le petit Tobias se retrouve sans autre famille que lui - même si on ne peut pas dire qu'il ait jamais eu de maman, ce bébé. Mais Hush finit par capituler. Si cet homme parvient à calmer son fils, alors il ne pourra qu'être soulagé, et il a l'air de savoir y faire avec les enfants.

Le mo'at s'approche alors de lui, et avec une extrême douceur et en faisant bien attention, il dépose son fils dans les bras de l'homme blond aux deux filles brunes. Il ne s'éloigne pas pour autant, restant près de lui, comme s'il avait peur que son fils lui soit à nouveau arracher, ou pire : qu'on le brise d'une quelconque façon. Il fallait dire que ce petit bout d'à peine six mois était ridiculement petit et chétif, et qu'il ne faudrait que peu de force pour le casser en deux comme une brindille.

On n'oublie pas comment tenir un enfant. C'est un réflexe que l'on acquiert, une habitude. Et Calypso le sait, que je l'ai prise cette habitude. Alors, lorsque le jeune homme dépose son précieux fils entre mes bras, je fais preuve d'une extrême attention. Il reste là, je le comprend. Je suis père aussi, je sais ce qu'il doit penser, ressentir. Je ne serais pas serein non plus de confier mon fils ainsi à un inconnu. C'est pourquoi, je prend soin d'être souriant, doux. Un truc que j'ai appris à coups de poings avec ma femme. C'est elle qui donnait les coups de poings... Ma mère, aussi, un peu. Ah ça, être entouré de femmes, ça vous forge un de ces caractère!

De ma taille phénoménale, je regarde ce petit qui pleure toutes les larmes de son corps. Hurlant son mécontentement, sa faim ou tout autre petit problème d'un bébé si petit. Et pourtant, entre mes bras, je ne le casse pas. J'ai eu peur, au début, avec Kanhä. Et puis finalement, je ne suis pas maladroit. Au contraire, même. Et ce petit là, je ne le casse pas. Doucement, je commence à le bercer, le rassurant de quelques mots.
Ali'Sha tend sa main, touche le petit pied du bébé. Elle l'entend pleurer. Et sans même que je ne dise quoique ce soit, j'entend la douce voix de ma seconde fille s'élever, si discrète.

Et elle chante une berceuse.

Hush garde les mains lever en direction de son fils pendant quelques secondes, et puis lentement, il les abaisse. Le petit garçon continue de pleurer, mais eux, ils peuvent faire ce que lui ne pourra jamais faire : lui parler. Il se sentirait presque triste, s'il n'était pas profondément heureux qu'un homme et ses deux filles aient eu la bonté de s'arrêter pour les aider, et pour prendre le temps de parler à ce petit bonhomme qui n'avait connu que la détresse et le manque affectif jusqu'à trois jours auparavant.

Et puis, son regard étonné se fixe sur la jeune fille qui commence à chanter une berceuse. Une douce berceuse, en mojat, qui, dès les premières notes, commence à produire son effet. Tobias ne se calme pas encore, mais ses cris diminuent légèrement en intensité. Il écoute, sa curiosité piquée au vif, son petit coeur de mo'at certainement atteint par l'appel de ses origines, bien que ce soit entièrement inconscient. Le père est ému par la beauté du chant et la gentillesse de cette famille, qui est venue tout naturellement à sa rescousse.

Eeä se penche, encore, encore, pour regarder le petit garçon. Elle est hypnotisée, je le sens. Et elle ne parle plus. Exceptionnel! Elle tient d'son père pour ça...
Ali'Sha chante, de sa voix si claire. Tellement juste. Elle a toujours su chanter, écouter. Bien souvent silencieuse, elle préfère s'imprégner des sons que d'en produire. Et lorsqu'elle parle, c'est de cette petite voix encore gravée dans l'enfance. Et je ne peux m'empêcher de sourire. Je berce le petit et je commence distraitement à chantonner avec ma fille. Nos voix s'entremêlent comme nous le faisons souvent, tous les deux. Et les pleurs se tarissent. Je tend mon gros doigt vers sa toute petite main, il sourit. Et s'en empare comme naturellement, de ses deux petites mains.

Eeä ne chante pas, laisse sa soeur. Et ma fille glisse sa main vers le petit ventre du bébé, s'arrête sur son coeur. Et continue de chanter. Elle sourit, visage tourné dans le vague. Elle rayonne.

