Devoir de famille.

Ce soir, les trois femmes étaient réunies dans la pièce commune. Comme d’habitude après le souper, Abygaël s’était douchée, brosser les dents et avait enfilé son pyjamas, avant d’aller rejoindre Laylia et Emilia dans le salon de l’appartement. Souriante, l’adolescente qui était alors dans la cuisine, déclara avec entrain au deux femmes.

- Je me fais du thé, vous en voulez ?

La petite voix de la jeune fille résonnait dans un discret écho enfantin, alors qu’elle remplissait la bouilloire d’eau pour trois personnes. Préparant les trois tasses et les trois infusions, un goût fruité pour Aby, cette dernière ferma les stores du salon avec la télécommande et continua.

- J’ai un devoir pour demain, je dois faire mon arbre généalogique et décrire les personnes que je mets dessus.

Une façon comme une autre d’engager la discussion. Cette fois-ci, le sourire d’Aby s’était bien masqué pour être remplacé par une moue. Certes, il y avait bien Laylia et Emilia, mais deux personnes, ce n’était pas vraiment un arbre généalogique. Abygaël était de plus en plus dépitée de n’avoir ni père, ni tente, ni oncle ni cousins cousines, toujours plus dépitée et toujours plus curieuse.

La gamine déposa les infusions dans les tasses, puis elle ramena les deux mugs aux femmes. La plus petite s’installa devant la télévision, entre sa mère et sa grand-mère, s’asseyant en tailleur, elle prit sa tablette sur ses genoux et ouvrit un programme de dessins, afin de créer l’arbre généalogique. Abygaël s’amusa à prendre quelques photos d’elle en pyjama, on voyait son large haut bleu foncé, dessin d’un petit ours au centre du textile, puis elle prit des photos de sa grand-mère et de sa maman pour les insérer dans l’arbre. Finalement, Abygaël se tourna vers Laylia.

- Maman, je mets quoi aux cases de mon pa...

Elle s’arrêta net avant de dire papa, puis racla sa gorge et reprit.

- Géniteur. Et de mon grand-père.

La gorge de l'adolescente était extrêmement sèche à l'idée de parler de ça. Elle avala rapidement une gorgée de son thé, se brûlant presque la langue sans le faire exprès, déglutissant et grimaçant sous la douleur de la chaleur de l'eau.

"Merci ma chérie."

Laylia sourit à Aby puis ferme les yeux un instant pour humer le parfum de son thé noir à la vanille. La soirée est tranquille, agréable, et la brune profite avec joie de ce temps en famille. Néanmoins, en entendant la description du devoir de sa fille, Laylia se fige puis échange un regard lourd de sens avec sa mère. Elle sait depuis des semaines, des mois mêmes, que le moment de tout dévoiler à sa fille approche à grand pas, mais malgré cela, elle ne sait pas quoi répondre. Emilia vient alors à son secours en se penchant sur la tablette d'Aby.

"Je ne peux pas te dire le nom de ton grand-père maternel, ma belle, tu connais bien le secret professionnel des Compagnons. Néanmoins, je peux te parler de mes parents, ainsi que de ma tante. Je t'ai déjà parlé d'elle, c'est elle qui m'a inscrite à la Guilde, lorsque j'avais ton âge. Oh, attends, je dois avoir des photos de tout le monde quelque part dans mes affaires. Je reviens."

Emilia se lève alors et disparaît vers sa chambre. Laylia n'est pas dupe et sait que sa mère vient simplement de se trouver un prétexte pour les laisser en tête à tête. Ayant été Compagnonne, Emilia connait l'art du secret et de la discrétion sur le bout de ses doigts, elle aussi. Laylia inspire donc un bon coup puis prend doucement la main d'Abygaël.

"Aby... on doit se parler, toi et moi."

