Baby driver

La nuit artificielle était tombée depuis longtemps déjà. Les néons tapageurs des commerces alentours vomissaient leurs lueurs colorées dans les artères principales de Hope. Elle avançait rapidement, jetant des coups d'oeil fréquents par dessus son épaule pour s'assurer que Cathwulf lui emboitait toujours le pas. Les passants se faisaient de plus en plus rares à mesure qu'ils approchaient des limites de la ville. Les tours, elles, rapetissaient à vue d'oeil. Après quinze minutes de marche au rythme soutenu, les bâtiments n'étaient plus hauts que de quelques mètres : remises, garages et habitations des plus modestes se succédaient sous un éclairage public de plus en plus aléatoire.

« Allez, bouge toi, on y est presque ! »

Elle accéléra le pas, intimant à son compagnon de l'imiter pour ne pas la perdre de vue. Ils avaient quitté ensemble un quartier plus vivant, plus proche du centre de Hope dans lequel ils travaillaient ensemble pour un garagiste aimable qui gagnaient sa croûte en réparant les speeder shuttles endommagés. Arrivée devant une bâtisse encore plus sombre que celles croisées jusqu'alors, Noor'hayl s'immobilisa. À quelques centaines de mètres sur sa droite, au dehors de la ville, on pouvait distinguer les éclairages d'un circuit de course. Elle sourit, attrapa une clef et fit coulisser l'immense porte métallique devant laquelle elle se tenait.

« Je l'ai payé une bouchée de bras. Il ressemble à rien pour le moment, mais d'après le gars qui me l'a refourgué, c'était le top du top y'a dix ans. Je suis sûre que y'a moyen d'en faire quelque chose. »

Elle chercha à tâtons un interrupteur sur la paroi lisse du garage. La pièce s'illumina. Une masse informe était dissimulée sous un drap qu'elle s'empressa de retirer d'un geste ample. Le speeder dévoilé n'en avait que le nom. C'était un appareil plat, de quatre mètres cinquante de longueur pour un peu moins de deux de largeur. Le rectangle de métal aux bords arrondis était surmonté à l'arrière d'un propulseur sur aileron. Deux trous de part et d'autres du poste de pilotage laissaient deviner que d'autres réacteurs avaient été autrefois présents ici. La peinture, rouge, était écaillée ici et là. La proue était éventrée sur trente bons centimètres. De ce trou béant sortaient une myriade de câbles rompus. Derrière un cockpit fissuré, les sièges du pilote et du copilote étaient absents. Noor'hayl en fit le tour, laissant courir sa main sur son bien par endroits. Elle se retourna, un fin sourire aux lèvres.

« Alors, t'en dis quoi ? Paraît que l'premier truc à faire, c'est de le baptiser. Ça porte chance. Une idée ? »

L'enthousiasme de son amie secouait un peu la colère sourde du rouquin. Il avait trop d'énergie pour son propre bien et rêvait de l'utiliser à autre chose qu'à rebrancher des fils ou resserrer des boulons. Mais les petits devaient manger, les factures des soins de papa devaient être réglées et leur demande d'aide à l'Union avait encore été rejetée, laissant maman plus découragée encore si c'était possible qu'auparavant. Cathwulf avait renvoyé un mot bien senti à l'assurance vie pour lui livrer le fond de sa pensé mais c'était trop tard. Il n'avait jamais vraiment su bien mendier.

Sans difficulté, l'apprenti mécano allongea le pas, ses presque deux mètres lui permettant de suivre sans peine le pas décidé de sa camarade. Ils s'amuseraient ce soir. Il était bien décidé à ne pas laisser ses idées noires lui gâcher la soirée. Il avait besoin de se dépenser.

« C'est quoi ce tas de ferraille ? Il vaut pas une barre ! »

Démentant sans aucune vergogne ses propres paroles, il s'approcha de la merveille – tout moyen de courir était merveilleux, même les trucs vieux de dix ans – et posa ses mains sur la peinture rouge, sentant la fraîcheur du métal sous sa paume. Ils auraient tout à faire. C'était ce qui rendait le défi délicieux.

