109 - La Bataille de la Manzana

L'assaut avait été un franc succès : certes, nombre de nos vaisseaux étaient fortement endommagés, mais leur cuirassé pouvait à peine être qualifié d'épave, et la majeure partie de leurs forces de tête avaient été detruites.

« Madame », amorçai le Maître artilleur Fuegos, « ils ont abordé dix de nos navires, contre six de notre côté. Mais leur cuirassé est salement touché, je doute qu'il ... » Les yeux des officiers plaqués sur le holo central ou leurs propres postes s'écarquillèrent, alors que le navire ennemi sombrait, et son équipage conséquent avec lui. Mais, outre son explosion, ce fut la trajectoire forcée par l'onde de choc qui causa sueurs froides et exclamations désabusées sur le pont.

Lentement mais sûrement, le Cuirassé sombrait vers la Manzana. Bouche bée, j'étudiais la carte tactique, à la recherche d'un quelconque plan ; pourtant, rien. Rien ne me venait à l'esprit. Le cuirassé se trouvait derrière une épaisse couche de débris divers, et aucun vaisseau impérial ne pourrait l'atteindre à temps pour tenter de le forcer à changer de cap. Rien. Rien ne pourrait empêcher l'inéluctable, et nous ne pouvions qu'observer la lente descente trinitaire.

« ETA trente secondes, madame », déclara calmement Giuseppe, tandis que toutes les paires d'yeux restaient collées sur la cuve holo.

Il était trop tard pour une quatrième  salve, les trinitaires étaient déjà sur nous armes au poing.  J'ordonne à mes subordonnées de saisir leurs armes de corps à corps et de former un rempart de lames tranchante dans l'espace réduit de la coursive. Aussitôt j'intercepte la première lame qui  pointait dans ma direction  et la détourne  avec force  avant d'éventrer le  sinistre personnage qui hurle à la mort des paiens.  Difficile de continuer  dans ce registre avec les tripes qui pendent à l'air conditionné.  Bref,  je  lui porte un deuxième coup histoire d’être sur qu'il est définitivement mort.  

Après ça, il est difficile  de retracer la déroulement des combats et les décès et les blessures de chaque coté. Je tue à gauche et à droite en proférant des ordres et des encouragements ainsi que quelques  chansons anti-trinitaires. Je me rends compte    qu'ils s'acharnent particulièrement  sur moi  sans doute pour désorganiser la chaine  de commandement en me tuant.

Ce n'est pas comme si je comptais me laisser faire.  Puis tout à coup, le maitre d'abordage  ennemi  me tombe  dessus et parvient à me désarmer.  Il   attaque à nouveau mais j'arrive à  esquiver la lame puis le sergent Colorado  s'interpose pour me couvrir et je profite de l'affrontement pour délester un mort de son arme. Le sergent  s'effondre blessé mortellement, prix de sa bravoure alors que j'expédie  ad patres le maitre d'abordage  qui  venait subir  également l'assaut vengeur du caporal Hernani et deux soldats. Un dur celui-là.

Il régnait sur le Pont de Commandement un silence infernal, comme si l'intégralité des officiers s'était statufiée devant l'affichage tactique. Une seconde plus tôt, il y avait deux points, le premier rouge, l'autre vert, plus grand. La suivante, rien. Un affichage exempt de toute émission énergétique. Le Cuirassé entrait en collision avec la station, l'emportant dans sa chute. Sa proue et une grande partie de sa poupe s'écrasaient droit au centre de la Manzana, emportant avec lui hommes et femmes, civils comme militaires, qui avaient aveuglément fait confiance au Colonel Mia de Moya.

« Impact. » Un mot que le Lieutenant Giuseppe Echevarría s'arrache de force, comme pour confirmer ce que tout le monde savait déjà.

Ca et là, les senseurs détectaient quelques capsules de survie, lancée avant l'explosion, emportant les quelques rescapés du massacre, tandis que les vaisseaux trinitaires, sur l'écran, opéraient des mouvements anarchiques qui laissaient supposer une retraite.

J'ordonne à un infirmier de s'occuper d'Hernani et du soldat touché par le maitre d'abordage ennemi avant que je ne le tue. Il confirme le décès du caporal et annonce que le soldat est simplement blessé. Et merde ! Hernani aurait fait un précieux maitre d'abordage vu que c'était en partie son œuvre ce massacre général. j'ordonne aux autres d'avancer et de repousser les trinitaires qui ont vu leur chef tomber.

On gagne le boyau qui débouche sur le Saint Nicolas, nom de la frégate ennemi que je n'apprendrais que bien plus tard. Mes bottes sont rougie par le sang mêlé des trinitaires et des miens. Il ne fallait pas leur donner de répit pour qu'ils se reprennent malgré la fatigue évidente que nous ressentions. Maintenant il fallait foncer directement vers le pont de commandement ennemi en espérant que nos plans soient justes et qu'aucun constructeur n'a déplacé de cloison sur le chemin. Sacré jet de dé que de parier dessus.