Abygaël sourit pleinement à sa grand-mère, comme soudainement réconfortée par sa présence et sa douce voix, Emilia était peut-être la seule personne qui savait faire une telle chose. Notamment, savoir que grand-mère allait lui parler de la famille, réchauffait le froid glacial que ressentait la petite Mercè en proie au questionnement, à la peur et à la solitude. Bien que la petite soit savamment et rigoureusement entourée par deux femmes d’exceptions, qui s’assuraient que cette dernière puisse vivre heureuse.

- Merci mamie ! Je me réjouis que tu me parles de tes parents et de ta tente !

Toutefois, il restait une question en suspens, celle de son père. Abygaël se tourna vers sa mère, celle-ci même qui venait avec une délicatesse sans pareille se saisir des mains de sa chérie. L’élève n’avait pas envie de sourire, elle savait qu’elle n’était pas particulièrement perspicace à cause de son manque d’expérience, mais en l’occurrence, la petite savait que sa mère s’apprêtait enfin à lui confier quelque chose d’important. Le visage sérieux, la mademoiselle-je-sais-tout répondait sobrement à sa maman en la regardant dans les yeux.

- A propos de mon...Géniteur ? Tu sais maman...

Hésitante, Aby baissait légèrement les yeux en réfléchissant, puis elle redressa son regard pour reprendre ce contact chaleureux et sérieux avec sa mère.

- J’ai un peu peur, car je ressens de la colère pour cet homme alors que je ne le connais même pas. Je ne sais pas comment réagir...

Aux paroles de sa fille, le coeur de Laylia se serre. Une vague de culpabilité et de craintes s'abat sur elle. Elle déteste que sa fille souffre ainsi. À cela s'ajoute l'inquiétude qu'elle ressent pour Jaziel depuis leur dernière rencontre et ses révélations, et sa confusion aussi, vis-à-vis cet homme qui semble ne plus cesser d'ébranler ses convictions. La brune inspire de nouveau tout en venant caresser avec tendresse la joue de sa fille.

"C'est normal ma chérie. J'en suis tellement désolée, vraiment. Je n'ai jamais souffert de l'absence de mon propre père, aussi j'ai cru que ce serait pareil pour toi. Mais tu es ta propre personne, et quelle brillante et magnifique personne tu es, Abygaël..."

Celle qui sait toujours quoi dire ou comment agir, qui peut désamorcer les pires situations où meubler des conversations avec les plus ennuyeux ne sait alors pas comment débuter. Ses yeux parcourent le visage de sa fille, s'attardant sur ses traits qu'elle sait si semblables aux siens, puis s'arrêtent sur ses yeux. Eux, elle les a définitivement hérités de son père.

"Tu peux l'appeler ton géniteur si tu es plus à l'aise avec ce terme, ou bien ton père. Si tu préfères néanmoins... tu peux également l'appeler Jaziel."

Le nom résonne dans sa poitrine, dans son ventre avec une force qu'elle n'avait pas soupçonnée. C'est la première fois qu'elle révèle l'identité du père d'Abygaël à qui que ce soit. Elle sourit alors doucement, avec émotion.

"Tu as ses yeux."

Ce contact avec les doigts de Laylia rassurait la petite adolescente, sa mère était vecteur de courage et annihilatrice de peurs. Qui avait-il de plus rassurant que ses parents, pour un enfant ? Paradoxalement, Abygaël n’en voulait pas autant, elle était assez contrariée de voir sa génitrice et sa grand-mère entourer le vif du sujets par autant de poudres roses, mais elle sauvait aussi que les deux femmes faisaient ça en pensant que les informations puissent mieux être digérée par la petite.

« Merci maman...Je t’aime ! »

Sur ces quelques mots, Abygaël plongeait déjà sa petite frimousse contre la poitrine de Laylia, avant de se redressée avec ce sérieux dont elle désirait ne plus se séparer jusqu’à la fin de la discussion. Elle voulait écouter, comprendre et ne pas juger sans avoir examiné avec profondeur toutes les informations à sa disposition. Devait-elle aimer son père ou non ? Lui donner une chance ou non ?

