Cache-cache. [Jezabel & Azel]

Je ne suis pas de ceux qui se vantent, mais... je suis douée. Maligne et dotée d'un sens de l'humour assez particulier. Depuis que le capitaine Alvarez m'a demandé de retrouver la moindre trace de sa fille, Jayn, je m'amuse. Comme une gamine. Sa fille... Moi. Elle désire obtenir la moindre petite information qui me concernerait, moi, celle qu'elle a abandonnée. Pour me retrouver et achever ce qu'elle avait commencé ? Peut-être. Peu m'importe. Elle ne trouvera rien, parce que je ne lui donnerai rien. Enfin... Rien qui ne puisse l'aider à connaître ce qui a été un jour ma vie.
Quoique... L'incendie serait un bon moyen pour qu'elle oublie de rechercher quoique ce soit. Je lui donnerai ce détail. J'aurais pu trafiquer un document parlant des viols, mais en aurait-elle quelque chose à faire ? Sûrement pas. On n'abandonne pas un enfant pour pleurer ses malheurs.

Je ne peux m'empêcher d'entendre cette petite voix en moi, titillée par le doute d'une possibilité si infime que cette mère pourrait regretter son geste... et vouloir réellement retrouver sa fille...
Et je me ravise si vite. Son repentir ne change rien aux faits. Et je doute qu'une femme comme elle puisse éprouver plus de sentiments que pour une seule personne. Pour sa petite blondine adorée. C'est un faux-semblant... J'en suis sûre... Et pourtant, je le vois son regard. Celui qu'elle lui lance, lorsqu'elle la regarde. Une étincelle que je n'ai jamais décelé en personne.
L'amour maternel.

Qu'importe. J'ai souffert par son abandon, ma peau est marquée de sa faute. Mère indigne.

Alors, je m'amuse un peu avec elle. Et lui offre des pistes sur sa soit-disante fille bien aimée. De fausses pistes. Et encore aujourd'hui, je l'attend, j'ai un nouveau jeu à essayer.

Les jours passent, ne se ressemblent pas ; pourtant, j'ai l'infime conviction de vivre encore et encore les mêmes moments douloureux. Ces mêmes moments qui savent à la perfection laisser leur goût amer sur ma langue. Un goût qui change celui de la nourriture en cendres âcres et perfides. Je ne me nourris plus guère que lorsque j'y suis forcée. A quoi bon ingérer poussière et particules croupissantes ? Je n'ai guère d'autres désirs ni d'autres obsessions que celle de retrouver les traces de ma fille aînée. Ma Jayn. L'espoir jusqu'ici perdu renaît chaque jour grâce au travail accompli par Azel. Elle travaille avec acharnement pour moi, et je lui en suis fort redevable.

Cependant, les pistes qu'elle m'a fournie jusqu'à lors n'ont mené à rien de concluant. D'immenses joies, une excitation incommensurable, suivie par une chute de plus en plus violente : voilà à quoi se résume mon quotidien. J'ignore s'il me faut encore y croire, cependant, je refuse de me laisser abattre. Je n'en ai aucun droit. Alors j'admire mon reflet dans le miroir, ajuste les derniers détails, prête à affronter une nouvelle réalité, de nouveaux indices, et de manière plus ingrate, un nouvel échec. D'un pas énergique, fier, distingué, je me rends dans le lieu de rendez-vous que nous nous sommes fixées.

- Bonjour, Azel. Tu souhaitais obtenir une entrevue avec moi ?

La porte de l'antre des grosses têtes s'ouvre sur la capitaine, je me retourne doucement sur ma chaise de bureau pour lui faire face. Je me lève, comme le veut la bienséance et le respect dû à un capitaine. Malgré que je ne lui en porte absolument pas. De respect. Menteuse, lâche, cruelle. Non, aucun respect pour ce genre de personne.

