"Je suis un bâtard. Un beau bâtard blond au charme sans limites, bien évidemment.

Ma mère, Isadora Flint, a été compagnonne. Et un jour, la magie de la vie a opéré. Ou celle que vous voulez... Et me voici. Adorable petite larve grandissant dans le ventre de sa mère. Remarquez que je n'ai pas dit vilain monstre ou abominable virus.
Ma mère m'a désiré dès l'instant où elle a su. Plus que me désirer, j'ai été le déclencheur de sa nouvelle vie. Ses dettes à la guilde remboursées quelques mois auparavant, elle a pris le large. Ne sachant si je devais porter des couettes ou la barbe, elle a préféré rejoindre l'équipage du Goéland. Navire pirate. Elle en connaissait le Capitaine.
Quand à mon père ? J'ignore son nom. Son visage. Sa voix. Je suis un bâtard et j'en suis fier. Peu m'importe le visage de cet homme qui m'a permis de vivre, j'ai une mère formidable. Et toujours en vie aujourd'hui ! C'est qu'elle est tenace et increvable, la vieille... ne lui dites pas que j'ai dit ça. Sérieusement. Ne lui dites pas.

Je suis donc né sur le Goéland, en 63 ADD. Petit gamin criard, j'en ai fait faire des nuits blanches à ma mère. Croyez-moi, grâce à Calypso, mes filles n'ont pas été si difficiles... A part la petite dernière. Quel petit monstre, ma Eeä ! A elle, vous pouvez le lui dire. Elle le sait que c'est un petit monstre. M'enfin bref.
Enfant énergique, hyperactif presque, je ne tenais pas en place. Il me fallait être utile, servir à quelque chose. Ma mère, s'occupait de l'Intendance. Et moi ? J'étais dans ses pattes. Ou celles des autres pirates. Et le plus souvent, je prenais un malin plaisir à me glisser lors des entrainements des hommes d'abordage et à les observer, tentant de les imiter du mieux que je pouvais d'une arme invisible. Et voyant que c'était plus dur de s'entrainer avec une arme invisible, j'ai décidé de me mettre à perfectionner mes poings.
Je voulais à tout prix devenir comme eux. Et servir à quelque chose. Le petit garçon que j'étais avait besoin d'être utile, pour sa mère. Pour les autres.
Et un jour, un des hommes a remarqué ma présence et les petits gestes ridicules que je tentais d'imiter. Il s'est moqué de moi, bien sûr. Et, étonnement, m'a demandé de sortir de l'ombre pour venir dans la pièce. Je n'avais qu'à peine onze ans. C'est à cet instant que Juan San Pedro a débuté mon enseignement. Et il s'est avéré que je me débrouillais bien mieux aux poings qu'avec une arme entre les mains. Enfin. Après plusieurs années d'entrainement, on n'est pas un dieu du combat à onze ans, vous croyez quoi. A onze ans, on n'est qu'un enfant. J'étais bien plus maladroit qu'expert, à cette époque. Les années m'ont formé et ont fait le guerrier que je suis aujourd'hui, seulement les années et Juan. L'expérience, les nombreux combats que j'ai mené aux côtés de mes frères d'arme. Vous devinez donc que jeune adulte, j'ai bien vite rejoint l'équipe d'abordage. Au grand désarroi de ma mère, bien évidemment. Et je la comprend aujourd'hui... Quand ma grande Kanhä me hurle son envie de rejoindre les combats... Elle n'a que dix-huit ans !! Je suis papa poule... et je refuse de voir ma fille sur un terrain de combat, au milieu de sagouins armés. Ou je suis derrière elle, c'est ma seule condition.

J'ai 23 ans lorsque je rencontre la première fille qui fait fondre mon coeur. Du doux nom de Fiora, elle aborde sur le Goéland. Elle n'y est pas resté longtemps, l'histoire de quelques semaines, mais notre amourette fut d'une intensité étonnante étant donné le laps de temps mis à notre disposition... avant qu'elle ne décide de me briser le coeur en quittant le navire.

Calypso me destinait à une autre. Celle qui m'a mis les fers, celle qui m'a arraché le coeur encore essoufflé de ma poitrine. Plus petite de deux têtes que moi, son regard chaud m'a pris en étau.
Je suis tombé en esclavage de la sulfureuse Zaä'ra. Métisse, elle s'est engagée sur le Goéland alors que je fêtais mes 24 ans. Cette femme... une artilleuse explosive. Qu'ai-je donc fait ? Rien de bien impressionnant.
Je l'ai séduite en peu de temps qu'il n'en faut pour dire "cramoisi". Enfin... il m'a fallu une année pour qu'elle tombe dans mes bras. Faut dire qu'elle m'en a donné, du fil à retordre ! Elle est coriace... talent qu'elle a octroyé à nos trois filles. Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Entouré de femmes de caractère. Moi, géant de plus de deux mètres. Et je ne suis qu'un esclave pour elles. Je me plie en quatre pour les femmes de ma vie.

