Clopin-Clopant

Quatorze heure, enfin, la fin du service de midi. Audrey avait finis de ranger sa cuisine, elle avait fait ses préparations pour le service du soir et avait nettoyé la cuisine. Bien, elle avait maintenant quatre heures de pause.

En toute logique, elle devrait aller manger. Elle s'était d'ailleurs mis une assiette de coté, mais pour le moment, elle voulait juste sortir. Ça avait commencé alors qu'elle rangeait, l'impression de se sentir enfermée, piégée. Têtue, elle avait refusé de se laisser submerger par l'angoisse et elle avait finit son shift.

Mais là, elle DEVAIT sortir. Elle ouvrit un peu maladroitement la porte de la ruelle et sortit enfin à l'air libre comme elle en mourrait d'envie depuis une demi heure. Elle inspira longuement une fois, deux fois, trois fois, puis elle sortit de quoi se remplir les poumons d'air moins frais.

Il lui fallut deux ou trois essais avant de réussir à allumer sa clope, mais elle réussis finalement et tira avec bonheur sur le petit cylindre. Elle tira quelques bouffées de plus avant de voir arriver Sarrazin.

"Salut Sarr!"

Le chiffon avec lequel il avait nettoyé les tables encore sur l'épaule, le borgne jette un coup d'oeil circulaire à la salle. Les habitués sages venus juste manger à midi sont repartis bosser. Les habitués moins sages - si si, ceux avec des tricornes et des cicatrices que la vie à terre vous donne rarement - n'arriveront normalement pas avant que la soirée ne s'avance. Les verres ont été lavés et rangés, les shakers aussi. Sur le bar impeccable, une assiette délaissée attire son oeil unique. Exact, Audrey doit avoir fini aussi. Et si elle n'est pas attablée ici, elle est certainement sortie.

Bestiole sociable par nature, le borgne laisse la salle dépeuplée aux soins d'un serveur qui l'avertira au besoin et sort dans la ruelle. Bingo, la rousse s'y trouve aussi.

"Salut Audrey~"

Pouces dans les poches, il s'appuie d'une épaule contre le mur le plus proche.

"C'était le rush, en cuisine, non ? J'ai vu les commandes fuser sacrément vite, ces dernières heures..."

Plus elle s'empoisonne à la fumée de cigarette plus le poison de l'anxiété quitte son esprit. Son thérapeute disait que ce sont tous les petit rituels de la cigarette qui l'aident à se calmer. Il a peut être raison. Ou peut être que la nicotine la calme. En tous cas, dés la mort de Maman la clope l'avait aidé à tenir et à s'accrocher au monde réel. Elle fumait déjà à l'époque, mais moins.

Elle tire une bouffée de fumée et sourit à Sarrazin en l'expirant:

"Ouais, le coup de feu à été rude. Mais c'est bien, on attire de plus en plus de monde. Les meilleurs burgers de la planete! Bientôt on viendra d'Obscuro pour notre cuisine."

Elle se tourna vers le borgne.

"Et en salle, ça a été?"

D'une impulsion souple, le brun s'assoit sur une pile de caisses, pas découragé par l'équilibre tout à fait douteux de la pyramide. Le geste soulage un rien la tension de ses jambes, moblisées pour cavaler derrière le bar et dans la salle en renfort des serveurs.

"Du système, a dit le chef, les meilleurs burgers du système~"

Poussant sa chance, Sarrazin s'étire sans s'interrompre :

"On n'a pas manqué d'animation non plus, en salle ! Un des gars un peu imbibé a décidé que la cible des fléchettes était trop simple et a voulu les lancer plutôt sur le tricorne d'une demoiselle qui n'a pas été fan. Et son pote non moins imbibé, pour se faire pardonner, a laissé en guise de pourboire une jolie somme et un paquet de rations déshydratées étiquettées "fromage"."

Un léger rire accompagne la vision du bazar posé avec toute la fierté du monde sur son comptoir par le duo.

"T'en aurais pas l'usage en cuisine, des fois ?"

"Oui, oui... Du système, je sais... C'est le but à atteindre. Mais excuse moi, tant que j'aurais pas croisé quelqu'un qui me dira qu'il viens de l'autre bout du système pour nos burger, ben je considérerais qu'on a encore du travail"

machinalement, elle tendit le bras vers l'appuie de fenêtre le plus proche d'elle ou elle savait qu'elle pouvait trouver un cendrier. Elle y tapota sa clope avant de reprendre une bouffée.

Elle éclata de rire ensuite en entendant Sarrazin narrer les aventures de la salle.

