Espoir : escale... estoc

Sa première erreur, c’avait été de ne pas se poser de questions avant d’aller arpenter seule les rues d’Espoir. Les escales n’étaient pas synonymes de repos pour tous les membres d’équipage : les ingénieurs et les mécaniciens devaient s’occuper de l’entretien du vaisseau et des réparations éventuelles, tandis que les intendants géraient les stocks et les réserves. Catherine avait aidé Seik’el à faire la liste de ce qu’il fallait pour l’Infirmerie, avant de se proposer pour aller faire les courses. Ça ferait une tâche de moins à l’Intendante et ça ne la gênait pas. Après tout, elle connaissait Espoir ; elle y avait passé plusieurs semaines pendant la convalescence d’Aldric, avec souvent rien de mieux à faire que de déambuler dans la ville. Si ses pas l’avaient souvent menée au port, elle avait aussi repéré plusieurs pharmacies et herboristeries. Du coup, elle n’avait même pas pensé à demander à quelqu’un de l’accompagner avant d’aller faire les courses.

Sa deuxième erreur, c’avait été de ne pas se méfier et de ne pas prendre ses jambes à son cou lorsqu’elle avait croisé deux hommes dans une rue apparemment tranquille. Elle avait simplement baissé les yeux, prête à continuer son chemin, quand le premier l’avait apostrophée.

« C’est qu’elle est perdue, la p’tite dame ?
— Non, tout va bien, je vous remercie. »

Le regard fixé sur le sol, devant elle, elle n’avait pas vu le mouvement du deuxième homme. Et la première alarme ne s’était déclenchée sous son crâne que lorsqu’il lui avait saisi le poignet.

« Elle va pas d’jà nous quitter, la p’tite dame ?
— Lâchez-moi ! »

Elle essaya de se dégager mais sans succès. Au contraire, il se rapprocha d’elle, et la deuxième alarme se déclencha quand il lui souffla son haleine alcoolisée en pleine face. Sur L’Iceberg, l’équipage semblait savoir se tenir malgré la boisson, mais elle savait bien que ce n’était pas le cas de tout le monde ailleurs… Son cœur battait la chamade, elle avait la gorge sèche, mais elle savait encaisser – jusqu’à un certain point. Ses efforts pour se dégager semblaient plus les amuser qu’autre chose alors elle se raidit, dans l’attente des coups… qui ne vinrent pas. En revanche, la main du premier homme se posa sur ses fesses, lui arrachant un hoquet de surprise et d’horreur, pendant que le second s’intéressait à sa poitrine. La peur (presque) contrôlée devint pure panique et elle se mit à hurler.

Une mission l'avait emmener dans ce lieu. Encore quelques pirates qui s'étaient attaqués à la mauvaise personne et avait cru que quitter Port Salem les sauverait. Les pauvres naïfs. Aimée les avaient retrouvé et ils avaient payé cher leur effronterie. Toutefois avant de repartir, elle décida de visiter Esperanza, laissant ainsi son équipage vaquer à ses occupations. Puis elle entendit un hurlement. D'une femme. Ce n'était pas très loin. Elle vit une femme en mauvaise posture avec deux hommes. Aimée senti la colère montait en elle. Elle cria immédiatement sur les hommes.

-Comment osez vous maltraiter ainsi un membre de mon équipage? Lâchez là immédiatement!

La mercenaire n'avait qu'une seule envie c'était de leur apprendre la vie aux deux ivrognes, cependant, c'était la pire option : Leur proie, voire elle même, risquait d'être blessée dans l'histoire. Il valait donc mieux qu'ils la relâchent sans faire d'histoire. Toutefois, son regard disait clairement : "refusez de coopérer et vous le regretterez".

Le hurlement s’interrompit brusquement lorsqu’une main s’abattit sur la bouche de Catherine. Elle ne savait pas auquel des deux hommes appartenait cette main. Ça n’avait pas d’importance. L’important, c’était qu’à eux deux, ils avaient suffisamment de mains pour la faire taire, l’empêcher de se dégager et continuer leurs gestes déplacés. La panique céda la place à la terreur, et la jeune femme, tétanisée, cessa ses efforts frénétiques pour se débattre.

Jusqu’à ce qu’une voix pleine de colère retentisse dans la rue.

Les deux hommes lâchèrent leur proie pour faire face à la nouvelle venue, avant de reculer d’un pas devant son regard menaçant.

