Sur le chemin de l'évolution

La basse ville n'a point changée, comment le pourrait-il en quelques jours ? Elle paraît si hostile, corrompue et dégoûtante. Il est amusant de remarquer qu'une fois passé les portes du Runny Amber cette ambiance s'estompe afin de laisser place à de la convivialité, les bonnes odeurs et la joie, sous condition de faire abstraction de l’hôtel situé au-dessus. Je pressai le pas afin de ne pas avoir à soutenir du regard toutes ces choses qui m'effraient et écœure. Je n'étais pas sortie de ma bulle aux parfums savoureux en début de journée, puis aigre en soirée pour me promener sous la cloche. Je me sentais coupable de participer aux péchés, je servais alcools à ces hommes et ces femmes. Plus ils consomment, plus le gérant est content. Aussi, plus ils sont ivres, plus ils sont favorables à vous laisser quelques crédits. Ils m'évaluent probablement pour la totalité des clients. Clients, ces femmes peu vêtues dans les ruelles les appellent également ainsi... Mon pas, ainsi que ma respiration s'accélérai encore. Ils doivent imaginer à quoi je ressemble sous ces tissus. L'activité qui se trame au-dessus de leur tête doit fortement les inspirer.

J'ai l'impression d'emprunter la mauvaise route. Service de l'ivresse sur plateau et un sourire pour quelques sous. C'est comme vendre son âme, patauger dans la boue et les excréments de l'humanité. Pourtant, si différent soit-il le patron est bon. Il paraît très honnête. Peut-on être honorable et honnête dans le vice ?
Voilà la raison de mon escapade. Je profitai de ce jour de repos afin de rejoindre le quartier trinitaire et trouver un autel. Je n'oserai pas aller voir un prête dans un confessionnal, ni même parler à l'un des miens. Ils me jugeraient tout autant que je juge ces gens-là. Eux au moins ne semblent pas tourmentés ni en proie aux remords lorsque l'éthanol leur monte à la tête. Ils rient, s'amusent et reviennent car ils aiment l'endroit.

C'est dans le quartier neutre que mon regard se fit insistant sur une personne. Une femme. Cheveux teintés de gris et de rose. Je ne sais pas ce qui m'interpella le plus. Son cristal sur le front ? Ses cicatrices ? Son visage laissait croire qu'elle n'était qu'un robot. La personne qui me bouscula, accompagné d'un juron très peu aimable, me fit réaliser que j'étais plantée comme une imbécile au milieu de la place. Est-elle humaine ? Je saisis alors la pierre autour de mon cou. Comme si l'Unique allait me donner une réponse. Sauf que je ne lui connais que ses silences

Un courant électrique parcouru ma chair lorsqu'elle me fit une remarque. C'est vrai, je n'étais certainement pas subtile à être immobile au milieu d'une foule passante. Elle s'apparentait, la foule bien sûr, a une mer dont les vagues n'arrivent jamais du même côté, si l'on ne prête pas suffisamment attention elle nous emporte dans son courant et nous éloigne du but. Ou au contraire, vous bouscule et vous propulse sur une place.

Ainsi je fus remarquée par ... Je ne sais pas, je me demande si elle est née femme et devenue robot ou s'il s'agit d'un robot dont on a rendu l'apparence humaine. Cela dit, à sa voix très froide je compris que mon regard l'importunait. Cependant, si la dureté de son ton me fit me raidir, c'est essentiellement sa capacité à me percevoir qui me troubla le plus. Avait-elle un radar ? On n'avait pas croisé nos regards et d'un coup elle le perçoit.

- Je suis désolée, je peinai à articuler ces quelques mots sous l'émotion de la surprise, Je ne voulais pas vous irriter !

Je m'empressai de ranger mon pendentif lorsque je réalisai que je le tenais. Je devais être assez ridicule. D'autant plus que je baissai rapidement les yeux. Je sais très bien que ne plus avoir une personne dans son champ de vision n'implique pas que cette dernière ne nous voit plus. Et pourtant je gardais son visage et sa voix en tête ainsi qu'une infinité de question à son propos.