89 ADD. 26 ans. Ma mère vient me retrouver pour notre soirée familiale. Coquard à l'oeil. Après plusieurs bousculades et insistances, elle me révèle un secret bien gardé. A propos de notre capitaine. Ce capitaine qui m'impressionnait de sa prestance, de son charisme. Qui parait tellement sympathique, avenant...
Il a abusé de ma mère.
Et ce soir-là, il n'a pas fait que cela. Pour une fois, elle a dit non. Et il l'a frappée. J'ai eu envie de le trouver, de lui donner la sentence qu'il mérite. La mort. Pourtant, je me suis maitrisé. Ma mère m'a maitrisé. Je l'aurais tué, je le jure. Je l'aurais étripé. On ne touche pas aux femmes de ma vie.
Quelques semaines plus tard, un ami de notre si petite famille contacte ma mère. Antonio Di Rozas. Vieil ami proche de ma mère, il a toujours su. Ma mère lui confiait ses peurs, ses craintes et ses douleurs. Il était son ami le plus fidèle. Et cet ami fidèle, a toujours voulu qu'une chose. Nous sortir de ce merdier.

C'est en 89 ADD que l'Albatros nait. Nous embarquons en son sein, ma mère en devient l'intendante. Je rejoins l'équipe d'abordage, ma Zaä'ra les artilleurs. Nous quittons le Goéland, pour de bon. Vivants. Je n'ai seulement jamais oublié... et que Calypso m'en soit témoin, j'espère ne jamais revoir le visage de son capitaine. Ou je ne donne pas cher de sa vieille carcasse.
Sur l'Albatros, je fais une rencontre qui changera tout. Celle d'une soeur qui ne m'a jamais été donné, une petite soeur à protéger quoiqu'il se passe. Une petite soeur à couver, à élever, à conseiller. Une petite soeur qu'il faut soutenir, consoler.
Je rencontre Hannabeth Alvarez.
Cette petite fille, qui me semble si fragile, m'a toujours donné tord. Elle ne l'est pas. Et pourtant, je n'ai jamais pu m'en empêcher. Je me sens le devoir de la protéger.
Je suis devenu grand frère.
Et j'ai eu un père. Antonio m'a pris sous son aile.

Et alors que je profite de ma dernière année de la tranche des vingt ans, juste avant ma crise de la trentaine, Zaä'ra m'offre le plus merveilleux des présents.
Une fille. Une merveilleuse petite fille. Kanhä. Un prénom mo'at ? Ma compagne est très persuasive. Si si, j'vous jure. Elle me fout les pétoches, des fois... à moi !! MOI ! Imaginez...
Je pensais avoir atteint l'extase, le bonheur, ce n'était sans compter ma sale manie de maniaque. Je veux que tout soit parfait. Et je l'ai demandé en mariage. Une cérémonie douce, chaleureuse, au coeur de notre famille. Sur l'Albatros. Mariés par celui qui fut un père pour moi, notre capitaine. Antonio.
Notre Kanhä était si belle dans sa toute petite robe blanche, dans les bras de sa grand-mère... j'me suis battu pour ne pas pleurer toutes les larmes de mon si grand corps encombrant. OUI ET ALORS ? Même les géants ont le droit d'être sensibles. J'vous brise le nez si vous répliquez le contraire.
Et comme si le bonheur n'était pas déjà énorme, les années nous offrirent un second petit ange. Une deuxième petite fille. Ma timide et réservée Ali'Sha. Cette petite perle que je protège toujours plus que les deux autres. Toujours dans ses pensées, rêveuse, si fragile.

Tout s'est gâté en 97 ADD. Ce jour terrible où nous avons perdu. Notre égo en a pris un coup affreux... L'Albatros s'est fait avoir par le Flare, une frégate de l'UC. Nous sommes capturés au terme d'un combat spacial catastrophique, une grande partie de l'équipage y laisse la vie.
J'y ai laissé ma jambe.
Ce qu'il reste de l'équipage est fait prisonnier, un procès a lieu. Nous sommes tous condamnés à l'emprisonnement à vie. Tous ? Non. Antonio, le Capitaine, et sa fille font l'objet d'une dispute entre représentants de l'UC et de la Trinité. Ils sont recherchés pour une histoire de Duralium par la Trinité. Ils veulent leur tête. Une exécution.
J'ai explosé. Sans Zaä'ra, sans mes filles, sans ma mère, j'aurais pu être de la partie. Voir mon mentor, cet homme qui a été un père pour moi quand je n'en ai jamais eu, mourir ? Et cette soeur qui m'a été offerte ? Jamais je n'aurais pu l'accepter...
Des négociations ont eu lieu. Antonio a obtenu ce qu'il voulait. La vie sauve pour sa fille et son équipage. En échange de quoi ? Il a accepté de se faire livrer à la Trinité. Le contrat passé, nous devions à présent être les affreux toutous de l'UC. Corsaires... CORSAIRES ! MOI, UN CORSAIRE ! Où est la liberté ? Où est notre libre arbitre ? Je suis un pirate. La flamme brûle en moi. En nous.
J'ai laissé ma rancoeur de côté. Mon mentor s'est sacrifié pour nous. Je lui devais de rester droit, fort. Pour son honneur.