Caporal Ramirez, allez demander des renforts et annoncer au capitaine que nous avons abordés la frégate ennemi. Un groupe va rester ici pour sécuriser la voie pendant que les autres continueront de presser les ennemis dans les boyaux. Je prends la tete du groupe qui ira vers le pont du commandement. Bonne chance à tous et gloire et honneur !

« Giuseppe, faites sonner l'ordre de repli pour les équipages d'abordage. Faites savoir aux forces trinitaires que nous les laissons partir. »

Le Second du Commandant De Salvez me dévisagea, et s'il parvint un temps à étouffer ses questions, ce ne fut pas le cas bien longtemps.

« Madame, vous voulez laisser partir ceux qui nous ont attaqué ?! »

« Non, Lieutenant », débutais-je, sourcils froncés alors que j'approchais l'homme d'une tête plus grand que moi en le fusillant du regard, reprenant en détachant chacun de mes mots. « Je souhaite épargner des hommes et des femmes sous mon commandement d'un assaut inutile. Je souhaite m'intéresser plus à ces innombrables capsules de survie perdues dans l'espace qu'à tirer sur des culs métalliques. Je souhaite étouffer toute rancune entre les factions : ils nous ont attaqué, ils ont perdu. Aujourd'hui, c'est la peur qui les habite. Si nous les prenons en chasse, ce sera la colère. Enfin, et pour terminer, je souhaite que vous exécutiez mes ordres. Est-ce que je suis clair, Lieutenant ? »

Celui-ci dégluti légèrement, colère contenue. « Oui. »

« Oui Colonel. »

« Oui, Colonel. »

Un silence froid s'installait doucement sur la passerelle, alors qu'il m'observait, retenant sa frustration. « Alors prenez ce foutu communicateur et donnez l'ordre. »

On fit exactement comme  j'avais ordonné  et on  a  foncé  rejoindre  le pont de commandement. J'étais conscient  que c'était dangereux de se disperser ainsi mais si on tenait  le pont,  on pouvait forcer les trinitaires à se rendre.  Je frissonne  parce que  j'allais  faire une des menaces les plus atroces qu'on  pouvait  faire à bord  d'un vaisseau : menacer de  dépressuriser  l'air conditionné du vaisseau.  Une mort  des plus horribles   après être partir  en hollandais volant dans l'espace  avec une combinaison  et être expulsé par le SAS sans combinaison.  

Là,  un tir  d'arme à accumulation d'énergie manque d'atteindre mon bouclier et traverse la paroi  du vaisseau. Je recule pour éviter de donner une cible  à une deuxième arme. Merdia.  j'espère qu'ils se soucient de ne pas trouer le vaisseau  comme un gruyère sinon on est mort. Je demande un miroir qu'on me passe rapidement  et je vois  que  six ennemis dans la coursive et deux seulement détenait les armes tant redoutées.

Quelqu'un a sur lui une arme  à accumulation d’énergie sur lui ? Oui  Garcia ?  Bien, descends  ces  hijo de puta qui en possèdent ! Je ne tiens pas à perdre d'autres gars. Allons-y avant qu'il puisse recharger.  

Garcia  se mit en position à ma place et  abattit un des tireurs puis en espérant que ce n'était pas celui qui venait de tirer, j'ordonnais l'assaut pour exterminer le petit groupe.  Ce fut rapide  mais je perdis néanmoins  un homme à cause du tireur restant.

« Colonel, le Sol Bianca nous annonce avoir presque réussi à atteindre le pont de commandement de la frégate ennemie et demande l'autorisation de poursuivre. »

Doigt sous le menton, je songeais aux répercussions, tant politiques que militaires. D'un côté, je souhaitais éviter l'escalade. De l'autre, nous pourrions au besoin les relâcher par après, si l'Amirauté en décidait ainsi. Il n'y avait donc que peu de risques à tenter l'aventure, sinon celui des vies des militaires impériaux.

« Bien. Mais que cela reste une exception. Si les pertes sont trop lourdes, qu'ils fassent machine arrière. Faites pointer les canons des vaisseaux proches sur les trinitaires, avec un peu de chance cela forcera leur reddition. »

J'inspire profondément en ordonnant de laisser la triste dépouille ici après m’être assuré que leurs blessures ne les gênait pas. Nous le récupérerions plus tard si nous parvenions à mettre à fin aux combats. Un instant, je me demande comment les autres groupes se débrouillent puis je me suis la réflexion que leur sort dépendait de ma réussite. Des pas résonnent dans les coursives. Amis ou ennemis ? Je n'attends pas de le savoir et continuait de suivre le plan de base des frégates de cette classe. Malheureusement au lieu d'un unique couloir menant tout droit vers le pont de commandement, je tombais sur une intersection qui partait dans trois directions différentes.


