The Great Escape [Vasco & Jezabel]

Je m'efforce de recouvrer mon calme. Je fais les cent pas dans mon bureau, tandis que les idées fusent en moi à une vitesse folle. Le contenu de mon bureau est une nouvelle fois venu s'échouer à terre, mes affaires ne sont plus qu'un vaste chaos aussi insondable et hermétique que mon esprit endolori. Je le retrouverai. Oui, je découvrirai son identité, et je lui ferai regretter d'exister. L'imprudent ignore à qui il s'en est pris. Il paiera.  Peu m'importe qui a osé toucher à la chaire de ma chaire, à mon sang, à ma fille ; en s'attaquant à elle, il s'est attaqué à moi. En s'attaquant à elle, il s'est condamné à mort. Oser vouloir assassiner ma Jillian à bord de mon propre vaisseau, au beau milieu de l'espace interstellaire... Je stoppe mes aller-retours incessants et vais écraser mes paumes avec violence contre le bois lustré de mon bureau.

Qui diable a bien pu commettre un tel acte ? Qui diable se permet de me tromper ainsi, et d'essayer de m'ôter ce que je possède de plus cher au monde ? Je connais chacun des membres de mon équipage depuis plusieurs années, j'ai une confiance aveugle en eux, je leur ai donné à tous la grandeur et la liberté, et voici comment l'on me remercie ? Dois-je me méfier de tous ? Non, pas de tous. Ne sois pas paranoïaque, Jezabel. Il serait idiot d'agir de la sorte. Cependant, en qui puis-je réellement me fier ? L'on m'a trahie. Je ne peux que disculper ma seconde ainsi que mon quartier-maître. En ce qui concerne les autres... Je les garderai à l'oeil. Désormais, Jillian ne sera plus jamais seule. Si je ne suis pas avec elle, ma seconde le sera. Pour le moment, elle veille sur ma fille. Il me faut chercher une aide extérieure. Deux noms me viennent à l'esprit. Hannabeth. Et Vasco.

D'un pas vif, je me dirige vers mon matériel de communication, et j'envoie un premier message, très succinct. Une demande codée de rendez-vous, adressée à Hannabeth. Mon second message n'est sans doute guère plus clair pour quiconque autre que mon destinataire. Lui seul saura comprendre que je requiers son aide au plus vite. Je ne fais pas même l'effort de dissimuler l'urgence qui perce ma voix. Le message envoyé, je n'ai plus guère à espérer qu'il saura le recevoir au plus vite, et me rejoindre aussitôt.

Vasco était tranquillement en train de flotter dans l’espace intersidéral, son vaisseau posé sur un astéroïde de la ceinture, quand son transmetteur se mit à sonner. Il arrêta de siffler et ferma la musique qui retentissait très fort à l’intérieur du Rasoir d’Occam. Il fit le calcul rapide de qui pouvait avoir cette ligne et se dit bien vite que ce n’était pas des gens à qui il ne pouvait pas répondre. Il se dirigea donc rapidement vers le transmetteur et écouta le message. Son visage prit rapidement une autre teinte. Le message venait de Jezabel Alvarez. Et vu sa tête, il y avait de quoi qui ne tournait pas rond sur le Némésis. En tant que cliente privilégiée de Vasco, leur entente remontant à quelques années déjà, il était obligé de répondre à son appel. C’était quand même bizarre que l’une des pirates les plus craints du système aille besoin de lui et qu’il n’aille pas peur une seconde. La peur était un sentiment qu’il n’avait pas ressenti envers elle depuis bien longtemps, mais il ne vantait pas sur tous les toits. Il sourit avec amusement et renvoya immédiatement les coordonnés de où il se poserait sur Tortuga pour qu’elle puisse le rejoindre discrètement, loin des yeux curieux de son équipage. Il lui donna rendez-vous dans deux rotations d’Esperanza et retourna au poste de pilotage. Il était temps de remonter la ceinture à contre-courant. On peut travailler et avoir du plaisir en même temps, n’est-ce pas ?

