La veuve et l'orphelin

Difficile d'expliquer par de simples mots ce qui m'avait mené dans cette situation, pourtant je n'avais plus vraiment le temps de réfléchir. Il me fallait trouver une sortie, tant pour moi que les enfants.

« Je suis officier militaire médaillé, avançais-je calmement, mains dans les poches. Tuez-moi, et vous aurez la moitié de la flotte locale à votre recherche avant la fin de l'après-midi. » Tuez un Colonel impérial, et vous vous risquiez à plus qu'une pancarte et d'un prix. Bien sûr, c'était un mensonge. Enfin, ça l'était maintenant que je n'étais que simple Lieutenant.

« Elle bluffe, la chouette ! », railla l'homme qui tenait en joue le bouclier humain - une certaine Mia de Moya - des deux enfants qui, trop choqués pour hurler, se tenaient derrière mon ample par-dessus aux airs de robe dans un coin entre deux immeubles accolés. Il tremblait, par l'excitation d'avoir tué ou la peur de la menace brandie, nul n'aurait su dire. Plus loin dans la rue gisaient deux corps, l'un d'une femme aux vêtements rapiécés, une lame là où aurait dû se trouver son sein gauche, l'autre d'un homme dont le visage n'était plus qu'un trou béant, un insigne militaire encore visible sur son uniforme.

« Tu veux savoir pourquoi j'ai refroidi ce type ? » Il agitait vaguement le canon de son arme vers les deux cadavres. « Parce qu'il a contrarié la mauvaise personne : moi ! Et si tu bouges pas ton cul ridé, tu risques bien de me contrarier aussi. » A ses côtés, ses sept hommes de mains ricanèrent comme un seul homme, armes sorties.

Dans un calme absolu, j'analysais rapidement la situation : s'il n'avait pas tiré, c'est qu'il croyait un minimum à la potentielle véracité de mon histoire. Ils étaient confiants pour des meurtriers armés en plein après-midi, à en croire le tas de criminels tous plus accaparés par le spectacle que par la protection de leurs arrières. J'avais choisi la parfaite occasion pour n'emporter ni uniforme ni arme, songeais-je avec ironie, mais de toute façon qu'aurais-je fait même dans le cas contraire ? La ruelle en angle était peu à leur avantage d'un point de vue tactique, et offrait même un certain nombre de surplombs discrets sous l'ombre des hautes tours de la basse ville, mais je ne m'y trouvais pas, et je n'étais tombé sur eux que par hasard, alors que les deux mômes couraient dans mes jupes pour tenter d'échapper à leurs assaillants.

« Je ferais un bien piètre officier de l'Empereur si je vous laissais toucher à des enfants. » Au moins ce genre de remarques entretiendrait-il le doute dans leurs esprits.

Valentia. Il déteste venir en mission ici, il y a toujours des complications. Sombre et froid, Enguerrand passe devant une ruelle lorsqu'il entend la voix d'une femme. Elle tente de faire reculer quelques hommes en les menaçant. Il jette un regard rapide. Deux cadavres, huit hommes, une vieille et deux gosses. Soupire intérieur. Ils sont un brin nombreux et son sens tactique n'est toujours pas meilleur. Il préfère travailler sous les ordres d'un maître d'abordage. Tant pis il fera ça à l'ancienne.

Il s'avance donc dans la ruelle. Sans se cacher. Rapidement 3 hommes tournent leur attention vers lui et s'approchent. Le premier commence à ouvrir la bouche, sans doute pour le menacer. Sans le moindre préavis Enguerrand frappe de son membre cybernétique à la gorge, le larynx de l'homme est touché et sa respiration coupée dans la seconde. Stupeur des deux autres, sauf qu'Enguerrand est déjà sur le second. Un crochet aux côtes et les os explosent sous l'impact imprévu. Un uppercut de son autre poing de métal et l'homme perd conscience avant même de toucher le sol. Le troisième a un couteau monofilament en main et tente de trancher dans le vif. Enguerrand lève son bras gauche, l'homme sourit, métal ou chair importe peu son couteau va trancher profondément. L'étonnement se lit sur son visage quand la lame échoue à pénétrer la garde monofilament du bras cybernétique. Conrad enchaine trois frappes à grandes vitesses qui brisent le nez et la mâchoire de l'homme avant de le mettre KO.

