Joaquín Irigoyen
You have to dig pretty deep, kiddo, before you can find anything real
Description
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--> Profil atteint : Joaquin Irigoyen
Taille : 1,82 mètres
Poids : 60 kilos
Yeux : bleus
Cheveux : blonds
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Le jeune homme laissa échapper un long soupir. Le front collé au clavier de son ordinateur, il ruminait. La lumière bleue de son écran transformait sa tignasse blonde en mélasse violette. De loin, on aurait pensé à un enchevêtrement de câbles éparpillés sur une tête connectée. Les contours de sa frêle carcasse s'agitaient à chacune de ses expirations. Ses yeux bleus pleuraient d'être restés ouverts si longtemps. La voix de sa mère résonnait dans sa tête. "Ne fixe pas ton écran comme ça, tu vas te transformer en mort-vivant." Il n'en était pas si loin, aujourd'hui. Sa peau était pâle, blanche, quasiment translucide. Ses veines étaient si marquées qu'on aurait juré voir le sang circuler au travers. Ses pommettes saillantes luttaient l'une contre l'autre et creusaient ses joues. Quelques poils de barbe avaient survécu à la taille minutieuse qu'il leur imposait chaque matin. Il se redressa. Il était fin. Frêle. Aussi fragile que ses machines. Il se rassit, but un peu d'eau, soupira. Un site de rencontre... Qu'est ce qui pouvait bien lui passer par la tête ?
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--> Profil atteint : Joaquin Irigoyen
Salut ! Je m'appelle Joaquin mais tout le monde m'appelle Joya ! Comme tu as pu le voir ci-dessus, je suis relativement grand, blond et maigre.
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"Sans déconner", souffla-t-il lentement.
Style vestimentaire : Debout devant sa commode, Joaquin semblait hésiter. Sous ses yeux, trois piles de pantalons noirs droits et une pile de chemises blanches étaient impeccablement pliées. Il attrapa finalement les premiers de chaque pile et s'habilla lentement, comme si chaque geste lui coûtait un effort surhumain. Il retourna s'affaler devant l'écran de son ordinateur. Des photos défilaient sous ses yeux. Elles ne lui apprenaient rien de plus que ce qu'il savait déjà. La mode passait, s'élançait, s'universalisait puis disparaissait. Elle détruisait la précédente, mourrait pour la suivante. Plus jeune, il avait essayé de rentrer dans la ronde, sans grands succès. Aujourd'hui, il regardait tourner les modes avec un peu de pitié. Lui n'obéissait qu'à la rigueur militaire, celle qu'on lui avait inculquée des années durant. Pantalon noir, chemise blanche. Sobriété, praticité, uniformité. À quoi bon vouloir prouver sa valeur aux travers de ses vêtements ? Le textile mourrait. Les données, elles, étaient éternelles.
Signes particuliers : Elle était là, sinueuse, épaisse, vivante. Cette veine qui s'insinuait de sa tempe jusqu'au bas de sa joue, qui dessinait un chemin tortueux sur une peau trop claire. Cette anomalie physique, cette erreur d'impression. Il avait passé suffisamment de temps sur différents jeux vidéos, différents systèmes de création d'avatars pour savoir que l'opacité de la peau avait son importance. Apparemment, son code génétique n'avait pas le même attrait que lui pour le virtuel.
Caractère
Il ne s'était jamais résolu à jeter le test psychotechnique que lui avait fait passer un examinateur en surpoids avant son entrée à l'école militaire. Les tests de logique n'avaient été qu'une formalité. L'entretien individuel de personnalité, en revanche, ne s'était pas passé exactement comme Joaquin l'aurait voulu.
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--> Recherche : "recrue Irigoyen" /.../ Résultats [3]
1. Suivi d'études, élèves 15 à 30
2. Résultat tests d'admission, Joaquin Irigoyen [X]
3. Bulletins 1-3 Joaquin Irigoyen
--> Résultats d'admission, Joaquin Irigoyen.
--> Appréciation psychologique globale. Docteur Cabalejo.
