Parfaire [Reilin & Poppy]

Les humaines ont toujours aimées avoir de beaux objets, s'en occuper de façon à en être fières. Personne ne se contente d'avoir un vaisseau spatial, elle faut qu'elle rajoute un grigris ici, un coup de peinture là ou modifier les courbes du véhicule. C'est ainsi tout à fait naturellement que les humaines en font de même avec leurs cyberwares. A défaut de tatouages ou de piercings, on y fait de la peinture, des ajouts ou des retraits de matière.

Le fablab de Hope préexistait à mon arrivée, mais en toute modestie, c'est quand même plus la même chose depuis que j'y suis !
Même si j'ai pas trop trop la fibre artistique, j'suis quand même badass en pimpage de cyberware. J'le fait gratos, mais je prends volontiers les pourboires, ça me fait quand même pas mal de pub et surtout j'trouve important de pouvoir être à l'aise avec son corps qu'il soit organique ou électromécanique. Si j'ai très vite été à mon aise avec mes implants, j'ai mit du temps à trouver une apparence qui me satisfasse vraiment et qui me rende fière de mon corps. Que ce soit la courbe un peu musclée de mes bras, le revêtement chromé ou le niveau de luminosité de mes yeux, la couleur entre cyan et azur ou l'effet de fractale quand j'opère un zoom. Tout ça j'ai mit du temps à comprendre ce qui était possible, encore plus à comprendre ce qui me plaisait.

On est installées dans c'qui ressemble à un garage, les treuils de levage en moins. Avec des découpeuses à métal, des polisseuses, imprimantes 3D, un coin peinture, un autre de gravure... ça sent l'huile, le métal chaud, la sueur, le café et les biscuits.

J'aime bien passer du temps ici, pas mal de monde vient me demander des conseils, meuf ou mec, pour faire telle ou telle modif. De temps en temps je fais aussi des présentations sur des modèles, avec l'aval de Fushi, j'fais pas non plus ça en freestyle non plus. Toutefois on parle que de mécanique ici, pas de biologie, de biocompatibilité, ni des opérations d'implantation, ça je le garde dans ma clinique.

Je terminais de remonter le bras d'un mec quand July est venue me dire qu'une meuf voulait me voir, ou en tout cas demandait quelques conseils et éclairages, peut-être un coup de main pour l'aider à faire ce qu'elle voulait. Une meuf pâlotte aux cheveux sombre et raide, Poppy son nom.

Je fini de rebrancher les nerfs et je confie la suite à July. J'essuie la graisse sur la serviette balancée sur mon épaule. Ch'suis en débardeur couleur jaune canari, un pantalon large en tissu gris sombre, les cheveux maintenu en arrière avec une pince.

- Yo ! Ch'uis Alexis, c'est toi Poppy ? Dis-je en tendant un poing vers elle, habituée à checker en guise de salut.

Depuis mon adolescence, j'ai l'habitude de me présenter en donnant mon nom de famille. C'est une habitude qu'on prend souvent quand toute sa famille est dans l'armée. Ma mère appelait ses subalternes par leur nom, jamais par leur prénom. Et à l'armée, c'était toujours Woodward-ceci, Woodward-cela. Même à mon arrivée au Nemesis, j'ai eu tendance à me présenter simplement comme "Woodward". La seule exception, c'était Trevor, et son "Pops". Mais ce soir, j'ai préféré éviter de dévoiler mon nom de famille, pour éviter qu'on me relie trop facilement au Nemesis. Et mon propre prénom me paraissait désigner quelqu'un d'autre.

Ma prothèse fait pâle figure à côté des autres bras cyber qui m'entourent. Mais c'est aussi pour ça que je suis ici: embellir un peu mon modèle ultra basique du plan d'assurance OniCorps.
La femme à qui je me suis adressée part chercher quelqu'un d'autre, après avoir ri en lisant le "Smash the faction and have a nice day" inscrit sur mon tee-shirt. Ce n'est pas elle qui revient, mais une femme aux yeux lumineux, au sens propre du terme. Elle est plutôt jolie. On dirait que j'ai de la chance!

Oui c'est bien moi. Enchantée Alexis!
Mon poing métallique tinte légèrement contre le sien lorsque je lui rends son "check".
Je suis juste venue voir comment customiser un peu mon bras, lui dis-je. Et aussi voir ce qu'on peut faire pour le cran de sécurité des lames. Il fonctionne, mais je le trouve pas pratique

La meuf présente bien, en tout cas j'aime bien son t-shirt, je suppose qu'on va bien s'entendre. J'écoute ce qu'elle a à dire, c'est souvent la même chose, mais on sait jamais. J'affiche un grand sourire quand elle répond à mon check sans trop hésiter.