- Bonjour, capitaine. Oui, je me suis assurée que Kate, Vince et Lionel ne soient pas dans les parages, afin que l'on puisse parler en toute tranquillité de notre affaire.

Je me souviens de son regard lorsque je lui confiais la première fausse piste. Je n'ai pas pu m'arrêter de rire de toute la nuit, Kate se demandant décidément ce qu'il m'arrivait. En sera-t-il de même aujourd'hui ? Je l'espère tant. Pour qu'elle ressente les mêmes déceptions que les miennes lorsque je la cherchais, désespérément.

Je lui indique un siège, lui propose une barre de céréale ou une boisson. Qu'elle se serve, c'est son vaisseau après tout.

- Je ne souhaite pas vous donner une énième déception. Cependant, je crois avoir trouvé quelque chose. Je n'en suis pas certaine, mais ça vaut le coup de vérifier.

Je l'écoute avec une attention toute particulière. Si elle sait quoi que ce soit, si elle a découvert une piste ou un indice, si elle songe à un élément particulier, alors je serai prête à l'explorer. Je me refuse à abandonner, je me refuse à croire un instant que ces recherches sont vaines. Cette vérité-là, cette éventualité assassine, est bien trop douloureuse pour être ne serait-ce qu'envisager un tant soit peu sérieusement.

- Bien. Je vous écoute.

Je m'assieds face à elle, droite, fière, la tête haute. Parfaite, en toutes circonstances. Parfaite, quoi qu'il puisse arriver.

- J'ose espérer que ce que vous dites est vrai. Néanmoins, rien ne saura m'arrêter. S'il me faut retourner la galaxie entière, s'il me faut scruter jusqu'aux tréfonds des endroits les plus reculés, alors je le ferai.

Rien dans ma voix qu'une détermination profonde et sans faille. Rien dans mon regard qu'une certitude absolue et une force décuplée par l'amour que je porte à mon enfant disparue. Par-delà les mots, par-delà l'impossible, je vouerai mon âme à une errance éternelle pour une simple seconde en sa compagnie. Jamais rien ne pourra m'y faire renoncer.

Je ne peux m'empêcher de sourire lorsque j'entend ses mots. La capitaine est claire, s'il lui faut aller jusqu'aux tréfonds des endroits les plus reculés, elle irait. A croire qu'elle y tient, à me retrouver. Et cette sorcière me laisse à nouveau en proie au doute... Son regard est étrange, il a quelque chose que je ne lui connaissais pas. Seulement, je ne peux m'y résoudre, je refuse d'être dupe. Comme toujours, ces quelques secondes d'hésitations passées, je retrouve la raison. Et je la vois, telle qu'elle est. Manipulatrice, lâche. Son regard, rien qu'un mensonge de plus. Pas la moindre sincérité en elle. Rien qu'un masque.
J'aime jouer aussi, alors je joue. Et je souris tendrement, faussement rassurante.

- Bien. Je me demandais pour quelles raisons toutes mes recherches ne menaient à rien, j'en suis venu à la conclusion que je n'élargissais pas assez mon champ de recherches. Vous m'aviez parlé d'une famille aisée, seulement, rien n'est moins sûr qu'elle y soit restée. J'ai donc écumé tous les rapports d'incendies et plus encore. Et je suis tombée sur quelque chose qui vaille la peine d'être vérifié.

Je me retourne, tape activement sur mon clavier, trouve une carte que j'ouvre sur mon écran. Je me retourne.

- Paradis. Un incendie, l'année du décès de votre fille. La liste des victimes n'est pas bien longue, ce ne fut rien. Seulement, trois filles de son âge y ont laissé la vie. Des filles de bonne famille. Je n'ai malheureusement pas plus amples informations.

J'observe Azel avec une douce tranquillité. Ses mots provoquent pourtant en moi un ouragan digne des tempêtes les plus violentes. Bien que je sois persuadée que je me rapproche de Jayn à mesure que le temps passe, voir sa mort m'être sans cesse répétée me plonge dans une humeur fort maussade.