"Du... Du fromage déshydraté? Ils ont essayé de te payer en fromage déshydraté?"

Est ce qu'elle pouvait en faire quelque chose, euh...

"Ben... On peut toujours faire des trucs avec les machins indus, mais de la à servir ça aux client, quand même... Imagine qu'ils aiment: On serait condamné à toujours avoir des paquets de rations déshydratées étiquetées "fromage"!"

"Si j'en trouve un qui vienne même d'une autre planète pour nos burgers, je te l'envoie" promet le borgne.

La vision des paquets de rations se multipliant dans la réserve habituellement réservée aux denrées saines, fruits de saison et autres produits de qualité qui font la réputation de l'établissement lui tire un rire amusé. Toujours posté sur son empilement à l'équilibre douteux, il joue des épaules pour les délasser et prend une mine outrée :

"Noooon... Nos habitués ont meilleur goût, quand même ! Enfin, j'espère..."

Une moue plisse ses lèvres.

"Mais je suppose que s'ils ont bon goût, on ne peut pas leur filer des rations de fromage déshydraté, même sous une forme dérivée."

"Ah ne sous estime pas les rations au fromage, on peut faire des trucs intéressants avec, comme parfumer des béchamels si elles ont du goût, ou les utiliser pour donner de la texture à une sauce... Un bon chef sait TOUT utiliser."

Et, ça allait sans dire, Audrey se considérait comme une bonne chef. Voir une très bonne. Mais l'heure n'était pas à l’auto-congratulation.

La jeune femme tire une dernière bouffée de sa clope avant d'en écraser le mégot dans son cendrier. jugeant que le récipient était bien assez plein, elle attrapa un sopalin dans la cuisine avant d'aller vider le cendrier dans une des poubelles de la ruelle et d’essuyer la coupelle de céramique. Elle ne supporte pas les cendriers crades.

"Tu va finir par tomber à t'appuyer sur ces caisses..."

Dans un geste de reddition plus dramatique et rieur qu'autre chose, le borgne lève les mains.

"C'est toi l'experte !"

Etirant tranquillement ses épaules, il sourit largement à la remarque sur son assise tout à fait instable, un pétillement au fond des yeux. Il ne baisse même pas le regard pour confirmer l'assertion de la rousse : il n'en a pas besoin.

"C'est un risque. Mais j'ai la tête dure. Cath' dirait probablement que c'est à force de faire tomber des trucs dessus en essayant d'apprendre à jongler."

Et de toute évidence, les bosses ne sont parties ni pour le dissuader de persister dans le jonglage pourtant pas toujours réussi ni dans le pari de savoir si sa pyramide s'écroulera avant ou après qu'il l'ait quittée.

"Au pire, je témoignerais que tu m'avais prévenu" taquine-t-il.

"Casse ta margoulette et Wulf m'en voudra. Nous en voudra. Un seul barman c'est pas assez pour que le bar tourne correctement."

La jeune femme glousse légèrement:

"Et comment veux-tu en attester quand tu seras assommé?"

La jeune femme range la coupe à cendre sur la fenêtre et s’étend.

"Rentrons plutôt. Me reste encore un plat à dévorer, non?"

"Eh, il en faut plus qu'une petite chute de rien du tout pour m'assomer !"

Faire mine de s'indigner manque de le faire dégringoler de bon de son perchoir. Se rétablissant de justesse, il se rend à la raison et saute à bas de l'empilage.

"Yep. Il est sagement sur le comptoir, aux dernières nouvelles. P'têtre un peu froid, aussi, selon depuis combien de temps il y est."

Comme pour approuver les paroles d'Audrey, l'ex-artilleur faillit s’étaler par terre. La chef se moqua de lui dés qu'il fut clair qu'il s'était pas fait mal.

"Bah, C'est juste de la soupe. Si elle est froide, ça m’empêchera pas de la boire."

Les deux employés de retour au bar, Audrey vit le bol de soupe qui poirotait. Elle s'attabla face au repas et goutta, mais ça allait, la soupe était toujours tiède.

"Dis, Sarr... Toi et Wulf vous faites de sacrés shifts. Ça va pour vous?"

Lui tirant la langue sans le moindre égard pour l'idée que son âge et ses expériences auraient dû lui mettre du plomb dans la tête, l'ex artilleur la suit vers l'intérieur, éternellement rieur.

"Au pire, ça se fait chauffer. Tu sais qu'on a une super cuisine bien équipée, il parait ?" taquine-t-il à charge de revanche.