« Jaziel... »

Alors c’est comme ça que son père s’appelle. Quels autres mystères restaient à découvrir sur cette personne ? Abygaël était des plus curieuses.

« Ses yeux ? Lui aussi il doit mettre des gouttes ? Que sais-tu de Jaziel maman ? Pourquoi ne vit-il pas avec nous ? Tu l’aimes ? »

Toutes ces petites questions que l’ado se posait, elle désirait en détenir les réponses. Yeux dans les yeux, Aby confrontait courageusement sa mère, tout en la respectant et en l’aimant immensément.

"Je t'aime aussi, tellement fort..."

Elle relâche Aby avec une pointe de regret, mais elle sait qu'elle ne peut plus reculer maintenant. Néanmoins, malgré ses résolutions, Laylia pâlit en entendant les questions de sa fille, et reste un moment interdite, cherchant les bons mots et se cherchant elle-même.

"Oui, lui aussi. Mais tes yeux ont aussi la même couleur que les siens et je vois beaucoup de lui en toi, au travers tes yeux."

L'émotion est audible dans la voir de la brune.

"J'ai connu Jaziel il y a 15 ans. Je débutais alors en tant que Compagnonne, et des relations communes nous ont mis en contact. Il était donc... et est toujours, mon client. C'est pour cela qu'il ne vit pas avec nous."

Laylia relève les yeux vers le visage de sa fille, inquiète alors de ce qu'elle va en penser, même si elle doit s'en douter depuis longtemps. Elle hésite pour la suite, étant incertaine de ce qu'elle-même ressent pour Jaziel désormais, mais ne souhaitant pas accabler davantage Aby avec son propre trouble. Est-ce qu'elle... l'aime? Son coeur se serre et son inquiétude comme le souvenir de leur dernière nuit reviennent la hanter. Peut-être. Elle ignore néanmoins ce qu'être amoureuse signifie réellement, ou si cela changerait quoi que ce soit. Elle sait seulement qu'elle ne devrait pas. Lui ne doit certainement pas être amoureux d'elle, de toute façon.

"Mais il est plus qu'un simple client. Il est un ami aussi, quelqu'un que j'apprécie énormément, que j'admire."

L’adolescente se voulait être un peu plus sérieuse en bridant son visage pour se fermée aux émotions et s’ouvrir à la raison. Elle n’était pas adepte des comportements matures plus que nécessaire et ne voulait pas grandir aussi vite que ses congénères de son âge. Non, Aby était une curieuse rêveuse qui désirait rester une enfant collée aux bras de sa mère, elle, elle savait que la vie d’adulte était une chose particulièrement difficile et éreintante et elle savait que sa condition, que cette époque de sa vie allait certainement être l’une des plus faciles de son existence.

Aby ravalait sa salive en se coinçant son bassin contre le canapé, s’adossant de tout son poids sur le moelleux, en soupirant longuement. Puis elle sourit à sa mère, comme pour la rassurée.

« Hey maman... Maman chérie... »

La jeune adolescente dessina ses yeux céruléens, qui sont selon les dires de Layla étaient ceux de son père, à la place du visage de ce dernier, dans la bulle de l’arbre généalogique.

« Si tu le respecte alors je le respecte et l’histoire de ma naissance, c’est vrai que je pourrai être triste d’être la fille d’un client, mais en même temps maman, si tu ne l’avais pas fait avec lui, je ne serai pas née, je n’existerai pas ! »

Insistait-elle en lorgnant dans les yeux de sa mamour.

Abygaël ne s'emporte pas. Elle ne la regarde pas avec colère, honte, tristesse ou ressentiment. Plus encore, ses mots lui disent qu'elle ne lui en veut pas, qu'elle comprend. Un poids énorme semble alors disparaître des épaules de Laylia et la femme ferme un instant les yeux avec un soupir de soulagement silencieux. Darcia avait raison. Elle n'avait pas à appréhender ce moment avec autant de craintes et d'angoisses qu'elle l'a fait. Sa fille est vive, intelligente et possède une très grande intelligence émotionnelle malgré son jeune âgé. Laylia s'en veut presque d'avoir douté d'elle.