- Si c'est l'endroit où Jayn a perdu la vie, ce n'était nullement "rien".

Mon ton est sec ; cela n'a guère d'importance. Je suis épuisée par ce travail constant qu'il me faut faire ; les faux-semblants, mes devoirs qu'il me faut accomplir sans la moindre complainte, alors même que je menace de perdre espoir. Si seulement il m'était possible d'avoir la moindre trace d'elle... Le plus petit signe d'un endroit dans lequel elle aurait vécu, qu'elle aurait fréquenté, une photo, un nom. Je n'en demande guère davantage.

- Bien. Trouvez des contacts, une adresse, quelqu'informations qui pourraient nous être utiles pour un trajet sur Paradis. Ce que vous m'offrez est une piste fort intéressante mais hélas peu précise. Nous pouvons nous rendre sur les lieux si nécessaire ; néanmoins, je désire que vous me donniez davantage de matière.

Mon ton devient aussi sec que le sien. Quitte à devoir supporter son regard inquisiteur alors que je lui viens en aide malgré le travail qu'elle m'impose, autant ne pas lui laisser croire que je suis tant compatissante. Je me fiche bien de ce qu'elle pourrait bien trouver, je sais qu'elle ne trouvera rien. Ou dans tous les cas, qu'elle n'aura que ce que je veux bien lui donner.
Alors, mon ton devient aussi sec que le sien.

- Je ne peux pas accomplir de miracles, capitaine. Si mes informations sont peu précises, elles le demeureront sans doute, il nous faudra aller directement sur place pour que je puisse en faire davantage. Je ne peux rien d'ici. Je met tout mon talent à votre disposition, voilà maintenant plusieurs mois que je cherche. Et mes talents, quoique grands, je ne peux aller au-delà des informations que contiennent le réseau. Il faut aller sur place. J'ai passé des semaines à la recherche du moindre indice sur cet incendie. Je n'en trouverai pas plus sans y être.

Je soutiens le regard brusquement enflammé d'Azel. Je suis parfaitement consciente qu'elle met tout son talent à mon service, tout comme je suis consciente qu'elle fait de son mieux pour satisfaire mes demandes exigences. Cependant, après ces plusieurs mois passés à chercher des informations pour moi, le peu d'éléments véridiques découverts me laisse pantoise et désespérée. Si Azel ne parvient guère à trouver davantage, d'informations, alors mes derniers espoirs partent en fumée.

- Bien, alors si c'est ce dont vous nécessitez, nous allons nous rendre sur place.

Je prends une grande inspiration, contrôlant autant que je le puis les émotions qui émergent en moi.

- Expliquez-moi, Azel. Comment se fait-ce ? Pourquoi diable ne trouvons-nous pas l'ombre d'une trace de ma fille ? Comment peut-on disparaître ainsi de la galaxie ?

Comment peut-on disparaître de la galaxie ? C'est tout simple, chérie. Si l'on est doté d'un talent tel que le mien et que l'on a appris du plus grand. Si l'on est aidé en toutes heures par cet homme qui a tout fait pour vous garder en vie lorsque cet autre homme qui vous menace vous recherche activement.
C'est un jeu d'enfant que de me faire disparaître du monde lorsqu'on en a les moyens. Personne ne m'a réellement connue et tout le monde me croit morte. Quoi de mieux pour réussir à disparaître ?
Et la cerise sur le gâteau ? Tu me demande, à moi, de chercher ta fille disparue. Tu me demande, à moi, de me rechercher moi-même, ta fille disparue. Comment puis-je ne rien trouver ? C'est un jeu d'enfant. Je m'amuse avec ton coeur, ton esprit, et te fait tourner en bourrique avec les informations que j'ai bien envie de dissimuler dans les limbes et de te donner librement.
Je décide de tout. Voilà comment est-il possible que ta prétendue précieuse fille ait disparu de la galaxie.

