Apparence [Tempérance]

Le mariage est une institution Trinitaire. Constitué sous la forme d'un devoir, d'un privilège et d'une sanction, il fait parti d'un des plus gros paradoxes de notre culture. Il représente l'union de deux êtres, union elle-même encouragée et proscrite. Ainsi théoriquement, un mariage heureux est un mariage fécond, rien d'autre, uniquement cela.

La jeune demoiselle Tempérance d'Ombrage avait été choisie pour offrir foyer et descendance à l'un de mes éléments les plus zélés, le Père Vérité. Bien entendu je m'étais proposé de célébrer leur union à bord de la Pierre au Fusil, un honneur autant qu'un privilège. Toutefois je me réservais le droit de rencontrer sa promise avant de l'inviter à bord de mon vaisseau.

Rédigeant de ma plume une invitation que je scellais de mon sceau personnel, je l'avais rédigé en ces mots :

Cher Père Sage,

J'ai l'honneur de convoquer votre fille Tempérance à la roseraie du domaine Lazare. Veuillez lui confier le présent document qui lui assurera le passage et la protection.

Monseigneur-Inquisiteur Lodewijk Lazare.

Je savais bien entendu que cette jeune femme n'avait jamais vu de roseraie, peut-être pas même en photo. C'était là encore un privilège qui m'était offert de part ma place, mon dévouement et mon engagement. Je savais qu'à la réception de mon courrier, la famille d'Ombrage en serait retournée, la demoiselle me parviendrait tirée à quatre épingles et je n'en attendais pas moins.


Marchant tranquillement, canne en main, au sein de la Roseraie, je profitais de la douceur de ce moment. A l'idée de rencontrer la jeune femme, je me demandais qui avait eu l'idée saugrenue de la placer entre les mains de Père Vérité. Je l'imaginais mal se montrer attentionné, tout comme j'imaginais fort bien son inconfort quand à devoir consommer son mariage et la souillure que cela supposait.

Consultant l'heure à ma montre, je me dirigeais vers le kiosque où j'avais prévu de la recevoir, où l'un de mes domestique aurait l'obligeance de la conduire. Si tout se déroulais comme escompté, j'y arriverai quelques instants avant elle.

Tempérance d'Ombrage, celle qui fut choisie pour Père Vérité, se tenait à présent devant moi, en une salutation très convenable, dans une tenue que je reconnaissais comme parfaitement ajustée. Une parfaite future-épouse, du moins en apparence. Un peu trop belle sans doute.

> Bonjour Mademoiselle d'Ombrage. Je suis satisfait que vous ayez pu répondre à mon invitation. Dis-je en répondant, courtoisement, à sa salutation. Je vous en prie, prenez place. L'invitais-je en embrassant d'un geste de confortables fauteuils, tout en me dirigeant vers l'un d'eux.

Une fois installé, m'assurant que ma canne ne puisse pas tomber, je posais de nouveau mon regard sur la demoiselle d'Ombrage.

> Mademoiselle d'Ombrage, voulez-vous bien vous présenter ? J'avoue ne vous connaître que peu. Triturant ma mémoire, j'en tire une question supplémentaire : Avez-vous déjà rencontré votre futur mari ? Cela n'avait rien d'évident, ce n'était pas même nécessaire.