« On lui v’lait pas d’mal, à la p’tit dame, bafouilla l’un des deux. On lui t’nait juste compagnie. »

Ils firent un nouveau pas en arrière, prêts à détaler si la nouvelle venue faisait mine d’avancer.

Quant à Catherine, le cœur battant la chamade, le souffle court, elle jeta un regard encore terrifié à la nouvelle arrivante. Ses mots avaient frappé ses oreilles mais son esprit ne les avait pas encore analysés, et elle eut un mouvement de recul vers le mur le plus proche.

Ils la prenaient pour une cruche en prime. Comme deux enfants qui étaient pris en flagrant délit en train de faire une bêtise. Comme à des enfants une sévère correction s’imposait. Il y avait juste un hic, ils avaient bien lâché leur proie, ce qui lui facilité la tâche... Cependant, ils pouvaient toujours se jeter sur elle dans un acte désespérée, puis ils étaient à deux doigts de fuir. Et s'ils fuyaient ils risquaient de recommencer à tout instant. Aimée était donc face à un choix. Punir les ordures, et laisser leur proie en état de choc ou s'occuper de la victime et prendre le risque d'avoir de nouvelles victimes. En gros, son esprit de mercenaire et son esprit de médic de combat s'affronter et semblait faire des mélanges bizarres dans son esprit. Elle choisit donc une option un peu hasardeuse.

-Vous ne vouliez pas lui faire du mal, hein?

Dit Aimée en prenant un ton qui faisait clairement comprendre qu'elle n'en croyait pas un mot.

-Moi non plus je vais pas vous faire de mal, dit t'elle en sortant son pistolet, j'espère que vous allez nous tenir compagnie.

Comme prévu les deux malfrats s'enfuir en courant, avec un peu de chance ils réfléchiraient à deux fois avant de recommencer.

-Ils sont parti, ils ne vous feront plus de mal.

Dit Aimée à la victime en rangeant son arme.

-j'ai été médic autrefois, vous pouvez me racontez ce qui s'est passé si vous voulez. Je ne dirai rien.

Catherine cessa de reculer lorsque son dos rencontra le mur de la maison la plus proche. Son cœur tapait fort contre ses côtes, son sang pulsait à ses tempes, mais le rythme des battements commençait à ralentir maintenant qu’elle était à distance des deux hommes. Suffisamment pour qu’elle commence à analyser les paroles de l’inconnue. Et pour qu’elle réalise que ses deux agresseurs déguerpissaient.

Elle déglutit lorsque la femme rangea son arme en tâchant de comprendre ce qu’elle disait. Elle avait l’accent trinitaire, déjà. Et… elle avait été médic ? Mais elle ne ressemblait pas à une Hospitalière, pourtant, même de loin. Quant à ce qui s’était passé…

« Je… Je me rendais à la pharmacie quand ils m’ont demandé si j’étais perdue. J’ai simplement dit non… C’est tout… »

C’était tout. Sans doute. Peut-être ? Elle avait forcément fait quelque chose pour les encourager, mais… mais elle ne voyait pas quoi. La voix de Simon, acide, sembla lui souffler dans un coin de son esprit qu’elle n’aurait pas dû se promener seule. Sauf qu’elle avait déjà parcouru seule les rues d’Espoir sans problème, lorsqu’Aldric était à l’hôpital. Tout comme celles de Port-Salem quand il était en mission. Mais c’était vrai qu’à l’époque, elle ne portait pas de pantalons…

Elle se décolla du mur pour faire un pas vers sa sauveuse.

« Merci. »

Il était fort probable que dans une situation habituel, elle aurait fortement critiquer la victime en lui disant ces quatre vérités. Elle s'était mise en danger dans une ville inconnue... Seulement voilà, la victime était dans un état second. Nul doute qu'elle la traumatiserait encore plus si elle lui disait ça. Puis, elle lui avait promis d'être compatissante.

-Cela aurait pu arriver à n'importe qui malheureusement. Vous êtes juste passer au mauvais moment.

Elle avait l'accent trinitaire, et ressemblait en tout point à une bonne petite trinitaire. Avec un peu de chance elle allait croire que l'accident s'était produit parce qu'elle avait osé regarder les deux gugus plus d'un quart de secondes. Toutefois, un détail clochait dans le portrait. Elle portait un pantalon... Étrange. Enfin, ce n'était pas ses affaires. Après tout, elle-même ne  portait plus de robe depuis longtemps.

