Élie voulait être cultivateur d’orange. Pas un cultivateur qui utilisait des esclaves comme sur la plantation où il avait grandi, oh non. Lui, il voulait s’occuper lui-même de chaque oranger, leur donner un nom, tenir des registres très précis sur les fruits qu’ils produiraient, afin de savoir qui était doué ou moins. Oh, pas qu’il aurait coupé les orangers moins doués, hein ! Non, non, non ! Mais il aurait pu les encourager et les aimer un peu plus fort que les autres pour qu’ils aient envie de faire plus d’oranges. Parce que c’est bon les oranges. C’est très santé, aussi.

Vous aimez les oranges ?

Mais finalement, Élie ne voyait pas souvent d’oranger, qu’importent ses efforts pour en faire pousser un dans une tasse de terre dans sa cabine. Il travaillait plutôt à l’intendance d’un vaisseau, perdu au travers des rayonnages complets de produits. Après les oranges, il aimait les inventaires, aussi, malgré son rêve sur la glace, il était plutôt heureux. Et puis, il avait le sentiment d’être important dans ce qu’il faisait, car étrangement, quand il faisait l’état des stocks de l’inventaire à voix haute, personne ne retenait jamais rien. Lui, oui.

Donc c’était important qu’il soit là pour veiller sur toutes ces choses dont les gens pouvaient avoir besoin. Qu’auraient-ils fait sans lui ?
Et puis travailler lui permettait de mettre des sous de côtés, ce qui était très important pour pouvoir acheter une maison. Une maison avec pleins d’orangers autour, bien entendu.

Un jour, il réaliserait son rêve.

En attendant, il était sage. Enfin, autant qu’il le pouvait, parce qu’il pensait l’être, mais souvent, on lui faisait comprendre qu’on n’était pas content de ce qu’il faisait. Alors il tentait de faire mieux, vraiment très fort. Félicien lui donnait beaucoup de conseils, alors il lui en était très reconnaissant.

Vous ne connaissez pas Félicien Du Breuil ?

C’était son cousin, un peu plus vieux que lui. C’était un homme très important et Élie le trouvait très impressionnant. C’était le genre d’homme qu’il fallait écouter et auquel c’était bien d’obéir.

Enfin, pas qu'Élie ait attendu qu’il soit un homme pour obéir.

Replaçons-nous dans le contexte.


Élie était né accompagné d’une sœur jumelle à Paradis en 91 ADD, derniers d’une famille nombreuse, comme on en voyait beaucoup dans la Trinité, mais prospère -ce qui était moins commun-. Il ne connut jamais ses parents, morts dans un accident de navette alors qu’il n’était encore qu’un bébé. Non, les souvenirs les plus lointains qu’il possèdait étaient de vagues impressions de Paradis, puis d’Espoir, toujours auprès d’Ophélia, sa jumelle.

Il se souvenait aussi vaguement avoir été très malade quand il était petit.

Même que la grippe, elle avait tué deux de ses grands-frères, mais au moins, elle lui avait laissé Phélie.

Ohlala, ce qu’il l’aimait sa sœur !

Mais ce n’était pas le sujet.

Il se souvenait aussi de son grand-frère qui l’avait élevé. Et il se souvenait des Inquisiteurs trinitaires qui les avaient récupérés, Phélie, Augustine et lui, à l’école.

Comme quoi, son grand-frère était un hérétique et qu’ils pouvaient plus rester ensemble. Du coup, ils étaient revenus à Paradis pour être confiés à un oncle qui était bon trinitaire. À partir de là, leur nom devint "Du Breuil".

Voyez, c’était important d’être un bon trinitaire, sinon on pouvait finir brûlé ou être frappé très fort.

Et les jumeaux, c’était pas de très bons trinitaires. Surtout Phélie, même si Élie avait jamais vraiment compris pourquoi. Même que Félicien, leur cousin, était bien meilleur trinitaire et qu’il avait le droit de punir. Parfois, Élie avait quand même envie de dire que c’était pas un très bon punisseur, parce que Phélie avait continué d’être une mauvaise trinitaire très longtemps, très souvent, et même qu’Élie aussi, mais moins souvent quand même. Sauf que ça, Élie n'allait pas le dire, car il était certain que Félicien serait très fâché et Élie essayait très fort de ne jamais le fâché.

Et d’être un bon trinitaire, pour pas être brûlé ou frappé.

Même s’il avait quand même l’habitude, à force, d’être frappé. Mais c’est comme les choux de Bruxelles dans une assiette, c'était pas parce qu’on les mangeait qu’on les aimait pour autant.

Alors Élie s’employait à bien retenir tout ce qu’il apprenait sur l’Unique. Les paroles, le nom des gens importants, les dates... Ça allait parce qu’il avait une bonne mémoire, alors c’était pas bien difficile. C’était comme une histoire qu’il fallait connaître par cœur et qu’on devait faire comme si c’était vrai, de façon vraiment très convaincante. C’était juste qu’Élie, il était pas très convaincu, parce qu’il avait demandé très fort et très longtemps à l’Unique de lui rendre sa sœur et qu’il l’avait jamais écouté. S’il pouvait pas lui rendre, après tout ce temps, et qu’il existait, c’était pas un dieu très doué et Élie n’avait pas vraiment envie de lui donner de l’attention.

Mais ça, personne ne devait le savoir.

Alors Élie faisait comme si. Et comme il était un peu différent, de base, ben les gens ne remarquaient pas ça. Il était à peu près tranquille, avec moins de choux puants dans son assiette, ce qui l’arrangeait très bien.

Et puis depuis quelques années, Élie travaillait beaucoup. Il savait bien lire et compter, alors il était affecté à l’intendance d'abord au sol, puis sur des vaisseaux, ce qui lui avait permis de développer des connaissances pratiques dans le domaine, mais avant ça, il s'était retrouvé à suivre une formation courte bien qu'éreintante afin de pouvoir travailler au sein de la police -quelle idée ! Il n'avait pas vraiment la tête d'un policier!-. On le lui avait conseillé, sans vraiment y croire et pourtant, il y était arrivé. Il avait appris bien des choses, mais détestait définitivement tirer du pistolet ou devoir se battre, peu importe l'arme ou l'adversaire. Autant dire qu'il était content d'en avoir terminé avec ça et de pouvoir tranquillement travailler du côté de l’inventaire, à garder les comptes de toutes les choses qu’on embarquait sur le vaisseau et qui étaient bien utile, voir vitales, pour l’équipage. La Pierre au Fusil, c’était sa dernière affectation. Il n’aimait pas beaucoup le changement et espérait ne pas devoir bientôt changer de vaisseau à nouveau, mais après plusieurs mois, ça se passait plutôt bien.

Qui sait, peut-être qu’un jour, Élie aurait les sous pour réaliser son rêve.