- Cool comme projet ! Lui répondis-je immédiatement. Une lame intégrée ? Wow, on en a pas souvent par ici. Ch'uis sûre qu'on va pouvoir trouver des trucs à faire.

J'lui fais signe de me suivre, on entre dans l'atelier, j'lui propose une place dans un vieux canapé qu'on a récupéré, il est tout défoncé, mais confortable.

- Alors qu'est-ce que tu veux exactement ? Des conseils ? De l'aide pour le faire ? On peut s'en charger totalement, mais du coup on te demandera une participation financière, au moins pour les consommables utilisés.

Elle y a une huitaine de personne à graviter dans l'atelier, globalement, tout le monde est en train de peindre, graver, visser ou poncer des trucs. Mec, meuf ou autre, il y a une ambiance plutôt safe et bienveillante.

L'atelier est tapissé de vieilles affiches de pub ou de propagande. Entassées ainsi, ça prenait vraiment une tournure artistique ou humoristique que politique.

L'atelier a une allure qui me plaît. J'avais peur de tomber sur un repaire de "Fushi", avec une déco clinquante, des vendeurs en guise d'animateurs et des cafetières hi-tech qui distillent du jus de chaussettes d'artilleur du Nemesis et le facturent au prix d'une huile essentielle de truffe de Paradis. Mais heureusement, l'ambiance est plus proche du local associatif. Je m'écroule dans le canapé qui ne paie pas de mine, et retire la manche droite de mon sweater pour révéler ma prothèse.

En fait, sur le modèle basique, ils ont foutu le cran un peu trop proche du coude. C'est par pratique pour l'enclencher ou le déclencher, et surtout ça se prend un peu tous les obstacles possibles. Je l'ai déjà pété plusieurs fois
Je le désactive, et effectue le petit mouvement saccadé pour faire sortir les lames de leur fourreau.
C'est des lames très courtes, pour écorcher plutôt que pour transpercer ou autre chose. Mais bon, c'est pas pratique pour serrer des mains, donc le cran de sécurité, c'est...ben, c'est important

Un bruit strident de ponceuse me fait grincer les dents. Je savais que c'était une bonne idée de ne pas amener Rovert avec moi.
Je pensais faire ça moi-même, avec de l'aide car je suis pas du tout bricoleuse. Sauf peut-être pour les modifs esthétiques que j'avais en tête. Mon ancien bras était tatoué, je...pensais faire une sorte de tattoo gravé dans le métal. Mais je sais pas dessiner non plus

Je hoche la tête pour confirmer ses dires, après tout les modèles qui intègrent un cran d'arrêt manuel sont rarement si pratique que ça, même si ça rassure bien leurs utilisateurs.

- J'vois l'délire. On a du beau monde pour faire de jolis trucs ici, faudra juste que tu nous fasses un dessin approximatif qu'on améliorera, on a des algorithmes de folie pour gérer ça !

- Tu permets ? Demandais-je en tendant la main vers sa propre main mécanisée. J'ai encore deux questions : Quel est ton bras directeur ? Et est-ce que tu as déjà débranché ton bras ? Parce que ce sera plus simple de faire ça pour travailler dessus. Plus simple, mais pas obligatoire.

J'irai pas jusqu'à dire que c'est traumatisant, mais très fortement désagréable quand même. Se faire retirer un bras, ou une jambe, c'est comme se faire amputer d'un coup, avec toute fois la certitude que le membre reviendra vite et en l'ayant sous le nez, inerte.

Ça me rappelle c'te grande meuf blonde, qui avait eu un problème de réglage sur son bras gauche. Elle avait insisté pour voir les tests que j'effectuais sur son bras. Elle avait tourné un peu de l’œil quand son bras, détaché d'elle, bougeait tout seul alors que je lançais les batteries de test.

Je lui tends ma main. Son bras cybernétique aux muscles finement dessinés font ressembler ma propre prothèse à un prototype. Cependant, je m'interroge sur la solidité de ses augmentations. Mon bras a tenu le choc face à plusieurs bagarres, des rixes de tavernes et même une tentative d'abordage à l'époque où je naviguais pour ce corsaire à la noix. Ses augmentations résisteraient-elles à ce type d'utilisation?

C'est justement celui-ci, mon bras directeur. J'suis droitière.

Ouais. Quelle originalité! Et même pas ambidextre. Quoique je suis certaine que Good Pops pourrait le devenir, en s'entraînant d'arrache-pied sans dormir pendant trois semaines. C'est à cause de ce genre de conneries que je suis contente qu'elle ne se soit pas manifestée aujourd'hui. L'autre non plus. Pour une fois que mes médocs fonctionnent à peu près correctement...

