En Reconnaissance

Audrey s'enfonça dans la basse ville de l'astroport en savourant le frisson de nostalgie qui s'emparait d'elle. Elle se souvenait de sa mère l'emmenant dans ce genre de quartier, pour passer la soirée dans un boui-boui ou un autre. Ce n'était pas le style de John. Ou ce n'était plus, puisqu'il avait bien dû rencontrer Ophélie dans un boui-boui quelconque. Où se seraient ils rencontrés, sinon? John, désormais à l'aise financièrement, aimait les endroits plus huppés, plus prospères. Plus honorables.

Alors... Une enseigne avec une choppe et un écrou... En dessous d'une enseigne d'hôtel orange... Voilà comment on lui avait décrit l'endroit. Pas simple à trouver. La jeune femme tourna un moment dans le quartier. Le temps qu'elle trouve, la nostalgie s'était muée en agacement. Mais finalement, elle leva les yeux pile au bon moment. La chope et l'écrou! Et l'hôtel! La porte automatique s'ouvrit devant elle et elle s'engouffra dans l'ouverture.

Le bar n'était pas encore très plein. Audrey s'en félicita. Elle ne tenait pas à avoir trop de public. Elle balaya l'endroit du regard et aperçu au bar un grand rouquin qu'elle reconnu tout de suite. Elle s'approcha et demanda:

"Wulf? Euh... Cathwulf Searuweard?"

Elle l'avait reconnu. Ok, c'était facile, elle le cherchait lui dans son bar, un rouquin derrière le comptoir, même avec une barbe, ça avait quand même de grandes chances d'être lui. Mais lui, la reconnaîtrait-il?

C’étaient les débuts du Runny. Ca sentait bon le neuf et la cire à bois que Cathwulf s’était fait chier à passer partout pour que l’ambiance reste chaleureuse. Seul derrière le bar, il nettoyait ses verres, la manche de sa chemise en laine bleue et verte retroussée sur son bras mécanique. Il faisait doucement, pour ne pas casser la vaisselle, encore peu habitué à ces manœuvres qui demandaient plus de dextérité que de force. Les médics avaient dit qu’il finirait par retrouver une certaine aisance, mais, clairement, plus d’un an plus tard, ce n’était pas encore ça.

Autour de lui, la faune de Hope échangeait gaiment autour d’un verre. Quelqu’un avait, la veille, suggéré l’acquisition d’un piano et les plus sobres et les plus passionnés du lot débattait sur cet achat improbable. La salle n’était ni vide ni pleine, dans une demi-teinte qui augurait bien de la suite, quand le bouche à oreille se serait fait plus présent. Une fille rousse poussa la porte. Mignonne. Jeune. Mais très mignonne. Elle s’approcha de lui, l’apostrophant par son prénom. Curieux, le tavernier posa verre et torchon pour regarder l’inconnue.

« C’est moi Minipouce. Y a un problème ? »

Son ton était doux, interrogatif et ouvert, comme pour la mettre en confiance. Elle lui disait quelque chose. Vaguement. Peut-être avait-il connu ou croisé sa sœur ou sa mère un jour ? Quel âge pouvait-elle avoir ? Vers Sunny, peut-être Wynstann. Pas plus.

Un problème? Non. Une mère assassinée et une fille qui ne tournait pas rond ce n'était pas un problème. Une fille qui quittait un emploie dans un trois étoiles de Vanguard pour espérer venir travailler dans un boui boui sur Hope, ce n'était pas un problème. Tout ça c'était de l'excentricité.

"Pas de problème, non. Mais peut être des solution?"

La jeune femme sortit de son sac un CV.

"Je suis Audrey Darand. Vous connaissiez ma... ma mère, Ophélie."

La, si ça faisait pas tilt... Quel pirate oubliait son maître d'abordage je vous le demande.

"Je suis cuisinière et je recherche du travail?"

Elle a l'air sûre d'elle, la petite. Dans le genre qui sait ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas. Il attrape le papier, ne le lit pas encore, fixant la petite qui vient proposer des solutions à des non-problèmes. C'est alors qu'elle se présente. Il écarquille les yeux, soudain, cherchant dans la jeune femme l'adolescente d'alors...et l'y trouvant. Son sourire devient plus chaleureux.

