Territoire impérial, Escer 112
« Si vous recevez ce message, Ori, c'est que je suis décédée ou disparue. »Il est de ces instants qui redessinent les lignes d'une vie toute tracée, de ces moments d'éloquence où les silences en disent plus long que les mots.
Pour certains, comme mon père, ils se présentèrent sous la forme de la perte d'un être cher, dont ne resteraient de son souvenir que l'autel du salon, bardé de photographies. Ma mère, dont on me vantait sa douceur et son éducation depuis mon enfance, n'aurait jamais l'occasion de leur donner tort.
Pour moi, ce ne fut ni mon engagement dans la Flotte Impériale, ni même les premiers camarades perdus ou l'amie chère d'antan disparue. Non, il n'aura suffit que d'un enregistrement.
J'inspirais lentement les yeux fermés, la main prête à en tourner la poignée, accumulant le courage nécessaire à la tâche qui m'attendait avant d'entrer.
« Commandant Del Sol », fit laconiquement l'homme aux galons plus élevés que les miens.
« Général Cervantes. » Je l'observais quelques instants, étudiant ses traits. Si le général était reconnu pour son professionnalisme et ses compétences, il avait comme nous tous ses mauvais jours. Celui-ci n'avait fort heureusement pas l'air d'en faire partie.
« Vous vouliez me voir, Commandant, eh bien me voici. Etant donné la promptitude de votre demande d'entretien, dois-je m'attendre au pire ? »« Tout dépend l'estime que vous me portez, j'imagine », répondais-je avec une pointe d'humour dissimulée sous le masque froid de mes traits.
« Il y a beaucoup de Commandants dans l'Imperium », fit-il après quelques instants de réflexion, avant de laisser passer un sourire en coin moqueur et communicatif, et de me proposer l'un des cigares dont il raffolait tant - un geste qu'il ne se permettait qu'avec peu de ses subordonnés. Je secouais doucement la tête, avec cependant un bref sourire de grattitude, bien que forcé.
« Dans ce cas j'imagine que vous ne serez pas peiné par ma demande, Général. Je souhaite demander ma mutation. » Cervantes haussa un sourcil, s'apprêtant à prétexter que l'heure n'était pas encore aux promotions.
« En Dorado », précisais-je, pour lui indiquer que je ne cherchais nulle faveur.
« Au sein de la Flotte locale. »« ... En Dorado ? ... », souffla-t-il doucement, perplexe, avant de pianoter sur son ordinateur pendant quelques minutes. C'était l'un des aspects que j'appréciais chez l'homme : il ne s'avançait en terrain inconnu sans informations fiables.
« Je vois », fit-il finalement.
« Et j'imagine que vous n'y allez pas pour faire du tourisme. »« Non, effectivement. C'est le principe même d'une mutation », me permettais-je, un brin agacée. Il fronça les sourcils.
« Et que recherchez-vous, exactement ? La vengeance ? »Je secouais doucement la tête.
« La justice, plutôt. »« C'est très noble, Commandant Del Sol, mais la limite entre les deux est fine. »« Sauf votre respect, Général, dois-je comprendre que ma demande est rejetée et que je dois en faire appel auprès d'autres instutitions, ou me mettez-vous simplement en garde ? »J'avais, cette fois, touché un nerf sensible : aussi conciliant soit-il, le Général n'appréciait guère l'insubordination, surtout lorsqu'elle était aussi clairement présente.
« ECOUTEZ-MOI B- ... », débuta-t-il en se levant d'un bond, avant de s'arrêter net et de sourire, incrédule.
« ... Vous espérez que je vous rétrograde et vous envoie croupir là-bas en guise de punition, Del Sol ? »Peut-être.
« Evidemment que non, Général. »« Et je n'ai aucun moyen de vous faire changer d'avis. » C'était une affirmation plus qu'une réponse, je n'y répondis donc pas.
« Soit, Del Sol. Une fois de plus, vous obtenez ce qui vous plait », lança-t-il sur un ton presque agacé.
« Je transfère votre demande au Général de Ledesma. Votre galion, en revanche, restera sous mon commandement. Mais lorsque vous vous rendrez compte de l'erreur que vous commettez aujourd'hui, ne me tenez pas pour responsable. »« Merci Général », fis-je simplement, saluant pour mieux me retirer ensuite.