- Nous n'avons que très peu d'informations, qui ne font pas momentanément ressortir un profil particulier. Il suffit également qu'elle n'ait pas réellement fait de vague, qu'elle ne se soit pas faite remarquée, qu'elle n'aurait pas laissé de trace assez grande. Il est donc difficile de trouver quelques bribes de son histoire parmi tout ce bordel que Dorado laisse sur le réseau. Il me faut du temps.

Je soupire en entendant les explications qu'Azel m'offre. J'aurais bien entendu préférer entendre que tout pouvait devenir plus simple ; j'aurais préféré pouvoir croire qu'il y avait une chance, même minime, que tout ne soit guère aussi ardu. Cependant, il me faut serrer les dents et accepter la situation, aussi problématique et incroyablement difficile soit-elle. J'imagine que l'impatience ne pourra guère être mon alliée.

- Soit. Vous disposez de tout le temps dont vous aurez besoin, Mademoiselle Jones.

L'attente me consume, mais l'ignorance et la perte du secret à jamais sont des perspectives bien plus terribles.

- Néanmoins, vous et moi allons nous rendre sur Paradis, et tenter d'éclaircir le mystère de ces trois jeunes filles brûlées vives. J'ose croire que nous avons peut-être enfin trouver la trace de ma Jayn. Avez-vous besoin de matériel particulier pour oeuvrer sur place ?

Enfin, la capitaine est raisonnable et arrête de me presser. Elle croit que ça se passe comment ? Que je peux tout faire depuis l'espace ? Faudra que je lui explique un jour, comment ça marche, tout ça... Enfin, au moins, elle devient enfin raisonnable. Et elle est enfin encline à tomber dans mon petit jeu.
Et nous allons aller sur Paradis.

- Nous n'avons pas le choix, si nous voulons avoir de plus amples informations. Et j'espère sincèrement que nous trouverons enfin la trace de votre fille, que mes recherches mènent enfin à quelque chose de concret. J'ai bon espoir.

Je lui offre alors un sourire, je m'amuse beaucoup. La pauvre femme.

- J'ai tout le matériel qu'il me faut, sur place, mon HCom suffira. Je ferais quelques dernières recherches depuis le vaisseau, lorsque je me serais connectée au réseau, sur Paradis. Mon HCom est puissant, mais j'avoue que les ordinateurs du vaisseau sont pas mal non plus dans leur genre, depuis ces dernières années.

J'acquiesce, pourtant je ne m'avoue guère entièrement satisfaite. Azel semble avoir bon espoir d'enfin avoir retrouver la trace de ma fille, mais je ne souhaite nullement investir trop d'espoir en cette nouvelle trouvaille avant d'avoir davantage de preuves. Trop souvent, mes illusions ont été brisées, et la douleur de la chute ne cesse de s'accroître.

- Soit. Nous devrions arriver à destination d'ici quatre jours. J'attends de vous que vous soyez prête à débarquer à l'instant où le Némésis ouvrira ses portes.

Et sans ajouter le moindre mot, je tourne les talons et m'engouffre dans l'un des nombreux couloir du vaisseau.

***

Le trajet effectué jusqu'à Paradis me semble interminable. Les journées sont longues, et bien que je n'ai pas la moindre seconde à m'accorder, mes pensées divergent immanquablement jusqu'à Jayn ; et toutes les fois que cela se produit, je sens mon coeur battre un peu plus fort. Où que tu sois mon ange, j'arrive.

***

Enfin, nous arrivons. Parfaitement apprêtée, je m'engage à grandes enjambées dans les couloirs du Némésis, afin de rejoindre une des sorties principales. J'ai la plus grande difficulté à demeurer maître de moi-même et à dissimuler la nervosité qui menace de s'emparer de mon être. Pourtant, je ne laisse rien paraître. Personne ne saura la raison de notre venue à Paradis ; personne ne saura à quel point un nouvel échec pourrait m'abattre. J'inspire. Me voilà parée.

