Même dans les profondeurs le soleil brille

Quel nom étrange pour une planète. Les personnes ayant découvert ces planètes doivent être bien déçues de là où elles sont, Renaissance ne ressemble en rien à un renouveau mais à la déchéance humaine, et ce lieu semble être lourd de vices. Il est mal venu de découvrir un endroit et de le condamner aussitôt, qui sait, ces lieux peuvent cacher des lueurs d'espoir. Après tout, pour avoir de la lumière il faut tout d'abord des ténèbres. Pourquoi faut-il que tout soit si divisé... Tout comme ces factions, elles sont rangées dans leurs quartiers, personne ne se mélange. Et si vous n'avez pas d'appartenance où allez-vous ? Dans la ville basse naturellement. Je pourrais peut-être rejoindre le quartier Trinitaire, mais j'ai peur de les rencontrer. De loin je pouvais voir leurs bâtiments étincelants, sous la bulle à la vue des étoiles et du ciel artificiel, comme sur Renaissance les plus influents devaient résider dans les plus belles habitations et les autres dans ces baraques misérables. D'ailleurs elles semblaient vouloir s'extirper de ce quartier, comme rejetées car différentes, elles font tâches dans ce décor. Si peu de choix, soyez riche, beau, puissant, ou soyez dans la mendicité. Seigneur, quand est-ce que vous avez choisi d'aimer les personnes malhonnêtes se servant du malheur et de la misère pour s'élever ? Peut-être je juge ces personnes-là. Avouez, sont-elles blanches ou noires ?

N'ayant de place où aller, pouilleuse comme je suis, je me dirigeais vers un quartier de la ville que toute personne censée me déconseillerait. Je n'avais pas besoin d'observer ou enquêter pour comprendre qu'ici les activités étaient péchés. Je ne savais pas ce que je cherchais, certainement pas un autel de l'Unique. Je sais qu'il n'y en a point dans la ville basse. Il me fallait de l'argent. On m'a débarquée ici, à court de crédits pour continuer le voyage. Je déteste être matérialiste à ce point... Mais mes poches, comme mon ventre, sont vides. Constance pourquoi tu ne vas pas chez les tiens, demander pain et couchette ? Je n'ai pas envie de les voir. Hypocrites. Ici, au moins, dans ces personnes d'adonnant aux vices, les actes sont assumés.

J'eus toutefois envie de vomir, si mon estomac me l'avait permis. Il y avait des femmes faisant des avances aux hommes passant. Je me doute bien que cela soit un... "service" payant. Pauvres femmes. Pour ne pas rester à supporter ce spectacle j'accélérai le pas. Sans courir, je ne veux pas qu'on me trouve bizarre. Ainsi j'arrivai devant une sorte de taverne ayant comme nom "The Runny Amber". Je voulu à nouveau fuir ce lieu probablement d'ivrogne lorsque je remarquai des hommes me fixant. Dans la hâte je passai la porte. Je ne vends pas de service laissez-moi !

Une douce odeur de nourriture me réveilla l'estomac. Mes jambes peinaient à tenir mon poids, je n'ai pas mangé depuis quelques jours. C'est un grand homme roux qui marcha à ma rencontre. Je me sens faiblarde, j'espère ne pas avoir l'air cadavérique.

C'est une soirée calme au Runny ce soir là. Des clients en suffisance pour faire tourner les cuisines et les verres de rhum mais outre que ce n'est pas encore la saison des courses, beaucoup d'équipages pirates sont on ne sais où pour faire on ne sait quoi. L'absence de Sarrazin a enlevé une couleur à l'ambiance habituelle du lieu. Il apparaît à Cath comme terni quelque part. Ce sont pourtant les mêmes clients, les mêmes bruits, les mêmes recettes. Rien n'a changé que les shifts plus longs qu'Audrey et lui enchaînent pour palier au manque. Ce n'est pas pareil et pourtant c'est terriblement monotone. Et c'est là qu'une fille ouvre la porte.

Elle a l'air d'un oisillon qui serait tombé dans une tanière de renards.