Lorsqu'elle ouvre de nouveau les yeux, la mère se penche doucement vers sa fille et prend son visage en coupe dans ses mains afin de la regarder directement dans les yeux. Elle met alors toute la force de son amour et de ses convictions dans ses mots, dans l'espoir que jamais Abygaël ne puisse douter de cette vérité.

"Que ton père ait été un client, que ma grossesse ne fût pas prévue, tout cela n'a aucune importance. Tu n'es pas un accident, Abygaël. Tu es mon miracle. Je t'ai voulu et aimé dès la seconde ou j'ai su que tu existais. N'en doute jamais, ma chérie. Jamais."

Laylia vient alors embrasser le front de sa fille, ses yeux bleu profond bordés de larmes. Lorsqu'elle se redresse, elle inspire profondément de nouveau, prête à tout lui raconter désormais.

"Que souhaites-tu savoir de Jaziel?"

Les joues de l’adolescente emprisonnées entre les mains de sa maman, la petite ne clignait pas des yeux. Son cœur était froid et peut-être ne battait-il même pas concernant son père. Après tout, Abygaël le voyant encore comme un inconnu, elle ne ressentait ni haine, ni joie, ni rancœur ni amour envers cette personne. L’humaine se détacha des bras de sa mère pour marquer une petite distance, poussée par l’envie de ne pas finir ses devoirs trop tard, elle se pencha vers sa tablette pour finir de remplir une bulle. Le temps d’ajuster ses émotions et ses idées dans sa tête, elle soupira et continua d’une façon un peu désintéressée.

« Et quand bien même je serai née après une erreur, on fait tous des erreurs non ? Le tout c’est de rebondir et je pense que maman, tu as bien rebondie sur ton erreur ! Et puis de toute façon, de nos jours avec tous les moyens qui existent, si tu ne m’avais vraiment pas voulue, tu aurais pu avortée, alors bon. »

En se redressant, l’enfant sourit vers sa mère tout en se blottissant contre son torse en ayant bien entendu ses larmes, en plus de les avoir vues. Apprendre tout cela sur son père était une chose, mais voir sa maman pleurer en était une autre. Le cœur serrer, elle lâcha Laylia et conclu sur un ton triste.

« J’ai pas besoin que tu me parles de lui, je préfèrerai savoir pourquoi tu pleures maman... »

Laylia serre les dents en entendant sa fille parler ainsi de sa naissance. Abygaël ne semble peut-être pas avoir de problème à voir sa conception comme une erreur, mais sa mère si. Néanmoins, elle n'insiste pas. Aby sait qu'elle l'aime, qu'elle a été voulue et que Laylia n'a jamais regretté son choix de la garder. Au final, c'est ce qui importe. Inutile d'accabler l'adolescente avec ses propres débats sémantiques.

Devant l'inquiétude de sa fille, Laylia la serre doucement contre elle, déposant un baiser sur le sommet de sa tête. Elle sourit ensuite puis essuie rapidement les larmes de ses joues du revers de la main.

"Parce que je suis fière de toi, que je t'aime au-delà des mots et que je ne veux jamais que tu en doutes."

Laylia inspire profondément puis se détache de sa fille.

"Tu n'es peut-être pas curieuse, mais il y a des choses que je dois t'apprendre néanmoins. Attend moi un instant, je reviens."

La brune se lève puis se dirige vers sa chambre. Elle en ressort une minute plus tard, un petit et léger sac de soie dans les mains. Laylia revient vers Abygaël puis dépose délicatement le sac dans les mains de sa fille. Si celle-ci l'ouvre, elle trouvera à l'intérieur une petite et délicate bague de métal blanc surmonté d'une pierre rouge opaque.

"Ton père se nomme Jaziel de Nieves aujourd'hui, mais il est né hors Dorado sous le nom De Asturias, Marques de l'Empire."