Je ne me sens pas même satisfaite lorsque la réponse de Vasco me parvient. Objectivement, elle a sans nul doute été rapide. Néanmoins, j'ai eu le temps de m'impatienter et le moment n'est guère judicieusement choisi pour m'agacer. Je lui suis néanmoins reconnaissante de bien vouloir m'accorder son aide aussi rapidement, et j'estime avoir la chance inouïe qu'il ne soit guère trop éloigné du Némésis.

Lorsque le moment est venu, et après m'être assurée que ma fille ne risque rien, je prétexte une affaire urgente pour amener le Némésis à accoster temporairement. Personne ne tentera de s'enfuir. Les coupables tiennent sans doute trop à leur vie pour se dévoiler ainsi. A l'heure actuelle, rien ne m'importe davantage que la sécurité de ma fille et la vengeance qui suivra. Ma propre vie n'a guère une importance aussi démentielle.

La nuit s'en vient, et je m'extirpe du Némésis. Aucun des membres de mon équipage que je croise n'ose poser la moindre question quant au lieu dans lequel je me rends. Ils savent pertinemment que cela ne les regarde en rien, et qu'il n'est guère prudent de se montrer curieux. Droite, fière, élégante et parfaitement apprêtée, je me rends jusqu'à l'endroit où Vasco m'a donné rendez-vous.

Vasco avait fait le trajet plus vite que bien des pilotes, près de la ceinture d’astéroïde pour se rendre jusqu’à Tortuga dans les délais convenus. Il y avait quelque nouvelles bosses sur la carlingue et il avait fait quelques hautes voltiges, mais il s’en tirait probablement mieux que la majorité des pilotes, particulièrement à cette vitesse. On ne pouvait pas vraiment sortir d’un champ d’astéroïdes sans quelques bosses.

Il se posa dans un hangar plus ou moins abandonné qui lui avait été prêté par un client qui n’avait pas les moyens de payer en argent, chose qui ne dérangeait pas à Vasco. Avoir de l’argent dans les poches n’était pas un état qui durait, mais au moins ce hangar serait là un certain temps pour lui. Avec ta chance, il va brûler d’ici peu, mais ca sera au moins ca de gagner. C’est ici qu’il avait donné rendez-vous à sa cliente spéciale.

Après avoir fait tous les diagnostics de fin de vol et commencer le remplissage de carburant, qui lui coûtait le reste de son argent, il sortit sa chaise à côté de la rampe de chargement ouverte du Rasoir d’Occam et s’y assied calmement. Il s’alluma une cigarette rapidement et quand il leva les yeux, il vit apparaître la terrible capitaine du Némésis : Jezabel Alvarez. Évidemment, à l’avance.

-Ho, Capitaine ! Déjà là ? J’avais cru comprendre que c’était urgent, mais je ne me doutais pas que…vous m’attendriez presque ?

Elle n’avait pas l’air de très bonne humeur.

Le hangar miteux et sale me donne l'envie de ne pas même essayer de m'y aventurer. Seigneur, j'ose espérer que cela ne salira pas le magnifique tissu de mes vêtements. Je ne souffrirai guère de perdre une nouvelle tenue à cause de la saleté. Cependant, les raisons de ma présence sont bien plus importantes que mon désir de propreté. Aussi, m'enfonçai-je dans l'endroit en conservant la tête haute. Alors même que je ne me sépare que rarement de mon sourire, je suis tout bonnement incapable de chasser l'air grave qui s'est installé sur mon visage. Lorsque j'aperçois Vasco, je m'avance vers lui à grandes enjambées.

- Bonjour, Vasco. Nous philosopherons à propos de ma ponctualité lorsque nous serons en chemin, si vous le voulez bien. Je crains fort de ne disposer que de très peu de temps pour jouir de votre compagnie.

D’accord, elle est vraiment pressée.

