Couleur café

L'Albatros est un beau vaisseau, un peu daté puisqu'il s'agit d'une carlingue de 5-C remis à neuf plus de dix ans auparavant mais celui qui a fait les modifications s'y connaissait et le tout tient la route. Je verrais la maniabilité du bousin en marche, évidemment. Jusqu'ici, j'ai surtout fait voler des appareils non-modifiés même si en théorie, je peux m'adapter à tout. Les pirates – et donc les corsaires – ça veut principalement de la vitesse, non ?

Par contre, à part le pont, mes subordonnés  (je vais avoir du boulot avec eux) mes quartiers et le Capitaine, je n'ai pas encore vue grand chose du bâtiment. M'intégrer est ma première mission. Je sais que j'ai été imposée, je ne sais pas si les autres le savent mais il est important qu'ils ne me voient pas comme l'ennemi sinon je vais pas passer un  bon moment dans cet équipage pirate. Déjà, j'ai viré l'uniforme. Je me doute bien qu'ils l'aiment pas. J'ai sorti un pantalon trois-quart gris et un top vert un peu cintrée pour faire semblant que j'ai une taille. Et je suis partie à la recherche de la salle de repos.

Je la cherche encore quand je vois passer un type. Super grand, peau foncée typique mo'at et des yeux clair qui semblent briller dans son visage sombre. L'archétype du pirate. Il ne lui manque que des cicatrices et un foulard autour du coup. J'hésite pas une seconde – il a l'air moins con que le type ricanant que j'ai crois toute à l'heure et je l'alpague.

« Hey, Monsieur, excusez moi, je ne suis pas à bord depuis longtemps. Pourriez-vous m'indiquer le chemin pour la cafet, s'il vous plait ? Je vais mourir si je ne peux pas boire un café bientôt... »

En'theven faisait son tour habituel dans l'équipage et s'était perdu dans ses pensées en marchant dans les couloirs. Il vagabondait sans trop se soucier de là où ses pas l'amenait, sûr que si quelque chose devait se passer aujourd'hui les lignes du destin finiraient par se lier.  Il ne tarda pas à avoir raison. Son regard clair se posa sur un bout de femme avec sa lenteur tranquille habituelle.

"Si le manque de café vous amène vers un décès précoce, je pense que nous ne connaissons pas encore, mais que vous allez devoir me rendre visite rapidement."

Il sourit un peu. Difficile de savoir ce qui est de l'humour et ce qui est de la vérité.

"Je vais vous y emmener."

Il commença à marcher vers la cafétéria, l'invitant d'un mouvement à le suivre. Il marche comme un civil, pas comme un pirate, ni même un militaire. Les mains liés dans le dos.

« Rho ! Si vite ? Ce serait inconvenant, nous venons tout juste de nous rencontrer voyons. » Je réponds ça et je réfléchis en même temps. S'il dit ça, soit il me fait des avances mais alors il est à fond dans le côté décallé sérieux, soit je suis tombé sur le docteur du coin. Ca me fait bizarre de badiner avec un officier comme ça, au moins, dans l'armée, les uniformes aidaient à savoir à quoi on parlait, à défaut de toujours savoir à qui. Je souris en espérant qu'il n'a pas mal pris ma répartie. « Je vous suis, chef chef ! » Je trottine un peu pour me retrouver à sa hauteur – légèrement en retrait à sa gauche en fait mais je ne fais pas exprès, promis – puis, inconsciemment, me met à son pas. Il a de grandes jambes l'animal. « Je m'appelle Lawrence, contente de faire votre connaissance. »

En'the eut un sourire amusé par la fougue de la jeune fille. Une vraie pile électrique. Il marchait d'un pas paisible, pas plus enervé que la moyenne.

"Je suis En'theven. Ravi de vous connaître également. Si cela peut vous rassurer, je suis le médecin de bord, rien d'inconvenant ici, donc."

Il posa sa main cybernétique sur une poignée et une porte s'ouvrit sur le mess. Il laissa passer le bout de femme devant lui.

En'theven c'est pas le nom le plus prononçable du monde et je me demande encore comment pas m'emmêler la langue dessus quand il me sauve sans le savoir. Doc. Ce sera très bien, Doc'. Du coup il me rassure même si ce n'était pas vraiment l'inconvenance qui me gênait en vrai. Je me demande s'il est vraiment imperméable à l'humour ou si c'est le sien que de prendre au sérieux ce qui ne l'est manifestement pas puis je décide qu'on verra bien et je me glisse gracieusement devant lui pour rentrer.

"Merci doc'. Vous voulez un jus de fruit ou quelque chose pour m'excuser d'avoir interrompu votre trajet et vous remercier de votre patience ?"

En'the va s'asseoir également, hochant la tête en direction de différentes personnes à travers le mess. 

