Two black eyes from loving too hard

J'arrête ma main qui allait frapper contre la porte de la cabine d'Ichabod et reste plantée là dans la pénombre des couloirs de l'Iceberg. Il est tard, tout le monde dort et ce n'est que l'éclairage de nuit qui m'empêche de ne pas voir plus loin que le bout de mon nez. Je lance un regard nerveux autour de moi au couloir désert, comme personne ne doit savoir que je suis ici, et la boule désagréable dans mon ventre semble gonfler encore un peu. Mais qu'est-ce que je fou là, merde? C'est une GROSSE connerie. Dans le genre intersidéral. Je devrais tourner les talons et retourner à ma cabine, garder tout ça dans une petite boite fermée à clé au fond de ma poitrine et oublier qu'elle existe. Yup, bonne idée, projet avorté!

Je tourne alors les talons, fais un pas pour m'enfuir, mais m'arrête net de nouveau en fermant les yeux et en serrant les poings. Non! Je me suis promis de le faire ce soir, de tout lui dire, d'en finir une bonne fois pour toutes avec ces secrets. Je ne peux pas continuer comme ça et je vais m'en vouloir à mort si je repousse encore. Ça dure depuis des mois, après tout, et il y a une limite aux trucs pas sains que je peux supporter à la longue. Et... il y a de fortes chances que sa se passe bien. Je crois? Je veux dire, il est tellement génial avec moi et il m'a dit qu'il ne voyait personne d'autre. Ça vaut pour quelque chose, non? Par Calypso, j'en sais rien... Je sais plus rien et ça me rend dingue, mais je n'ai pas le choix. Si je ne fais rien maintenant, je vais craquer au pire moment possible, je me connais. Et ce n'est ni en pleins ébats ni devant d'autres membres d'équipage que je veux que ça sorte.

Allez. Je suis prête. J'ai tourné la situation des milliers de fois dans ma tête, j'ai assez réfléchi, et je sais depuis longtemps ce que moi je ressens et veux. Je me suis même habillée pour l'occasion plus sobrement qu'à l'habitude avec un simple short en jean, un collant en filet et un débardeur à imprimé noir et blanc, question qu'il me prenne vraiment au sérieux. C'est peut-être ridicule, mais ça me donne un peu de courage supplémentaire.

Je reviens vers sa porte nerveusement, mais déterminée, puis cogne enfin à deux reprises, comme j'ai l'habitude de le faire. Il n'est peut-être pas là, ou peut-être qu'il ne voudra pas me répondre s'il croit que je suis ici simplement pour du sexe, comme à notre habitude. Ou peut-être qu'il va me répondre précisément pour ça alors que non, pour une fois, je veux qu'on parle et, et... merde, ne panique pas, Syenä. Pas encore en tout cas. Reste cool bon sang, et respire. Comme Loukian t'a dit de faire. C'est ça, inspire, expire, comme une bon sang de personne normale.

Assis à ton bureau, t'as pas vu l'heure passer. L'écran est bloqué sur les mêmes infos depuis au moins une heure, heure que t'as passé à te triturer les neurones dans tous les sens en étudiant tes options. Mais en réalité, c'est pas tant le choix de ce que tu veux faire du reste de ta vie qui te glace sur place, pas vrai, Ichabod ?

T'as l'impression que c'est la voix de ta femme, ta chère femme décédée depuis longtemps, qui vient te souffler ces dernières paroles. Tu sursautes, avant de te rendre compte qu'il n'y a pas de lèvres qui soufflent des mots contre ton oreille. Tu es seul dans la pièce sombre. Et ce qui t'as fait sursauter, c'est deux coups secs portés sur la porte d'entrée. Tu regardes l'heure, tu fronces les sourcils, finit ton verre de rhum avant d'aller ouvrir.

Pour découvrir Aey' sur le pas de la porte.

Tu ne fais pas trop attention à la sobriété de sa tenue. Il est tard et elle est sur le pas de ta porte. D'ordinaire... Y a-t-il vraiment une situation ordinaire dans votre relation ? Pas vraiment. Mais t'as l'air perdu un instant quand même.

Mais sans un mot, tu lui proposes d'entrer quand même. Avant que quelqu'un passe par hasard dans le couloir.

Il ouvre la porte et j'arrête de respirer. Il a l'air surprit de me voir. Pas particulièrement.... content, ce qui me fait un peu flipper pour le coup et remettre en question ce que je crois avoir compris de ses sentiments pour moi, mais il a pas l'air fâché ou froid non plus. Il me fait signe d'entrer et je m'exécute rapidement avant qu'on nous voit. J'espère sincèrement que c'est la dernière fois que je viens ici en devant me cacher. Lorsqu'il referme la porte et qu'on se retrouve dans la sécurité de l'intimité de sa cabine, je relâche enfin mon souffle. Ok, un truc à la fois, Syenä tu peux le faire.