Le vaisseau arrive enfin jusqu'à Paradis. Et moi, je sautille presque sur place, dans ma cabine. J'enfile vite mon pantalon, saute dans ma veste militaire toujours trop grande pour moi. Je retrousse mes manches pour faire apparaître mes mains et je met mon HCom en place, lunettes en poche. Je suis parée. J'ai pu faire mes dernières recherches et autres falsifications dès notre arrivée dans la zone de Paradis.

Et le sourire étiré sur mes lèvres, je sors de ma cabine en trombe et trottine dans les couloirs. Il va falloir que je sois bien plus maligne que d'habitude, aujourd'hui certaines de mes variables sont bien trop instables. Je dois compter sur les témoignages d'inconnus. Ils peuvent détruire mes plans autant qu'ils peuvent les rendre plus intéressants pour moi. Alors prudence est de mise si je veux jouer longtemps. Et je le veux, jouer !

J'arrive vers le point de rendez-vous convenu et me pose en tailleur sur le sol, pour attendre la capitaine Alvarez. Je commence alors par me faire une tresse, langue de concentration sortie sur ma lèvre inférieure. Et j'attend.

Je ne tarde nullement à retrouver Azel ; elle est parée à partir en mission avec moi, et je note avec une satisfaction certaine qu'elle a eu le bon sens de ne guère me faire attendre. Cela aurait été fort mal venu de sa part, et il ne fait nul doute qu'un tel affront m'aurait ôté l'envie de faire marque de toute sympathie à son égard. Malgré le service qu'elle me rend, il ne faut guère négliger l'honneur que je lui ai moi-même offert en lui octroyant une place sur le Némésis.

- Bien. Je vous suis, mademoiselle Jones.

Comme souvent lors d'escapades, j'ai insisté pour demeurer seule, sans autre garde du corps ou personnel autour de ma personne. Au regard de la situation, j'ai également annoncé à Jillian qu'elle ne m'accompagnerait guère. Il est de plus en plus rare de ne pas être en sa compagnie, néanmoins, elle n'a nullement besoin de savoir. Ainsi, Azel et moi sortons, seules. Au fil des ruelles qui défilent, mon sourire se voile pour ne conserver que l'intense réflexion qui bouillonne en mon sein. J'en viens à penser à voix haute, indifférente à la présence pourtant peu discrète d'Azel.

- Il m'est difficile d'envisager que ma Jayn ait pu vivre dans de tels endroits, si loin de l'espace et de ses merveilles.

La capitaine arrive enfin, c'est pas trop tôt. Je m'impatientais presque! Mais je vais garder mon sourire de mesure et faire face à cette femme que je hais. Alors, je me lève et prend la tête de ce duo improbable, sortant du vaisseau, mains dans les poches. Et nous marchons, tentant de passer inaperçues dans les rues. Fort heureusement, la capitaine n'a pas ramené de garde personnelle dans mes pattes. Ce serait l'instant rêvé pour ma vengeance... Seules, toutes les deux. Je dois avouer me sentir tentée. Seulement, certains hommes d'équipage nous ont vues sortir toutes les deux. Ils pourraient douter de moi. Quoique, je suis tellement frêle que l'on ne pourrait pas même croire que j'ai pu faire quoique ce soit à leur merveilleux capitaine.

Jezabel brise le silence. Je ne ressens pas la moindre envie de répondre. L'entendre parler de moi, essayer de m'aimer, ça me dégoute. L'idée même qu'elle pense me connaître, savoir ce qui aurait été bien pour moi me donne envie de vomir. Elle m'a abandonnée. Dès cet instant, elle n'a plus eu le droit de se préoccuper de ce qui aurait pu être ma vie, de ce que j'aurais aimé.

Et on avance discrètement.