MERDE !

L'indécision et le stress me gagne, j'allais devoir faire un sacré pari qui pouvait couter la vie à d'autres collègues. C'est encore pire avec les pas que j'entends. Je ne tiens pas à rencontrer un groupe de trinitaire mais si c'est des copains, ils seraient le bienvenu pour forcer le pont de commandement. Tic-tac tic-tac ai-je l'impression d'entendre pendant un instant qui me semble une éternité avant que je ne prenne une décision.

A gauche ! Vite !

Et c'est reparti pour la course, les gars ayant suivi le même raisonnement que moi. Les pas semblent s'éloigner... Ou les étouffait-t-on avec le bruit qu'on faisait dans les couloirs ? M'étais-je trompé en choisissant cette voie ? Tout ces question tournent en boucle dans mon esprit et cessèrent aussitôt d’être.

J'y crois pas. Je l'ai trouvé.

« Les trinitaires sont tous hors de portée de canons, à l'exception de celui que le Sol Bianca empêche de partir, Madame. »

« La situation est-elle sous contrôle, de leur côté ? », m'enquis-je, observant le bilan mi-figue mi-raison que montrait l'écran tactique. On y décelait la supériorité impériale, mais aussi l'absence de la station, et les trop peu nombreuses capsules de survie.

« Pas encore. »

« Faites-leur savoir qu'ils ont dix minutes avant que je ne sonne la retraite forcée. »

FAITES MOI SAUTER CETTE PUTAIN DE PORTE ! Et fissa ! Simple. Efficace. Direct. Je ne vais pas perdre du temps demandant à ce qu'on pirate la porte. Avantage supplémentaire, la brutalité de l'entrée devrait peut-être désarçonner les officiers. Ou pas s'ils ont accès à des caméras de surveillance. Juenos de la Ferna sortit les explosifs destinés à détruire spécialement les portes blindées d'un vaisseau et les appliqua méticuleusement à des endroits stratégiques du lourd blindage.

C'est fait. A vous l'honneur Adjudant. m'informa-t-il en me lançant le détonateur que j'attrape au vol. Je regarde l'instrument de la défaite finale, puis reculait par prudence imité par mes subordonnés. On ne savait jamais avec ce genre de matériel. Peut-être qu'il pourrait s'avérer nettement plus puissant que prévu. Bientôt tout serait terminé. J'actionne le piston qui déclencha les charges, et hop, un petit boum pour la postérité.

J'dis ça mais en fait, ça n'a rien d'un petit boum, Juenos n'a pas lésiné sur les explosifs. J'ai les oreilles toutes assourdie par ce son mais je m'élance quand même à l'attaque. Les trinitaires tentent de se défendre mais l'effet de l'explosion sur eux ajoutée à leur manque d'expérience pratique les rendait ridicules même s'ils étaient déterminés à se défendre. Quelqu'un tira sur mon bouclier puis fut abattu par Garcia qui matraqua avec l'arme à accumulation un officier d'un coup à la tete. Le capitaine s'est montré plus tenace mais je suis parvenu à le maitriser et à lui écraser la tete sur un écran.

Plusieurs heures étaient passées depuis la fin des affrontements. Les pertes, incluant les habitants de la Manzana, se comptaient en centaines. Parmi eux, nombre de nobles et hauts gradés, tant militaires que civils. De la station, il ne restait que des débris gigantesques flottant librement dans l'espace. L'écran du Colonel Ángela de Botello restait éternellement figé sur un noir de jais ; on aurait dit que la caméra avait survécu, accompagnant les restes de la base dans leur valse solitaire.

Personne n'avait parlé. Personne n'avait crié. Certains pleuraient, de frustration pour l'un, de colère pour l'autre. Le Général de Tières avait survécu, retrouvé dans l'une des rares capsules de survie s'étant éjectée avant le drame. Au moins avait-il eu le bon sens de ne pas se présenter sur le pont de commandement, fut-ce par honte ou par crainte.

Je m'avançais d'un pas lent sur l'estrade du cuirassé. J'aurais aimé dire quelque chose, mais ma gorge serrée, strangulée par un trop plein d'émotions que je n'osais afficher, n'osait aucun son. A la place, je hochais la tête à l'adresse du Commandant Talya De Salvez. Avec le recul, je comprends aujourd'hui que j'aurais dû parler, parler de victoire, de repos mérité, d'honneur. Pourtant ...

« Mesdames, Messieurs, nous partons. »