"Un café également. Nuage de crème, sans sucre."

On le remerciait souvent pour sa patience. Et oui, un café, il ne dérogeait pas à la règle également. Évidement. Il fixa la jeune de son regard clair et demi cybernétique.

"Nouvelle, donc ?"

Je prends donc deux café, un bien serré pour moi et un fillette pour le monsieur. Les goûts et les couleurs ne se discutant pas quand on ne connaît pas les gens et lui pose tout bien devant lui sans en renverser. Je m'assied et je soutient le regard clair du doc'. Cyberware. La classe. J'avais des potes en classe qui rêvaient de s'abîmer des trucs juste pour tous les avantages en combat que cela pouvait apporter. Je me demande s'il en a profité pour changer la couleur de ses yeux ou si c'est naturel avant de me rappeler que je suis là pour rencontrer du monde, pas pour me poser des questions à la con qui ne me regardent pas. Du coup, je souris.

« Oui. Je suis la nouvelle Chef Navigatrice. On m'a un peu imposée au Capitaine... » je me frotte la nuque un brin gênée mais honnête. On ne fait pas de bons liens en commençant par mentir. « Mais ce n'est pas grave, je n'aurais qu'à lui prouver qu'elle a gagné au change. Et vous, vous êtes là depuis longtemps ? »

En'theven  laisse sa main cybernétique attraper le café trop chaud. 

" Beaucoup de gens ont été imposés au Capitaine. Tu n'es pas une exception. "

Mais pas lui. Lui s'était imposé de lui-même. Par la voix de Calyspo. Il lui sourit quand elle dit qu'elle veut faire ses preuves. Ne te disperse pas trop, jeune fille. 

" Je suis là depuis deux ans. J'ai demandé au Capitaine de pouvoir travailler avec elle. "

Tant mieux. Je n'aime pas les exceptions, elles sortent trop du rang et ça veut dire que mes subordonnés ne me hairont peut-être pas trop longtemps, c'est cool. Je le vois attraper le café de sa main en métal, j'hésite à faire de même mais la fumée qui s'échappe du gobelet m'en dissuade. Me brûler la langue, croyez le, croyez le pas, c'est pas mon activité favorite.

"Pourquoi ? Si ce n'est pas indiscret ?"

Pourquoi elle, pourquoi les corsaires, pourquoi. Je suis curieuse. De l'Albatros, je connais surtout les histoires des soeurs Alvarez et de Di Rosa. Je sais qu'il avait plein de suivants, qu'il était charismatique et tout mais ça n'a pas l'air d'être le cas ici alors je suis très curieuse. Qu'est ce qui chez notre Capitaine pouvait donner envie d'aller faire la démarche de travailler pour elle, d'autant plus que les corsaires étaient un peu les bâtards de la galaxie. Personne ne les aime.

Il a un sourire pour la gamine, un sourire doux et apaisé. Comme si chacun de ses pas lui avait paru être guidé avec une facilité déconcertante. Mais elle ? Était-elle prête à entendre cette simple vérité ?

" La Déesse me l'a demandé. "

Il sirota doucement le café en fixant un point loin derrière Law, ignorant partiellement sa réaction. C'est parfois compliqué pour ceux qui ne connaissent rien des Moa't. Certains de ses anciens amis le pensait même fou.

Ah bah si la déesse lui a demandé hein. Il me faut un peu de temps pour me rappeler de quelle déesse il parle et puis je me rappelle qu'il a une gueule de Mo'at et qu'ils vénèrent une Calypso dont il parait qu'elle est super utile dans les voyages spatiaux. Bon, on n'enseigne pas trop ça à l'Académie alors...

"Calypso c'est ça ? C'est fréquent qu'elle donne des indications de vie ou c'est exceptionnelle? J'espère que je ne vous vexe pas avec ma question. L'Union n'enseigne pas trop tout ce qui a trait à la religion et ce genre de choses, ils sont trop pragmatiques pour ça et ils ont horreur de se dire qu'ils peuvent dépendre de trucs qu'ils ne contrôlent pas. Pire que les trinitaires avec les femmes."

"C'est ça."

Il est un peu surpris qu'elle connaisse ce nom, mais il ne s'en formalise pas beaucoup plus. C'est bien, finalement.

" Ce n'est pas de l'horreur. C'est de la peur face à l'inconnu, presque de la prudence. Le fait qu'ils veuillent ignorer cette religion est la preuve qu'ils sont dépassés. Qui ignorerait une pièce entière sur un échiquier par simple haine ? "

Il pose son gobelet et fait un mouvement souple de sa main cybernétique, les doigts se plie d'une manière trop parfaite pour être humains. Il les regarde pensif.