Sans lâcher le torchon dont il se servait pour essuyer une table, le tavernier se rend directement à sa rencontre, écartant quelques Don Juans que l'air de madone du petit truc tout mignon inspiraient. Il reconnaissait sa pâleur. C'était celle de la faim et de l'angoisse des lendemains. Lui n'avait pas connu ce genre de misère là. Il y avait du nutrisoja un peu partout dans ce monde et il était difficile de mourir de faim - a moins qu'on ne soit difficile.

"Tu es perdue petite ?"

Il y a vraiment quelque chose de puissant qui émergeait de cette homme. Est-ce une illusion par la différence flagrante de morphologie ? Un homme grand dont la musculature se devine sous ses vêtements face a mon gabarit mini format. Je ne me sentais pas à l'aise aux regards lorgnant, ni avec le bras du monsieur. Je ne voulais pas paraître malpolie à fixer ainsi sa pièce métallique, mais je ne pus m'empêcher de me demander si perdre notre chair c'est perdre une part de nous. De notre âme. Pourtant il a l'air si rassurant.

Je regardai le sol, je ne savais pas si je devais mentir. Bonjour je suis une trinitaire qui fuit sa faction et qui s'abaisse à des actes qu'elle déteste. Cela me semble être une mauvaise idée. Et d'ailleurs je me sentais trop vaseuse pour me concentrer à inventer quelque chose.

- Plus ou moins. Je ne cherchais pas de lieu précis, alors je ne peux pas me perdre. L'odeur de la nourriture fait gémir mon estomac, ainsi je continuai à parler non sans timidité et malaise. Je vous avoue avoir très faim, mais je dois aussi vous avouer que je n'ai pas de crédits...

Il l'écoute mais elle ne commence pas très bien la petite. Déjà, la pseudo-philosophie lui filait des boutons depuis que Wynstann tentait de l'utiliser pour le faire changer d'avis. Il sentait confusément qu'on se payait sa poire mais n'arrivait pas à trouver la faille. Il n'était pas des plus intelligent, son surdoué de petit frère le savait et l'utilisait régulièrement. Par chance, la petite chose fragile devant lui n'était ni rousse, ni Wynnstan et il se força à écouter le reste. Deuxième grimace. Il compatissait, vraiment, mais il n'était pas assez riche pour faire la charité. Il lui tira une chaise à une table vide non loin pour qu'elle s'asseye, fit de même en face.

"Ecoute, petite. Si je te donne à manger ce soir, qu'est ce qu'il va se passer ? Tu reviendras demain et tu auras toujours aussi faim. Surtout que je suppose que tu n'as pas de quoi dormir non plus, n'est ce pas ? Tu es sur Hope depuis combien de temps ?"

Il pouvait lui indiquer les distributeurs de nutrisoja les moins chiants et les plus à même de la prendre sous son aile mais même ça, ça n'allait pas tellement l'aider la gamine. Il réfléchit.

L'homme me fit prendre place à une table. Lui en face. Il n'avait pas tord. La charité est une belle valeur prônée par la Trinité, et je pense par d'autres personnes qui ont du faire des actions honorables. Cependant si elle nous dépouille et nous rend misérable qui allons-nous aider. Au fond du gouffre nous ne sommes d'aucun secours.
Je fis une moue machinale en laissant mes yeux observer la table. Il me semblait percevoir des chuchotements, du bavardage et eu la sensation que tous le monde nous regardait.

Calme. Je ne levais cependant pas les yeux, une zone de la table portait un grand nombre de rayure. Une personne avait du s'amuser à graver quelque chose à l'aide d'un couteau. Afin de rassembler mes idées, ou plutôt à ne pas les disperser d'avantage, je m'efforçai à répondre.

- Je viens d'arriver. J'ai été débarquée quelques heures plus tôt par un navire car je n'avais pas assez de crédit pour continuer avec eux. Je lavais une partie des ponts et faisait la plonge pour avoir mon droit à bord.

Inutile d'en dire trop non plus. Je ne voulais pas paraître plus misérable. Je crois bien que je me suis fait avoir. Le "chef" de cette bande doit être sadique, j'avais en effet le droit d'aller en cuisine. Aux heures où l'équipage s'enivrait. Il avait pourtant l'air assez raisonnable dans ses demandes, faut croire que je suis toujours naïve.

