Les faux airs sont des menteurs

La foi, la vertu, être pieux... Tout un tas de concepts honorables constituant de solides édifices pour beaucoup, dessus se pose un lourd fardeau qu'est de respecter les valeurs saintes et faire preuve d'abnégation. Ces gens-là espèrent retrouver l'Unique dans sa demeure, qu'ils soient reconnus par le seigneur et récompensés de leur dévotion sans faille. D'autres feints d'être bons, portent le nom de saint en étant plus proche du démon que de l'ange. Prétendre être de la foi et pourtant ne servir que ses intérêts. Pire. Ne pas respecter ces valeurs sacrées.
C'était la nuit.. Tous les enfants du couvent sont, comme à chaque soir tel un rituel, dans leur lit après la prière. Le couvent a éteint ses lumières et très peu de sœurs veillent sur ces marmots. Qui pourrait penser qu'une telle bouille ne respecterait pas les règles ?
Qui suspecterait deux enfants dévots. Deux petits anges.

- Alors petite Sainte, toujours pas de culpabilité à se faire la malle ?

- Tu peux parler satané de tentatrice !

Et nous rions. Ce soir-là, la luminosité nocturne offrait un spectacle inhabituel, la bioluminescence végétale se faisait des plus intenses. Bien que la nature me donne source de fascination ce n'était pas l'unique motif de notre escapade. Le couvent est d'un ennui, finalement on s'y sent prisonnière d'une vie qui n'est pas la nôtre. Nous ne décidons de rien, nous ne pouvons même pas avoir notre personnalité. On se lève, on prie, on cuisine, on chante pour l'Unique, on sert l'Unique... Quand est-ce qu'on vit ?
Alors ça y est, nous sommes de ces monstres hérétiques ? Sœur Josiane serait outrée de nos attitudes, peut-être même que nous pourrions être brûlées pour cela. Je ne sais pas, quelque part cela m'effraye et paradoxalement cela m'exalte ! Le risque de perdre la vie, c'est donc que nous vivions.
Cette différence d'opinions est amusante, combien de vérités existent-t-elles ? Pour le couvent nous sommes des renégates attirées par les démons, pour les citoyens nous avons des têtes d'anges. Nous servons aussi nos intérêts, mais sommes nous ces monstres que l'Église rejette parfois ?

- Constaaaaaance...  Je sentis mon bras se faire tirer. On va avoir des ennuis !

Je tournai la tête afin de chercher quelle tête avait ces ennuis. Des hommes, une troupe d'inquisition s'occupant de la sécurité. Normalement ils s'attardent dans la ville haute et laisse relativement sans surveillance la banlieue. Et ils nous avaient vues. Comment justifier deux gamines de 15 et 17 ans dehors à cette heure-ci ! Ils se dirigeaient vers nous, et mon binôme eu l'excellente idée de partir en courant. Forcément je dus suivre son idée avant d'être attrapée.
Je la perdis de vue et me heurta sur un groupe d'ivres. Ils semblèrent très peu ravis que je renverse leur rhum. Je me relevai rapidement de ma chute et alla me cacher derrière une personne qui passait par là. Les hommes firent une grimace et partirent sur-le-champ, pour mon plus grand soulagement.

- Dodu, il nous reste des framboises ?

Dodu secoue la tête. Zut, on les a déjà toutes mangées ? Il faut dire que la journée a été longue, et on n'a rien avalé d'autres que des framboises. D'habitude, on fait moitié-moitié mais je soupçonne Dodu de se servir quand j'ai le dos tourné. Je lui jette un regard en coin, suspicieuse.

- T'aurais pas vidé le stock sans partager avec moi, quand même ?

Dodu me regarde fixement, et je sais bien qu'il me cache quelque chose. Je le connais trop bien pour pas m'en rendre compte. Je fronce les sourcils, un peu fâchée. Mais j'ai le temps de rien dire. On entend du mouvement pas loin, des bruits de courses, et puis avant qu'on ait eu le temps de voir ce qui se passe, on sent quelqu'un se coller à nous. Dodu est un peu effrayé et il se blottit sur mon dos. Moi je me rends compte que des hommes me fixent, et puis quand ils s'en vont, je lève un bras.

