Calypso sait faire un bon café ♫

Valmont avait finalement pris l'initiative du rendez-vous caféiné qu'elle avait proposé quelques temps plus tôt. Il se serait fait attendre si elle avait eu la moindre envie de l'affronter. La proposition est arrivée un peu comme un cheveu au milieu d'une soupe de chiffres et d'inquiétudes, sans doute une fois qu'il a eu terminé de dessaouler des beuveries consécutives à la "pêche du siècle". Il a eu la belle vie, Valmont, hein, c'est pas lui qui a dû voir son Capitaine une épée au-dessus du cœur et l'escorter à toute allure à l'infirmerie ! Pfeuh. Chose promise, chose due néanmoins, et à l'heure convenue Seik'el est présente au mess.

La grande question, c'est : qu'est-ce qu'elle va bien pouvoir lui dire ? Et de façon plus générale, comment elle va gérer ça ? Est-ce que ses cernes noirs, masqués pour l'occasion sous une épaisse couche de correcteur et un trait de khôl, vont lui laisser assez de sang-froid pour tenir une conversation à peu près normale ? A quelles questions va-t-elle devoir répondre ? Auxquelles pourra-t-elle seulement répondre ?

Valmont se fixait dans le miroir, lissant son col dans un cérémonial tout aussi précieux que ridicule, vu l'état de la chemise. Il jetait parfois des regards plein de sous entendu au reflet, souriant en coin à lui-même. Narcisse en pleine puissance, il fit un petit mouvement d'épaule comme une vague, pour faire tomber ses cheveux devant son œil et s'envoya un baiser.
Puis il repris ses esprits et se rappela qu'il avait rendez vous. Une grimace passa sur son visage.

"Calypso me garde."

Sei'kel l’avait ignoré ces dernières semaines, à son agréable surprise. Il traversa le vaisseau en se demandant quel était cette histoire de café. La mo'at en buvait-elle seulement ? Allait-il succomber à un empoisonnement brutal ? Il la vit et alla s'asseoir en face d'elle.

"Salut."

Ah ben quand même. Elle a failli attendre. Peut-être trente secondes, peut-être deux minutes, rien d'insurmontable. Mais vu ses nerfs... bon.

"Hey." elle répond en forçant un petit sourire. "Ca va ? Thé ? Café ?"

Non, pas de rhum. Et la lueur d'avertissement dans ses yeux mordorés vaut bien des refus catégoriques.

"Je sais pas, c'est offert avant ou après de me faire damner par ton regard pour plusieurs générations ? "

Tu sais que tu offres un avenir misérable à des dizaines d'enfants ?

" Triple café. J'vais prendre des oeufs et de quoi grailler aussi."

Il fit un signe au responsable du mess, privilège d'officier de se faire servir à table. Il en usait peu.

"Donc."

Flash assassin. Oh évidemment elle l'étouffe vite en se mordant la lèvre inférieure, mais Déesse donnez-moi la force s'il vous plaît... Elle commande un thé. Une théière. Pleine. Avec un peu de chance elle aura envie de filer aux toilettes avant d'avoir envie de lui lancer la théière au bec. Tout n'est que stratégie. Touuut.

Ou pas.

"Donc." Oui, donc. Bonne question. "Ca se passe bien dans la cave ? Vous avez c'qu'y vous faut ?"

Encore ?

'' Pas à se plaindre pour l'instant. ''

Ils furent servis rapidement. Valmont commença ses oeufs en déchirant le jaune d'un coup de fourchette.

Ca change, non ?

"Tant mieux. J'vais faire en sorte que ça dure."

Elle prend un sachet au hasard et y verse de l'eau. Peu. Elle aime quand ça a du goût, pas une espèce de jus infâme. Une fois à l'abri derrière son verre, elle ferme les yeux, inspire les arômes. Allez. Allez...

"On a les sous pour. Largement." Non, c'était pas ça. Allez. "Vous aurez la paix. M'enfin abusez pas non plus sur les filtres de triphaseur... c'est cher ces trucs."

Pfff. Elle retourne s'abriter derrière son verre. "N'en parlez pas" qu'il a dit le Capitaine... "Va te réconcilier avec Valmont" qu'elle a dit la Dame... comment elle est censée se réconcilier sans expliquer d'où sort ce soudain changement d'attitude, elle ?

Valmont déchire le deuxième jeune d’œuf de son assiette et reste silencieux tandis qu'elle parle. Il ne la regarde pas. Pas qu'il ne veuille pas, ni qu'il boude. Il finit de mâcher et boit une gorgée de café avant de porter son regard sur un point derrière l'épaule de son interlocutrice. Presque rêveur.