Joaquin semble présenter quelques difficultés à s'exprimer à l'oral. La présence d'un inconnu semble le déranger. Il a d'ailleurs avoué de son fait ne pas apprécier la compagnie de personnes moins intelligentes que lui. Il se pourrait qu'il soit sujet à quelques symptômes de l'agoraphobie et de la glossophobie. Je préfère ici parler de quelques symptômes puisque notre conversation a surtout révéler une aversion prononcée de Joaquin pour ses semblables plus qu'une réelle peur de ces derniers. Le jeune homme a plusieurs fois mentionné la futilité des comportements des autres adolescents de son âge, leur reprochant de construire leurs vies sur des préceptes éculés. Parmi ceux-ci, Joaquin place en premier lieu les relations amicales, "un bordel de faux-semblants", pour le citer. À dire vrai, il y a de fortes chances que ses avis tranchés soient la réaction logique à une ostracisation forcée par ses camarades. Joaquin ne semble pourtant pas épris d'un sentiment de vengeance vis-à-vis de ses camarades à qui il dit vouloir pardonner leur bêtise. Toutefois, il semblerait avoir développé un penchant mégalomane affirmé. "La médiocrité du réel m'incommode. Je l'ai dépassée assez jeune", a-t-il par exemple affirmée.
Sans surprise, Joaquin est pris d'une fascination avérée pour tout ce qui touche à la stratégie militaire spatiale. Il a, à plusieurs reprises, évoqué le sujet, présentant chacune de ses lectures sur le sujet avec un souci du détail tout à fait remarquable. La passion, le travail de mémoire accompli pour évoquer les souvenirs de ses "campagnes" de jeux de rôles ou de ses parties de dames laissent entrevoir une belle carrière militaire. Joaquin s'est montré curieux et réceptif aux différentes évocations des perspectives que pourraient lui offrir une carrière au sein de l'armée. Il a lui même abordé le rôle des senseurs, pointant du doigt leur importance au sein des vaisseaux. "J'aime trouver des failles, oui, mais j'aime surtout qu'on ne trouve pas les miennes", a-t-il par exemple expliqué.
Sa discrétion, le soin qu'il apporte à chacune de ses réflexions et son goût de l'ordre font de Joaquin une recrue idéale. Il devra toutefois faire preuve d'un peu plus de sociabilité et de modestie s'il veut faire ses classes au sein de notre ordre. Il est difficile de prédire le comportement d'un introverti exposé à la grandeur de l'univers pour la première fois. À quitte ou double, donc.
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Joaquin souffla un rire inaudible. Il ne lui avait fallu que quelques minutes pour retrouver la trace de ce rapport dans ses documents archivés. Lui qui se pensait relativement indéchiffrable était étonné de la précision de l'analyse du docteur Cabalejo. "J'aime trouver des failles, oui, mais j'aime surtout qu'on ne trouve pas les miennes." Raté pour cette fois, pensa-t-il.
Histoire
Il n'était pas grand ni particulièrement petit. Pas gros, plutôt rachitique. Il ne s'habillait pas en guenilles, n'avait pas de difficultés d'élocution, si ce n'est un petit cheveu sur la langue. Il n'était pas difforme et n'était pas le plus mauvais sportif de sa classe. Bref, Joaquin était un enfant lambda, issu d'une famille modeste de Tyrion. Ses parents s'aimaient, avaient assez d'argent pour lui offrir une vie qui, à défaut d'être luxueuse, était au moins confortable. Leur statut de petit fonctionnaire d'empire leur avait garanti une vie calme, sans remous, terrée dans les sous-sols de la planète mère. Seulement voilà, même dans l'engrenage le mieux rodé d'un système, un minuscule grain de poussière peut tout désorganiser.
Joaquin faisait partie de ces enfants susceptibles, de ceux qu'un développement trop rapide de la psyché empêche de concevoir la naïveté enfantine. Ces enfants qui souffrent d'une brimade d'écolier, qui n'arrive pas à dissocier méchanceté et maladresse. Qui voient dès le bac à sable le monde comme il est réellement : cru, dur, égoïste. Ces enfants qui ne pardonnent pas, qui ruminent, qui s'enferment finalement. Ces enfants qu'un maelström malsain a attrapé. Ces enfants qui n'en ont jamais vraiment été. Joaquin était de ceux-là. Moqué, dénigré, embêté par quelques idioties balancées sans arrière-pensées sur son physique, il a décidé très jeune de s'emmurer derrière une cloison impénétrable. Les moqueries de ses camarades se sont transformées en craintes devant ce garçon muet. Les craintes ont entraîné d'autres moqueries. Les moqueries ont elles confirmé son mutisme. La boucle était bouclée.