Tout aussi étonnée qu'eux, j'observais le premier homme se faire réduire en miettes ce qui aurait dû lui servir de gorge ; s'il n'était pas mort sur le coup, colonne brisée, il était sage de compter qu'il perdrait la vie par manque d'oxygène. Pourtant, je n'attendais pas le second pour profiter de l'opportunité inespérée. Lle chef, ou tout du moins celui que j'identifiais comme tel, pointait toujours le canon vers moi, mais son attention était ailleurs : sur ses deux hommes qui, en moins de quelques secondes, tombaient au sol. Madre mia, cet homme est un rouleau compresseur, comprenais-je tout en me reprenant pour élancer mon pied dans une tentative de frapper la main armée.

Le coup retentit par accident sans que le pistolet ne quitte sa poigne, mais la direction était toute autre et, déjà, criait l'homme de main qui lâchait son sabre pour se tenir l'épaule. Voilà qui nous donnait deux minutes de répit ... ou moins, deux hommes s'approchant, armes blanches pointées dans ma direction.

Enguerrand active son bouclier personnel et les hommes dégainent des sabres plutôt que des armes à feu désormais inutiles. L'un d'entre eux blessé ramasse son sabre hésitant. Enguerrand n'hésite pas et se jette dans le corps à corps contre deux autres adversaires. Difficile de tirer sur un homme au milieu d'un corps, c'est sa meilleur protection contre le chef.

Les bandits ne sont pas des pirates à priori... où ils ne le portent pas sur eux. Enguerrand n'aime pas les simples criminels, alors c'est avec son épée au poing qu'il commence une danse mortelle. Le premier, blessé et certainement proche de la panique, tente une attaque violente mais tellement prévisible. Enguerrand se contente de dévier la lame adverse d'un geste sec pour ensuite riposter avec la fulgurance que lui offre son bras cybernétique. L'homme a le cœur transpercé. Percevant un mouvement rapide du second le guerrier de noir vêtu virevolte et passe sous une attaque visant à le décapiter. Alors qu'il s'accroupit dans son mouvement d'esquive en rotation sa propre lame cueille le second ruffian en lui tranchant le ventre avec toute la puissance de sa force surhumaine. Enguerrand se redresse et marche déjà vers ses autre proies quand les deux corps s'écroulent au sol. Sombre, le visage fermé il a dégainé un pistolet AE au cas où il ne soit pas au contact assez rapidement.

Cinq agresseurs hors combat il n'en reste que trois. Le chef et les deux hommes qui viennent d'atteindre leur victime. Le temps presse.

Le temps semblait tourner au ralenti. Certes, plus de la moitié des forces ennemies venait d'être réduite en purée par deux poings s'abattant comme le tonnerre sur un arbre d'aluminium, mais cela n'arrangeait, en cet instant, que très peu mon affaire. Des trois hommes restants, deux s'avançaient déjà pour frapper, le dernier, le chef, se retournant déjà en tentant de sortir son sabre.

Le bluff. Je n'avais que ça.

Me plaçant devant les deux enfants, je leur adressais un bref regard plein d'espoir avant de porter mon regard entre les deux hommes, un sourire plein de feint soulagement au visage. « Nous sommes saufs, ils sont deux ! »

L'un s'était retourné d'un bond, l'autre seulement à demi. On pouvait lire dans le regard du premier la peur de finir en compote de pommes, et la simple prévention dans celui du second ; c'est cette dernière expression qui, d'instinct, me poussa à attraper les bras des enfants et à tenter une fuite désespérée sur le côté du seul homme - qui avait accidentellement fait feu sur son subalterne - à se tenir face à notre sauveur.

Enguerrand avance. Il marche d'une façon neutre mais décidée et ferme. S'il était intimidant on le dirait impitoyable. Mais son visage est concentré et juste fermé. Alors le terme qui pourrait venir à un homme se sachant la cible du pirate est inéluctable.

Le chef a dégainé son épée et se met en garde. Il fait appel à ces deux comparses pour lui venir en aide. Et ces derniers semblent hésiter en voyant les corps inconscient ou mort derrière l'homme en noir. Enguerrand arrive à portée d'épée il lance une attaque basique que l'autre pare sans difficulté. Puis une autre qui est aussi parée. Les hommes se mettent à penser que le guerrier a seulement profité de la surprise et se décident à soutenir leur chef. Alors qu'ils arrivent proche du contact le Passeur accélère soudainement et d'une botte preste et mortelle il tranche la gorge du leader. Le sang gicle et les deux autres deviennent blanc comme des linges. L'un d'entre eux commence à prendre la fuite. L'autre ne sait quoi faire et reste sur la défensive. Stratégie potentiellement payante contre un adversaire lambda... mais inutile contre Enguerrand. Il frappe en force et la lame adverse est repoussée, il en profite pour s'avancer et pénétrer dans la garde adverse. Le pirate frappe au plexus avec la crosse du pistolet. Les os craquent un peu et l'homme cherche sa respiration. Un coup supplémentaire au menton le met hors combat.