« Ca alors ! La petite du maître d'abo, si j'avais su ! T'as bien changé depuis que tu te battais contre elle. En bien. »

Il hoche la tête, retournant cette fois le papier. Il n'est pas certain d'avoir besoin d'une cuisinière...un salaire, c'est beaucoup d'argent et ce n'est que le début de l'établissement mais pour une amie...et une amie aussi mignonne...quel âge ça lui faisait ? Elle était adolescente quand il était déjà adulte.

« Hey ! Sarr ! Devine quoi ! On a la petite d'Ophélie à bord ! » Puis, sur le ton de la confidence « je ne sais pas s'il va m'entendre, il est devenu un peu sourdingue avec l'âge. Tu te souviens de Sarrazin j'espère ? »

Il pose la fiche de côté, croise ses bras sur le bar et se penche un peu vers elle.

« T'es devenue quoi depuis que le Capitaine t'a débarquée raconte ? »

Tourner la tête vers l'origine de l'interpellation s'avère être une erreur : les agrumes colorés lancés en l'air en un jonglage artisanal retombent en vrac. Le brun en rattrape un ; un second rebondit contre un comptoir, protégé par sa peau épaisse - ce qui ne l'empêche pas de produire un son tout à fait incriminant, même à son oreille encombrée d'acouphènes.

L'air de rien, le brun n'en passe pas moins la tête par la porte de la réserve, l'air faussement outré par les quelques mots saisis au vol.

"Qui c'est que tu traites de sourdingue, encore ?"

Non mais qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre... La crinière rousse mobilise cependant bien vite son attention et c'est un sourire chaleureux qu'il décoche à la demoiselle.

"Tu as sacrément poussé depuis la dernière fois, dis donc !"

C'est peu dire. La croissance n'est pas seule à avoir transformée l'adolescente dont il se souvient. Sans doute la maturité a-t-elle apposé sa marque plus discrète.

"Qu'est-ce qui t'amène dans le coin ?"

Audrey rougis en maudissant sa foutue peau de rousse. Voila, il la remettait. La brute qui tapait sur sa mère il y a six ans. Sur le moment, elle n'avait pas trouvé d'autres solutions, mais elle en avait un peu honte maintenant.

"Je ne tape plus sur les gens pour faire passer mes objections...."

Wulf appela ensuite Sarrazin, en lui balançant une pique au passage. Un bruit de dégringolade leur répondit avant qu'une tête brune apparaisse, faussement râleur. Il envoya une pique à son collègue puis se tourna vers elle.

"Sarrazin! Bien sur que je me souviens!"

Elle ignorait totalement qu'il serait là, par contre...

"Ben j'espère bien que j'ai poussé, mais pas assez!"

La jeune femme accompagna sa phrase d'un geste pour souligner sa petite taille. Puis elle soupira, songeuse. Qu'est ce qu'elle est devenue, hein?

"Eh bien... Figure toi que j'avais un père. Ouais, moi aussi ça m'a surprise. Il m'a recueillit, installée chez lui, à Vanguard, sur Renaissance. J'ai découvert un vrai collège, un vrai lycée. Ça m'a fait drôle!"

Elle adressa un clin d'oeil à Sarrazin:

"C'est vous qui m'amenez dans le coin!"

Wulf sourit encore à la remarque, d’autant plus que lui continuait à taper sur son frère pour faire passer les objections. La violence dans la famille était une forme de tendresse et il avait bien compris, à l’époque déjà, que les bagarres entre mère et fille étaient tout autant une forme d’amour que de rébellion. Du moins il l’espérait parce que cela voulait dire que Wynstann ne le détestait pas autant qu’il le disait.