Quelques heures c'était pas mal. Ca expliquait pas pourquoi elle semblait affamée - il ne connaissait pas d'équipage qui empêchait ses mousses de bouffer et s'il les rencontrait il leur expliquerait le fin fond de sa pensée - mais pourquoi elle n'avait pas de travail, ça, certainement. Et qu'elle n'ait pas non plus de toit sur la tête. Après, il n'était pas l'homme le plus généreux du monde, ça c'était certain.

"Je ne vais pas te donner d'argent. Et je ne vais certainement pas te nourrir à l'oeil. Si tu veux juste une aide pour ce soir, va à la Mission de Saint Odat, je te donnerais l'adresse, ils te donneront une barre et un sermont pour ta peine. Prend le bla-bla, cache ta nourriture et si tu dors dans leur dortoir spécial et que tu tiens à ta vertu ou tes affaires, reste dos au mur."

Donner des conseils et des avis, ça par contre, ça ne coûtait pas grand chose. Il la regarda à nouveau. Elle avait l'air gentille et en pas trop mauvaise santé. Bon. Pourquoi pas. Après tout, il devait se séparer de Betty. Elle piquait dans la caisse.

"Moi, je peux te proposer un boulot. J'ai une serveuse qui me quitte demain et je n'ai pas encore de remplaçante. C'est dix heures par jours, 7 jours par décades. Je ne paye pas plus qu'un autre, je suis exigeant. Si tu veux gagner plus d'argent plus vite de façon moins honorable, j'ai aussi des adresses."

Je restai silencieuse, je m’efforçai de garder un rictus tandis que l'homme parla de la Maison. Il est amusant de constater la perception de ceux n'ayant pas connu la foi. Bien sûr je ne peux pas dire être une croyante, je ne suis plus certaine d'avoir ma place auprès de la Trinité, si je l'ai eue un jour. Mais l'on ne peut démentir les propos audacieux sur ce qu'il se trame là-bas.

En revanche il fit me fit naître un espoir. Travailler ici. Je relevai les yeux afin de le regarder, il ne semble pas avoir un mauvais fond. Il a l'air plutôt sincère dans ses propos, il n'y a pas de fausses promesses, ni d'offres irréalistes. Très rapidement, je regardai les autres employés, comme pour évaluer dans quelle atmosphère je pourrais évoluer. Ils s'activent, mais n'ont pas l'air malheureux dans leur travail.

- J'ai l'impression que vous connaissez bien cette planète, voir même la façon dont ce système fonctionne. Je ne crois pas être taillée pour les affaires frauduleuses ou véreuses. J'accepte votre offre !

Je tâchai de ne pas trop en faire. Ne pas dire que cela me réjouissait de trouver un lieu qui dégage un certain réconfort. Je pourrai essayer de mettre des crédits de côté pour continuer mes voyages.

- Je me... je marquai une pause hésitant sur mon prénom. Il ne laisse pas de doute sur son origine, cependant je ne veux pas mentir à un homme qui me paraît franc. Je m'appelle Constance.

Ouais nan, ça c'était sur. Déjà en tant que pute il était pas certain qu'elle survive plus de deux heures alors pour le reste. Au moins serveuse lui donnerait un début de respectabilité mais il fallait quand même qu'elle suive et qu'elle ne fasse pas fuir la clientèle. Il se passe la main dans les cheveux, réfléchissant. Entre temps, elle lui avait fourni un nom qu'il lui avait pas demandé, qui était probablement faux et qu'il allait garder quand même parce qu'il n'était pas du genre à fouiller trop loin dans le passé de ses employés.

« Okay Constance. Moi c'est Cathwulf mais on dit Patron comme ça on n'écorche pas mon prénom. La rouquine dans la cuisine c'est Audrey, elle commande après moi. Je te place en apprentissage ce soir auprès de Hessie. » Il désigna une autre rousse qui faisait le service du côté des pirates. Elle avait la quarantaine et son charme était un peu passé mais, clairement, elle connaissait son métier. « Comme tu apprends et que tu ne me rapporte rien, pour ce soir, tu n'es pas payée, tu n'as qu'un repas et un soft que tu peux prendre tout de suite. Si tu apprends bien, je te file un papier comme quoi je t'embauche et je t'indique un type qui te louera une chambre pour un prix honnête comme ça tu pourras dormir ce soir. Tu seras payée à partir de demain. T'as des questions ? »

- Aucune Patron, tout est clair.