- Heu... Bonjour ? Est-ce que tout va bien ? Ces monsieurs te voulaient du mal ?

Quelque part je craignais de découvrir pourquoi ces hommes avaient peur. La femme que j'ai agrippé est terrifiante à sa façon. Ses cheveux châtains emmêlés dévoilaient un visage très peu harmonieux, pleins de cicatrices, de grosses lèvres et des yeux... Sans prévenir mes jambes me lâchèrent. Ses yeux ! Des immondices de métal. J'essayais tant bien que mal de résister à mon envie de vomir. Je comprenais ce qui avait fait fuir ces ivrognes... Cependant je ne pouvais pas rester plantée ainsi !

- Oui, ils étaient ivres et en avaient après moi.

Mon soulagement céda assez rapidement au dégoût et à la panique. Comment avait-elle obtenu de tels yeux ? Un tel visage ? Et là, il y a un singe... Elle vit dans la forêt environnante ? Si ça se trouve elle dévore les cadavres des enfants perdus et se bat avec les animaux des environs. Non, ce n'est pas rationnel. Néanmoins il doit y avoir une raison à leur peur, peut-être qu'il s'agit d'une personne réputée pour ses crimes. J'ignore tellement de la vie extérieure, je suis si vulnérable par mon innocence... Je me mis à sangloter. Une personne influente à toujours des moyens non ?

- Ils enlèvent des enfants pour les rendre esclaves ! Je m'enfuyais. Merci de m'avoir sauvé Madame.

J'usais de mes récents talents de comédie, j'ai particulièrement travaillé la pièce de l'enfant aux misérables aventures. Si cette personne peut me permettre de me faire oublier de l'inquisition, j'en suis !

Dodu et moi, on fixe la petite inconnue, qui semble terrifiée. On n'a pas vraiment compris ce qu'il vient de se passer, parce que tout est allé très vite. Mais maintenant qu'elle est là, hors de question qu'on la laisse toute seule, livrée à elle-même, même si je crois bien qu'elle ne nous dit pas vraiment la vérité. Dodu est sur mon dos, et la regarde avec curiosité.

- Ne t'en fais pas, tu ne crains plus rien tant que nous sommes à tes côtés. Tu n'es pas blessée ?

Elle n'a pas l'air de l'être, mais on ne sait jamais. Il vaut mieux demander pour être sûrs, que de passer bêtement à côté d'un mal. Je prends brusquement conscience qu'elle n'a aucune idée de qui nous sommes, alors je lui fais un sourire rassurant - enfin, un sourire que j'essaie de faire rassurant.

- Oh, on ne s'est pas présentés. Je m'appelle Billy, et lui, c'est Dodu, je dis en pointant Dodu d'une de mes grandes mains difformes. Billy et Dodu Jenkins. On est médecins. Et toi, comment est-ce que tu t'appelles ?

Jusqu'à lors, Dodu ne s'est pas directement manifesté. Il est très calme, mais il observe, curieux.

Malgré ses airs effrayants elle n'avait pas l'air d'être une mauvaise personne. Je ne pouvais qu'en être rassurée, c'aurait été stupide de fuir l'horreur et de tomber sur un cauchemar. Ah ! Quelle garce cette Clémentine. Elle m'a juste lâchement abandonnée, j'espère qu'elle saura se faire pardonner. Elle a de la chance que mon pardon soit plus clément que celui du Seigneur. C'est ironique, mais vu son prénom je ne peux qu'être clémente envers elle. Son absence me ferait bien trop de mal...

En parlant de prénom, ma sauveuse s'appelle donc Billy. Et son adorable singe, Dodu. Ils forment un duo aussi improbable que son visage. Je me demande quel mal ou péché elle a bien pu faire pour hériter d'un tel fardeau. Même si j'en suis moins effrayée, je m'avoue honteusement encore juger sur son apparence, et elle doit y faire face au quotidien... Miséricorde. Cultive ton esprit et ton caractère à défaut de ton physique. Sœur Josiane me raille souvent là-dessus lorsque j'essaie d'un peu trop arrangé les plis de mes tenues.