« Je propose « Nutrisoja » ça ressemble à rien, ça n'a pas de goût mais y a pas plus efficace dans la galaxie » fit-il avec un clin d'oeil moqueur, s'attendant à moitié à une taloche.

Elle arqua un sourcil, sembla hésiter un moment et finit par rire de bon cœur en donnant un bref coup d'épaule à son voisin.

« T'es con, putain ! »

Elle considéra à nouveau le tas de ferraille en se mordant l'intérieur de la joue. Bien sûr, il lui fallait beaucoup d'imagination pour l'imaginer voler, et encore plus pour se voir aux commandes. Mais elle ne doutait pas un seul instant qu'elle et Cathwulf réussiraient à en faire un appareil remarquable. Après tout, n'était-ce pas là l'occasion parfaite de mettre en application leurs années d'apprentissage ?

« Non, il lui faut un nom qui claque, un truc qui fera peur aux concurrents. Ou alors on lui imprime ta tronche sur le capot, là ça devrait marcher... »

Elle rigola à nouveau en toisant le roux. Une fois calmée de son hilarité soudaine, elle gagna le fond de la pièce. Accroupie, elle ouvrit une boîte à outils – probablement laissée là par ses soins – et fouilla dedans rapidement. Elle en sortit, dans une cacophonie métallique, une pince, plusieurs clefs et des tournevis de toutes sortes. Elle posa le tout au sol et s'étira rapidement les bras au dessus de la tête. Elle sortit ensuite d'une de ses poches amples une petite flasque. Quelques gorgées plus tard, elle tendit l'objet à son compagnon.

« M'allez, au boulot. On le vide d'abord, on le débarrasse de tout ce qui est plus en état de fonctionner... Presque tout, quoi. »

Il rit, content de voir sa blague atteindre son but. A savoir désacraliser le bousin. Cela dit, il n'avait aucune idée de nom. C'était pas lui l'imaginatif de la famille, clairement. Peut-être Niaw ou Sunny auraient des idées. Encore qu'ils étaient très jeunes. Cela dit, il le voyait très bien voler. Il regrettait seulement les montages cool dans les Holo-films qui passaient vites les HEURES passées à serrer des écrous couvert de suif.

"C'est entendu. Tu vas dessous."

Le sous-entendu vaguement sexuel était fait exprès. Après tout, c'était une fille et s'il pouvait pas plaisanter de ça avec ses potes, à quoi servaient les potes, sérieux. Il s'assit près d'elle, attrapant au fur et à mesure ce qui sortait de la carlingue.

"Y a pas une bestiole de Renaissance qui ne bouffe que des ordures ? Ca irait bien aussi vu la merde qu'il a dans le ventre."

Elle était déjà allongée, la tête sous la proue du petit vaisseau. Elle arrachait à pleines mains quantité de fils, de câbles dénudés et de gaines abimées en s'efforçant de les balancer le plus loin possible sur sa gauche. Elle devait presque hurler pour se faire entendre tant elle se souciait peu du bruit qu'elle pouvait faire, armée de ses clefs et de ses pinces.

« C'est ton rêve de dire ça à une fille, avoue. Mais non, il faut toujours que tu te retrouves dominé... »

Elle gloussa et s'enfonça un peu plus sous la carlingue.

« J'connais des gars prêts à tout pour un peu de cash, hein. Je suis sûre qu'ils boufferaient le tout si on leur promettait un peu d'argent. »

Après un temps, elle s'extirpa du dessous de l'appareil. Son visage était couvert de traces noires, ses mains meurtries par diverses petites coupures. Elle essuya son front dans le creux d'un coude. Dans une de ses amples poches, elle attrapa une petite flasque. Une ou deux gorgées plus tard, elle la présenta à son voisine, s'essuyant les lèvres de l'autre bras.