Il se releva immédiatement de sa chaise et éteint sa cigarette à moitié fumée sous sa botte. Il ramassa sa chaise un peu maladroitement et la placa sous son bras, désireux de montrer à une des femmes les plus dangereuses de l’espace qu’il était près à se dépêcher. Et tu disais que tu avais pas peur, n’est-ce pas ? Il fit taire sa petite voix intérieure et jeta un coup d’œil au compteur de carburant : il serait bientôt plein.

Donc, on part de suite alors ? Le remplissage est presque prêt, mais on peut partir tout de suite. Je devrais avoir assez de carburant pour faire le tour de la galaxie, moyennant un peu de créativité sur la navigation. On va où ?

Il commença déjà à calculer combien de slingshot il aurait besoin de faire dans le cas où il devrait aller jusqu'à Tech12. On ne sait jamais

Sans attendre davantage, le capitaine du Rasoir d'Occam se met en mouvement. L'urgence qui doit déborder de ma voix pourtant naturellement détaché ne doit guère inviter à une quelconque forme de discussion à ce propos. Vasco me fréquente sans nul doute depuis suffisamment longtemps pour s'apercevoir des variations dans mes humeurs.

- Notre destination n'est guère trop éloignée de Tortuga. Cela suffira amplement.

Je ne prendrais pas le risque inutile de m'absenter pendant trop longtemps. Chaque minute qui passe est une occasion potentielle pour l'agresseur de ma fille de recommencer. Et si je ne doute pas que Nadya saura la protéger au péril même de sa vie, ne pas être près d'elle est un supplice que je ne souhaite guère endurer trop longtemps.

- Je compte bien évidemment sur votre entière discrétion, Vasco.

Si je n'avais aucune confiance en lui, jamais je n'aurais eu la folie de lui confier la mission qui l'incombe. En réalité, il est le seul qui est parvenu à me convaincre de son silence avec suffisamment de hargne pour que je décide d'y croire et de lui offrir la place qu'il occupe dans ma vie. Il est vrai qu'il est le seul dans l'univers tout entier à savoir que j'entretiens une relation secrète que je n'ai nul envie d'ébruiter.

- Nous nous rendons sur l'astéroïde le plus important en orbite autour de Scion 3.

Il hocha la tête, écoutant l’une de ses plus anciennes clientes lui dire exactement où ils devaient aller. Il pouvait en effet sentir comment le voyage était nécessaire pour Jezabel, mais également très dure. Il ne saurait deviner exactement de ce quoi il s’agissait, mais à voir son agitation, il ne pouvait que s’agir de sa fille. Une fois qu’il fut satisfait que le vaisseau était assez chargé pour décoller et se rendre dans ce que Jezabel considérait comme proche de Tortuga, il fit mine de se mettre en route et de monter à bord. Elle lui posa la question qu’elle lui posait à toutes les fois qu’ils se voyaient. Enfin, la question. Une question jezabélienne, qui était plus une affirmation et une menace mise en une phrase avec une touche subtil d’interrogation.

-Bien entendu, m’dame. C’est ma spécialité, me mêler de mes affaires.

C’était plus ou moins vrai, mais il ne révélait jamais d’informations sur ses clients à d’autres particuliers. Il monta à bord, sachant pertinemment que la capitaine du Némesis ferait de même. Le vaisseau décolla dans la minute qui suivit, fonçant à toute vitesse vers l’orbite de Scipio 3.

-Vous pouvez vous asseoir dans la salle de commandement ou dans l’aire de vie, m’dame. Il faut juste que je traverse la partie extérieure de la ceinture et après on pourra aller réellement vite.

Il n’allait après tout qu’à 5 parsec.

Je ne me fais guère prier pour monter à bord de son vaisseau - fort modeste si l'on souhaite le comparer à la splendeur du Némésis. Néanmoins, je ne puis que reconnaître son efficacité au travers des services que Vasco me rend. J'ignore comment il m'aurait été possible de m'organiser sans lui, cependant, il me semble que tout aurait été infiniment plus complexe. Je n'ai guère réellement la nécessité de dissimuler mes activités au reste de mon équipage ; il n'en demeure pas moins que le secret que je partage avec ma soeur cadette est à mes yeux le plus précieux de nos secrets. Je ne suis sans doute guère prête à avouer à quiconque que j'apprécie nos entrevues - et encore moins à moi-même.