Curieuse, la jeune étudiante attendait le retour de sa mère. Malgré le doute, comment ne pas tourner les yeux vers le passé, surtout lorsque celui-ci était aussi embrumé que le sien ? Elle ouvrit le sac de soie avec ses petites phalanges et plongea deux doigts dedans pour en ressortir le contenu qu'elle observait dans la paume de sa main.

L'adolescente soupirait, puis faisait glisser ses dents sur ses lèvres en réfléchissant. Elle venait de décider de camper sur sa position. Son père aurait pu être l'Empereur lui-même, que ça ne changerait rien ! Abygaël avait choisie de ne pas lui accorder plus de crédits que nécessaire tant qu'il ne se sera pas expliqué et justifié. Certes petite et menue, mais le caractère de la pépite était déjà bien présent.

"Je vois. Il m'en parlera lui-même lorsque je le rencontrerai."

Répondait-elle plus calmement, reprenant ses esprits et surtout sa logique.

"Cette bague est très belle, je ne sais pas si je devrai la portée, on pourrait vouloir me la volée... J'avoue que, tout de même, je ne voudrai pas la perdre."

Tandis qu'elle faisait doucement glisser la bague sur son index de la main droite, avant de la regarder à la lumière du néon du salon.

"Autre chose maman ?"

Laylia hoche doucement la tête, approuvant la prudence de sa fille, et comme pour continuer à se rassurer elle-même, la main de la Compagnonne trouve son chemin dans les courtes mèches noires à la base de la nuque d'Aby. Tout en les caressant distraitement, elle hoche de nouveau la tête à l'affirmative avant de continuer.

"Oui, il y a plus. Il pourra te raconter tout cela lui même, bien sur, mais tu dois connaitre certaines choses avant de prendre la décision de le rencontrer un jour."

Même si Abygaël a bien réagit jusqu'à présent, la suite pourrait potentiellement marqué une réaction plus négative. Néanmoins, maintenant qu'elle a commencée, Laylia ne peut plus rien garder pour elle.

"Jaziel a du quitter son ancienne vie puisque sa famille fut victime d'une vendetta. Il a réussi à s'échapper à cette vie, mais tous le croient mort. C'est pour cette raison qu'il a changé son nom et est venu en Dorado. C'est aussi pour cela qu'il est devenu pirate."

La mère tente d'évaluer la réaction de sa fille à cette nouvelle révélation avant de poursuivre.

"Il est le capitaine de l'Iceberg. Ces informations, tout comme l'identité de ton père biologique, dois donc rester un secret entre nous. Si les mauvaises personnes venaient à apprendre que Jaziel est toujours vivant, ou encore qu'il a une fille, la vendetta pourrait le rattraper, et certains personnes pourraient vouloir s'en prendre à toi. Tu comprend?"

Des émotions fortes, Abygael n’en ressentait pas vraiment, de toute façon elle avait toujours placé la logique et la franchise avant l’empathie et l’hypocrisie. Des termes qu’elle associait forcément l’un avec l’autre, indissociables et intrinsèquement liés. Elle émettait qu’à l’académie ses camarades de classes lui aurait dit de réagir, de s’indigner, de rejeter ce père absent ayant manqué à ses devoirs. Mais l’adolescente avait toujours su que les gens sont plus compliqués que ça, elle pouvait faire le choix de fermer son esprit, mais elle préférait s’ouvrir consciencieusement à la possibilité que son père avait de bonnes raisons d’agir ainsi. Qui était-elle pour le juger sans le connaître, sans le comprendre ? Les actes pouvaient être jugés, mais juger un acte sans prendre en considération le fond était une preuve d’imbécilité selon l’adolescente.

La jeune fille écoutait attentivement sa mère et reformulait les informations dans sa tête. Les réponses apportaient systématiquement de nouvelles questions, et ce n’était pas pour lui déplaire, elle qui avait un esprit scientifique, elle qui prônait la recherche de la vérité et de la justesse. Passant sa main dans ses courts cheveux noirs, Abygaël réfléchissait avant de souffler dans ses mains et de déclarer avec calme et douceur.