-Je  suis juste venu en aide à quelqu'un dans le besoin.

Cela était assez rare pour être souligner, surtout gratuitement, mais la victime n'avait pas besoin de le savoir.

-Surtout, pour aider une autre trinitaire. Vous voulez que je vous accompagne jusqu'à la pharmacie ? Je m'y connais un peu, je pourrai même vous aider dans les fournitures.

Pourquoi avait elle dit ça ? Peut-être parce que dans des circonstances différentes elle aurait très bien pu se retrouver à la place de cette femme ? Ou avait elle un besoin de faire sa bonne action du jour ? Puis après tout, elle avait rien de mieux à faire.

Ça aurait pu arriver à n’importe qui, disait sa sauveuse. Peut-être. Peut-être pas. Catherine ne pouvait s’empêcher d’en douter. La blonde, elle, avait fait fuir les deux hommes. Même si elle ne savait pas quoi, Cathy avait donc forcément fait quelque chose pour les encourager, non ? Sauf que l’inconnue n’était pas là à ce moment-là, elle ne pouvait pas l’aider à déterminer ce que c’était. Et puis, elle avait sans doute autre chose à faire. Aussi, Catherine se contenta-t-elle de la remercier, tandis que la peur commençait à refluer. La réponse de l’inconnue fit même naître une ébauche de sourire sur ses lèvres. Venir en aide à quelqu’un qui en avait besoin, c’était quelque chose qu’elle pouvait comprendre.

Ce qui n’empêcha pas la proposition suivante de la surprendre.

« Je ne veux pas vous faire perdre votre temps... protesta-t-elle donc, avant d’avouer : Mais j’accepterais volontiers votre compagnie et vos conseils si ça ne vous dérange pas. »

La vérité, c’était qu’elle sentait son cœur s’affoler de nouveau rien qu’à l’idée de repartir seule. Elle n’avait pas peur, hein… C’était juste un peu d’adrénaline. Voilà. Et puis, elle savait ce qu’il fallait (la liste de Seik’el était claire) mais elle manquait encore d’habitude et de pratique.

Elle était mignonne, elle faisait encore sa fière après tout ça. Toutefois, elle le fit avec tellement de ... d'innocence? On aurait pu voir certaines de ces sœurs.

-Vous avez un mari, quelqu'un pour vous accompagnez la prochaine fois? Si, ce n'est pas indiscret évidement.  Je ne suis pas un inquisiteur, je vous assure.

Puis Aimée eut un rire qui pouvait sûrement faire un peu peur, mais surtout un rire nerveux. Bien sûr c'était évident qu'elle ne faisait pas partie du milieu, mais ses antécédents lui faisait remonter des souvenirs douloureux.

-Vous ne me faite pas perdre mon temps, je vous assure. J'espère juste n'être pas trop rouillée pour vous donnez de bons conseils.

La mention des Inquisiteurs et le rire qui l’accompagna assécha un instant la gorge de Cathy. Il ne lui fallut pourtant qu’un instant pour réaliser que le rire de la femme était nerveux et qu’elle n’avait effectivement pas l’air d’être proche des autorités. Même si ce n’était pas suffisant pour chasser toute crainte. Cette inquiétude-là était trop profondément ancrée en elle… mais elle la connaissait et elle savait la maîtriser pour donner le change. Pas comme l’agression dont elle avait fait l’objet. Aussi la voix de Catherine ne tremblait-elle pas, cette fois, lorsqu’elle répondit.

« Je ne voulais pas déranger mon mari pour une simple commission. Ce n’est pas la première fois que je viens et je n’ai jamais eu de soucis avant… »

Elle ne put retenir un frisson rétrospectif mais sourit à l’inconnue qui lui assurait que ça ne la dérangeait pas de l’accompagner.

« J’ai une liste assez détaillée, précisa-t-elle. Mais j’ai un peu de mal à évaluer la quantité qu’il faut pour un équipage… »

Et la femme avait bien dit qu’elle avait un équipage tout à l’heure, non ?