- Bien. J'apprécie particulièrement votre discrétion et votre sens des affaires, je dois bien l'admettre.

Lorsqu'il m'invite à aller m'asseoir, je ne songe pas même à discuter. Le Rasoir d'Occam, plus petit et plus vif que le Némésis, procure des sensations tout autre que mon vaisseau, à l'intérieur duquel j'ai pris l'habitude d'évoluer alors qu'il traverse l'espace.

- Fort bien. Quand pouvons-nous espérer arriver à destination ?

Le Rasoir prit sa vitesse de croisière rapidement, Vasco effectuant rapidement les calculs de navigation de sa main libre. Il avait soudainement l'air plus calme, plus assuré, plus à son aise. On aurait presque dit une personne différente du garçon hésitant qu'on voyait généralement à terre. Quand le vaisseau passa le cap des 6 parsec, le jeune pilote sourit. Il était enfin chez soi. Ce sentiment n'était pas toujours partagé par les passagers de son appareil, la force gravitationnelle perçant plus la coque du Rasoir d'Occam et appuyant sur leur os beaucoup plus que dans un vaisseau de plus grande taille. La pression était quelque chose à laquelle on s'habituait et Vasco passait beaucoup trop de temps dans les airs pour ne pas s'y être déjà accoutumé. Les résultats des calculs apparurent sur son écran bien assez vite. Sa voix solide et calme répondit à la question du capitaine :

-Nous devrions arriver dans moins d'une demi-rotation, si je me fis au meilleur endroit de la lune pour s'ancrer discrètement. J'imagine que je dois prendre une manoeuvre d'approche la plus discrète possible ?

Le vaisseau fit une embardée, le pilote utilisant ses rétropropulseurs pour réenligner le vaisseau dans sa trajectoire sans ralentir, la vitesse pouvant parfois dévier la trajectoire établie par le système de navigation. Le simple fait que Vasco pouvait faire une chose pareille sans recalcul automatisé et sans de multiples corrections secondaires pour ajuster le plan de vol était une preuve de son talent de pilotage.

Il n'existe que peu de pilotes dont j'estime réellement le talent ; cependant, Vasco est tout à fait parmi ceux-là. Lorsque nous quittons l'ennui morne de la terre, l'homme se transforme. Il semble se révéler, offrant à l'espace un éclat que je ne saurais hélas guère apprécier à sa juste valeur en ce jour. Voilà pourtant un point commun que nous avons ensemble : impossible de demeurer hors de l'espace interstellaire fort longtemps. Nos âmes appartiennent aux étoiles.

Je n'ai cependant guère l'habitude de voyager dans quelqu'habitacles de la modeste taille du Rasoir d'Occam. Les sensations sont bien différentes de celles qu'offre la majesté du Némésis. Je m'agrippe solidement pour ne jamais risquer de perdre l'équilibre d'une quelconque façon, et envisage d'aller m'asseoir dans l'un ou l'autre des lieux indiqués par Vasco.

- Fort bien. C'est cela, Vasco. L'endroit ne devrait guère être fréquenté ; néanmoins, il est préférable d'assurer l'entière discrétion de notre périple. Je serais fort contrariée que quiconque n'apprenne la nature de mes déplacements.

L'énergie et l'aura qui émanent de Vasco pourraient sans nul doute illuminer la nuit, si tant est qu'elle puisse exister au coeur de l'espace. Subjuguée par son habileté et son art que peu savent égaler, je m'aperçois qu'un instant durant, mes préoccupations s'en sont allés de mon esprit. Les poings crispés, je tente de ne guère me laisser submerger par mes émotions.

- Rappelez-moi, Vasco. Quand avez-vous débuté vos voyages parmi les étoiles ?