Enguerrand scrute les alentours à la recherche d'un menace.

D'un mouvement, l'homme aux poings de métal finissait sa besogne, tandis qu'un unique homme s'échappait à la hâte, un affolement palpable dans la voix, mais avec une avance payée avec le sang de ses amis.

« Bon sang, nous sommes bien saufs ! », m'exclamais-je plus destiné à moi-même qu'à l'âme bienveillante à qui nous devions nos vies, les yeux fuyants, attentive. Les lieux étaient vides de monde, si l'on oubliait les macchabées jonchant le sol.

Enguerrant regarde celle qui se prétend de l'Impérium. Elle la stature, quelque chose en elle qui fait que son assertion est crédible. Sauf qu'un colonel ne se baladerait pas sans une escorte. Donc il y a anguille sous roche. Mais ce n'est pas sa priorité.

Il rengaine son épée qui est manifestement faîtes par un artisan de l'Impérium... une arme de grande qualité. Son pistolet suit le même chemin mais dans un autre fourreau. Puis le pirate observe les environs. Il y a des survivants, les trois premiers ne sont pas morts. Et le dernier non plus. Mais ils ne se réveilleront pas immédiatement. Son attention se porte donc sur les enfants étant donné qu'il ne repère pas d'autre menace.

- Ca va ? demande-t-il au deux gamins d'une voix froide comme la banquise.

Il sort un cigare de sa poche intérieure et l'allume en gardant les yeux fixés sur le trio. Curieux de savoir si elle est vraiment une impériale.

Les enfants étaient tétanisés, bien sûr ; choqués par ce qu'ils venaient de voir, de vivre, et nul n'osait ou ne parvenait à prononcer le moindre mot. Le petit homme s'était reculé de quelques pas lorsque la voix grave brisa soudain le silence glacé de la ruelle. D'un mouvement qui se voulait maternel, je plaçais les mains sur les deux têtes aphones tout en les ramenant à ma robe.

« Tout d'abord, merci », fis-je brèvement, le regard véritablement reconnaissant, avant de poursuivre. « Nous devons mettre les enfants à l'abri avant que celui qui s'est échappé n'aille chercher ses collègues. Je ne connais malheureusement pas bien les lieux, vous connaissez un endroit sûr ? »

Enguerrand se tourne vers la femme. Un endroit tranquille ? le retour de l'homme avec d'autres collègues. C'est peu probable, mais pas impossible en effet. Déjà il ne l'a pas reconnu comme un membre de la pègre locale vu qu'il n'en fait pas partie. Donc il est soit un flic et personne ne viendra vérifier. Soit un pirate et les criminels préfèrent éviter les ennuis avec les pirates. Les seigneurs n'aiment pas les organisations trop puissantes et les gangs ont appris à craindre les pirates.

Il hausse donc les épaules et fait un petit signe indiquant de le suivre. Les rues plus sûres ne sont pas vraiment long. C'est pas comme si la ville était immense et que des quartiers entiers étaient dangereux à la surface. Il ne lui tourne pas le dos pour autant et attendant qu'elle rejoigne son côté.

Là où d'autres auraient vu de la galanterie, j'y voyais l'évidence même de l'expérience au combat : il me laissait passer devant, ne se laissant tromper par aucune apparence. Oh, bien sûr, il aurait pu ; après tout, j'étais bien trop vieille et bien trop peu douée pour jouer des muscles, surtout contre une machine à tuer pareille. A mes côtés trainaient les enfants qui ne savaient trop quoi dire ou quoi faire, le regard vide, les pensées bien trop pleines.

En l'absence de proches, ils n'auraient personne pour veiller sur eux. Et si tel était le cas, ils ne pourraient rester ensemble : ils seraient chacun placés dans des foyers différents, si tant est que certains les acceptent à leur âge. Je ne me faisais pas trop de soucis pour la petite, à cette âge-là on est encore "vendable" auprès des familles aisées, mais le bout d'homme, lui, débuterait probablement ses premières années d'adulte dans la rue.