Un bruit de chute interrompit les réflexions du rouquin et il attrapa au vol un agrume qui venait de se prendre un vilain coup sur le coin de l’écorce. Les suprêmes de ce côté ne seraient pas montrables. Tant pis. Il mettrait le fruit dans la machine à jus et personne ne saurait rien. Amusé, il fit un clin d’œil à son ami qui grommelait devant sa pique avant de saluer à son tour la rouquine. Lui trouvait qu’elle avait bien poussé. Ce qu’il fallait où il fallait. S’il décidait de l’embaucher il allait également devoir faire attention à ça d’ailleurs. Les gars fréquentant le bar étaient souvent en manque.

« Et avec un vrai collège et un vrai lycée tu as décidé de faire de la cuisine ? Tu n’avais pas envie de faire de vraies études ? »

C’était son cheval de bataille à lui, les études. Il se tourna vers Sarrazin.

« Minipouce veut envahir nos cuisines. Qu’est ce que t’en pense ? »

Il lui fit passer le CV.

Ah, les études, le cheval de bataille préféré de Wulf. Pas étonné pour deux sous de la réaction du roux irréductible, Sarrazin laisse échapper un rire clair. Et voilà, ça y est. D'ici deux minutes, son tenancier préféré aura adopté sous son aile la demoiselle aussi rousse que le reste de la fratrie et lui remontera les bretelles sur l"opportunité qu'elle devrait saisir de rester sur les bancs de cours où se construire un avenir meilleur. La pensée limpide d'amusement dans son oeil clair, il n'en saisit pas moins le CV pour l'examiner, les deux coudes plantés sur le comptoir en tout nonchalance.

"J'en pense que c'est une chouette idée. En plus ça te permettrait de souffler."

Et cela, il ne le fera probablement qu'avec quelqu'un de confiance, quelqu'un qui connaisse. Un rien impressionné tout de même, le borgne hausse un sourcil interrogateur en direction d'Audrey.

"Tu as vraiment fait tout ce trajet juste pour venir ici ? T'es sacrément motivée."

"J'ai fait de vrai études. En cuisine."

Ce n'était pas la première fois qu'on faisait ce genre de remarques à la jeune femme, vu qu'elle avait eu des notes bien suffisantes pour intégrer des filières plus prestigieuses que la restauration. N'empêche, en cuisine, elle avait du talent et elle ne regrettait absolument pas l'orientation qu'elle avait donnée à sa vie.

Elle pointa une ligne sur le CV que tenait Sarrazin:

"C'est un des meilleurs lycées hôteliers de Vanguard."

Elle laissa les deux hommes réfléchir ensemble à la possibilité de l'embaucher, essayant de ne pas trop laisse l'espoir s'envoler en entendant Sarrazin approuver.

Puis Sarrazin aborda le point qui fâche. Pourquoi avoir fait tout ce chemin? La jeune femme rougit fortement, pris une grande inspiration et dit:

"Disons que j'avais besoins de changer d'air. Alors quand j'ai entendu dire que Wulf avait ouvert une Taverne sur Esperanza, je me suis dit "Tente ta chance". Et donc je tente ma chance. Et c'est encore mieux que prévu puisque tu es là aussi, Sarrazin."

« Ca existe ça, les études de cuisine ? »

On apprenait quoi à ces cours là d'abord ? La façon la plus ergonomique d'éplucher une patate ? Bon, y avait bien un peu de théorie sur ce qu'on pouvait mélanger ou pas par exemple mais les études, dans l'esprit fermé du rouquin c'étaient des trucs sérieux. Des trucs de livre Mais la rousse ne se démontait pas et tapotait une ligne de son CV. Okay. On avait un vrai père, un vrai collège, un vrai lycée et on faisait quoi avec, des études de cuisine. Il ne comprenait pas, et ne se souciait pas de le cacher. Heureusement qu'aucun de ses cadets ne s'était amusé à lui faire ce coup là tiens, il aurait été reçu. Au prix que coûtaient les études...

Bref. Sarrazin avait pas l'air contre, au contraire. Ses motivations, par contre, n'étaient pas claires du tout.