Déranger son mari? L'aurait il seulement écouter si elle lui aurait expliqué le problème? Pire, peut-être qu'il trouverait un prétexte pour la renier publiquement, en brodant tout un tas de mensonges. Elle n'avait jamais eut de soucis avant. C'était fort probable après tout, elle même ne connaissait pas vraiment la planète, et elle ne pouvait dire qu'elle endroit était franchement dangereux ou pas, même si des indices trainaient de ça et là.

-Éviter juste les endroits peu fréquenté la prochaine fois, et ça devrait bien se passer. petit à petit vous comprendrez quels sont les endroits à éviter d'instinct.

Peut-être avait elle été un peu trop franche sur le coup. Le ton ne se voulait pourtant pas accusatif.

Une liste pour un équipage? De marchands? C'était peut-être même la femme du capitaine ou d'un officier.

-Vous me direz les stocks que vous avez déjà en place et ce qui a tendance à disparaitre le plus vite. Cela peut varier souvent les habitudes.

Dit Aimée avec un petit sourire. Il suffisait parfois qu'une personne apparaisse ou disparaisse pour s'adapter à une toute nouvelle gestions des produits. Gérer les stocks à plusieurs pouvaient être un vrai casse tête parfois.

-Votre pharmacie est par où?

Si Cathy avait pu entendre les pensées de sa sauveuse, elle l’aurait immédiatement détrompée. Elle ne craignait pas que son mari ne l’écoute pas, ne la croie pas ou la renie… Elle avait simplement voulu éviter de le déranger pour quelque chose d’aussi trivial que passer une commande à la pharmacie. Après tout, c’était elle qui s’était proposée pour aider l’Intendante, pas lui. Elle n’allait pas le lui imposer.

Mais, si elle n’entendait pas les pensées de la femme, elle entendit bien ses mots. Était-ce un simple conseil ? La forme suggérait qu’elle aurait dû faire plus attention – ce qui était sans doute vrai – mais la voix de sa sauveuse ne semblait pas accusatrice.

« Je tâcherai de m’en souvenir, » répondit donc simplement Catherine.

Comme la blonde semblait d’accord pour l’accompagner, Cathy indiqua donc la direction qu’elle empruntait avant de rencontrer les deux ivrognes. Elle frémit encore une fois intérieurement, mais se mit en marche, une fois certaine que sa sauveuse l’accompagnait.

« C’est par là, indiqua-t-elle, avant de revenir sur la gestion des stocks : Je ne suis pas à bord depuis très longtemps. C’est pour ça que l’Intendante m’a fait une liste. Mais je ne voudrais pas risquer d’oublier quelque chose. »

Et elle préférait éviter de s’attirer les foudres de Seik’el et du Doc. Tout conseil serait bon à prendre.

Une bien sage petite trinitaire, disciplinée, modeste et très polie. Aimée eut un sourire. Elle ne lui en voulait décidément pas, si Percival n'était pas devenue pirate... peut-être lui ressemblerait elle en ce moment. Elle se serait sûrement ennuyée. Ces collègues étaient ils durent avec elle parce que ces erreurs valaient le double de celles d'un homme? Ou avait elle plus de marge de manœuvre qu'elle même à l'époque? Après, elle parlait d'une intendante... Une? ça commençait à faire beaucoup de femme sur ce navire pour un vaisseau trinitaire... Non ça devait être autre chose. Un truc clochait, quelque chose disait à la vipère qu'il y avait un problème. Elle ne doutait cependant pas des paroles de la victime, ni du fait qu'elle était trinitaire.


-Votre équipe à l'air d'être attentionné avec vous, vous n'êtes pas sur un vaisseau trinitaire n'est-ce pas?

Elle était désormais presque sûr qu'elle allait juste accompagner la personne, et peut-être un peu se remettre à jour. Après tout, avec le métier qu'elle faisait cela pouvait toujours servir. Elle ne demanda toutefois pas pour qui elle travaillait. Elle était dans un moment de détente bordel.

La remarque de sa sauveuse laissa Cathy perplexe pendant une fraction de seconde. Elle n’aurait certainement pas qualifié l’équipage d’attentionné. Seik’el ne cachait pas son antipathie, même si elle passait outre dans le cadre du travail, le Doc passait son temps à râler et à maugréer, le capitaine… ne devait pas posséder l’adjectif chaleureux dans son dictionnaire… Mais l’équipage comptait aussi Aldric et Mam’… donc le qualificatif pouvait s’appliquer.