- Je ne dirai rien maman, c’est promis. Merci de m’avoir révéler la vérité sur mes origines, quand bien même cela aurait pu me faire mal. C’est que je préfère être blessée et savoir la vérité, plutôt qu’être protégée et vivre dans le mensonge, tu comprends ?

Laylia regarde avec soulagement et fierté Abygaël réagir calmement à ses révélations. Elle a une chance inouïe d'avoir une fille aussi vive, intelligente et compréhensive, et elle en sera éternellement reconnaissante à la vie. C'est donc avec fierté et une note d'amusement que la Compagnonne offre lui un sourire.

"Tu es beaucoup trop mature pour ton age, tu sais ca? Je suis fière de toi, vraiment."

Elle inspire un bon coup puis enchaîne sur un sujet plus sensible, du moins pour elle-même.

"Oui je comprend. C'est aussi pour cela que j'ai décidée de t'en parler aujourd'hui. Tu es assez vieille et mature pour comprendre la nécessité du secret, ses raisons pour être absent aussi. J'espère que tu comprend mon silence jusqu'à maintenant, même si je m'excuse de ne pas avoir trouvé les mots et le courage pour le faire avant, Aby."

Nouveau sourire désolé, mais Laylia ne s’apitoie pas pour autant.

"Lorsque tu te sentira prête et si tu le désir, je pourrais organiser une rencontre avec lui. En attentant, es-tu certaine que tu n'as aucune questions sur Jaziel? Tu peux me demander tout ce que tu aimerais savoir, tu sais. Mais ne te sens pas pressée. Si elles viennent plus tard, alors laisse les venir, j'y répondrais à ce moment là."

Aby souriait, elle était dans son élément, chez elle et proche de sa mère. Jamais aucun lieu ne pourrait la faire se sentir aussi bien et en sécurité que celui-ci. Les mains à plat sur le divan et ses cuisses qui les écrasaient, la jeune fille se balançait légèrement de droite à gauche comme une vieille pendule.

« Merci maman. »

Et puis l’adolescente se laisser aller dans les bras de sa mère, finissant sa chute contre son ventre et sa tête sur ses genoux. En quelques gestes avec ses pieds, elle retirait ses chaussures qui tombaient sur le parquet, pliait ses genoux et soufflait en se couchant, laissant son devoir sur le côté.

« T’en fais pas mam’s, je sais bien que ce que font les parents, même si parfois les enfants ça les ennuient, au fond ce que vous faites c’est pour nous, dans l’intention de notre bien-être. Je ne pourrai jamais être en colère contre toi dans cette optique. »

Abygaël fermait ses paupières et se tournait, le visage face au ventre de sa mère, son nez touchant la hauteur de son nombril. L’enfant qui touchait le nombril de sa mère. C’était une sorte de comble, pensait-elle.

« Je ferme les yeux, et j’imagine Jaziel de biens des façons. Dans ma tête, il est affiné et légèrement musclé, grand et les yeux marrons, un beau regard marron. Ses cheveux sont courts et noirs ! Je me trompe maman ? »

Laylia laisse sa fille poser sa tête sur ses jambes avec un sourire empli d'affection. L'une de ses mains vient caresser les mèches noires d'Aby alors que l'autre effectue doucement des cercles dans le dos de l'adolescente. Pendant un instant, la compagnonne se laisse profiter du moment et des sentiments de soulagement et d'amour qu'elle ressent. Toutes ses angoisses lui semblent futiles maintenant, bien qu'elle ne regrette pas d'avoir pris autant de précautions. Rien n'est plus important pour elle que le bonheur et la sécurité d'Abygaël, et aucun coût à payer n'est trop grand pour s'en assurer.

Lorsque sa fille lui décrit comment elle s'imagine Jaziel, un sourire plus large et plus amusé vient étirer ses lèvres. Elle rit doucement puis, sans lâcher Aby des yeux, dont Laylia voit tellement de Jaziel en elle, entreprend de lui dessiner un portrait de l'homme avec ses mots.