"Hey, hem... désolé de te déranger. J'espère que c'est pas un mauvais moment? J'aimerais hem... j'aimerais vraiment te parler de quelque chose d'important."

Je sais pas ou me mettre, honnêtement, même si j'ai exploré cette cabine de toutes sortes de façon et sans gène souvent auparavant. J'ai le coeur qui bat trop vite aussi, mais au moins, quittes à rester planté là debout, j'arrive à le regarder dans les yeux. On m'a souvent dit que je suis infiniment mauvaise menteuse puisque tout se lit sur mon visage. Là tout de suite, je ne sais pas si l'idée qu'il puisse lire mes sentiments et intentions dans mes yeux me rassure ou me terrifie. Mais peut-être... juste peut-être... qu'il comprendra et me devancera en me disant qu'il a besoin de moi tout comme j'ai besoin de lui?

Tu te rends compte que ta réaction n'est pas forcément la meilleure pour la circonstance, mais trop tard, elle l'a remarqué aussi. Et t'es... fatigué ce soir. Fatigué de faire semblant. Fatigué de te cacher. Fatigué des sans lendemain et de ne pas réussir à trouver de réponses à tes innombrables questions internes. Tu fermes la porte derrière Aeÿ' et pendant un instant, tu te laisses aller à l'égoïsme d'être juste un peu toi même. Avant de comprendre qu'elle n'est pas là pour te consoler, pour un câlin ou juste dormir.

Elle veut parler. Et ça te réveille le cerveau.
Un instant, t'as l'air inquiet. Parce que forcément, quand on vient parler au quartier maître du vaisseau, c'est qu'il y a un problème. Puis tu te rappelles que si ça avait été d'ordre professionnel, elle serait venue te voir en journée. A moins que ce soit grave, mais elle n'a pas l'air tant bouleversée...
Oh, non, c'est autre chose.
Quelque chose qui ne te rassure pas franchement. Mais au moins tu reprends un visage un peu plus neutre, curieux malgré tout.

Même si au fond, c'est Et merde... qui résonne.

" Tu ne me déranges pas, Aeÿ " Cesse donc de t'excuser, petite luciole... " Je t'écoute "

J'le regarde un long moment dans les yeux et en silence après qu'il m'ait dit qu'il m'écoutait à jouer nerveusement avec mes mains, surement beaucoup moins subtilement que je l'espère d'ailleurs. J'suis... beaucoup plus sérieuse que normalement. J'essaie de lui communiquer juste par le regard tout ce que j'ai tant de mal à formuler en mot, mais c'est visiblement peine perdue. J'me mords finalement la lèvre inférieure en baissant les yeux et pousse un soupire résigné avant d'attraper sa main et l’entraîner vers le lit pour qu'on s'assoie. C'est peut-être pas une excellente idée, considérant... tout ce qu'on y a fait avant ce soir. Mais j'préfère ça à rester debout comme une intruse dans son espace personnel. J'relâche sa main et ramène la mienne sur mes propres genoux, avec l'autre, alors que j'prends enfin mon courage à deux mains.

"Je... cherche l'bon moment pour t'en parler depuis... trop longtemps. Mais c'est jamais l'bon moment. Y a toujours... quelque chose d'plus important, ou alors j'ai peur d'gâcher l'moment, d'rendre tout tellement malaisant... et Calypso sait à quel point j'suis douée pour rendre les choses malaisantes... ou alors j'flippe et j'me défile, j'me trouve stupide ou j'me dis qu'ça en vaut pas la peine, mais... si c'est jamais l'bon moment alors pourquoi pas maintenant? Merde, désolé, j'fais aucun sens et j'te déballe tout ça comme une folle..."

J'ris tristement et ferme les yeux quelques secondes, le temps d'arrêter de divaguer nerveusement, puis ajoute plus gravement :

"Icha... j'suis quoi pour toi?"

Elle te fixe avec ce regard... T'as déjà vu ce genre de regard. Pas souvent. Deux fois dans ta pauv' vie de pirate, p'tet. Il veut dire plein de choses ce regard mais même malgré tes talents de lecture de personne, tu peux pas lire ça. C'est trop profond, c'est trop ancré à la métisse et son ressenti... Et t'as tellement pas envie d'y lire ce qu'elle veut que t'y lises, pas vrai, Icha' ? T'aime pas briser des coeurs même si t'as pas d'problème pour les emballer en oubliant les conséquences.

Tu te sens mal, là, mais tu l'montres pas. Elle t'entraîne finalement vers le lit et tu te dis simplement qu'au moins... vous ne serez pas face à face. Même si ça te ramène au souvenir de ce que vous avez fait dans ce lit. Des bons souvenirs. Intéressants. Parfois insolites.