Hush est profondément touché et ému par ce qu'il voit et entend. L'enfant se calme, et Hush retient avec difficulté ses larmes, tant il est secoué par tout cela. Tobias rit, alors que les vestiges de ses pleurs marquent encore son petit visage ; ses yeux pleins de larmes, les sillons salés creusés sur ses joues, son petit nez qui coule et la bave qui sort encore de ses lèvres. Malgré cela, Hush ne peut s'empêcher de penser que son bébé est le plus beau bébé du monde. Objectivement, ce n'est pas si faux ; le bébé est réellement magnifique. Et la scène l'est encore plus. Alors, le jeune père ne résiste pas. Il sort un de ses carnets de son sac, trois crayons gris, avec des mines de tailles et de consistances différentes. En silence, sans cesser d'écouter et de regarder, il se met à dessiner ce que ses yeux et son coeur voient. Un des premiers moments de réel bonheur de leur nouvelle vie.

Et le bébé rit. D'un petit son cristallin, d'une pureté sans pareille. Le même rire qu'ont eu mes trois anges, bébés. Un enfant, c'est beau. La joie, l'allégresse, l'ignorance. L'insouciance. La naïveté de la vie au creux de bras protecteurs, amoureux. J'observe cette petit larve, que j'ai l'impression de pouvoir brisé en un geste infime et je souris bêtement. Mon regard se perd sur le visage d'Ali-Sha, mon rossignol. Pour elle, tout est de nuit, et pourtant, elle voit bien plus que la plupart des adultes que je côtoie. Les enfants sont merveilleux. J'entend Eeä chuchoter les paroles de la chanson, toute proche de mon oreille. Toujours penchée sur le petit, qu'elle ne quitte pas des yeux. Captivée.
Et je le vois, ce père qui plus tôt était désemparé, s'emparer d'un carnet, de crayons. Et lorsqu'il commence à coucher des courbes sur le papier, je ne dis rien. Une montagne de muscles, mais bien moins maladroite que l'on ne penserait. Je sais lorsque les mots ne sont nécessaires. Alors, je me contente d'écouter, d'observer. Et de bercer ce petit, riant aux mélodies de sa chanteuse, oubliant presque le monde extérieur et son affreux brouhaha.
Nous entrons dans une bulle. Merveilleuse cachette hors du monde, dans un autre univers.
La montagne n'est qu'un ourson et se laisse aller à la douceur de l'enfance.

Les lèvres d'Hush ne sourient pas, mais son coeur jubile. Lui, il n'est plus que joie et allégresse. Il entend son fils rire, d'un vrai rire heureux. Il le voit aussi. Il voit la beauté dans le coeur du père, la lumière dans ceux de la petite aveugle et la douceur acidulée dans celui de la dernière fillette. Quelques couleurs qu'il étale au grès de gestes qu'il ne contrôle pas. Pas vraiment. Ce sont les yeux de son âme qui parlent. Ceux qui parviennent à lire sans complexe ce que ses yeux physiques arrivent à percevoir.

Le monde s'ouvre devant eux, et il n'y a plus qu'eux qui y demeurent. Les autres disparaissent, deviennent fantômes et invisibles. Les yeux d'Hush passent longuement sur chacun, s'imprégnant de leurs visages, de leurs corps, de leurs auras. Ils dégagent tous quelque chose de profondément singulier. Quelque chose qui a touché Hush en plein coeur, et qui fait désormais courir sa main sur son papier, avec vitesse et précision.

Puis la chanson s'arrête, mais la magie demeure. Hush a terminé son dessin. Il l'a posé à côté de lui, et accroupi, assis sur ses talons, il observe la scène, avec autant d'amour qu'un père peut en ressentir pour son enfant. Un amour infini.

La voix d'Ali'Sha s'estompe dans la légère brise, sa dernière harmonie suspendue l'espace d'un instant. Sa chanson implantée dans les coeurs, les mots imprimés dans les esprits. Et mon coeur explose d'un amour, pour mes filles, mais aussi pour cette larve souriante au creux de mes bras. Je ne peux m'empêcher de sourire bêtement. Quelle ironie, moi, pirate sanguinaire aux abordages, tenir une si petite choses et ne pas l'écraser de ma force. Comme quoi, l'on peut trouver la douceur en chacun de nous. Il suffit de la chercher pour la faire éclore.

Je relève mon regard, tombe dans celui de ce père, amoureux. Il aime son fils. Pour lui, cet enfant est sans aucun doute un monde. Son monde. Et je ne peux que le comprendre. Doucement, sûrement, je lui souris et lui tend son fils, à présent souriant. Son rire résonne encore parfois.
Ma petite Ali pose sa main sur mon énorme avant-bras, se laisse guider alors que je tend son précieux fils au père silencieux.
Les mots n'ont jamais été nécessaires.