L'homme nous avait attiré dans des avenues plus fréquentées de la ville, un minimum commerçantes. Je me tournais vers lui, offrant un bref et rare sourire sincère.

« Je vais être franche, monsieur », amorçais-je. « J'ai une dette envers vous, qu'il me sera bien difficile de rembourser. Mais si vous me le permettez, j'aimerais dans un premier temps, après avoir remis ces enfants aux autorités et expliqué les faits, vous inviter à boire un café, une bière, ou tout ce qui pourrait alléger la conscience d'une vieille dame. »

Enguerrand écoute et reste méfiant. Mais pourquoi pas, les impériaux sont pétris d'honneur et il n'est pas à l'abri que la femme pense réellement ce qu'elle dit. Alors qu'il avance dans les ruelles de la ville en se dirigeant vers une zone sous protection policière plus intense il réfléchit. Finalement il sort son HCom et recherche le nom d'une taverne locale dont il sait qu'elle sera à son avantage. Satisfait il range l'appareil.

- Retrouvez moi à l'Antre du Basilic. dit-il simplement en continuant à guider la femme et les enfants.

Sa voix est toujours neutre, son visage fermé et concentré sur son environnement. Finalement lorsqu'ils atteignent la place visée il montre un duo de policier.

- Dans 15 minutes. dit-il alors.

Il ne compte pas lui laisser plus longtemps pour remettre les enfants, faire sa déposition et le rejoindre. Il n'a pas l'intention de se justifier auprès des autorités locales. Certes il dispose de papier d'ancien légionnaire en règle et des permis pour ses différentes armes. Mais tôt ou tard son nom apparaitra dans les avis de recherche. Il n'est pas un officier, mais il est efficace et un jour un survivant finira par le désigner comme une menace.

Quinze minutes. Il souhaitait donc que j'amène les enfants aux policiers, que je fasse une déposition, que je leur explique que je suis pressée, que je retrouve l'emplacement de l'Antre du Basilic et que je m'y rende ... En quinze minutes. Soit il imaginait que j'allais simplement déposer les enfants et partir, soit il avait un gros problème avec les temporalités.

« Trente », annonçais-je. « Juste le temps de ne pas laisser croire aux forces de l'ordre que je tente de m'éclipser face à un crime, ce qui m'évitera sans nul doute une après-midi fort désagréable au poste avec ivres et sans-abris pour seuls compagnons de cellule. Vous avez intérêt à être là quand j'arriverais, ou vous vous risquez à plus grave encore que huit hommes armés : la colère d'une vieille dame. »

Pointant vers lui un index plein de défi et un sourcil haussé, je me retournais sans lui laisser l'opportunité de répondre pour me diriger vers les policiers. Déposer les enfants, leur dire au revoir - tout en gardant en mémoire les noms des deux, Isabella et Gregorio - fut sans doute la décision la plus difficile depuis mon arrivée dans le système Dorado. Pourtant, avec seulement trente secondes de retard, j'ouvrais les portes de l'Antre du Basilic, espérant que le sauveur n'avait déserté.

Enguerrand hausse les sourcils intérieurement, puis il prend le chemin de la taverne. Un colonel aurait pu régler ça en 15 minutes, ou elle cherche à gagner du temps. Mais il verra bien. Le quartier est un endroit qui permet des évasions faciles. Il marche tranquillement et arrive dans la zone. Rapidement il rassemble des gamins du quartier et les paie pour qu'ils le préviennent si la police commence à se déployer en masse. On est jamais trop prudent après tout.

Une fois dans la taverne il s'installe dans le fond proche de la sortie de secours. Une table dans un coin tranquille, dos au mur. Il sort un cigare et l'allume avant de commander à boire pour patienter. Et commence ensuite la longue attente. Il est curieux de ce que va lui raconter la vieille dame.

L'intérieur, s'il n'avait rien de coquet, n'était pas aussi atroce que ce à quoi je m'étais attendue d'après le nom faisant tant référence au poison qu'à la pétrification. Ici, nuls cadavres verdis ou statues étranges, simplement quelques piliers enfoncés sur des tabourets ça et là. Logique, en un sens : nous étions l'après-midi bien que la nuit pointe, et nombre des clients habituels devaient être en train de travailler aux mines.