« Du coup, si je résume, t'as quitté le Roar, t'as été vivre chez ton vieux, il t'a filé des études que tu as fait en cuisine, j'veux pas savoir pourquoi, ça te regarde. Ensuite si je lis bien, t'as bossé dans un trois étoiles puis t'as entendu parler de moi et du Runny je ne sais pas comment et tu as tout plaqué pour venir faire des burgers pour moi ? »

Il se penche vers elle, la fixant de ses yeux verts, amusés malgré tout mais aussi un peu inquiets, un peu bourrus et avec la même affection qu'il avait autrefois pour la gamine indomptable.

« Pourquoi ? »

Un sourire chaleureux ourle les lèvres du borgne. Lui, ça lui parle qu'on puisse traverser la moitié de la galaxie pour aller retrouver des amis... même s'il admet que la démarche n'est pas des plus communes. Sûrement que ça ne se fait pas trop, quand votre maison est fermement ancrée au sol et qu'on ne peut pas en lever les amarres après un simple check-up de ses systèmes.

"Pour faire les meilleurs burgers de la planète, de toute évidence" taquine le brun.

Parce qu'on ne le convaincra pas du contraire, avec deux rouquins aux cuisines ayant l'une les études pour et l'autre l'expérience qui va bien.

"Ce existe."

Après le classique sujet "la cuisine, c'est pas de vrai études", Wulf passa aux vrais raisons de la présence de la jeune femme. Merde. Elle préférait le premier sujet, qu'elle pratiquait depuis des années.

Audrey prit une grosse inspiration, puisa du courage dans l'encouragement taquin de Sarrazin et se jeta à l'eau:

"Suite.... Suite aux évènements de cette année..." Non, merde, l'explosion, c'était l'an dernier. "... Et de l'an dernier, j'ai ressentis le... le besoin de me rapprocher de ce qui restait du Roar."

Merde alors! C'était cousu de fil blanc qu'elle cachait encore des trucs! Habituellement elle n'avait aucun problème à raconter des conneries aux gens. Pourquoi avec Wulf elle n'y arrivait pas?

« Tu vises bas Sarr, on veut les meilleurs burgers du SYSTEME, pas juste d'une petite planète pourrie. Penses-y, Hope est un tiers impériale, c'est pas dur de faire de la meilleure bouffe qu'eux ! »

Il fixe toujours la petite qui lui sort le plus mauvais mensonge du monde. C'est tellement gros que Cathwulf ne peut pas s'en empêcher...il éclate de rire. Les souvenirs l'assaillent. Wynn qui ne veut pas manger, Sunny qui ne veut pas bosser ou qui croit qu'il la pense toujours innocente, tous les bons souvenirs de moments quotidiens impliquant les petits et des mensonges lui reviennent d'un coup. Il ne devrait pas rire. Elle parle de trucs tragiques. De la perte de leur équipage. De leurs membres. Mais il ne peut s'empêcher de rire. Il se sert un verre d'eau, l'avale d'un coup. C'est mieux.

« Et ta vraie raison sinon, c'est quoi, Minipouce ? »

"Touché !" admet le borgne à la remarque sur la cuisine impériale.

Son amusement s'étiole un rien face à la déclaration de la demoiselle, qui semble comporter plus d'omissions et de trous que toutes les passoires des cuisines. Y'a baleine sous gravillon, un peu, dans cette histoire... et à en croire le rire de Wulf, il n'est pas le seul à avoir du mal à y croire. Pour adoucir le rire du rouquin, cependant, il adresse à Audrey un sourire rassurant, souffle sur le ton de la confidence :

"Parfois je me dis que Wulf a un super pouvoir pour détecter les demi-vérités, surtout chez les rouquins plus jeunes que lui. C'est presque surnaturel, comme pouvoir. Rien ne t'empêche de lui dire que tu ne veux pas en parler, cela dit~"

La jeune femme grinca des dents quand Wulf écarta ses dires d'un éclat de rire. Mais bon sang! Elle était sincère! Que faire, que dire? Sarrazin qui offre une porte de sortie, qu'elle envisage un instant d'emprunter avant de se raviser. Elle adressa néanmoins un sourire reconnaissant au barman.

Bon. Autant boire le vin jusqu’à la lie.

"Vrai raison, vrai raison... C'est une vrai raison, Wulf! Pas l'unique, peut être. Mais le reste est  très..."