« J'ai acheté deux propulseurs plasmiques. Je les récupère demain. Pas de crystallium pour le bébé, il va carburer à l'hélium. Ça le rendra plus instable mais crois-moi, on aura jamais vu engin plus nerveux dans tout le système. »

Il lui tira la langue sans réfléchir au fait qu'elle ne pouvait pas le voir, pas vraiment vexé, heureux au contraire de cette camaraderie qu'il n'avait plus à la maison. En assumant le boulot du père, il s'était coupé de la relation fraternelle qu'il aurait voulu entretenir avec ses cadets. Tant pis. Leur bien-être passait avant. Mais c'était ce qu'il aimait avec Noor. Elle avait beau être une fille, on pouvait lui parler de tout.

« Han ! Qui m'a dénoncé ? C'est Marylin c'est ça ? Faut pas l'écouter ptite tête, elle est jalouse et elle sait pas de quoi elle parle. »

Marilyn elle était passée par à peu près tous les garçons du garage, Wulf compris, dans une tentative désespérée pour rendre jaloux le patron en chef qui lui n'en avait rien à faire des petites allumeuses qui confondaient allumage et allumeuses. Elle était pas moche, outrancière et assez stupide. Parler carlingue était somme tout plus plaisant. Il lui tendit la main, attrapa la flasque et en but à son tour une bonne lampée.

« Les propulseurs plasmique, okay. Il va te falloir des stabilisateurs en bi-variable si tu ne veux pas te prendre la falaise au premier virage et négocier tes dérapages au poil de cul. Par contre l'hélium...» Il souffla un peu, réfléchissant rapidement. « Mouais si tu veux, mais dans ce cas là, on va devoir investir dans du plastacier ignifugé. Tu sais comment c'est inflammable. Et ça, ça fait vite grimper l'addition. »

Elle sourit de toutes ses dents. Le genre de sourire qu'elle n'offrait que dans deux circonstances bien précises : quand elle s'apprêtait à faire une énorme bêtise et quand elle s'apprêtait à dire une énorme bêtise, la seconde entraînant bien souvent la première.

« T'as tout compris, Cath' ! Je veux négocier mes dérapages au poil de cul ! Trajectoire tendue, c'est ça qui f'ra la diff' ! » Elle récupéra la flasque et avala une nouvelle gorgée sans cesser de sourire. « Pour le reste, t'inquiètes. J'ai d'jà dessiné des plans et essayé de faire des estimations. Clair que ça va être cher. Mais j'ai un peu de côté. Et des contacts qui ont besoin de coups de main. »

Elle resta volontairement évasive en rebouchant la flasque rapidement. Ce ne serait pas la première fois qu'elle aurait à tremper dans la petite criminalité pour se renflouer. Mais l'habitude ne rendait pas l'action plus agréable, ni même plus sécuritaire.

« Je me suis fixé un mois. Dans un mois il vole. J'y passerai mes nuits s'il faut. J'm'en fous. » Elle haussa les épaules et agita vaguement la main devant elle. « C'est pas trop la merde, toi, chez toi ? J'te prive de rien là ? Faut pas que tu t'sentes obligé, hein. Je peux me démerder. » Comme pour joindre l'acte à la parole, elle retourna s'accroupir près du vaisseau pour le vider d'un peu plus de ferraille.

"Tu vas me faire voir tes plans Noor. Je les connais, les gueules de tes plans." C'est pas vrai, il ne sont en général pas si terrible que ça mais il préfère s'assurer que tout va bien; Depuis qu'il a pris le rôle de père de famille, il commence à trouver normal de tout vérifier, même les idées débiles. Et puis Noor, il l'aime bien, il n'a pas vraiment envie qu'elle se retrouve toute cassée comme le paternel alors il préfère l'avoir à l'oeil.