J'apercevais l'homme au loin, assis. Aux yeux des civils, il aurait semblé s'être isolé. Aux miens, il n'en était rien : à moitié couvert par une partie du bar, tout près de l'échappatoire que représentait la sortie de secours, j'en apprenais plus sur mon sauveur : qui qu'il soit, il ne me faisait pas confiance. Et, manifestement, s'attendait à ce que je ne vienne pas seule. Cependant, il n'en était peut-être pas certain : après tout, n'était-il pas venu ?

M'approchant, je saisissais un siège en face de lui avant de m'y asseoir, jambes croisées. Confortablement assise, je me penchais en avant, main tendue.

« Mia de Moya. »

Enguerrand est en place et regarde l'intérieur de la taverne avec attention derrière la fumée de son cigare. Il est plus vigilant que la moyenne humaine. Bien plus vigilant en fait, même s'il a rencontré quelqu'un qui le ferait passer pour un homme tête en l'air et désinvolte dans ce domaine. Il connaît ses limites et sait être suffisamment attentif pour éviter les ennuis en règle générale.

Lorsque la vielle entre elle semble sereine... d'un autre coté elle pourrait être en stress qu'il ne s'en apercevrait pas. Alors il considère toujours qu'il ne doit pas se fier à son ressenti au sujet des gens. Plus facile à dire qu'à faire en fait. Elle s'installe et se présente. Il prend la main tendue avec délicatesse et la serre doucement comme si sa propre main était une vraie. Il y a une précision absolue dans son geste, sa main cybernétique faîtes pour tuer lui permet de doser chaque effort et chaque pression avec une précision incroyable. On ne manie pas les épées modernes uniquement avec violence. Et son bras gauche est fait pour manier une épée.

- Enguerrand Martin. dit-il sans mentir.

C'est l'identité que la Légion lui a donné. C'est ce qu'il est légalement devenu grâce à cette dernière. Même s'il n'est pas officiellement citoyen de l'UC. Il n'est pas resté assez longtemps dans la Légion. Mais elle n'oublie jamais les siens. Notons que les officiels détestent les ID temporaires de l'UC et ne les reconnaissent pas comme légitimes.

Il m'avait dit son nom, et je pensais y parcevoir la sincérité. S'il s'était agit d'un faux nom, il aurait hésité, pris un temps avant de répondre. Pourtant, il n'avait pas cillé, ni hésité. Légèrement rassurée, je m'affaissais plus confortablement dans sur mon siège.

« Vous m'excuserez Enguerrand - je peux vous appeler Enguerrand ? -, mais je n'ai pas grand chose à faire pour m'occuper ici, à Valentia », fis-je en souriant un bref instant. « Aussi j'espère que vous comprendrez que dès que j'ai compris que nous étions saufs grâce à votre intervention, j'ai sauté sur l'occasion de me servir de vous pour me distraire. »

Le serveur s'approchant, je récupérais ma boisson, une simple canette de soda dont le « pschitt » caractéristique résonna une demi-seconde dans la salle.

« C'est inhabituel comme nom, Martin. Vous êtes trinitaire ? »

Enguerrand écoute la femme et considère qu'elle n'est pas là pour faire passer son ennui mais pour obtenir des renseignements sur lui. Il n'est pas spécialement doué dans ce genre de conversation.

- Vous pouvez. C'est un nom typiquement trinitaire, l'un des plus usités chez les pauvres. dit-il de manière factuelle.

Il répond en même temps à sa question. Mais il sait n'avoir plus aucun accent trinitaire et que sa barbe façon marin de Dorad cache certains traits de visage plus typique des trinitaires que d'autres factions. Bien que le mélange des ethnies au sein des factions a depuis longtemps gommé les gueules spécifiques. Désormais l'erreur est toujours possible alors que le nom ne trompe pas s'il est vrai.

Souriant brièvement en observant ses bras, je haussais un sourcil amusé.

« Vous faites un pauvre bien fortuné. »

Avalant une nouvelle gorgée de ma boisson, je redressais légèrement le dos et fronçait légèrement les sourcils, prête à aborder le sujet réel de ma visite.

« Par certains aspects, vous me rappelez feu le mari de ma soeur, señor. C'était un homme avec l'intelligence suffisante pour cacher ce qu'il était réellement. Et suffisamment également, j'imagine, pour épouser la cadette De Moya. »

Le regard perdu dans de profonds songes quelques instants, je m'en extirpais pour reprendre.