En un flash elle revit l'image maintenant familière du colis avec la tête de Maman.

"... tres personnel. J'ai traversé le système pour venir travailler pour toi. Comment je pourrais plus te convaincre que je suis motivée à travailler ici?"

Elle n'a pas l'air contente qu'il rigole la petite mais Sarrazin le soutient et il sait qu'il a raison. Petit à petit, son hilarité se calme, reprend son souffle...et son sérieux.

« Je vois bien que tu es motivée Minipouce. Je ne comprends pas pourquoi tu l'es mais si tu dis que c'est personnel alors je n'insiste pas. » Il espère juste qu'elle n'a pas un crush sur un des deux. Elle est très mignonne maintenant qu'elle a des formes. Et elle a du caractère et ça il aime bien chez une fille mais elle est tellement jeune... on dirait Sunny. Il a envie de la protéger, de la taquiner, de la mettre à l'épreuve...mais pas dans son lit. Et si elle a un crush sur Sarrazin ? Et bien on verra. Reste à savoir s'il l'embauche finalement. Ce n'est pas seulement une question d'affection. Il doit bosser son budget mais... il attrape un verre et l'essuie avant de le tendre à son ami.

« Sarr, fait un cocktail au hasard, tu as carte blanche, ce que tu veux, sur la carte ou non. Minipouce, tu bois le cocktail, puis tu vas dans la cuisine et tu me fais un plat, une entrée, un dessert, ce que tu veux mais qui va avec le cocktail. Tu as une demi-heure à partir du moment où tu rentres dans la cuisine. Tu peux prendre n'importe quoi que tu trouves dans les frigos, les réserves ou la mise en place. Si ça me va, je t'embauche. Deal ? »

Les deux sourcils du borgne se haussent. Un instant, il est tenté de prendre au tout pied de la lettre les mots de son complice et de faire en effet le cocktail au hasard, avec ce qui lui tombera sous la main... mais ce ne serait pas sympa pour la rouquine. Du coup, joueur mais pas trop chieur, il ne saisit au hasard que la première bouteille - un rhum à la robe ambrée et au parfum épicé. D'un geste fluide d'habitude, il pose la bouteille à l'écart le temps de garnir un verre de quelques feuilles de basilic citron et de rondelles de citron vert qui crissent sous quelques glaçons. Le rhum coloré les y rejoint bientôt, suivi de ginger ale. Ne reste qu'à planter une paille dedans et à poser sur le rebord un rondelle de citron vert.

"Et voici~"

Un dessous de verre et la boisson gagne le comptoir, accompagnée d'un grand sourire.

"J'espère que ça t'ira !"

La jeune femme ferma les yeux quelques instants, priant pour que le tavernier ne la rejette pas. Et enfin, il accepta la non réponse d'Audrey. soulage, la jeune femme se détendit.

Wulf décida ensuite de la mettre à l’épreuve. La jeune femme approuva de la tête:

"Deal!"

La jeune femme ne rata pas un geste de Sarrazin qui préparait le cocktail, notant à l'avance les ingrédients. Rhum, citron, basilic citron et ginger ale. Ok... Le Cocktail aurait d'abord le goût du rhum et du ginger ale... Peut être partir sur le citron/basilic?

Elle goutta ce cocktail qui confirma son intuition et affirma sa décision. Elle allait jouer sur le citron.

"Très bien, merci Sarr."

Et elle se rua dans la cuisine, ouvrant tous les placards et frigos pour rassembler ce qui lui fallait. Sucre, Oeuf, citrons verts, basilic, farine,...

Oh!

Au détour d'un placard, une chance incroyable: des fonds de mini-tarletette à garnir. Ouiiii... Ça correspondait bien mieux à ce qu'elle avait en tête que les tartelettes qu'elle aurait eu le temps de faire. Elle en goutta un tout de même, des fois qu'ils soient salés ou aromatisés... Mais non, c'était des fonds neutres, plutôt bon, d'ailleurs.

Elle entreprit donc de commencer sa crème de citron vert, versant dans une casserole le sucre, l’œuf et le jus de citron vert, puis hop! sur le feu, en agitant régulièrement en attendant que ce soit cuit.