Ses parents ont tout essayé pour que leur garçon rentre dans le moule. Pour qu'il puisse lui aussi avoir le droit à une vie parfaitement lambda, qu'il puisse rejoindre les rangs de la méritocratie impériale. Les psychiatres ont défilés, les remèdes avec. Mais rien ne fonctionnait réellement. Aucun garçon de son âge ne le fréquentait, aucun des sujets auxquels les enfants attachant d'habitude tant d'importance ne le concernait. Il était seul. Enfin, presque seul. À douze ans, il avait rencontré cet homme au parc, près de l'air de jeu dans laquelle sa mère voulait absolument le traîner. Ils avaient ensemble fait une première partie de « bataille spatiale »*. Il avait perdu, bien évidemment. Le vieil homme à la barbe mal taillé et aux petits yeux bleus fatigués avait ri. De sa voix trop grave il avait dit : « petit, il faut voir plus loin que ton écran de jeu ! »
Ses parents avaient d'abord vu d'un œil mauvais l'attrait du vieil homme pour un petit garçon. Aussi avaient-ils tout fait, dans un premier temps, pour tenir Joaquin loin de lui. Évidemment, aucune de leur tentative ne s'était avérée fructueuse et le petit Joaquin trouvait toujours le moyen de rejoindre le vieux Patron, comme il l'appelait. Les jours passaient, les parties s'enchaînaient et Joaquin perdait toujours. Chacune de ses défaites était accompagnée non pas d'une brimade, mais d'un conseil aux allures d'énigme : « hé, petit livre ouvert, apprends à te fermer un peu, que je ne lise pas si facilement en toi ! » ; « ce n'est pas tant mes actions que tu dois prévoir, mais mes réactions » ; « parfois, il vaut mieux pousser à faire que faire à tout prix. »
Il n'avait bien sûr pas pu cacher ses rendez-vous incessants avec le vieil homme bien longtemps à ses parents - quelques semaines au plus. Peut-être était-ce la joie qu'ils voyaient naître dans les yeux de leur fils à chaque évocation de ses parties, peut-être était-ce par dépit, toujours est-il qu'ils finirent par ne plus essayer de l'empêcher de vivre sa drôle de vie et qu'ils acceptèrent de rencontrer son partenaire de jeu. Sa relation avec le vieil homme n'était peut-être pas conventionnel, mais elle lui permettait au moins de survivre aux douleurs crues d'une enfance muette. Chaque seconde, chaque minute qu'il passait à l'école, il les passait à penser à sa prochaine partie de bataille spatiale, à ses prochains coups, à ses prochaines stratégies désespérées. Et chaque semaine, il perdait à nouveau.
À 14 ans, Joaquin avait déjà à son actif quelques coups bien sentis. Aucun d'entre eux n'avait fonctionné face au vieux Patron, qui continuait inlassablement de battre le jeune Joaquin. Mais à mesure que les années passaient, ses énigmes se faisaient plus sérieuses, moins vagues, plus directives, aussi. Joaquin prenait tout en note. Son bureau débordait de cahier de croquis, de schémas, de citations, de plans en tout genre. Ses étagères vomissaient des collections entières de livres sur les combats spatiaux, les stratégies, les histoires des plus grandes batailles. Il lisait tout, n'en comprenait pas la moitié, mais continuait. C'était devenu une obsession : il devait battre le vieux Patron à tout prix. À mesure qu'il jouait, à mesure qu'il lisait, il mémorisait tout, la moindre configuration d'une partie, la moindre ligne d'un livre.
Sans même s'en rendre compte, il avait développé avec ce vieil homme une relation qu'il n'avait pas même réussi à développer avec son père. Il méprisait sa famille, leur étroitesse d'esprit. Il méprisait ses camarades de classe, leur bêtise niaise. Il ne se confiait qu'à son partenaire de jeu, lui parlait de ses peurs, de ses envies, de ses aspirations. Il lui expliquait comment il voulait faire rayonner le nom des Irigoyen à travers la galaxie, comment il se voyait comme le sauveur d'une famille trop timide et trop simple pour sortie de son trou. Le vieil homme appréciait sa candeur, vantait ses mérites mais le battait toujours.