Hannabeth devient le capitaine de l'Albatros. Aya nommée seconde, Jackson maître d'abordage. Ma mère, Isadora, reste intendante. Zaä'ra garde son poste, elle doit s'occuper de nos filles.
Quand à moi ? Beth est venue me trouver. Et m'a fait une proposition. J'ai senti dans sa voix qu'elle en avait besoin, qu'elle me faisait confiance. Malgré mes réticences, je n'ai pu refuser. Le moral de l'équipage avait pris un coup, je devais relever la tête. Et pour cette soeur d'un coeur trop petit pour tant de merveilleuses femmes, j'ai accepté.
J'ai pris le relais de Lazarus Clarke, décédé durant l'assaut. Notre bien-aimé quartier-maître. J'ai repris ses fonctions.

Les années passent. Et le bonheur nous gratifie de ma Eëa, merveilleuse petite boule d'énergie. Toujours dans ses petites robes, pieds nus, à sautiller partout, elle est ma pilule de bonheur. Ma troisième précieuse petite fille.
Je ne sais ce que j'aurais pu faire sans elles... ces femmes m'ont sûrement sauvé d'une connerie. Je hais l'UC. Je hais être à leur botte, je sens mes mains liées. Sans elles, les années auraient été trop longues. Et ces années sont passées moins douloureusement, bien au contraire. J'ai pu être ce quartier-maître en qui tous ont confiance, grâce à elles. Qui ont su me rendre meilleur, plus fort.
Pour les protéger mieux encore, j'ai adopté un atikaya. Une femelle, pour être précis. Dans l'espoir de la dresser au combat. Son nom ? Neyäti. Trouvé par sa plus grande fan, Kanhä. C'est bien la fille de sa mère, cette petite.

Et plus d'années encore ont défilé. Avant de nous retrouver à aujourd'hui. Et quels mois avons-nous passés, mes amis ! Des mois formidables ! J'ai retrouvé mon âme, enfin ! ENFIN !
Mes amis. Je lève mon verre à notre réussite. A notre libération. NOUS SOMMES PIRATES, ET FIERS DE L'ÊTRE !
Ah. Cet abordage, les amis, nous l'aurons vécu comme un changement, un tournant important de l'Albatros ! Que d'émotions. Nous avons eu de graves pertes. Rien ne remplacera nos camarades tombés au combat, alors que nous nous sommes battus aux côtés de ces trois équipages. Rien. Le Némésis, l'Iceberg et le Liberty. De braves pirates, ils ont mon respect. Association créée l'espace d'un instant pour attiser l'escalade des tensions entre l'UC et la Trinité afin d'accélérer la déclaration de guerre entre les deux faction, ainsi que l'abordage d'un important chargement de Durilium trinitaire escorté par deux Galions.
Nous nous en sommes tirés, nous avons retrouvé nos flammes. J'ai eu peur pour Beth... grièvement blessée. Elle s'en est tirée aussi. Et nous avons tout retrouvé...
L'Albatros a déserté l'UC dès la prise de l’Anneau, reprenant ainsi sa liberté de pirate, mais cela, vous l'savez. NOUS SOMMES PIRATES, MES AMIS !

Alors, mes frères, cela fait six mois que nous faisons profil bas. Nos anciens employeurs sont occupés avec leur guerre contre la Trinité, mais n'oublions jamais que nous sommes recherchés par l'UC. Faisons encore profil bas, mes frères. Je vous l'demande, votre capitaine vous l'demande. Il nous reste encore bien du travail à accomplir. Nous avons été mis à mal, mais nous nous relèverons. CAR NOUS SOMMES L'ALBATROS ! Levez-vous mes frères. Levez-vous, pirates. Lève-toi, Albatros, déploie tes ailes !"

La fillette de dix ans assise sur le grand lit deux places rit aux éclats devant l'emportement de son père, elle ne tient plus. Elle se retient depuis plus de dix minutes. Dans sa petite robe rose bonbon, ses cheveux blonds identiques à ceux de son père, emmêlés comme en plein temps de guerre, elle arbore un énorme sourire. Et rit aux éclats. Son père lui lance un regard mi-agacé mi-amusé.

""Papa, arrêtes de parler, t'en fais trop !"

Le père roule des yeux, soupire. Et sourit.

"T'es bien comme ta mère, toi."

La petite se lève sur le lit, commence à sautiller sur les draps auparavant bien tirés.

"Mais papa, tu parles trop, faut pas qu'tu racontes ta vie, juste qu'tu fasses un discours d'encouragement pour les gars, c'est pas...."

"Les gars ?"

Son père la coupe, sourcil relevé.

"Comment parles-tu, jeune demoiselle ?"

"Bah c'toi qui parles comme ça, p'pa ! C'est mal ?"

C'est au tour du père d'éclater de rire.

"Non, mon petit tawtute. C'est juste surprenant pour ton vieux père. Bon... il était si nul que ça, mon discours ?"

La fillette rit à nouveau.

"Mais papa ! TU PARLES TROP !"