Et, de toute façon, la question suivante de la femme repoussait toutes ces considérations au second plan. Mais elle savait parfaitement quoi répondre. Ils étaient tous bien briefés pour ça.

« Non, Le Colin est neutre, » répondit donc Cathy sans la moindre hésitation.

Si elle n’était pas capable de repousser les gestes déplacés de deux hommes ivres, elle n’avait aucun problème à mentir quand il s’agissait de se protéger ou de protéger ceux auxquels elle tenait. Elle l’avait fait pendant des années pour éviter au maximum de s’attirer les foudres de son père ou de son frère. Sans parler de l’Inquisition.

Elle offrit un sourire à la femme, tout en marchant vers son but premier.

« Je travaille à l’infirmerie. C’est pour ça que je me suis proposée pour aller à la pharmacie. »

Le colin avait pourtant un nom bien trinitaire, c'était possible qu'ils aient décidé de se détacher de la trinité. Cela expliquer tout, le fait qu'il y ait des femmes dans le vaisseau, qu'elle portait un pantalon et qu'elle travaillait. Elle ne connaissait pas le vaisseau et ne pouvait donc pas juger d'avantage. Si elle continuait, son métier risquait de prendre le dessus et elle risquait d’ harceler la pauvre passante de questions.

-Ils vous forment un minimum à la médecine, ou avez vous appris la médecine avec les sœurs?

Puis, un détail lui vint.

-Excusez-moi qu'elle impolie je suis, j'ai oublié de me présenter. Je m'appelle Aimée Favreau.

Il était fort peu probable que son nom dise quelque chose à quelqu'un dans ce coin du système, mais les hasards pouvait exister. Elle ne précisa pas qu'elle était mercenaire. ça pouvait toujours faire peur et la pauvre femme n'avait pas besoin de ça. Et elles allèrent direction la pharmacie.

Si elle n’avait pas su comment réagir aux gestes déplacés des deux ivrognes, Cathy n’avait aucun mal à répondre aux questions de sa sauveuse. Même si ça demandait un minimum de réflexion. Elle était hors la loi maintenant, comme tout l’équipage, comme Aldric qui était certainement recherché. Et Espoir avait beau être neutre, on ne savait jamais ce qui pouvait remonter aux oreilles de l’Inquisition. Mais cette peur-là, elle savait la gérer. Elle en maîtrisait le remède : mélanger le vrai et le faux et l’offrir à ses interlocuteurs comme si c’était évident, elle pratiquait depuis longtemps. À l’époque, Aldric lui fournissait les excuses et elle les enrobait. À présent, c’était Ati, la faussaire, qui lui donnait la matière première, mais le résultat était similaire.

« J’ai appris un peu chez les Sœurs, mais je n’ai jamais prononcé mes vœux. Je me suis mariée, expliqua-t-elle avec un sourire. Mais, le médecin de bord me forme, à présent, en effet. »

Et elle apprenait tellement plus que chez les Sœurs !

« Catherine Martin, enchantée. Je n’ai pas fait mieux, » ajouta-t-elle pour s’excuser.

Le nom d’Aimée ne lui disait rien. Mais elles approchaient de la pharmacie et Cathy sortit son HCom pour afficher sa liste.

« Qu’est-ce qui vous amenait à Espoir, si ce n’est pas indiscret ? Vous avez dit que vous aviez un équipage ? »

Une femme capitaine ? C’était possible, ça ?

L'histoire cette Cathy et d'elle semblait plus proche qu'elle n'y pensait aux premiers abord.

-J'ai eut la chance d'avoir été formé à l'école paroissiale. Je n'ai jamais prononcé de vœux non plus.

Dit Aimée, qui semblait être soudain un peu ailleurs. Elle s'était toujours demandée  à qu'elle point les méthodes qu'elle avait apprise étaient efficace. Avoir un autre avis était sûrement salutaire.

-Les méthodes que vous apprenez sont vraiment différentes?

L’intérêt d'Aimée était réel, elle avait travaillé sur le sujet et était curieuse. Elle décida de faire comme à son habitude et de répondre qu'à moitié à la question de Cathy. Bien que le sous entendu n'était pas des plus subtiles.

-Des hommes ont fait du tord à un de mes clients, il a fallut que je répare ses tords.

Et ils étaient plus coriaces que les deux énergumènes qu'elle avait fait fuir.