Après, gérer les virages pour réduire la distance et les pertes de vitesse c'est vrai que c'est la meilleure tactique. Sauf que c'est un peu celle de tout le monde et ça veut dire en plus des risques de collisions avec les autres vaisseaux. Il préfère réfléchir à ça plutôt qu'à la merde chez lui.

"J'peux pas te filer de thunes, j'en ai pas mais t'as mes yeux, mes bras et mon temps le soir si tu les veux. Donc, tu les files tes plans ou t'attends que toute la saison soit passée ?"

C'est lui qui prend soin des autres, nanméoh. Pas l'inverse !

Elle haussa les épaules négligemment, comme pour faire croire que rien de ce qu'elle allait dire ne sortait vraiment de l'ordinaire. Sa voix se faisait pourtant moins assurée et son regard moins vif, fuyant peut-être l'autorité naissante de son ami.

« Ça va, ça, détends toi... C'est un gars que je connais. Il a b'soin de quelqu'un pour faire transiter du Nari et un peu de venin de Näa'ngi de la cale d'un vaisseau à sa planque. Paraît qu'il doit éviter d'montrer sa gueule dehors en ce moment... »

Elle s'appliqua à arracher le dernier morceau de revêtement qui recouvrait le sol de l'habitacle et le roula en boule pour le jeter au loin. Elle toussota, plus pour masquer le silence que par nécessité, et reprit. « Y'en a pour quelques jours, pas bien plus. Et après j'empoche le pactole en doublons. Plus simple pour chopper des pièces de récup'. Puis en plus, t'sais, moi j'en prends pas de ces trucs là. »

Ses arguments sonnaient creux même à ses oreilles. Elle n'aurait même pas pu expliquer pourquoi elle ressentait le besoin de se justifier à ce point. Sans doute ne voulait-elle pas rajouter un poids sur les épaules de son ami. Vidé, le speeder n'était plus qu'une carlingue à reconstruire.

Mouais. Il se détend s'il en a envie d'abord. Et il connaissait cette voix, il l'entendait souvent chez Niaw quand il faisait des conneries. Il avait perdu son père. Il ne voulait pas perdre sa pote dans une histoire stupide. Même pour un Speed Racer. Il grogna un peu.

« Encore heureux que t'en prends pas, c'est terriblement mauvais pour les réflexes. Et tu fais quoi si l'autre en face il préfère te taper dessus et te piquer ta came que te payer hein ? Ou pire, s'ils sont plusieurs ? C'est pas que des gnons te rendrait plus jolie mais j'ai pas envie d'avoir un binôme abîmé et j'suis trop lourd pour piloter ton truc. »

Il voulu cacher son trouble, prenant une pomme dans son sac et en lançant une à son amie.

« Ton gars que tu connais...tu le connais bien au moins ? »

Elle attrapa la pomme et mordit dedans à pleines dents. Elle n'attachait aux convenance qu'une importance très relative. Importance qui disparaissait totalement en la présence de Cathwulf. Aussi lui parlait-elle en mâchonnant le fruit sucré.

« Ch'a va ch'le connais un peu, tranquille. Il fait pas dans les grosses quantités, ch'est chuste un p'tit truc ou deux. » Noor'hayl tapait du pied dans un morceau de carlingue ou un amoncèlement de ferraille désossée laissé là. Elle haussait les épaules à chaque fin de phrase, évitant soigneusement de croiser le regard probablement réprobateur de son interlocuteur. « Puis l'est pas con, le gars, ch't'ai dit qu'il pouvait pas trop s'montrer en ce moment. Or, ch'connais son nom et tout. Ch'il me fait une crache, j'le dénonche directement. »

Elle avala enfin ses bouchées monstrueuses et s'essuya la bouche dans le creux d'un coude. Elle s'employa ensuite à regrouper ce qui était sorti du ventre de la carlingue pour l'entasser dans un coin de la pièce mal éclairée. Elle attrapa ensuite le drap retiré préalablement et le replaça sur le speeder. « J'vais rentrer voir ma mère. Demain, même heure ? J'aurai les propulseurs, j'les déposerai dans la journée. » Elle espérait que la nuit permettrait à son ami de ne plus la relancer sur le sujet de ses activités parallèles.