Il y avait longtemps que le pilote avait simplement pu voler sans vraiment avoir une autre idée en tête. Il n'était jamais vraiment déconcentré par ses passagers, mais il avait tout de même à vérifier quelques affaires pendant qu'il voyageait des personnes ou s'il était accompagné pendant des manoeuvres. Avec Jézabel, il n'avait pas d'inquiétudes. La pirate d'expérience pouvait supporter de se faire brasser un peu dans les turbulences et elle n'était pas effrayante avec lui, le laissant piloter comme il le souhaitait. C'était une bonne passagère. Elle lui faisait même la conversation comme s'il était une vraie personne et pas simplement un employé. Elle avait une manière particulière de lui parler, douce par instant, mais très exigeante. Il imaginait que c'était peut-être ça avoir une mère qui s'intéresse à d'autres choses que des cailloux.

-Je suis monté dans un vaisseau pour la première fois à 15 ans. Mais, ce n'était pas pour voyager. Ils ne nous laissaient pas faire ça à l'Académie. Mais, il n'y pas mille manières pour un gosse de mon voisinage pour monter sur un vaisseau spatial.

Il était très ouvert avec elle, très candide. Il ne sentait pas dans le besoin de cacher des choses. Après tout, il connaissait un des secrets les mieux gardés de la galaxie.

Quinze ans.Que diable faisais-je, à quinze ans ? Hannabeth n'était guère encore de ce monde ; je travaillais certainement dur pour satisfaire les exigences de maman. Là-haut, à bord du Némésis. Lorsque l'on y songe, l'on se rend aisément compte de l'importance que mon vaisseau possède à mes yeux. Il m'a vu naître, grandir, pleurer et rire. Il a connu mes souffrances les plus intenses, est le gardien de mes secrets les mieux gardés et connait à mon propos tout ce que les autres n'oseraient imaginer.

- Moi qui n'ait jamais vécu qu'au coeur de l'espace, je n'ose pas même imaginer quelle horrible sensation peut naître en notre sein lorsque nous n'avons d'autres choix que de demeurer retenu au sol sans nulle alternative pour nous en échapper.

Toujours debout derrière lui, j'observe avec un étrange intérêt chaque faits et gestes du pilote.

- Quand donc avez-vous voyagé pour les premières fois ? Vous n'êtes guère bien vieux ; j'imagine aisément à quel point vous avez pu vous sentir enivré par la liberté qu'offre l'espace interstellaire.

Un instant, je songe à ce qu'aurait été ma vie si je n'avais guère été une Alvarez ; si je n'avais guère connu l'immense privilège d'être capitaine.

- Quant à moi ; je n'ai jamais été une navigatrice d'exception. Néanmoins, il me serait presqu'envisageable de vous jalouser pour l'ivresse de la vitesse et de la solitude que je conçois lorsqu'en votre compagnie, je m'évade quelques heures du monde qui m'appartient.

Le jeune pilote pouvait presque voir la Capitaine penser à son vaisseau. Il n'avait plus autant besoin d'être vigilant pour remarquer certaines des humeurs de Jézabel. C'était un des avantages de voyager avec elle dans un espace où elle n'avait pas besoin de cacher ses sentiments et ses opinions. Il comprenait le besoin de voler qu'elle discutait. Il avait ressenti de nombreuses fois le mal physique d'être sur terre trop longtemps.

-J'ai pu vraiment voyagé pour la première fois quand je suis sorti de l'académie, mais le moment où j'ai vraiment pu être libre, c'est quand je suis sorti de l'armée.

Il se rappelait avec un peu de distance sa vie d'enfant. Les cavernes sombres d'Obscuro étaient un symbole de mort pour l'âme libre et obsédé par la vitesse et l'espace de Vasco. Vasco était né quand ses pieds avaient quittés le sol de la planète de ses aïeuls. Il éclata de rire quand elle lui dit qu'elle pourrait être jalouse de l'ivresse de la vitesse. Elle avait raison, la vitesse était quelque chose d'exaltant, mais par définition, temporaire.