"Pour l'instant."

Il pose sa fourchette.

"L'Iceberg dans six mois, tu le vois où ?"

"Dans les étoiles. Brillant comme jamais. Et dans deux ans, un soleil." elle répond du tac au tac.

Peut-être sur Providence. Valmor va bien finir par entendre parler de leur petite bagarre pour le durilium. Si c'est pas déjà fait. Si ça lui suffit pas comme coup d'éclat... bon ils ont plus de mystique, mais merde, c'est pas tous les jours qu'on fait des prises pareilles quoi.

"Avec l'aide de la Dame." elle ajoute une seconde plus tard, en esquissant un geste de dévotion.

Un soleil bleu, froid comme la glace...

"Cette question parce que ?"

"Parce qu'il faut bien se préparer à notre avenir plus qu'à un destin."

Il marmonne plus qu'il ne parle, jouant avec la nourriture.

" On va faire encore un bout de chemin ensemble, faut pas oublier qu'on a un objectif. Ptête que ça nous aiderait. Se concentrer sur ça, faire briller l'iceberg de mille feu. "

La brune retient un regard mauvais. Elle y concentre son temps, son énergie, ses insomnies et tout son coeur, ils sont même en train d'avoir cette conversation ridicule, ça suffit pas ? C'est les mots de la Dame pourtant, et c'est pour ça qu'elle lui explique pas sa façon de penser.

Elle vide son verre d'un grand coup.

"Je suppose que tu as une idée bien précise de comment faire mieux qu'actuellement ?" qu'elle dit en se resservant aussi sec.

Normalement elle a réussi à pas cracher de fiel avec sa question rhétorique. Neutre, avec une pointe d'intérêt. C'est bien. On progresse.

" Ensemble. "

Cette fois, c'était clair. Le ton de la voix était décidée. Son regard bleu, sérieux et scrutateur était sur elle. Ensemble, pour le Capitaine et pour l'Iceberg.

"Précise, Valmont." elle répète.

Voilà. Voilà. Voilà pourquoi elle déteste parler avec lui. Parce qu'à chaque fois qu'elle essaie de faire un effort, de ranger son agressivité dans sa poche et de rester neutre, elle se souvient qu'il a les yeux bleus et cet on-ne-sait-quoi qui donne juste envie de le suivre jusqu'au bout du monde. Et elle a pas envie d'avoir envie. Connard de Trinitaire. Mains baladeuses. Elle inspire, longuement. Du calme.

"Techniquement on bosse "ensemble" depuis six ans. En pratique j'ai jamais critiqué ta compétence en mécanique, le Capitaine sait ce qu'il fait donc toi aussi. Niveau intendance j'ai déjà revu ma copie. Je vous fous une paix royale. Vous avez des pièces courantes en extra quand j'en trouve. Niveau relationnel on est assis à la même table depuis trois minutes sans s'écharper, on commence même à avoir un semblant de discussion constructive, c'est déjà pas mal. Je vais pas soudain me mettre à chanter tes louanges, ça va réveiller les marieuses." elle ironise soudain. "Puisqu'on en parle, tu peux faire savoir à Marcello que la prochaine fois qu'il spécule sur la question, il va en chier jusqu'à la fin de ses jours. Premier et dernier avertissement." Le Code interdit les bagarres à bord, le Code interdit la subtilisation de parts de butin. Le Code n'interdit pas de pourrir la vie des mécanos qui se mêlent du cul des autres. "Ceci posé. Que peut faire l'intendante, de concert avec le chef mécano, pour le bien de l'Iceberg ?"

Valmont resta silencieux un instant en mâchant, puis il avala.

" J'dirais à Marcellio de se calmer. Sinon, pour le reste... Tu voulais pas boire un café pour parler de ça justement ? "

Il bu dans son verre pour éclaircir sa gorge.

" Car justement, ça va plutôt bien depuis que t'as revu ta copie, qu'on travaille bien, mais que tu m'ignores royalement en société. Je fais pareil de mon côté. C'est le deal, non ? Je veux dire. C'est quoi le principe de boire un café avec moi ? À part si t'as une idée ou sur ordre du Capitaine. Mais je vois mal le Capitaine ne rien me dire de ce genre de machinations. Du coup, ça me fait plaisir de te parler normalement, mais j'ai une drôle d'impression. "

Il fait tourner sa fourchette dans son assiette en la regardant les sourcils froncés.

" Comme la dernière fois, t'avais du maquillage partout sur le visage. J'ai l'impression qu'il y a baleine sous astéroïde. Pas que ça m'ennuie que tu me caches des choses, je comprends un peu. Mais si t'as un truc à dire, fais-le, je suis pas en mousse. Si je peux t'aider, dis le aussi. T'es de l'équipage, on est là pour se soutenir."