Rhum, ginger-ale, citron et basilic. Un mélange d'épices et de tradition, intéressant mais acide. Il allait falloir soit jouer dans cette acidité, soit jouer au contraire dans le sucre à fond en espérant que les épices suffisent. Des études de cuisine... Sérieux, il voyait vraiment pas pourquoi elle avait fait ça. Elle était fière, forte et intelligente quand elle était gamine. Elle valait nettement mieux que ce genre de bêtises pour fillette. Enfin. C'est pas parce qu'elle était rousse et jeune qu'elle était de sa responsabilité, et plus vite il se mettait ça dans le crâne, mieux c'était. Il l'écouta un moment fouiller et lança, plus pour la blague que par réelle crainte.

« Et me brûle pas mes casseroles, elles sont NEUVES ! »

La regardant partir, il attrapa ses livres de comptes et soupira. Pour le moment, le Runny n'était pas rentable. Ils étaient encore à écoper l'investissement de départ. Rêveur, il choppa la fin du cocktail de son ami, le goûtant à son tour, la tête pleine de chiffres dans tous les sens. Le rouquin se tourna alors vers son second de toujours.

« Tu crois vraiment qu'on peut se le permettre Sarr ? Une personne en plus, c'est un salaire et je ne vais pas l'embaucher pour la virer dans deux jours si on devient déficitaire. J'avais dans l'idée de recruter quelqu'un c'est sûr mais si tôt... et puis je ne pourrais jamais la payer comme pour un truc étoilé, tu le sais, je dois d'abord penser aux petits. »

Le borgne s'accoude au comptoir et prend le temps de réfléchir à la question aussi sérieusement que son tempérament le lui permet. Il doit bien cela à son compagnon - pas forcément l'avis d'un comptable, mais celui d'un oeil extérieur.

"C'est toi qui est collé aux livres de comptes et qui les connaît... Mais j'ai quelques réponses, je crois."

Un premier doigt se lève.

"De une, elle a certes besoin d'un salaire pour vivre, mais elle n'est pas venue chercher une augmentation mirobolante ou un poste à prestige, Wulf. Elle vient chercher des gens."

Eux, précisément, et ce qui reste du Roar. Il comprend d'autant mieux le sentiment pour le ressentir dans cette idée de repartir sur un vaisseau composé uniquement de gens qu'il apprécie. Un second doigt suit cependant vite :

"De deux, tu dois d'abord penser aux petits et à ta famille. Et les petits et ta famille ont certainement besoin d'un Wulf qui puisse les voir, qui puisse être là parfois. Et tu ne pourras pas le faire en étant derrière les fourneaux douze heures sur vingt-quatre puis à faire les comptes et les inventaires le reste du temps."

Le troisième doigt s'accompagne d'un sourire de forban :

"Et je dirais que le fait d'avoir du temps pour penser, te reposer plus et superviser le Runny compte comme un investissement à moyen terme, en soi ?"

Le mélange arriva bientôt à ébullition. Audrey mélangea encore vigoureusement quelques secondes pus sortit le tout du feu. Elle vira les zestes coupés grossièrement qu'elle avait laissé pour la cuisson puis entreprit de couler délicatement la crème dans les mini fonds de tarte.

Elle envoya ensuite le tout au congélateur cinq minutes et en profita pour effiler des feuilles de basilic. Elle aurait put mettre le basilic dans la crème, mais il aurait alors cuit. Or, du basilic cuit, ça n'a plus le même goût. Et celui du cocktail était cru.

Enfin, elle sortit ses tartelettes du congélateur et déposa a leur surface ses lanières de basilic pour donner aux tartelettes un effet zébré. Vu la minutie de la dépose et le nombre de tartelettes qu'elle avait à faire, cela lui pris un moment.

Elle se saisit de deux assiettes à dessert, disposa sept tartelettes par assiettes et se dirigea vers le bar. Elle sortit de la cuisine vingt-huit minutes après y être entré. Une professionnelle sait respecter ses délais.