« Elle et lui sont morts dans l'explosion de leur appartement, il y a bien longtemps. L'acte était criminel mais, bien sûr, certains ont le bras assez long pour étouffer l'incendie avant qu'il ne se propage. »

Faisant volontairement perdre toute expression négative de mon visage, je lui offrais un nouveau mince sourire.

« Je cherche à rallumer le feu », déclarais-je. « Et à couper le bras. »

Elle lui raconte sa vie... elle doit avoir une idée en tête. Sauf que pour le coup il ne voit pas. Pas son genre de faire exploser les gens. Technique de lâche qu'il n'apprécie pas particulièrement. Et comme il ne fait pas dans l'assassinat il n'a pas de raison de couvrir ses traces en détruisant un appartement entier. En plus elle n'a pas vraiment l'air du coin. Un vrai noble Impériale du centre de la galaxie.

- Vengeance.. je vois. Faut des pistes sérieuse pour rallumer les feux les plus anciens. précise le pirate de sa voix neutre et fraîche.

Il ne s'en était pas allé, ni n'avait cillé. Autrement dit, je pouvais décemment supposer qu'il était soit curieux, soit intéressé. Il me restait à définir s'il pourrait s'avérer être une ressource exploitable ; et aux vues de sa prestation d'il y a quelques heures, j'espérais qu'il le soit.

« C'est l'un de mes désavantages actuels », confirmais-je en hochant légèrement la tête. « Et il reste une autre question en suspens : une fois le coupable trouvé, que puis-je lui faire ? Et comment ? »

Elle pose des questions dangereuses. Et il ne compte pas lui apporter de solution.

- le traduire en justice si c'est un Impérial. Sinon le faire extrader ? demande Enguerrand toujours de sa voix froide et sans emphase.

Il ne connaît pas les détails concernant ce genre de situation. Mais il imagine bien que les lois d'extraditions sont souvent complexes à mettre en œuvre. Elle a dit être colonel impériale.... elle doit avoir des moyens à sa disposition.

Il présentait les évidences, mais ne comprenait peut-être pas les faits. Il me faudrait lui donner un peu plus d'informations, si je voulais savoir si ses compétences étaient à vendre. Et, s'il le fallait, je brandirais la carte de la faiblesse. Celle-là même qui, probablement, l'avait fait courir au secours des enfants il y a quelques heures.

« S'ils s'en sont sortis il y a vingt et un ans, il n'en sera pas différent aujourd'hui, malheureusement. » Je soupirais, passant main droite dans mes cheveux pour les remettre en ordre. « Non, s'il existe une chance pour qu'un simple Lieutenant, même fortuné, retrouve les coupable, il lui faudra passer par d'autres canaux que ceux qui devraient être à sa portée. Et cela risque de me mettre dans certaines situations similaires à celles de cet après-midi. »

Enguerrand écoute. Lieutenant... plus colonel. Elle est trop vielle pour être lieutenant. Mais son élocution et sa façon de parler son celle d'une noble. Il ne comprend rien à cette personne. Sauf qu'elle cherche la vengeance et que les impériaux ne badinent pas avec ça. L'honneur. Parfois d'autres sentiments pour les femmes. Mais à la fin ils cherchent le sang pour le sang.

- vous devriez engager un garde du corps alors. lâche Enguerrand. Et des détectives privés.

Sauf si elle a déjà une cible. Dans ce cas c'est un autre type de personne qu'il lui faudra engager.

- Qui est mort et comment ? demande-t-il alors.

Il comprenait le fond de ma pensée. Parfait.

« Erika De Moya. Mariée à feu Jaziel De Asturias. Tous deux sont décédés quand une bombe a explosé dans leur appartement. Ma ... » Je marquais une pause pour déglutir. « Ma petite soeur était une femme bien, rayonnante, pleine de joie. S'il y a bien une chose dont je suis certaine, c'est qu'elle n'avait pas d'ennemis. Son mari, en revanche ... Eh bien, on ne retrouve plus trace des Asturias depuis cette même année. »

Je le laissais assimiler ces informations quelques instants.

« Je n'ai pas encore réellement d'indices, mais suis en contact avec un réseau clandestin qui pourrait, peut-être, me permettre d'en trouver. Le problème étant que je ne peux pas y aller avec des militaires impériaux, et encore moins seule. »