Nous arpentons les rues de Paradis, une atmosphère si lourde pesant sur nos épaules. Je la sens, Jezabel, penser. J'entend le moindre rouage de son esprit à la quête du moindre souffle de vie de sa fille morte. Et moi je ris, je suis en vie. Bien là, devant elle, à la trainer dans des rues, à la faire tourner en bourrique. Et je ris.
Soudain, nous arrivons à l'angle d'une rue. Et je m'arrête. Je relève mes yeux vers le bâtiment qui se dresse devant nous. Là, plusieurs années auparavant, se dressait une taverne. Aujourd'hui, les dieux seuls savent de quoi il s'agit. Et la femme que je traine va bien assez vite le savoir. Moi, je sais.
Je me retourne vers elle, visage neutre.

- Oui, il s'agit du bon bâtiment. La taverne dont je vous ai parlé, enfin, l'endroit où elle aurait dû se trouver.

Je disparait quelques instants pour laisser la grande blonde observer le lieux où sa fille aurait perdu la vie. Je me retiens de sourire, je prend un air doux, altruiste. Je fais semblant d'être attristée par la vision d'une mère regardant la tombe de sa fille.
Il n'en est rien. Seulement, je mens à l'instar de respirer. Et je reste en retrait le temps que Jezabel sorte de son mutisme.

J'observe le grand bâtiment avec émotion. Mon visage demeure neutre, mon être tout entier droit et fier, cependant, je suis dans l'obligation de prendre une grande inspiration pour parvenir à contrôler mes émois. S'il avait été une taverne autrefois, il n'en était plus rien aujourd'hui. Néanmoins, nul ne peut encore prétendre qu'il ne nous livrera pas ses plus tristes secrets. Si c'est bien là que ma Jayn est décédée, je pourrais sans mal retrouver sa tombe dans le cimetière le plus proche ; c'est certain. Ignorant l'identité qu'elle avait lorsqu'elle nous a quitté, je ne puis guère me contenter de parcourir les tombes à la recherche de son nom, de son visage, d'un élément lui ayant appartenu.

Le regard compatissant d'Azel m'agace et m'apaise tout à la fois. Je lui suis reconnaissante pour l'aide précieuse qu'elle m'apporter, mais nos échecs répétés me sont insupportables. J'ai mis en elle une confiance démesurée, un fol espoir qui me transperce pour mieux renaître à chacune de mes déceptions.

- Entrons. Si ces gens ont la moindre information quant au drame, je veux les entendre. Quant à vous, dites-moi de quoi vous nécessitez pour faire progresser vos investigations, et je m'arrangerai aussitôt pour qu'il vous soit possible d'y accéder.

Le silence s'éternise, mon nez me gratte. Distraitement, je le satisfais, ma narine est soulagée. Et soudain, la capitaine sort de son mutisme, de sa demi-contemplation. Ses pensées semblant irrémédiablement préoccupées par toute cette histoire de fille disparue. Elle me met parfois le doute sur ses intentions, seulement, je n'ai pas la moindre envie de me faire avoir. Alors je ne reste pas dupe longtemps. Je campe sur mes positions, mes impressions. Cette femme est mauvaise. Elle le sera toujours.
Je sors à mon tour de mon esprit sucré, prend la tête de notre duo improbable et entre dans le bâtiment.

- Je n'ai besoin rien de plus que du réseau, il me manque cruellement lorsque nous sommes dans l'espace.

Ma main glisse dans ma poche, j'en sors mon HCom et commence à taper distraitement dessus, à la conquête de mes derniers stratagèmes.

- Je vais faire mes dernières recherches en même temps que nous serons ici, je sais ce qu'il me reste à faire.

Mettre mes plans au clair pour vous embrouiller et m'amuser un peu.

Les deux femmes sont entrées dans le bâtiment, devenu une sorte de magasin de thé et d'épices. Reconversion plutôt sympathique, lorsque l'on pense qu'il s'agissait, avant l'incendie, d'une énième taverne alors que la ville en compte déjà bien trop.
Un jeune homme s'approche alors d'elles, se présente.