"Un peu oui. Laisse-moi te le décrire. Il est légèrement plus grand que moi et est effectivement légèrement musclé. Il maîtrise bien le combat au sabre, et a donc la musculature fine des épéistes. Ses yeux sont bleu clair, avec la même intensité que les tiens, et bien sûr ses paupières ne clignent pas beaucoup. Ses cheveux sont effectivement plutôt courts, mais pas noirs. Ils sont blancs comme la neige. Il porte également la barbe, toujours bien taillée, qui est de la même couleur que ses cheveux. La plupart du temps, il porte du blanc ou du bleu, qui mettent ses yeux en valeur."

L’imagination était l’arme d’Abygaël au même titre que son intelligence. Ces deux qualités n’étaient pas forcément liées l’une à l’autre, mais la jeune adolescente les possédaient toutes deux. Les yeux clos, le corps lourd et immobile, son esprit vagabondait à mesure qu’elle écoutait les mots de sa mère. En réalité ce que voulait Aby, c’était confronter l’imaginaire à la réalité. C’était intéressant d’observer la façon dont son esprit pouvait créer un père absent face à ce qu’il pouvait vraiment être.

Le père qu’elle imaginait avec ce qu’elle savait de lui avait été conçu. Abygaël se redressait et empoignait un crayon avec lequel elle dessinait un autoportrait aux petites dimensions qui pourrait s’incruster dans l’arbre généalogique que l’étudiante devait faire pour les cours. Sous le dessin, elle avait inscrit -Jaziel de Nieves- . Contente d’avoir enfin finit son devoir, la petite adolescente souriait à sa mère.

« Merci maman de m’avoir tout révéler. A l’occasion, si c’est possible j’aimerai bien le rencontrer ! » Terminait-elle avec entrain très timide, pendant qu’une once de tristesse et de doute se lisait en la jeune femme. Celle-ci rangeait son devoir et s’étirait de tout son long en baillant.

« J’aurai peut-être des questions sur lui, mais là, rien me vient. Maintenant que j’ai finis mes devoirs, je peux monter pour jouer ? » Elle était comme ça Aby, toujours active, elle savait passer facilement d’une chose à une autre, malgré son tempérament observateur et pensif. D'ailleurs, on disait souvent d'elle qu'elle manquait d'émotions.

Laylia sourit doucement, réellement soulagée de la réaction de sa fille face à toutes ces révélations sur son père. Cela fait beaucoup d'émotions et de stress pour elle-même, mais Laylia ne se leurre pas, c'est Abygaël qui doit vivre le plus de choses actuellement, peu importe ce qu'elle affiche.

"Merci à toi, ma chérie. Laisse-moi quelque temps pour lui en parler, et j'organiserais une rencontre quand tu le souhaiteras. Je me charge de tout."

La brune se penche pour déposer un nouveau baiser sur le front de sa fille, son coeur battant fort dans sa poitrine. Ses yeux bleus tombent alors sur l'arbre généalogique du devoir d'Aby et elle se mord la langue. Le nom de Jaziel de Nieves écrit en toute lettre aux côtés du sien, à la place du père d'Abygaël, lui fait un drôle d'effet. Mais plus encore, il ne devrait pas se trouver là. Elle vient de lui expliquer que l'identité de son père doit rester secrète, pour leur sécurité à tous, mais Laylia n'a pas le coeur de lui demander d'effacer ce nom maintenant. Ce simple geste doit trop représenter pas sa fille en cet instant, aussi elle remet la chose à plus tard. Demain matin, surement, avant qu'elle ne remette son devoir, Laylia le révisera et cachera ce qui doit l'être.

"Oui bien sûr. J'irais te voir dans une heure pour éteindre les lumières."

Elle hésite un instant puis ajoute rapidement :

"Oh et, Aby? N'oublie jamais que je t'aime."