-J'ai bien un équipage en grande partie trinitaire. Et être considéré comme neutre nous faciliterait grandement la vie croyez moi. Le soucis c'est qu'on nous a pas laissé choisir...

la confrontation avec Lode était toujours vivace.

Si la femme lui avait dit qu’elle avait prononcé ses vœux, Catherine ne l’aurait pas cru. Elle n’avait clairement pas l’allure d’une Sœur Trinitaire. À moins qu’elle y ait renoncés… mais ce n’était pas quelque chose dont on se vantait. Elle-même, lorsqu’elle décrivait son parcours, elle insistait bien sur son mariage. Ses interlocuteurs n’avaient pas besoin de savoir la vérité.

« Vous avez de la chance. Chez moi, l’école paroissiale ne formait pas du tout à la médecine. »

Et puis, elle l’avait quittée à douze ans…

« Pas vraiment différentes, non, mais plus complètes. Il y a beaucoup de choses que je n’avais pas abordées chez les Sœurs… Mais je n’y suis restée qu’un an après tout. »

Même si elle était à peu près sûre que les Sœurs ne lui auraient jamais parlé de contraception, quelle que soit la durée de son séjour au couvent. À cette pensée, Cathy rosit un peu, mais les présentations lui évitèrent de donner plus de détails. Elle ne put s’empêcher de hausser un sourcil à la réponse d’Aimée sur ce qui l’amenait à Espoir. C’était une formulation étrange, mais vue la façon dont elle avait fait fuir les deux ivrognes, c’était crédible…

« Vous êtes un équipage marchand ? – elle avait parlé de clients, non ? – Les autorités ne veulent pas pas vous faire cadeau des taxes ? »

Tout cela était bien étrange, pourquoi avoir été en paroisse pour la quitté un an après? Cette femme n'était peut-être pas aussi net qu'elle le pensait. Toutefois, il n'y avait pas de quoi s’inquiète pour l'instant. L'inquisition pouvait lui tomber dessus et c'était sûrement une des raisons pour lesquels elle était dans un vaisseau neutre. Rien n'était incohérent après tout.

Les sœurs... Même si elles connaissaient des méthodes utiles elles ne les enseigneraient pas si elles n'étaient pas cohérente avec l'inquisition.

-Ne pas arrivez à soigner quelqu'un qui meurt à cause de votre incompétence et de votre manque de formation est quelque chose d'horrible. Je préférerez éviter ça autant que possible. J'aimerai donc apprendre un peu plus, quitte à avoir des méthodes différentes.

Elle était déjà considérée comme hérétique, autant en profiter.

-Un équipage marchand? Oui d'une certaine façon. On vend surtout des services. On règle des différents, et on résout des situations. Les taxes? Non, je serai tellement heureuse si c'était juste les taxes. Ils n'aiment juste pas que je dirige.

Ainsi que son activité, mais Aimée était persuadé que si elle avait été un homme... Ils auraient trouvé des arrangements...Dit comme ça, on aurait presque cru qu'elle travaillait pour le bien commun. Son interlocutrice avait l'air d'être... crédule? Mais à qu'elle point exactement? Beaucoup de femmes trinitaires cachées bien leurs jeux et pouvait s'avérer de redoutables adversaires.

Les mensonges de Catherine étaient cohérents parce qu’ils se mêlaient étroitement à la vérité. À son vécu. Et les mots de son interlocutrice sentaient le vécu, eux aussi, et elle ne pouvaient pas les ignorer. Se sentir impuissante face à la maladie ou à la souffrance des autres, elle connaissait… Aussi n’hésita-t-elle pas une seule seconde :

« Je comprends. La plupart de ce que j’apprends, c’est le médecin de bord qui me l’explique directement, avec d’éventuelles précisions dans ses livres… Mais j’ai aussi quelques articles sur mon HCom, que je peux vous donner, si vous voulez. »

Inquisition ou pas, ça n’avait plus guère d’importance quand il s’agissait de soigner quelqu’un. Et, même si la femme la dénonçait pour des connaissances hérétiques, ça n’impliquait qu’elle. Pas le vaisseau, pas Aldric.

Mais, de toute façon, Aimée ne semblait pas porter les autorités trinitaires dans son cœur. On ne l’avait pas laissé choisir, ils n’aimaient pas qu’elle dirige… Pas besoin de demander de qui elle parlait, c’était clair. Ses activités, en revanche, ne l’étaient pas tant que ça.