La dernière fois que je l'ai débranché...
Tiens, c'était quand? Il me semble que la dernière fois que mon cran a été réparé, mon bras était resté attaché.
Euh...ça date pas mal! J'étais encore dans l'armée, c'est dire...On peut essayer de le débrancher, ceci dit. Par contre je préfère prévenir: la peau qui entoure l'articulation est toute cramée, c'est assez moche!

J'en ris, un peu nerveusement. J'ai gardé cette manie militaire de toujours fanfaronner avec ses blessures. Celles-ci n'ont pourtant pas de quoi inspirer de fierté. Mais c'est quand même des blessures de guerre. Les stigmates de mon combat épique avec Sad Pops.

- Oh ! C'est ballot, mais bon, pas trop le choix.

Mes yeux se mirent alors à luire plus qu'habituellement, conséquence de l'activation de mon IV et des protocoles de scan. Détaillant chaque irrégularité sur le bras mécanique, ou dans la chair de Poppy, j'établissais un diagnostique de plus en plus précis de son utilisation et des éventuels problèmes qui pourraient se produire au court de l'intervention.

- Oh t'sais, un peu de peau brulée ne m'fera pas tourner de l’œil. Quand je dis ça, quelques sourires naissent dans l'assemblée. C'est moi qui ai, pour pas mal d'entre-elles, procédé à l'ablation et l'extraction des membres et organes. Lui dis-je avec un clin d'oeil.

Sans trop prévenir, les doigts de la main gauche éclatent en de multiples outils fins, précis et véloces. Tenant toujours son bras de mon autre main, celui-ci est agité de moins en moins de mouvements et dans une série de cliquetis, se décroche soudainement de l'épaule de sa propriétaire. Je sens la présence de quelqu'un à côté de moi. Aussi je dis par-dessus mon épaule :

- Tu peux m'tenir ça pendant que je l’ausculte ? Mais alors que je dis ça, je reconnais du coin de l’œil quelque un reflet qui me parle et que je n'avais pas vu depuis un bail.

- Reilin ? C'est bien toi ? Dis-je en reportant un peu de mon attention sur elle, tenant toutes les deux le bras débranché de Poppy.

" Si Docteur. " répondit la géante, les bras croisés sur son long manteau, " Enfin, dans l'ensemble. J'ai fait deux réarrangements génétiques depuis. Donc j'imagine que c'est philosophiquement ouvert, comme question... Je pensais que j'aurais du mal à vous trouver, mais ... Je suis positivement surprise. "

Elle tourna le regard vers le reste du fablab, jaugeant l'état du local et la situation du bâtiment. Il était loin, le temps où Reilin faisait régulièrement le voyage vers Valenos.

" Dorado a l'air de bien vous réussir, Docteur. "

Ses yeux vinrent ensuite se poser sur le bras séparé, la trousse à outils qui servait de main à la chirurgienne et le moignon mécanique qui ornait le flanc de sa patiente, et Reilin laissa échapper en détournant le regard.

" J'avais besoin de l'aide d'une pro tugut. " continua-t-elle, " Consultation. J'ai des passages à quelques centièmes de lag, mais vu la qualité de mes bras, je voulais pas le laisser à un charcudoc local. "

Ce n'est qu'arrivé à ce stade la conversation que l'ancienne de la Teleraña se rendit compte qu'elle avait complètement oublié d'adresser la patiente au bras manquant. Manque de tact total.

Correction de trajectoire à 180 degrés.

" Oh, Excusez-moi. Reilin Elizaveta Otomo-Nata de Faxecura. Je suis une ancienne cliente du Docteur Calvin. " Elle tendit son bras droit hors-de-prix, de nacre et d'or, pour faire les présentations et corriger son erreur, avec un sourire resplendissant de princesse. " Enchantée. "

Ouais, ben, ils disent toujours ça les toubibs. "C'est rien, j'en ai vu d'autres", blablabla...Et puis ils voient mes brûlures et ouvrent des yeux comme des billes. Heureusement, Alexis a l'air de s'en foutre. Excellent point pour elle.

Mon bras se détache, et mon coeur loupe un battement le temps que mon schéma corporel se reconstitue. C'est une sensation bizarre, un peu comme un shot de tord-boyaux qui brûle la gorge avant de passer dans le sang. Mais la voilà qui file mon bras à quelqu'un. J'aime pas qu'on me touche, même quand c'est mon bras démembré. Je me retourne pour le reprendre, et balancer quelques insultes.

Des insultes qui se désintègrent lorsque je vois la femme en question. En fait, mes pensées se désintègrent, remplacées par quatre mots. Sa. Mère. La. Supernova!