"Messieurs, je vous propose des tartelettes de citron vert au basilic. J’espère que cela vous plaira."

Il le regarde attentivement. Sarrazin sérieux, c'était un spectacle certes moins rare que l'on pourrait le croire mais important tout de même. Il a l'ébauche d'un sourire quand un doigt levé le distrait de l'iris océan de son camarade. Un. Il n'est toujours pas convaincu par cet argument. Qu'est ce qu'elle pourrait bien venir chercher chez eux, cette fille qui a un père et des études. Deux... moui, les petits, il n'est pas dupe hein, seraient pas gênés qu'il leur lâche un peu la grappe. Il sait qu'il n'est pas facile avec eux mais c'est pour leur bien. Trois. Il le regarde à nouveau. Trois est tentant. Trois est un bon argument. Il n'a pas très envie de répondre. Il est des choses qu'on ne dit pas en trois. Par chance, c'est à ce moment qu'Audrey revient avec ses tartelettes.

Sans rien dire, Wulf sert son ami, en tend une à la petite et croque dans la sienne. L'acide se mêlant à l'herbe aromatique avec un brin d'amertume du zeste se mélangent à merveille avec le cocktail. Cela n'a l'air de rien, des fonds de tarte, un lemon-curd et une déco, mais c'est fait au millimètre pour exploser dans la bouche. Elle est douée. Elle est plus douée que lui. Il termine le gâteau en quelques bouchées voraces, quelques miettes jouant au coin de sa barbe.

"Okay. T'es douée Minipouce. Combien tu voudrais ?"

Tu regardes les arguments porter - de mieux en mieux, dirais-tu. C'est une des leçons de tout artilleur : le premier tir pour les réglages, le second pour les confirmer, le troisième pour porter. Ensuite, on laisse retomber l'éventuelle fumée pour voir le résultat. Alors, l'oeil pétillant, tu patientes.

À défaut d'une réponse, c'est Audrey qui s'annonce avec des tartelettes que Wulf répartit. Tu prends la tienne, tu la retournes entre tes doigts mouchetés de brûlures pour apprécier la forme et les couleurs avant qu'un coup de dent ne les mette à mal. C'est joli comme une gemme exotique et zébrée. L'acidulé décliné en basilic et citron vert danse contre ton palais, ça pétille presque.

"Très sympa~"

Une seconde bouchée suit et tu savoures tranquillement la fin de la gourmandise, les laissant négocier... ou presque.

"Bouge pas..."

Avec un naturel de sans-gêne, tu ne peux - ou ne veux - t'empêcher de chasser d'une pichenette savamment dosée une miette encore accrochée à la barbe du rouquin.

Audrey sourit de joie quand les deux associés approuvèrent ses tartes. Bien. ça, c'était fait, restait plus qu'a... Qu'a discuter son salaire, de toute évidence. saleté. Audrey détestait ça.

Elle détestait ça, cependant elle n’était pas étrangère a l'exercice. Elle pris une grande inspiration. Avant elle gagnait 2000 crédits net. Donc elle valait 2000. Cependant elle savait en venant qu’elle ne retrouverait pas son salaire précédent. Vu la tête du Runny, elle s'attendait à être payée environ 1500 net. Elle ne pouvait toutefois pas donner ce chiffre direct, ou elle se dévaloriserait. Puis il avait une tête à négocier: Si elle disait 1500, elle se retrouverait avec a peine 1300.

Ok. Plus qu'a se lancer:

"1700. Net."

Elle leva les yeux juste à l’instant ou Sarrazin délogea une brisure de tartelette de la barbe de Wulf dans un geste, assez… personnel? Ils avaient quelle relation, ces deux là ?

C'était bon. Ca, y avait rien à y redire. Et la pichenette de l'artilleur à coté de lui fit monter une bouffée d'affection chez le rouquin qui tente tant bien que mal de la cacher. Il lui lança une taloche légère de la main gauche accompagnée d'un clin d'oeil avant de reporter à Minipouce toute l'attention qu'elle méritait.

"1300. Net. Pour commencer."

Elle vaut mieux. Elle vaut BEAUCOUP mieux.