Esperanza, Lucer 112
« ... Je vous demande pardon ? », s'enquit-il à nouveau, perplexe. Je pouvais difficilement l'en plaindre : qu'un commandant fasse de l'excès de zêle et se permette des demandes dès son arrivée, c'était une chose. Qu'il demande une frégate en mauvais état doublée d'une mauvaise réputation, ainsi que le nom d'un infirme en guise de Second, en était une toute autre.
« Pardonnez-moi, Colonel, je n'ai sans doute pas été assez claire », fis-je au Colonel qui me faisait face, dont je n'avais pas encore retenu le nom.
« Je souhaite reprendre les rennes du Cerberus. Et je souhaiterais pour cela pouvoir choisir mes officiers. A commencer par le Capitaine De Golazzo. »« Vous n'êtes pas sans savoir, Commandant ... », débuta-t-il en hésitant sur mon nom avant d'abandonner, et je ne pouvais guère lui en vouloir sans hypocrisie.
« ... que le Cerberus est au garage depuis bientôt un an. Comprenez-moi bien, son état n'est pas irréparable- ... »« Il n'est donc pas exclu de le réparer », le coupais-je avec tact au bon moment.
« Non, certes, mais c'est une coque de noix. Je ne vais pas cracher dessus si vous souhaitez le reprendre, mais vous partez de loin. Nous n'avons pas de ressources inépuisables de vaisseaux sans capitaine, et vous passez à la trappe d'excellents équipages et vaisseaux sans même avoir jeté un oeil sur leurs dossiers. » Il renifla en se frottant un instant les yeux, de fatigue : être surmené semblait ici presque protocolaire, du peu que j'en avais vu depuis mon arrivée.
« Quant à De Golazzo, il est encore convalescent, et je ne compte pas le forcer à reprendre du service plus tôt qu'il ne faudrait. Ce n'est donc pas moi que vous devrez convaincre. »« J'en ai bien conscience, Colonel », fis-je finalement, en hochant doucement la tête. Ce n'était pas un mauvais homme, contrairement à d'autres, c'est par véritable inquiétude qu'il tentait de me rediriger vers d'autres navires, mais ...
« J'ai donc votre accord ? »« Je vais vous dire : puisque vous êtes si motivée, montez un équipage, en respectant un équilibre raisonnable sur le nombre de miliciens, et vous aurez toute ma grattitude. Mais si vous échouez, vous ne pourrez vous en prendre qu'à vous-même. Certains, dans le système, pardonnent difficilement l'échec. »Valentia, Cerberus, Lucer 112
« Je vous laisse libre de faire de ces informations ce que vous pensez juste. Vos choix ne seront certainement pas les miens, mais j'espère que vous ne laisserez ma mort vaine. »Seule dans sa cabine, je me laissais plonger, une dernière fois, dans les mémoires de celle avec qui j'avais partagé si peu. Calmement, j'emballais les affaires de celle qui fut, quelques temps durant, la maîtresse des lieux. Le Commandant ... Le Colonel Mia de Moya n'était plus. L'âme du Cerbère s'était éteinte. En guise de fond sonore, une dernière écoute avant d'enfouir à mon tour l'enregistrement là où l'on ne le retrouverait pas. Je n'avais, de toute manière, personne à qui le transmettre si j'en venais à subir le même sort que l'ancienne propriétaire des lieux.
Unique carton en mains, j'errais dans les couloirs seulement empruntés par les ingénieurs, affairés à trouver solutions aux diverses problématiques que présentaient l'absence quasi-constante d'entretien du Cerberus. Amputé de composants vitaux, le navire était resté en cale sèche ; et avec la réputation offerte par le Capitaine de Aragon suite à la destruction du Salvatore, personne n'avait osé porter le fardeau de rendre au vaisseau sa gloire passée.
Soit. Je ferais du Cerberus une arme, pointée vers les ennemis de l'Empire. Rédemptrice pour les uns, exécutrice pour le reste. Quant à ceux qui avaient déclenché ma venue, il ne leur resterait qu'à prier pour ne point croiser sa route. La justice, parfois, n'accorde nulle clémence.