- Bienvenue mesdames, que puis-je pour vous?

Je ne passe pas par quatre chemins.

- Nous souhaitions vous poser quelques questions à propos d'un incendie.

Je demeure droite, la tête haute, ce même sempiternel sourire hautain sur mes lèvres. Nous entrons sans que je n'ajoute quoi que ce soit ; la confiance que j'ai su placer en Mademoiselle Jones m'ôte jusqu'à l'envie de me poser la moindre question quant à son savoir. Il surpasse le mien en ce domaine. Cependant, je n'apprécie que peu qu'elle prenne la parole avant moi-même, et si je ne décèle aucune mauvaise intention dans ses actes ni ses propos, mes sourcils se froncent une fraction de seconde. Je me positionne légèrement en avant d'elle.

- Bonjour, Monsieur. Comme vous l'a dit la jeune personne qui m'accompagne, nous avons ouï dire qu'un terrible incendie avait ravagé votre établissement, il y a de cela une quinzaine d'années.

A ces dires, l'homme affiche un sourire désolé.

- Je suis désolé mesdames, mais je n'ai jamais entendu parler de cet incendie.

La nouvelle me laisse sans voix pendant un court instant.

- Lorsque cet établissement a été racheté, n'était-il point détruit ? N'y a-t-il donc guère de propriétaire à qui l'on pourrait parler ?

L'homme secoue la tête, l'air sincèrement navré.

- Celui à qui mon grand-père a racheté l'établissement est mort il y a des années. On ne peut pas vous aider, désolé.

Je n'attend pas une seconde. Il me faut une information, quelque chose, sans lequel Jezabel aura un doute sur mes capacités à lui venir en aide. Elle se détournera et je n'aurais plus la moindre main mise sur ses recherches. Malgré que je sois persuadée qu'elle ne puisse jamais me retrouver, il me faut être au plus proche de ses recherches. Garder ses amis proches, ses ennemis bien plus encore. Elle doit me croire de son côté. Elle doit croire à une jeune gamine écervelée qui ne pense qu'à son informatique.
Il me faut rester sa principale source d'informations à propos de sa fille. Alors, je réagis sans même me préoccuper de la réaction de la capitaine.

-Vous souvenez-vous du nom de cet homme?

Je sors mon HCom, mes doigts semblent courir sur les touches, presque invisibles.

-Je...

Le jeune homme, je crois qu'il doit avoir à peine vingt ans, se tourne vers un homme au fond de la salle, assis à une table, un jeu de cartes devant ses yeux.

-Grand-père, tu t'souviens du nom de l'ancien propriétaire?

-Mmmh? J'sais plus, gamin. Un truc comme Ginger...

-Dinger! C'est ça, Clark Dinger.

Je me détourne d'eux sans la moindre cérémonie, que la capitaine s'en occupe. J'ai autre chose à faire. Mes doigts se précipitent sur les touches, je commence à creuser au fin fond du net. Quelque chose. Pour une fois, je ne feins pas. Il y a bien eu des morts dans cet incendie. N'importe quelle histoire fera l'affaire.

Je suis satisfaite de l'efficacité avec laquelle Mademoiselle Jones semble rebondir sur les maigres informations qui nous sont offertes. Je remarque du coin de l'oeil qu'elle s'affaire sur son matériel ; très rapidement, je me concentre sur l'homme âgé qui est assis dans un coin de la pièce.

- Qu'en est-il de vous, Monsieur ? N'avez-vous donc aucune information quant à cet incendie ?

Le grand-père soupire, visiblement agacé.

- Non ma p'tite dame, j'en sais foutrement rien.