« Vous servez de médiateur, en quelque sorte, alors ? s’enquit Cathy en essayant de traduire les explications sybilline de la capitaine, avant d’ajouter, avec un léger sourire : Ça a plutôt bien marché pour moi. »

Elles arrivaient à la pharmacie et elle sortit son HCom pour afficher la liste de Seik’el.

Elle pensait que la fameuse Cathy avait compris le message, elle sourit en retour. Elles avaient tout les deux leurs secrets, et toutes les deux n'aimaient visiblement pas l'inquisition. Les choses étaient donc au statu quo, la vipère décida de baisser sa garde. A priori, elle ne voyait pas de pièges, ni d'intentions malveillantes cachées, ni de...

*respire, tu fais juste des courses entre filles*

Des courses un peu étrange en effet.

-Je veux bien vos articles, je les lirai avec attentions.

Elle les effacerait cependant sitôt après les avoir lu, il n'était pas exclu qu'elle reçoive la visite d’inquisiteurs qui fouilleraient son H-com. Elle devait faire très attention.

-ça peut arriver, j'ai réussis à avoir des informations pour qu'un père retrouve son fils récemment. Dit Aimée avec un petit sourire. Après tout, ce n'était pas la pire mission qu'elle avait faite, ni le pire client.

-Apparemment, son fils est devenu pirate... comme mon frère...

Le regard d'Aimée se fit plus brumeux, un mélange de tristesse et de colère.

-Je ne sais pas pourquoi, je croyais qu'il était heureux sous la protection de l'Unique et il nous a trahit. Pourquoi?

Pourquoi parlait elle de ça à une parfaite inconnue?

Le sourire d’Aimée en fit naître un équivalent sur le visage de Cathy qui hocha la tête lorsque son interlocutrice déclara qu’elle voulait bien ses articles de médecine.

« Je vais vous les transférer. »

Tout en s’intéressant au métier de sa sauveuse, l’infirmière sortit donc son HCom – de toute façon, elles approchaient de la pharmacie, elle allait avoir besoin de sa liste – et sourit à la mention du fils retrouvé… avant de déglutir quand il fut question de pirates. Était-ce un piège ? Aimée semblait sincère, pourtant, et l’incrédulité chassa vite la méfiance dans l’esprit de Catherine. Même si elle avait eu la chance de ne pas voir les effets de la protection de l’Unique sur des personnes proches comme elle sur sa mère ou la mère d’Aldric, Aimée était une femme, capitaine, visiblement embêtée par les autorités… Elle aurait dû comprendre !

« Je ne sais pas, » mentit donc Cathy avec prudence.

Elle hésita une seconde sur le choix de ses mots, espérant que son silence passe pour de la réflexion.

« Peut-être votre frère a-t-il poussé sa recherche de liberté à l’extrême… Comme les enfants qui rejettent l’amour et la protection de leur père pour voler de leurs propres ailes ? »

L’analogie entre l’Unique et le père était volontaire. La religion les mettait en parallèle et c’était justifié : ils étaient incapables d’aimer l’un comme l’autre… et elle crachait sur leur protection.

Sans les récents événements, Aimée aurait automatiquement considérée Catherine comme une hérétique, et l'aurait laissé se débrouiller toute seul, même si cela devait la menait à d'autres soucis. Les choses avaient malheureusement, et heureusement pour Catherine, bien changées. Elle semblait elle même avoir été condamné pour hérésie, ce qui la poussa à une tolérance un peu forcée. Il était aussi inconvenant de se faire des ennemis inutilement dans la situation où elle était. Cependant, Percival, n'avait pas eut de problèmes avec les inquisiteurs lui... La liberté ? La raison pour laquelle la mercenaire était parti à sa recherche, serait la même que Percival pour devenir pirate ? Quitte à sacrifier toute sa famille au passage? Non, ce n'était pas possible.

-La liberté vaut elle autant de sacrifices, de dangers et d'aléatoires? Répondit une Aimée plus très sûre d'elle dans le fond.

Qu'avait elle ressentit quand L'Inquisiteur lui avait demandé de trahir son équipage? De la révolte, elle échafaudait déjà un plan pour se sortir de là et qu'importe le prix... mais l'Unique était avec elle, et pas avec les pirates... ça serait pas concevable. Elle voulu continuer pour la forme, mais elle n'en avait plus le cœur.