Les relations de Joaquin avec ses parents se détériorèrent inévitablement. Et comme tous les parents dépassés par une situation qui leur échappe, ses géniteurs prirent le pire des choix : ils décidèrent d'envoyer leur enfant se frotter à une autorité qu'il ne pourrait pas refuser. C'est à 14 ans que Joaquin fut contraint de rejoindre un lycée impérial, non sans l'aide de quelques contacts de son père qui purent lui garantirent une place malgré la pauvreté de ses résultats aux tests physiques. Avant de rejoindre l'internat, il eut la possibilité de revoir le vieux Patron une ultime fois. Ce dernier, fidèle à ses habitudes, ne put réfréner un petit rire. « Peut-être que les cure-dents en uniforme pourront t'aider et que tu seras capable de me battre en sortant de là-bas ? », avait-il dit avant de s'éclipser. Il ne le savait pas encore, mais c'était la dernière fois que Joaquin croisait la route du vieil homme.
Il craignait l'adaptation à son nouvel environnement, le fait d'être mélangé à des individus de son âge aussi rapidement. La perspective des cours de stratégies militaires lui permettait toutefois de calmer ses crises d'angoisse. Les années défilaient et se ressemblaient. Joaquin était doué, extrêmement doué tant qu'il ne devait pas travailler en groupe ou mettre son corps à contribution. Toutes disciplines confondues, il n'était plus qu'un élève dans la moyenne, souvent rabroué, parfois félicité. La rigueur militaire ne lui déplaisait pas. Elle ramollissait les fortes têtes et mettait tout le monde sur un pied d'égalité qu'un élève ne pouvait quitter que par son seul talent.
Une fois ses classes faites au lycée militaire, et après avoir suivi les cours des classes d'officier militaire, il alla une nouvelle fois à l'encontre de l'avis de son père, qui voyait en lui un futur médecin, et décida de rejoindre l'école spécialisée des communications et des senseurs. Là, il put enfin se focaliser sur la cartographie, la stratégie et les systèmes de commandement. Des années après avoir quitté son vieux partenaire de jeux, il ne pouvait s'empêcher de penser à l'ultime partie qui lui restait à disputer. Il ne passait pas une journée sans ressasser ses défaites, sans ouvrir un cahier, relire un conseil, reprendre une carte mal dessinée par le Joaquin qu'il était quelques années auparavant. Il étudia avec attention, brilla par sa capacité à tout mémoriser. Il ne cachait pas à ses professeurs son penchant mégalomane, évoquait sans tabou son envie de devenir un grand stratège. Ses ardeurs furent vite calmées. Il devrait d'abord faire ses preuves comme senseur. Il s'en moquait. Si c'était le chemin à suivre, il le prendrait sans hésitation. Les années défilaient et Joaquin parvint à se tailler une petite réputation au sein de son école. Réputation qui lui vaudrait peut-être une affectation sur vaisseaux rapide.
Une fois ses études supérieures terminées, l'armée impériale assigna à Joaquin une première mission loin de Tyrion. Le jeune senseur fut envoyé dans le système Dorado pour une affectation immédiate sur le Cerberus. Il n'était pas encore le brillant tacticien qu'il aurait aimé devenir, mais on lui avait promis une affectation auprès d'une personne qui pourrait considérablement l'aider à la devenir. Il ignorait tout de ce qu'il attendait là-bas, mais pas des personnes qu'il allait rejoindre. Il avait compilé toutes les informations qu'il avait pu trouver sur son futur équipage. Qui sait, l'un d'eux jouait peut-être à la bataille spatiale ?
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* Imaginez un jeu comparable à notre traditionnelle bataille navale. Les deux joueurs se font face. Ils ne sont pas devant de traditionnels plateaux de jeu, mais la tête dans une sorte de cube. Ils ont donc des écrans devant eux, mais aussi au-dessus et en-dessous de leur tête. Le principe est le même, tout se passe seulement en "trois dimensions" et que les vaisseaux, d'ordinaire fixes, peuvent ici se déplacer dans l'espace, laissant derrière eux une signature radar qui peut donner un indice sur leur position. Cela demande donc plus de réflexion, d'attention et de mémorisation.