Mouais encore. Noor, elle est peut-être pas rousse mais elle fait partie de sa famille de cœur. C'est comme une sœur pour lui, une qu'il aurait pas à nourrir et habiller et avec laquelle il pouvait parler de trucs cool et construire des bolides. Une vraie sœur quoi, pas une soeur-fille mais quand même. S'il lui arrivait un truc, il se sentirait mal, il le savait. Alors le type qu'on connait moyen, là, pas confiance. Il soupira.

« Donne l'adresse, je le ferais moi si tu veux. Parce que si t'es morte, tu vas pas trop pouvoir le dénoncer ptite tête. Alors que moi, j'suis increvable déjà, et en plus, je suis plus grand. » Mais déjà, elle a terminé sa pomme et s'écarte.

« Va. Je vais voir si je peux pas négocier des pièces avec des potes. » c'était du code pour aller en gagner contre des bras de fer et autres bêtises du genre.

Et il pu. Rien d'aussi gros que des propulseurs mais il avait, outre une mallette à outils neuve, un certain nombre de vis et d'écrous de toute taille, de la peinture et de l'essence à chalumeau. Ainsi qu'un bleu bien visible sur l'épaule et une légère coupure sur le haut de la pommette droite. On n'avait rien sans rien dans la vie. Sans attendre son amie, il déposa son barda et commença à faire un diagnostique complet de l'appareil.

Elle avait fini par capituler. Si elle était têtue, Cathwulf l'était au moins trois fois plus et une nuit entière n'aurait pas suffi à le convaincre de la laisser faire. Elle poussa la porte métallique du petit garage et trouva son ami là, déjà affairé autour du petit vaisseau.

« T'es d'jà là ? » Elle referma derrière elle en élevant un peu la voix pour continuer à se faire entendre. « T'as vu les propulseurs ? Pas mal hein ? On les a posés c'matin. Bon, y'aura des réglages dessus aussi, mais probablement rien d'in... » Elle s'était approché de lui et s'était arrêté net en découvrant le visage abîmé de son ami. Elle fronça les sourcils et posa une main sur son menton pour l'inspecter plus longuement. « C'est quoi c'bordel, Cath' ? T'es increvable mon cul ! T'avais dit négocier avec des potes, c'est quoi ces négociations là, r'garde toi ! »

Elle n'était pas plus énervée contre lui que contre elle-même. Elle n'aurait pas dû abandonner si facilement, elle aurait au moins dû aller avec lui, insister, demander, savoir ce qu'il voulait dire par là. Elle aurait dû... Elle soupira longuement et se passa une main sur le visage. Elle tenait plus à lui qu'à ce stupide vaisseau.

« C'est rien ça, t'aurais vu dans quel état était l'autre... » il sourit mais dégagea son visage de la main qui le tenait. Ca va, c'était une coupure sur la pommette. Un mauvais coup quoi. Il s'en était pris d'autres. C'est important, pour la mise, d'encaisser un peu, les gens veulent du spectacle, pas juste de la violence. Même si, c'est vrai, ils veulent surtout de la violence.