Cependant, tout en gardant mon air d'innocente apeurée, je décidai de mentir, encore.

- Je m'appelle Maria ...

Je ne voulais pas trop en faire, alors je gardai pour moi la comédie larmoyante. Je comptais lui demander de m'escorter non loin du couvent quand des hommes arrivèrent brusquement et s'exclamèrent sans la moindre politesse.

- Hé vous là ! Nous recherchons deux gamines, probablement trinitaire. On les a vues par ici il y a peu.

Dodu observe toujours, et puis il est le premier à se rendre compte de la présence des hommes. Moi, je suis sûrement la dernière. Je sais que Maria me ment, mais je dis toujours rien. Je souris aux hommes, et puis quand ils voient mon visage, ils grimacent de dégoût. Je me rapproche un peu de la petite. Je sais bien qu'elle me dit pas la vérité, mais je peux pas la vendre comme ça alors que je suis sûre de rien - et puis je sais pas si ils veulent lui faire du mal.

- La seule gamine que j'ai vu, elle est là, et puis elle est avec moi et Dodu, et nous, on est pas trinitaires, ça non. Et puis elle, elle est toute seule, et vous, vous en cherchez deux. Non, pas vu deux gamines trinitaires, ça non. Mais bonne chance dans vos recherches. Mmh... Ah, attendez, maintenant que j'y réfléchi. Il s'pourrait que j'ai vu deux fillettes hautes comme trois pommes jouer dans la boue ce matin, mais j'étais un peu pressée, alors je suis pas bien sûre du tout. Et puis, y avait aussi ces petites que j'ai soigné, les pauvres, une sale maladie. Et puis...

Les hommes me coupent, en grimaçant toujours, et ils s'éloignent dans un autre sens. Quand ils sont très loin, je me tourne vers Maria, les mains sur les hanches.

- Alors, si tu me disais la vérité, maintenant ?

Je retiens mon souffle. Étrangement l'aspect affreux de Billy était protecteur. Elle se plaça entre les hommes et moi, je ne savais pas très bien ce que son discours signifiait. Je me demandais si elle était profondément naïve ou maligne. Ce n'est qu'une fois l'inquisition éloignée que j'eue ma réponse.
Par réflexe je me mordis les lèvres. Pardon seigneur, j'ai même juré. Enfin... après tout je mens, et je brise vos principes... Vous êtes si durs.

Je trouvais Billy effrayante, mais avec ses mains sur les hanches je la sens presque fâchée que je mente car elle avait vraiment l'intention de m'aider. Après tout, elle m'annonce ça comme si elle avait compris dès le début. Donc, elle aurait pu dire la vérité à l'inquisition et j'aurais eu des soucis.

- Je m'appelle Constance... Mon amie Clémentine, c'est bien nous qu'ils cherchent parce qu'on s'est enfuit du couvent cette nuit...

Je baissais la tête. Je ne pouvais pas tout dire non plus ! J'ai peur du regard que l'on peut porter sur moi, sur mon être. Ce que je suis, ce que je fais de mal, ma façon d'être déviante et anormale.
Enfin, Billy et Dodu sortent du lot aussi, je me demande ce qu'ils ont pu vivre, ils ont du souffrir. L'apparence compte tellement dans ce monde.

Elle baisse la tête, et puis moi, je fais retomber mes bras le long de mon corps et puis je lui souris doucement, parce que je veux pas qu'elle se sente mal, ça non !

- Bah, pourquoi qu'tu t'es enfuie avec ton amie ? Vous aimez pas ça, le couvent ?

Je sais pas trop comment c'est, le couvent. J'ai déjà soigné des monsieurs et des madames dans des établissements religieux, mais j'imagine que c'est pas du tout pareil d'y vivre, non non non.

- Mais t'inquiètes pas, t'es en sécurité avec nous, ça oui ! Dodu et moi, on peut t'aider, si tu veux. Et puis, même qu'on sait garder les gros secrets et puis les petits secrets aussi. T'as pas besoin de nous mentir à nous, ça non.