Et tu te dis aussi que ça n'arrivera plus, alors que tu la laisses parler sans rien dire. Tu l'observes quand même, mais tu ne la coupes pas dans son élan. Elle se perd un peu, elle se prend pour une folle, mais t'essaye de la rassurer en silence que ce n'est pas le cas et qu'elle a le droit de dire ce qu'elle ressent. Sauf qu'elle ne le fait pas. Elle a la bonne idée de te poser la question. Sur c'que toi tu ressens, Icha'.

" Pas ce que tu souhaiterais être, Aeÿ' " Ta main s'est glissée sur la sienne et ta voix est désolée... tellement désolée.

Il prend ma main et un instant mon coeur saute dans ma poitrine avec espoir, mais j'lève alors les yeux sur lui et voit son expression. J'sais alors ce qu'il va me avant même qu'il me réponde.

"Oh..."

J'ai l'impression que ma poitrine devient toute petite, qu'on a retiré toute l'air à l'intérieur, et je baisse les yeux en détournant la tête. J'veux pas qu'il voit ce que ca me fait q'il me dise ca aussi doucement, comme s'il avait peur de me briser. Je suis pas aussi fragile. Non? Je veux pas être aussi fragile. Alors j'me force à dire d'un ton léger :

"C'est okay. C'est ce que je croyais et j'voulais juste... m'en assurer."

J'hausse une épaule et récupère ma main, sa ramenant sur mes genoux.

"C'est pas ta faute si j'ai pas respecté ce qu'on avait établi au début. C'est la mienne."

J'lui offre un grand sourire désolé, ravalant mes larmes à grande peine. Pas pleurer ici, pas pleurer devant lui. Attend d'être sortie, Syenä, lui montre pas à quel point ca te fait mal, même si c'est vrai que tu t'y attendais et que t'avais pas beaucoup d'espoirs. Lui montre pas à quel point t'as été idiote de tomber amoureuse de lui. J'me lève d'ailleurs, évitant soigneusement de le regarder, et recule peu à peu vers la porte.

"Ça changera rien à comment j'vais être en présence de l'équipage, t'inquiète pas. Et je... j'vais pas te déranger d'avantage. Merci de m'avoir écouté. Et d'avoir été honnête."

Tu sais pas quoi dire, hein, Cook ?

Elle reprend sa main, elle se referme doucement, lentement, comme si elle se laissait le temps de réaliser ce qui se passe, ce que tu viens de lui avouer en pleine gueule. T'as été sympa, peut-être trop doux ? Non, elle comprend. Tu le regrettes. Non, tu regrettes qu'elle ait finalement posé la question. C'est moche, c'est égoïste. T'aimerais qu'elle reste, parce que toi aussi ça te fait mal et que t'es pas du genre à t'enfermer dans ta coquille. T'as envie de parler à quelqu'un. T'as besoin de parler à quelqu'un. Ca arrive pas tout les jours ça. Encore moins que tu te l'avoues enfin. C'est con, il y avait Anna pour parler l'autre jour, mais t'as pas voulu. Et maintenant, c'est Aeÿ' qui s'enfuit.

" Je suis désolé, Aeÿ, vraiment... " Tu retiens, à temps, le " c'est juste que... " qui allait suivre. Y a pas d'excuse valable, pas d'excuse qu'elle aimerait entendre. Ca lui ferait pas plus de bien.

L'histoire est finie, pas besoin de rajouter une couche de tes propres drames sur les siens. Elle a assez à porter déjà.

" Tu n'as pas besoin de te contenir pour l'équipage. Si tu veux me traiter de connard, vas-y, si tu le souhaites. Je compte descendre à la prochaine escale sur Hope. "

Ah ? T'étais pas sûr, il y a pas 5 minutes encore. Et c'est décidé, maintenant ?

Je secoue la tête à la négative lorsque je l'entends s'excuser et lui offre un sourire désolé mais doux et rassurant, autant que je peux avec mon coeur qui veut sortir de ma poitrine, juste là.

"Sois pas désolé. Ça se force pas, des sentiments, j'comprends ça."

J'inspire un coup et pose la main sur la poignée de la porte pour sortir... mais ses mots suivants m'arrêtent net. Je fronce les sourcils et me retourne vers lui, le dévisageant sans comprendre.

"Quoi? Comment, descendre?"

Est-ce qu'il sous-entend qu'il va... quitter l'Iceberg? Bon sang. Imaginer l'équipage sans lui, sans son quartier maître, un de ses piliers centraux, c'est pratiquement impossible. Et la simple idée qu'il parte, qu'il disparaisse de nos vies, de la mienne, et pas que comme amant, mais également comme ami... ça me tord le ventre encore plus. Il ne peut pas être sérieux, j'ai du mal comprendre. Pourquoi partirait-il? J'arrive pas à voir pourquoi, à trouver une réponse logique. Ça ne peut pas être à cause de moi, non? Non, bien sûr que non. Non?

"... pourquoi?"