Oui ! avait envie de répondre Catherine. Oui, ça valait le coup ! Tout valait mieux que de rester sous la coupe de son père, que ce soit celui qui lui avait donné son nom ou celui qui, soi-disant, veillait sur les trinitaires – et leur ordonnait d’asservir les mo’ats ou de dominer leurs femmes. Entre le danger et la prison, elle choisissait sans hésiter le danger ! Surtout que ladite prison ne garantissait pas la sécurité de ceux qu’elle aimait : sa mère était morte, Ainsley était morte et Aldric n’était pas passé loin.

Mais tout ça, elle ne pouvait pas le dire à haute voix. Les questions d’Aimée laissaient entendre qu’elle ne comprenait pas. Ni le choix de son frère ni sa tentative d’explication. Elle aurait dû pourtant ! Mais Cathy avait l’impression d’avancer en terrain miné.

« Je ne sais pas, mentit-elle donc pour la seconde fois, je ne connais pas votre frère… »

Elle hésita une seconde.

« Mais toute part de liberté à sa contrepartie. Un enfant qui quitte le toit familial sacrifie une part de sécurité pour commencer à vivre sa vie. Mon mari et moi avons quitté Renaissance pour travailler et vivre sur un vaisseau ; nous sommes libres de nous déplacer mais nous sommes loin de nos familles – et c’était tant mieux ! – et l’espace est plus dangereux que notre planète natale. Ça doit être pareil pour vous, non ? »

Aimée n'avait pas du tout envie de l'admettre mais elle marquait un point. Oui, si elle avait voulu la sécurité elle se serait rangée gentiment et serait sans doute marié à l'heure qu'il est. Avec sûrement déjà une vingtaine d'enfants. Elle n'aurait pas pu sauver son frère. Devait elle avouer pour autant qu'elle commencer à saisir le message? Non sûrement pas. D'instinct elle eut même envie de dire que de pareils pensées étaient une honte. Pour mieux rejeter ses pensées et dire que Catherine en était la cause. Elle pouvait concéder néanmoins sur un point :

-Oui, c'est vrai que je suis loin de ma famille et que la vie que je mène n'ai pas de tout repos. Comment puis je retrouver mon frère si je reste au foyer.

Pour un peu, elle allait dire qu'elle préférait toujours ça a être marié, mais, les confidences allaient s'arrêter là. Catherine n'avait pas l'air d'une inquisitrice ni d'une agent des inquisiteurs (ce qui était par ailleurs hautement improbable.) Cependant avec ce genre de personne, une confidence en l'air pouvait mener bien trop loin. De plus, il n'était pas exclu, même avec le peu qu'elle savait sur cette Catherine, que l'inquisition s’intéresse à elle aussi.

Comment retrouver son frère en restant au foyer ? La réponse que Simon – jamais Catherine n’essaierait de le retrouver, celui-là, s’il disparaissait ! Qu’il aille donc se perdre dans un trou noir ! – ou n’importe quel trinitaire parfait aurait pu trouver était évidente : il suffisait de déléguer la tâche à une personne plus apte à l’accomplir… à savoir un homme. Un frère, un père, un cousin… un Inquisiteur, même, pourquoi pas. Du moment qu’elle, elle restait à sa place pour pondre et obéir.

Autant dire que Cathy se garda bien d’ouvrir la bouche pour partager ses pensées avec Aimée. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait, pourtant. Mais, visiblement, la capitaine semblait convaincue – ou, du moins, essayait de se convaincre – qu’elle ne dérogeait aux traditions trinitaires que pour retrouver son frère. Elle n’avait pas l’air prête à entendre qu’elle avait elle aussi choisi la liberté.

« Ce ne serait pas évident, en effet, » se contenta-t-elle donc de répondre, le plus neutre possible, avant de revenir vers un sujet de discussion moins glissant.

Elle pianota à nouveau sur son HCom, pour renvoyer ses articles médicaux dans leurs dossiers et afficher la liste de fournitures demandées par Seik’el. Elles arrivaient à la pharmacie.

« Nous y voilà, indiqua-t-elle. L’intendante m’a demandé des bandes, des pommades, des fils, des médicaments… »

Et ses pommettes prirent une teinte un peu plus rose tandis que ses yeux survolaient la liste.