« Sont pas mal tes propulseurs. Mais je pense que tu devrais vérifier la cablature. Au moins pour les stabilisateurs que tu vas mettre autour. Si tu veux gérer tes virages comme je sais que tu le veux, il te faut du cuivre ou de l'or, et pur, pas d'alliages à la con et ça, ça va coûter cher. »

Il fit le tour de la carlingue, ne se rendant compte qu'alors de son désarrois. Le truc c'est qu'il gérait très mal qu'on s'inquiète pour lui alors il grogna un peu. « Hey, tu m'écoute ? »

Non, elle ne l'écoutait pas. Elle non plus, n'aimait pas être épargnée, n'aimait pas qu'on la protège outre mesure et n'aimait pas les réponses évasives. Mais par dessus tout, elle n'aimait pas qu'on s'en prenne à son ami. Elle soupira, dédaigneuse, et souffla, alors qu'elle détournait la tête : « T'aurais dû me laisser m'en occuper, mon plan était plus sûr. » C'était faux, elle le savait pertinemment. Mais Noor'hayl n'était pas seulement une tête brûlée. C'était aussi la créature la plus têtue de tout le système Dorado. « Mais merci, ça gère... », précisa-t-elle quand même, volontairement désinvolte. Quel étrange ballet que celui de deux amis aussi à l'aise avec la sincérité qu'un manchot avec un volant entre les mains !

« Pour les câbles des stabilisateurs, on fait avec ce qu'on a pour le moment. Avec ça, j'gagne deux trois courses, j'mets de côté et on met d'l'or et tout ce qui va bien. Et après, je continue de gagner, et d'améliorer, et de gagner... » Elle faisait tourner sa main dans le vide pour illustrer son propos. « Et d'ailleurs, j'ai trouvé un nom. » Elle s'approcha d'un des propulseurs neufs et s'accroupit. « J'vais l'appeler comme ma mère. Marali. »

Après une seconde de silence, elle se releva. « Bon, tu m'aides à les fixer, ces propulseurs ? »

Il éclata d'un rire franc, joyeux et communicatif. Un rire sans moquerie mais d'un amusement certain. Plus sûr, son plan, non mais ce qu'il fallait pas entendre. Et justement il l'entendait. Il entendait qu'on s’inquiétait pour lui. Quelqu'un qui ne dépendait pas de lui. Quelqu'un qui l'appréciait, il fallait croire. Et son cœur avait besoin d'affection. Il en avait peu ailleurs. Les petits faisaient la gueule, maman s'inquiétait et papa...papa quoi. Il sourit lorsqu'elle le remercia, hochant la tête pour dire que pas de soucis, tout allait bien entre eux. Son hilarité se calma et ils purent parler à nouveau mécanique.

« C'est très bien Marali. Et ça te portera chance. Du coup, il faut qu'on en fasse la plus performante mais aussi la plus belle, qu'elle soit digne de son nom ! » Les mamans, il n'y avait que ça de vrai. « Passe moi ton tourne-vis, que je serre tes écrous. Tu as la force de mon plus petit frère et il a genre sept ans ! »

Elle attrapa un tournevis et le lui lança. « J't'emmerde », lui glissa-t-elle en même temps. Elle souffla toutefois un rire stupide en se recoiffant plus ou moins. « En parlant d'ça, maman voudrait que tu passes à la maison boire le thé, quand t'auras un moment. J'sais pas trop pourquoi vu ta gueule, mais je crois qu'elle t'aime bien. »

Elle approcha d'un des propulseurs et s'employa à le soulever. Elle chancelait, soufflait, les muscles contractés par l'effort. Il allait voir, si elle avait la force de son petit frère de sept ans. Elle parcourut les quelques centimètres qui la séparait du vaisseau et reposa la lourde pièce pour la fixer tant bien que mal. Une fois sa tâche accomplie, elle tapa du poing sur la carlingue, un grand sourire narquoi aux coins des lèvres. « Alors, c'est qui le p'tit frère, là ? » Elle bomba le torse et fit mine de gonfler les biceps. « J'suis pas une Searutruc, moi, je suis une Staroak ! »

Cette deuxième soirée de réparations fut à l'image de la précédente et de toutes celles qui suivraient : simple, naviguant entre taquineries adolescentes et preuves d'amitié sincères mais maladroites. Des moments rares, qui, même s'ils semblent à première vue anodins, se gravent avec une force inouïe au plus profond des mémoires.