Hush se relève, lentement. Il prend le temps de tendre les bras, tandis que son fils lui est rendu. Apaisé, souriant. Son bonheur et celui de l'enfant sont en harmonie, parfaits écho l'un de l'autre. Dans le regard d'Hush brille un unique mot, qu'il essaie de transmettre à l'homme, à côté duquel il semble ridicule. Reconnaissance. Infinie. Hush serre doucement son fils contre son torse, le petit garçon semble heureux de retrouver l'odeur de son père. Il ne quitte pas les enfants des yeux, son petit poing appuyé contre le torse nu du père.

Alors, le jeune père arrache délicatement son dessin à son carnet, et il le tend vers le père. Comme un portrait de famille, signe de sa gratitude en vers cette aide qui semble venue de nulle part. Un présent qu'il tient à lui faire. A cet homme qui semble bourru, et qui a pourtant une délicatesse incroyable avec un bébé. Cet homme qui, comme Hush, donnerait sa vie et bien davantage pour chacune de ses enfants.

Il me regarde, je le regarde. Cet homme désemparé, ce père épris de son enfant. Et je comprend sa reconnaissance. En retour, je hoche de la tête, baissant ma tête en silence. Et mon attention se reporte à nouveau sur la petite larve, qui ne quitte plus Ali'Sha de ses yeux comblés.
Un bruissement de feuille attire mon attention et je vois cette feuille que l'on me tend. Délicatement, je la prend et mon coeur fond. Un coeur de roc, un coeur d'ours. Traits de crayons précis, délicatesse hors du commun. Et les visages de mes deux filles, collées à leur père. L'une posant sa main sur ma cuisse, l'autre perchée sur mon épaule. Et ce petit bout au creux de mes bras. Il me rappelle mes filles... J'avais si peur de les écraser. Mais jamais, ô jamais, ça n'est arrivé...

- Oh, regarde papa, c'est nous!

Eeä manque de tomber de mon épaule, elle se rattrape in extremis. Elle pointe le dessin du doigt, sourire aux lèvres. Et elle regarde l'artiste.

- C'est trop beau, t'es trop fort! J'veux aussi savoir dessiner, mais papa dit qu'j'suis une boule d'énergie et c'est vrai.

Je roule des yeux. Il est vrai qu'Eeä n'a jamais tenu en place. Et d'un regard, je remercie l'homme du présent qu'il me fait.

Hush sourit, content que son présent ait l'air de plaire à l'homme et les deux magnifiques fillettes qui ont sauvé son fils. Lentement, Hush prend le temps de s'assurer que l'enfant est bien attaché contre son torse, et il sort son carnet d'écriture, puis un crayon, sans cesser de sourire, le regard plein de bienveillance et de tendresse.

"Être une boule d'énergie est un don. Tu peux choisir de mettre cette énergie à profit pour faire tout ce que tu veux, même de l'art. L'art, c'est une façon d'offrir aux autres ce que notre coeur voit.
Tous les trois, vous pétillez comme trois petits soleils. Ce n'est pas moi qui rend le dessin beau. C'est ce que mon coeur voit, qui est beau."

Il écrit rapidement, de son écriture vive et soignée. Puis, il tend le carnet au père, afin qu'il lise ce qu'il a écrit, pour lui et pour ses filles.

Ma Eeä semble hypnotisée par cet homme. Alors qu'il écrit, vite, dans un petit carnet, elle ne le quitte pas des yeux, intriguée. Il en faut peu, il faut dire, pour titiller la curiosité maladive de ce petit tawtute énergique. Et lorsqu'il me tend le carnet, je passe mon regard quelques instants dessus, en silence. Et un sourire s'étire sur mon visage. Sans attendre une seconde supplémentaire, je me met à lire à voix haute, pour mes filles. Ali'Sha a semble avoir compris que l'homme écrivait, je le vois à son visage triste.
Et qu'il ne parlait pas. Quel mauvais sort. Elle ne peut voir, il ne peut parler. Pour ma petite fleur, cet homme est fait de bruissements de feuilles et de tissus, qu'un crissement de crayon sur papier invisible.

Et elle m'écoute plus que jamais, sa seule opportunité de mettre des mots sur des sensations. Et elle sourit, plissant ses yeux de nacre. Je relève la tête, un désir de faire plus encore pour ce père et son fils. Car ce qu'il nous offre est un compliment au-delà des mots.