"Calypso parle à ceux qui le mérite et réponds à ceux qui le demande. Parfois. "

Et parfois, on perd simplement un bras.

Ah, le mérite. On le retrouvait partout celui-là. Les trinitaires aussi aimaient beaucoup cette idée de dieu qui récompense les méritants, surtout des hommes qui se pliaient à la politique papale. Quant à l'Union,le Mérite était son Dieu s'il y en avait un. Du coup je comprends parfaitement ce qu'il veut me dire. Je sais que je mérite probablement rien de la déesse des autochtones et comme je m'en bats sérieusement les steaks avec une pelle, et bien ça ne me fait ni chaud ni froid. Je me dis quand même que malgré sa simplicité et sa nonchalance calme, il doit pas se croire sorti du cul d'une poule, le médic, pour utiliser sa religion comme ça. Peut-être qu'il le mérite cela dit, les plus arrogants ne sont pas toujours les plus mauvais, ce serait trop simple.

"Beaucoup de gens ignorent les pièces par haine, c'est ce qui fait qu'il y a de bons joueurs d'échecs et des mauvais. J'avais un camarade à l'académie qui avait décidé que les fous servaient à rien. J'lui ai mit une branlée, c'était marrant." Je hausse les épaules mais mes yeux pétillent à ce souvenir. Pauvre Matt. "Et c'est elle qui vous a dit de devenir médecin aussi ?"

Quand on a aucune vision d'un plan global, la stratégie est une chose qu'on ne se permet pas. Si En'the savait où il allait, il savait aussi d'où il venait. Une nation sûre, au bonheur simplement mathématique. On y murmure que la passion est le dernier vice de ces mondes. Cette organisation n'était pas un mauvais joueur d'échec.

" Je ne pense pas que l'Union soit comme votre ami."

Il attrape finalement le café.

" Oh non, j'ai longtemps travaillé pour Anthema, pour suivre le destin de mon père adoptif. Un fils de médecin lui même. "

Il boit en saluant des yeux certains membres de l'équipage.

" Navigatrice, donc. Vous pourriez avoir un bel avenir ailleurs. Pourquoi ici ?  "

L'Union en générale non. Certains généraux de l'Union par contre... je souris. Je suis mauvaise langue, même en pensée, nos généraux sont meilleurs que ça mais l'idée me fait marrer et elle est pas si fausse pour certains officiers. J'vois pas ce qu'on peut rajouter cependant alors je me tais, j'attends la suite qui est mignonne comme tout finalement. Armoire à glace a fait médecin comme papa. Et comme moi. Pas médecine hein, comme papa. Est-ce qu'il a rêvé, lui aussi, d'être major de promo ? Quand j'y repense d'ailleurs, notre Capitiane aussi à fait comme papa. Faudrait que je vois si le schéma se répète dans le vaisseau, ce serait marrant. L'Albatros : "Comme papa [strike]mais en mieux[/stirke]" tu parles d'une devise. Mon sourire devient amusé et je décroche presque. Sa question arrive juste à temps pour me ramener au présent.

"Je voulais un bel avenir que je ne devrais qu'à moi seule. Au moins, ici, personne ne va craindre de me faire des reproches si je merde ou faire semblant de m'apprécier histoire d'espérer une reconnaissance de mon Colonel de père. Et pour autant je reste dans la marine."

ET je suis vaguement utile à ma faction mais ça...je préfère ne pas le dire à haute voix.

"Que d'histoires de parents."

Un sourire amusé se forme sur les lèvres du docteur, tandis que son regard reste dans le vide. Il finit son gobelet.

"Vous êtes au courant que tout le monde dans cette galaxie nous déteste ou presque. Pirates, autres factions... Même pour l'U.C., nous ne sommes qu'une chose trop volatile. Et même entre nous, difficile de savoir qui garde qui. Cela ne vous fait pas peur ?"

"D'être détestée ?" Je regarde autour de moi. Je suis dans un navire corsaire donc en effet détesté par les pirates et les militaires et les factions mais en plus mon capitaine n'a pas confiance en moi et les trois-quart de mes hommes me voient comme une traîtresse potentielle alors... et bien je souris, ouais, encore. "Si j'avais peur d'être détestée j'aurais épousé le gentil mari que mes parents avaient en tête pour moi, j'aurais été baignée dans un cocon d'amour et j'aurais jamais eu une seule épreuve dans ma vie." Je hausse les épaules. "Je me fiche de ce qu'on pense de moi, je suis là pour accomplir un travail, si je peux le faire dans la bonne humeur, c'est mieux, si je dois me fâcher, je me fâcherais."

En'theven hausse un sourcil en la regardant. Il fait une petite moue et boit une nouvelle gorgée de son café avant d'ajouter :

"Je prierais pour vous alors, celle qui a choisi de mettre sa main dans le feu."