Je sens brusquement que l'agacement monte en moi ; je pourrais bel et bien embrocher cet homme-là et son imprudence, sans la moindre cérémonie. Néanmoins, je me contiens. Je m'approche lentement de lui, mettant en avant mes armes pour qu'il comprenne que ce n'est guère une bonne idée que de me provoquer.

- Pardonnez mon insistance, Monsieur ; néanmoins, je ne saurais me contenter d'une réponse si peu consistante.

L'homme relève enfin la tête et fixe un instant mon visage et mes épées. Il blêmit. Peut-être a-t-il enfin recouvré la raison.

- Hmm... Maintenant qu'vous l'dites... Y s'pourrait bien qu'on ait entendu parlé d'cet incendie là, oui... C'était y a pas mal d'années, ma mémoire me fait défaut. Y a eu des victimes, si j'me souviens bien...

Je retrouve mon sourire, satisfaite par ce début de réponse. Sans me retourner, je questionne ma hackeuse quant à l'avancée de ses recherches.

- Mademoiselle Jones ?

Mes doigts courent sur le clavier, je cherche un nom, quelque chose. Dans le moindre petit article, le moindre registre, je crack des codes de sécurité pour avoir accès à certaines listes, sans trop me mettre en danger. Faudrait pas cracker quelque chose qui alerterait une quelconque autorité. Pas que quelqu'un soit réellement capable de me retrouver, personne ne le peut. Je suis la meilleure, c'est tout. Vous en doutez ? Je m'en fiche. J'suis la meilleure.
Et en ces termes, je trouve toujours ce que je cherche. Et enfin, je trouve. Un nom, une adresse. Et mon sourire s'élargit vite. Je l'efface lorsque je me retourne vers la Capitaine, qui me questionne, elle-même toujours tournée vers le vieillard.

- J'ai un nom, une adresse. Peut-être un proche, j'en suis convaincue.

Lorsqu'Azel me confie qu'elle a une information en sa possession, je ressens une étrange vague de soulagement me submerger. Ma pire crainte est à l'évidence qu'aucun indice ne se présente à nous ; le vide, voilà un élément capable de provoquer en moi quelqu'insécurité malvenue. Il est bien à l'évidence préférable pour Mademoiselle Jones qu'elle soit capable de m'apporter ce que je désire ; je ne supporte que très mal l'incompétence, et si j'ouvre volontiers les portes de mon vaisseau aux hommes les plus déséquilibrés de la galaxie, je ne tolère en aucun cas la médiocrité.

- Parfait. Je vous remercie pour votre aide, messieurs.

Je dissimule au mieux l'ironie qui teinte mes propos, et tourne les talons pour faire face à Azel.

- Sortons d'ici.

Sans attendre sa réponse, je me dirige vers l'extérieur, droite, fière mais non moins bouleversée.

- Où nous mènent les informations que vous possédez, Mademoiselle Jones ?

Je la suis, cette égocentrique, à l'extérieur du bâtiment, nous laissons les deux hommes à leurs médiocres vies. Quelle actrice, cette femme. Ce port de tête si droit, cette attitude si fière. Elle me dégoute. Je pourrais, là, me venger. Alors qu'elle a le dos tourné, qu'elle pense m'avoir de son côté. Seulement, ce serait trop simple. Trop rapide. M'a-t-elle seulement donné la moindre chance lorsqu'elle m'a abandonnée ? Jamais. Et j'ai souffert à cause d'elle, abandonnée aux griffes d'un homme abominable, d'une mère incapable. D'une soeur détestable.
Je veux la voir cruellement souffrir, cette mère qui me tourne le dos.

Je m'avance à sa hauteur, un air enfantin sur le visage, de celui qui ne nous fait craindre celui qui le porte.

- A cette adresse, capitaine. Il s'agit d'une jeune femme d'une trentaine d'années, elle vit avec un homme qui, d'après un certificat de mariage que j'ai déniché, est son époux. C'est la femme qui nous intéresse. La petite-fille de l'ancien propriétaire du bâtiment.