Eeä descend des épaules de son père, un air sérieux crispé sur son petit visage, sourcils froncés. Elle se plante devant l'homme, tout près.

- Si l'art est une façon de donner c'que notre coeur voit aux autres, tu as le plus beau coeur de toute la galaxie. Et c'est un petit soleil qui t'le dis, avec son coeur.

La petite fille vient vers Hush, lui dit des moches qui le touchent profondément. Il affiche un sourire infiniment doux et bienveillant, s'agenouille devant l'enfant, et il plonge son regard en elle avec beaucoup d'amour ; Hush n'est qu'amour, pour ces êtres qu'il ne connait pas, mais qui ont partagé quelque chose de si intense et fort avec lui. Il pose une main au niveau de son coeur, pour lui dire qu'il est touché. Puis, il se relève, et s'avance doucement vers la petite aveugle.

Il cherche quelque chose dans son sac, et termine par en sortir un jouet, qu'il a fabriqué pour son fils dans un joli bois, mais qui ne lui a jamais donné, à cause des détails qu'il juge trop dangereux pour son âge. Mais il sait désormais que ce Ti'roöl était destiné à quelqu'un d'autre. Pour avoir déjà rencontré une aveugle, il sait à quel point le toucher est sensible. Il prend doucement la main de l'enfant, et il dépose l'objet en bois dans sa main, lui refermant doucement les doigts dessus pour qu'elle ne le perde pas.

Puis, il prend son carnet, gratte quelques mots, le temps au père.

"Le Ti'roöl est réputé dans les jungle pour avoir un chant hypnotique et très beau. C'est un porte-bonheur."

L'homme se rapproche d'Eeä, s'agenouille. Ma petite fille ne bouge pas, elle ne recule pas et sourit toujours. Elle a le tempérament de sa mère. L'homme pose une main sur son coeur, se relève. S'avance vers Ali. Je ne peux m'empêcher de craindre pour elle, elle est moins à l'aise face aux étrangers que ses soeurs.
Et l'homme sort un jouet de son sac, un petit Ti'roöl. Il prend la main d'Ali'Sha, dépose l'objet. Ma fille ne sursaute pas, ne retire pas sa main. Son empathie a toujours été délicate, elle ressent. Et je le sais, c'est la première fois que je le vois. Elle fait confiance en cet étranger.

Et ses doigts caressent le bois, doucement. Suivent les courbes, les coups de couteau. Le père du petit garçon me tend son carnet, je ne l'ai pas vu griffonner un nouveau message. Je le lis. Et je souris de cet instant si étrange et hors du temps.
Ali serre la petite figurine contre son coeur, tend sa main en direction de l'homme ou ce qu'elle pressentait être la place où il se trouvait.

- Merci.

Main tendue, elle ne prononce qu'un unique mot. Un mot puissant, emprunt d'un message bien plus grand que ces deux maigres syllabes.

Hush sourit, touché, encore, pas la réaction de l'enfant aveugle. Elle est belle, comme ses sœurs et son père. Eux tous, ils illumineraient les nuits les plus obscures, Hush en est persuadé. Il sait qu'elle ne peut pas voir, mais il abaisse la tête, en un très léger mouvement. Puis, son fils apaisé, endormi contre lui, il s'approche à nouveau du père, note des mots sur son carnet.

"Merci à vous.
J'espère que nos routes se recroiseront. Prenez soin de vous et de votre famille."

Il tend son carnet, laisse au père le temps de lire et tend sa main à l'homme pas beaucoup plus grand que lui, mais bien plus large. Il se souviendrait de cette rencontre toute sa vie, il le savait.

Je lis ses derniers mots, me contente de lui sourire, de hocher de la tête. Parce que je sais que les mots sont inutiles, en cet instant. Mon regard seul compte, partageant à lui seul mes pensées et ma sympathie pour cet homme. Pour ce père. Et cette attention qu'il a donné mes deux filles, ces enfants qui sont tout mon monde.
Je lui serre la main, reste quelques secondes main dans la main. Et relâche le contact. C'est un instant que je désire graver en mémoire, ce monde hors du temps que nous avons partagé.
Eeä me prend une main, Ali'Sha l'autre. La cadette fait de grands signes à l'homme, sourire aux lèvres. La plus grande serre la figurine dans sa main, pour ne pas qu'elle s'échappe.

Un dernier regard en arrière, un dernier échange entre deux pères aimants, nous sortons de la bulle. Les Flint s'enfoncent dans la foule, nous disparaissons.

Et je tiens fermement les mains de mes filles, pour ne pas qu'elles s'envolent à nouveau.