- C'est drôle que vous pourriez m'envier ne serait-ce qu'un peu ! Je suis flatté ! Mais, comme vous dites, la vitesse qu'on expérimente est purement temporaire. C'est en quelque sorte ce qui est problématique...mais également fantastique à son sujet! J'envie votre lieu de naissance en quelque sorte. Ma lignée était simplement obsédé par des roches.

Je me rends compte avec une certaine amertume que je ne connais pas tant de détails que cela sur la vie de Vasco, alors même que nous nous fréquentons depuis déjà plusieurs années. Il y a une mise à distance candide et pourtant, une confiance réciproque implicite. Il sait de moi bien davantage que certaines personnes que je croise pourtant au quotidien. Etrangement, il fait partie de ceux en vers qui je redoute le moins une quelconque trahison au goût amer.

- J'imagine fort aisément que lorsque l'on goûte à la liberté, il nous est impossible de nous en défaire. Est-ce la raison pour laquelle vous avez porté votre intérêt sur une existence telle que celle que vous menez ?

Je souris ; l'ivresse de la vitesse pourrait tout à fait être comparable à celle de deux corps qui se mêlent en une nuit torride.

- Je ne songe nullement que le caractère temporaire de l'exaltation soit un problème ; voyez-vous, il me semble que si vous pouviez le ressentir sans interruption, il viendrait un moment où l'effet ne serait plus guère le même. Je perçois cela telle une brusque montée d'adrénaline, suivies par des frissons qui s'emparent de votre corps tout entier, jusqu'à exploser en vous comme un millier d'éclats cristallins.

Alors que je parle, ma voix se fait plus douce. Je me reprends néanmoins bien vite.

- Bien que nous possédions parfois une naissance inconvenante Vasco, il nous appartient toujours d'écrire notre histoire.

Jezabel Alvarez, terrifiante et menacante capitaine du Némésis, discutant avec éloquence du bien-être de la vitesse dans la vie des marcheurs du vide, des voyageurs de l'espace, avec un simple pilote, ex-déserteur. La scène le faisait sourire et il était présent. Il était bien avec Jezabel. Il appréciait leurs conversations et le temps qu'ils passaient ensemble depuis quelques années. C'était un sentiment étrange. Peut-être que c'était ça de l'amour maternel, mais Vasco n'aurait pas su dire. Impressionné, il laissa échapper une exclamation en impérial.

-Uau! Capitaine, vous parlez très bien ! Je vous remercie, c'est très bien! Ca m'a fait du bien ! Vous pourriez montrer ce côté de vous plus souvent !

Il eut un sourire goguenard et il fit un clin d'oeil à la pirate. Ils se rapprochaient de la destination, alors il passa dans la deuxième partie de navigation. Il ajusta la vitesse et la trajectoire d'approche pour une première fois, l'Occam tourna sur son axe sur quelques degrés et continua sa course. Il y aurait quelques autres modifications à faire quand on s'approcherait de l'orbite.

Les mots de Vasco résonnent longtemps en moi. J'apprécie également sa compagnie, même si ma présence à ses côtés ne m'occasionne hélas pas le moindre plaisir. Pas cette fois-là. Si j'ai été apte à éclipser la raison de mon voyage, je me rappelle désormais fort bien de l'abjection des circonstances. Je sens notre destination approcher. Voilà sans controverse l'origine de la géhenne naissante qui m'incombe.

Nous convenons qu'il attendra mon retour avant de me reconduire à bord du Némésis. Je paierai bien entendu pour l'attente qu'il s'apprête à subir, ainsi que pour son silence. Les rencontres en compagnie de ma jeune sœur sont bien rarement courtes et silencieuses. Cependant, Vasco travaille pour moi depuis si longtemps que je ne m'inquiète pas le moins du monde quant à sa capacité à demeurer discret. Si j'avais eu le moindre doute, il est certain que j'aurais fait appel à un autre. Je lui offre un ultime sourire et le quitte sans l'ombre d'une crainte.