Il s'installe au comptoir, côté client pour une fois - le postérieur sur un des tabourets de bar, les coudes sur le comptoir et la pose tranquille.

"On s'en sort. On est solides et on a l'habitude des quarts qui durent. Le plus dur, c'est surtout de convaincre Wulf d'arrêter de travailler, en fait" avoue-t-il, mi malicieux mi préoccupé pour la santé de son compagnon. "Tu le vires de derrière le comptoir en lui disant d'aller dormir, il va en cuisine ou vérifier les stocks... Je m'attends à demi à retrouver le livre de comptes sur sa table de chevet un de ces quatre."

"Une cuisine? Ou ça?"

La jeune femme avait pris une expression exagérément étonnée, cherchant autour d'elle la fameuse cuisine.

"La cuisine elle est propre et fermée, j'ai pas envie de remettre le dawa."

Certes, passer un bol au micro onde ne mettrait pas tant de dawa que ça, mais la jeune femme n'avait surtout aucune envie de retourner dans son antre avant son second shift.

"Des quarts long, c'est une chose. Des quarts répétés c'est c'en est une autre. On peut pas accumuler les quarts indéfiniment sans conséquences..."

La jeune femme but un peu de son bol puis déchira un bout de pain.

"Il porte cette affaire à bout de bras."

Il rit à la boutade, heureux du moment simple et presque hors du temps, de son calme suspendu entre les rushs et les agitations. S'il a déjà mangé, il se sert un des softs compris dans chaque service pour l'accompagner.

"Il porte cette affaire à coeur, surtout. Et ça se comprend, de pas vouloir laisser sa fratrie dans la mouise s'il devait lui arriver quoi que ce soit."

Il prend une gorgée de soda, un peu soucieux tout de même pour le rouquin. Bien sûr, il n'a pas à le materner - Wulf le trollerait probablement en soulignant qu'en plus, c'est lui l'ainé d'eux deux - mais tout de même.

"J'espère juste que justement, bosser à fond ne va pas l'user jusqu'à la corde."

"Ah mais je dis pas. Il fait du super boulot à supporter sa famille comme il le fait."

Et il n'y avait pas que la fratrie. Pour avoir vécu dans une chambre chez Mrs Searuweard pendant les premiers mois de son contrat, elle n'avait put faire autrement que d’être témoin de la dévotion du fils pour sa mère.

La jeune femme soupira et prit une gorgée du verre d'eau qui attendait à coté de l'assiette.

"Il les laissera dans la mouise aussi s'il s'use jusqu’à la corde... Il devrait le comprendre."

Elle dévora un morceau de pain.

"Enfin, ça ne me regarde pas, finalement."

Il hausse les épaules, faisant tourner son verre entre ses doigts mouchetés de brûlures.

"Je suppose qu'il se sent juste sur la limite entre le "bosser beaucoup" et "trop bosser". Et comme il a jamais été du genre à rechigner à la tâche..."

Il achève la phrase d'un haussement d'épaules et d'un vague geste, avant de sourire à la rouquine, rassurant.

"Bah, t'es de l'équipe, à partir de là ça te regarde un peu quand même. 'Faut pas hésiter à le lui dire, quand il se pousse trop loin."

Le sans-gêne a cette opinion selon laquelle ils forment une sorte d'équipage terrestre et qu'à partir de là, prendre soin les uns des autres coule de source - même si ça implique confisquer la clé de la réserve à Wulf à l'insu de son plein gré, typiquement.

La jeune femme approuva de la tête les paroles de Sarrazin. En effet, leur cher patron ne savait pas poser la limite entre beaucoup et trop bosser. Puis, a moitié par mimétisme du geste que venait de faire le barman, elle haussa les épaules à son tour.

"Alors je lui dirais, moi aussi."

La jeune femme termina sa soupe et reposa le bol sur le comptoir. Elle fourra le reste du pain dans sa poche et se leva.

"Je suis désolée, Sarr, j'ai deux trois courses a faire avant le service du soir, je vais te laisser. Merci pour la causerie."

Hochant la tête dans un geste de compréhension, le brun lui adressa un sourire, s'écartant juste assez pour laisser libre passage à la rouquine.

"De rien, c'est un plaisir. Bonnes courses et à tout à l'heure !"

Un léger signe de main en guise d'au-revoir, il se retourna vers les lieux, les examinant d'un oeil critique - celui encore valide, donc, quoi que puissent en dire les médisants. Ne trouvant rien à redire à la tenue de la salle, il s'étira et se dirigea d'un pas souple vers l'étape sieste avant le service du soir.