Il ne s'agissait pas de mot pour faire plaisir, car je sais bien à quel point il est pénible de répéter des informations, et qu'en plus tout était proprement exposé. Patron est, en effet, plus simple à prononcer que Cathwulf, je ne pouvais pas m'empêcher de songer à quel type de faction cela pouvait bien appartenir. D'ailleurs, je fus soulagée qu'il ne me fasse pas de remarque sur mon prénom, mais je commençais à voir un peu le Patron. Tant que le travail est bien et qu'il permet une rente, il ne sera pas contraignant. Les à-côtés ne semblent pas l’intéresser.

Je me levai et allai directement vers Hessie. Elle semblait déjà avoir tout compris, ou je n'avais pas remarqué d'éventuels signes entre le Patron et les employés. Il se pourrait aussi que la maison soit coutumière de recruter sur le pouce. Cette idée me plaisait plus. Je demandai timidement à manger, enfin ! Il me faudra être prête pour ma soirée d'apprentissage. Il a beau avoir un bon fond de sympathie, il a un commerce à faire tourner et si je ne suis pas à la hauteur...

Je ne décevrai pas.

Hessie était une fille un peu bourrue mais avec un bon fond. Elle fit apporter à la jeune femme un hamburger trinitaire avec un cocktail sans alcool et lui conseilla d'étudier la carte pour commencer en précisant l'heure de fermeture des cuisines ainsi que les ventes qu'il fallait appuyer. Puis, une fois que Constance avait fini, elle lui fit signe de la suivre dans son shift du soir, lui montrant comment se mettre hors de portée des mains baladeuses, insistant sur le sourire, prévenant qu'avec leur clientèle, il fallait parfois ne pas avoir l'air de se rendre compte de certains geste mais la rassurant néanmoins, le Patron veillait à ce que l'on ne dépasse pas les limites de la décence et n'hésitait pas à expulser ou corriger ceux qui se feraient trop insistants. Elle grogna cependant sur la radinerie du rouquin qui comptait tout, partageait les pourboires entre les filles et les garçons alors que tout le monde savait que les filles rapportaient plus, bref, elle lui montra sans chichi ni indulgence les rigueurs du service.

A la fin du shift, comme promis, Wulf avait laissé une adresse et un mot à un logeur de chambres à la semaine dont les prix permettaient à ceux qui bossaient au Runny d'avoir un toit au dessus de la tête. Comme elle n'habitait pas loin, Hessie proposa à la jeune femme de l'y conduire. GRATUITEMENT insista-t-elle, sous entendant que ce n'était pas vraiment le genre de la maison de faire des choses gratis.

La soirée passa à toute allure.
Hessie était vraiment à l'aise dans ce qu'elle faisait, elle m'apprenait les termes, comment évoluer dans une foule danse en passant entre les mailles des ivrognes tout en gardant suffisamment de proximité. Elle m'appris comment se montrer charmante. D'ailleurs, nous avons réalisé assez rapidement que j'avais une habilité à obtenir des pourboires. Hessie voulu me rassurer, ou se rassurer, je ne sais pas, en m'expliquant qu'être une femme au milieu d'hommes ivres abouti très généralement à ce genre de choses.
Le Patron est le gardien des filles, il veille sur ses petites qui se faufilent entre ces gars. Il n'y a rien de touchant, il se préoccupe des personnes faisant tourner son commerce, même si dans le fond, je suis sûre qu'il doit bien apprécier ses employés. Si on devait décrire le tableau du Runny Amber je dirais une savane. Le Patron serait le lion, avec sa crinière rousse surveillant depuis son bar ses petites lionnes se glisser dans les hautes herbes.

C'est la seule pensée que je pus m'accorder de la soirée. Service terminé Hessie m'accompagna jusqu'à ma nouvelle demeure. Je la gratifiai chaleureusement. Je m'étalai dans mon lit, la chambre était petite. De toute façon je n'ai pas beaucoup d'affaires. Le lit grince et j'entends la vie dans la rue, mais cela me convient.
La Constance d'y a quelques années aurait hurlé devant cela. Je n'aime pas toute la ville, mais j'ai l'impression de m'être fait un foyer au Runny.