Le visage neutre du médecin ne montrait aucune animosité, très calme. Difficile de savoir ici s'il s'agissait de respect ou d'une moquerie.

J'éclate de rire. Il est mignon. Tellement que je me lève pour lui coller une bise.

"Merci, c'est gentil tout plein."

Oui je SAIS qu'il se fout probablement de ma gueule mais j'ai décidé de bien le prendre pendant le demi-quart-de seconde où j'avais le choix entre me fâcher ou non. Au moins il s'est inquiété de ce que je me sente seule et ça, c'est ni de la blague ni de l'ironie. Je pense qu'il cache beaucoup de sa vraie gentillesse sous de la fausse gentillesse le docteur-religieux.

"Même si c'est probablement parce que ça vous fait chier de soigner les brûlures de l'âme !"

En'theven est surpris par le mouvement de la jeune fille. Il se touche la joue, l'air un brin choqué par ce qu'il vient de se passer. Elle, sans vraiment s'en faire, elle continue. Il est juste capable de balbutier, un peu pataud :

" Les brûlures de l'âme ? Comment ça ? "

C'est toujours pareil, les gens ils commencent une métaphore, moi je surenchéris et ils comprennent pas, trop coincés dans leur façon de penser. C'est à vous dégoûter de tenter de filer quoi que ce soit. Mais bon, j'vais expliquer, avant qu'il le prenne mal, même si blague expliquée est forcément bien moins drôle.

« Vous vous inquiétez de ce que je mets « ma main au feu » en parlant du fait que tout le monde va me détester et que donc je vais en souffrir. Mais c'est une souffrance de l'esprit, de l'âme, pas une souffrance physique et vous êtes médecin des maladies physiques donc puisque je vais être brûlée métaphoriquement parlant en étant détestée par tout le monde, c'est mon âme qui va souffrir, d'où la brûlure de l'âme à mettre en parallèle avec les brûlures physique que vous devrez soigner de toute façon puisque vous êtes doc. C'est plus clair comme ça ? »

"Non."

Il la regarda un instant, se rattrapant. Il était un peu irrité de son comportement.

"Rien n'est clair lorsque deux phrases simples ne suffisent pas à l'exprimer. Je vous espère meilleur pilote qu'oratrice."

Il posa sa tasse vide sur le comptoir.

"Mon âme n'a jamais souffert d'être sur ce vaisseau. Au contraire, même. Et si c'est véritablement ce que vous voulez et non un acte de bravache, vous ne devriez avoir aucune brûlure autres que celle de votre choix."

Il boude. Bon bon, et bien c'est tendax comme premier contact hein. J'souris parce que j'ai autre chose à faire que le prendre mal mais au fond de moi j'suis un peu déçue. De moi, de lui, de tout quoi. Tant pis. Je hausserais bien les épaules mais je veux pas encore le vexer alors je prends sur moi.

"Tout va bien alors. Santé !"

Tout va bien sauf que j'ai envie de m'enterrer dans le sable et qu'il n'y en a pas. Note pour plus tard, demander du sable au Capitaine pour pouvoir se cacher.

Il lève son verre en arquant un sourcil. Cette personnalité devait poser problème parfois au niveau social, pensa-t-il. La capitaine sera à même de juger des bénéfices d'une telle pile sur le bateau. Sans doute avait-elle plus sa place ici que lui-même. Il la fixa un instant.

"Vous êtes mal à l'aise."

Il sortit sa tablette et tapota dessus pour la réveiller.

"Ne prenez pas cette première impression trop à cœur. Je ne doute pas que vous saurez monter dans mon estime lorsque je vous verrais au travail."

Un léger mouvement de lèvre, l’esquisse d'un sourire tranquille pointa sur son visage. Il leva néanmoins le doigt rapidement vers elle, l'air de nouveau sévère.

"Mais, plus d'embrassades. Surtout impromptues."

Sans blague, je suis mal à l'aise. Le type il rendrait l'entière Corporation mal à l'aise avec ses réactions chelous. Et pourtant je le sens pas méchant. Ni mal honnête. J'crois qu'on est juste incompatibles, c'est pas grave. C'est gentil à lui de vouloir me remonter le moral et mon sourire devient un peu plus joyeux bien que vaguement penaud quand il se met à me gronder comme un chaton de deux semaines.

"Promis M'sieur." Quand on me prend pour une gamine, je réagis comme une gamine. C'est comme ça, je sais pas faire autrement. Mais je reprends vite mon sérieux. J'suis pas impressionnée en vrai, juste soulagée de voir la tension se rabattre d'un coup. Je décide de pas me formaliser sur une première impression moi non plus. On verra ce que l'avenir nous réserve. "Merci." et cette fois, je suis sincère.