La monnaie de la vérité.

Il est étrange de constater la différence de perception d'une même journée selon le point de vue. Depuis l'aurore toutes les sœurs et orphelines du couvent s'agitaient et portaient la hâte dans leur cœur, elles préparaient une fêtes depuis le lever du soleil. Pourtant ce n'est pas la chaleur de l'astre qui transmettait cette vive émotion mais la naissance du Saint Odat. L'Odenat est pour demain. Toutes ces femmes et enfants arboraient un sourire. Comment ne pas se réjouir d'un événement à la gloire du Saint Odat, puisse sa pureté et sa foi nous guider.

- Constance ta chemise n'est pas repassé ! Arrange moi ça immédiatement.

Sœur Josiane. Elle aussi ne souriait pas, je crois ne l'avoir jamais vue sourire. Sa voix est sèche, à chaque ordre qu'elle me donne j'ai l'impression qu'elle m’assène un coup de fouet étrangement affûté. Je m'empressai de retirer ma chemise pour tenter de la faire la plus lisse possible. Si je ne veux pas recevoir ce cuir pour de vrai j'ai tout intérêt à m'appliquer...
Je ne souriais pas non plus. De toute façon je n'avais pas non plus envie de m'amuser avec les autres. Il y a quelques semaines un homme de la foi était venu donner sa bénédiction à notre couvent. Ce généreux Évêque s'est montré touché par notre maison et a souhaiter en être le parrain. Il s'assure que nous manquions de rien.

Seulement. Je ne l'aime pas. Il me fait peur, il me regarde comme si j'étais un objet. Il est très gentil avec les autres filles mais pas avec moi.

- Tu te tiens droite ! On ne reçoit pas n'importe qui à cause de tes accusations ! J'espère que tu te rends compte de la gravité de tes actes. Oh Seigneur, aidez cette enfant.

Sœur Josiane me força à rester tout près d'elle. Je déteste son parfum de vieille. Mes yeux fixèrent le sol lorsque j'entendis les sœurs dehors accueillir notre Inquisiteur. Je pouvais distinguer leurs voix stressées dire "Oui elle est à l'intérieur". Pourtant je donnerai tout pour être à l'extérieur et moi aussi avoir le droit de préparer la fête.

Mais voilà. J'avais demandé aux sœurs s'il était normal que l’Évêque me demandait de voir mon corps. Il m'avait posé des questions que jamais personne n'avait osé. Des choses qu'on ne dit qu'à l'Unique. Il a voulu lever la main sur moi, dans la panique je ne sais plus si cela était pour me frapper ou pire. Ses pas résonnent sur le sol de pierre. J'ai l'impression d'étouffer dans cette chemise ... S'il vous plait je ne voulais pas faire de bêtises ... Désolée Monsieur l’Évêque si je vous ai vexé.

Théodore a trente ans. Il savait désormais que le cardinal qui l'avait engagé et amené avec lui dans le système Dorado allait se retirer bientôt. Néanmoins, il devait garder ses fonctions secondaires d'inquisiteur pendant encore quelques temps pour finir de préparer sa sortie de l'ombre. Alors, quand une demande d'inquisition s'était déposé sur son bureau, il l'avait observé avec attention, cherchant des détails sur sa prochaine victime. Car, c'était ainsi que le jeune homme voyait son travail, comme une chasse. Il n'avait pas d'intentions de faire du bien,de conformer les fidèles à la volonté divine. L'inquisition n'était qu'un moyen pour atteindre ses fins. Et pour l'instant, ses fins nécessitaient des pouvoirs politiques et économiques. L'évêque visé par la plainte avait tout d'un coupable, un ogre balourd sans la moindre subtilité ou intelligence. Le genre de gens qu'on crée quand on asservit un peuple entier à des préceptes dogmatiques qui les empêchent de réfléchir et qu'on désintéresse de l'intelligence vivace et retorse qui venait naturellement à des gens comme Théodore. Il sentait qu'il pourrait tordre le bras de ce provincial balourd sans problème. Il sourit de manière carnassière.

Une fois arrivé au couvent, il s'était présenté avec tout son charme à la mère supérieure et avait envoyé ses hommes récolter de l'information sur les environs et sur les finances de l'endroit et avait demandé à rencontrer la jeune témoin. Sa volonté sera faite après tout, les soeurs trébuchant presque sur elles-même pour faire plaisir à l'inquisiteur charmant.

Sœur Josiane s'empressa d'aller saluer l'inquisiteur. Elle ne semblait pas à l'aise dans ces pratiques sophistiquées, bien loin des attitudes pieuses prônées en ces lieux, la Sœur ne devait pas avoir l'habitude de ces courbettes et en plus elle paraissait vouloir en rajouter. L'inquisiteur a l'air agréable. Je me détends un peu, ce ne fut que l'histoire de quelques secondes, je m'aperçus qu'il me regardait. Il est quand même impressionnant. Ce n'est ni sa taille ni sa carrure qui fascine, mais la façon dont ses yeux vous transperce et vous dépouille de votre aplomb.

Je me dirigeai vers lui, je ne saurais dire s'il m'avait fait un signe de tête ou donné un simple regard. Il commençait à m'effrayer, une petite voix me secoua depuis le ventre et se précipita sur ma gorge. Heureusement j'eus le temps de sceller mes lèvres avant de perdre toute contenance. Cette petite voix s'inquiétait. Cet homme avait une profonde aura, une aptitude à faire graviter les personnes autour de lui, à avoir le dessus sur elles.

- Bonjour Monsieur l'Inquisiteur. Je m'appelle Constance. J'hésitai légèrement pour la suite, je préférerais parler dans un confessionnal. Mes propos choquent toujours les sœurs...

Mes mains se battaient l'une contre l'autre. Elles ne voulaient pas être là. Mes yeux aussi semblaient trouver un intérêt tout particulier sur le sol. Inquisition, un membre d'Église, la maison de l'Unique a reconnu l'importance d'agir sur cette situation. L'Unique est bon et juste, je ne devrais pas me tourmenter pour si peu.