Et merde. Il aurait pas pu oublier cette histoire de crayon coulé ? Faire semblant au moins ? Mais non évidemment. Elle ravale un regard mauvais. Il dit ça pour aider. Ben tiens. Elle ça la fait chier. Pour changer.

"Y a rien à faire."

Elle regarde son verre en retenant un soupir, soudain dépitée. N'en parle pas, il a dit le Capitaine... facile à dire quand on est pas concerné. Elle relève les yeux, les plante dans les siens. Neutre. Soigneusement neutre.

"J'ai pas été menacée ou blessée ou quoi que ce soit qui nécessite une intervention. T'en fais pas pour ça." Un sourire en coin étire un peu ses lèvres, un peu ironique mais pas méchant. "De toute façon t'es bien placé pour savoir qu'en cas de besoin, je sais distribuer les mandales." Oh oui il sait. C'est à se demander comment les giroflées à cinq branches se sont jamais tatouées sur sa joue. "Et le café, c'est bien toi qui voulais qu'on renvoie une bonne image de cohésion tout ça, l'autre fois ? Regarde. On va finir par y arriver." Elle boit à nouveau, cachée à demi derrière son verre. "Remise à zéro. Café. Normal." Et pourtant cette main sur son bras, elle s'en souvient encore.

Il la fixe de son regard bleu un instant. Si c'est ce qu'elle voulait.

"Bien alors. Café, bacon, patates et parlotte. C'pas mal. Surtout les patates. "

Il continua à manger, finissant tranquillement son assiette.

Elle finit son thé elle aussi, s'en ressert un. Le silence est tellement inconfortable quand c'est pas un de ceux du Capitaine.

"Comment tu fais ?" Elle fait soudain un geste répété en diagonale devant son visage. "Les cheveux. Ca te gêne pas pour bosser, cette coupe ?"

Bah quoi. C'est une conversation inutile pas pire qu'une autre.

Il montre sa mèche, l'air surpris.

"Ça ? C'est un handicape volontaire pour être deux fois plus efficace quand je me les attache."

Il hoche la tête, l'air sûr de lui.

"Pfff."

Il aurait dû l'énerver. Lui faire lever les yeux au ciel, l'affliger de tant de bêtise concentrée derrière un seul visage, lui faire grogner quelque chose sur le sérieux indispensable à leur position, ou simplement jeter un regard blasé. Tout ça à la fois, peut-être.

Au lieu de ça, elle rit.

Oh bien sûr, rien de comparable avec le fou rire nerveux de leur première rencontre. Un gloussement discret, derrière son thé, qui laisse voir ses yeux qui brillent soudain un peu plus.

"T'en rates pas une hein." elle commente, toujours derrière son verre, déridée et presque vexée de l'être.

Elle avait ri et le cœur de Valmont avait explosé. Tellement brusquement. Non. Nononononon. Il la fixa un instant, éberlué. Il ne savait plus comment réagir. Son corps le fit pour lui, il se leva brusquement.

" Je... Les machines... Urgence. A plus tard ! "

Il attrapa son Hcom, qu'il fit semblant de consulter et quitta la salle précipitamment. Il se mit à courir une fois qu'il ne fut plus en vue de Sei'kel, jusqu'à sa chambre. Il alla dans la salle de bain, ouvrir le robinet pour se passer de l'eau sur le visage. Il reprit sa respiration en se fixant dans le miroir et se frappa à gauche de sa poitrine.

" Non. Ce n'est plus le moment, toi. Ferme la. "

Quel âge avait-il ? Il alla s’effondrer dans le lit, essuyant son visage à même ses draps. Pourquoi était-il toujours comme ça ? Il cacha sa tête sous un oreiller comme un enfant, avec le même air boudeur. Calypso le damne. Il n'avait fallu que ça ? Il était incorrigible. Il n'avait fallu que ça pour que ce qu'il frappait consciencieusement jusqu'à ce que cela disparaisse reprenne toute son intensité en un seul petit rire. Il étouffa son cri de rage dans son oreiller.

"..?"

Elle le fixe, interdite. Une urgence ? Ben voyons. Il apprend les urgences avant de regarder son com lui maintenant. Et il se barre comme jamais il s'est barré avec les pires menaces qu'elle ait pu lui faire.

"...ben quoi, qu'est-ce que j'ai dit encore ?" elle demande à mi-voix, dépitée.

La Dame lui en soit témoin, ça a clairement foiré mais cette fois elle y est pour rien.