Je ne me souviens pas avoir vu de nana aussi canon. Elle doit être holographique, c'est pas possible autrement. Les gens ne sont jamais aussi attirants d'habitude. Même son accent est sexy! Woodward, évite de baver...

Je ne bave pas, mais je souris. Et je ne lui en veux même pas d'avoir touché mon bras, ni de l'avoir laissé tomber. Ni d'avoir un nom super long que je ne retiendrai jamais.
Poppy!, je lui dis en voulant lui serrer la main, mais seul mon moignon remue sur mon épaule. Mes amis m'appellent Pops
Je tends mon poing gauche pour un check, sans la quitter des yeux. Et elle sent le jasmin, en plus...Woah!

Je vois Poppy commencer à dévorer Reilin des yeux, vrai qu'elle est belle, mais une fois passé sous mes instruments, j'ai tendance à les considérer comme ma patientelle, et on ne séduit ou ne se laisse pas séduire par sa patientelle, c'est toujours un tas d'emmerde sinon !

- Tes lags, c'est ta déduction ou t'as fait des relevés et mesures ? On rigole pas avec ce genre de subtilité, surtout quand on parle de mon travail. Ces deux bras sont de petites œuvres d'art, sans même parler de l'apparence. Si j'avais quelques centièmes de lags dans mes instruments, j'me considèrerais pas digne d'être cyberchirurgienne.

Je ramasse le bras tombé par terre, lançant un regard entendu à la géante. Le cyberware, ça rigole pas avec moi.

- Depuis le temps, t'as toujours pas résolu c'te phobie ?! Y'a pas que les bras à optimiser, mais ça j'n'y peux rien ! Dis-je en riant. J'vais d'abord m'occuper du bras de Pops, ensuite j'm'occupe de ton affaire. Venez. Dis-je donnant à Pops son bras inanimé.

J'me dirige vers un établi, avec une palanquée d'outils, plus ou moins complexes, dont je connais chaque nom et chaque application, mais dont je n'ai plus l'usage depuis des années grâce à mes cybers. J'me laisse tomber sur l'une des chaises tournantes attablée.

- Comme tu l'as dit Reilin, ch'suis pas trop mal ici. Pourquoi t'es venue te perdre en Dorado toi ? J'enchaine en me sortant une clope, j'en propose aux deux meufs avant d'allumer la mienne.

" Popsch, eh ? " répéta l'étrangère, les yeux dans les yeux, avec son accent d'outre-espace, " On m'appelle souvent Rei. "

Ses iris dorées vinrent ensuite trouver le poing gauche tendu, et remontèrent le long du bras pour trouver le début de quelques cicatrices s'échappant de la manche. Curieux. Probablement une combattante.  Le bras gauche de Reilin vint trouver son poignet pour le secouer délicatement, alors que ses yeux assortis retournèrent se plonger dans les sombres orbites de cette Poppy. Elle ne s'était aucunement séparée de cette franche amabilité - un brin pédante si l'on considérait ses manières -.

Un petit rire charmant s'échappa ensuite quand elle remarqua l'inscription sur son t-shirt.

" Métexeng kori mi efa " lâcha-t-elle sur un ton admiratif, avec un clin d’œil et une tape amicale sur l'épaule.

Retour sur le docteur Calvin, qu'elle avait snobé. Elle lui adresse un curieux regard, le bras baladeur dans la main.

" C'est un inconfort, pas une phobie. " réagit Reilin, revenant à son prosaïsme autistique au sourire et à l'amabilité minimale, " J'évite si je peux, mais je fais si je dois. Comme Lester Nivisha dans "Le Jour de l'Empereur". "

En la suivant, elle leva un bras qu'elle pointa en direction des yeux du docteur, des circuits s'illuminant dans la paume. Transfert de diagnostic direct depuis le cyberware. Elle pourrait juger du lag en voyant les rapports par elle-même.

" Reconversion professionnelle. " enchaîna-t-elle ensuite en refusant négligemment la cigarette, " Tyrion était devenue trop oppressante après mon licenciement. "

Je hausse un sourcil lorsqu'elle me serre le poignet comme elle m'aurait serré la main, mais mon sourire idiot reste fixé sur mon visage. En revanche, il prend un peu de plasma dans les propulseurs lorsque je me rends compte qu'elle a vu mes cicatrices. Bon, heureusement, les plaies les plus récentes sont plus haut sur mon bras. Au pire elle pensera que j'ai un chat, ou un de ces kihitrucs de Renaissance...

Quand Alexis me tend mon bras, j'ai à nouveau le réflexe de le saisir de ma main droite qui n'est plus assemblée au reste de mon corps. Et quand Rei me répond un truc que je ne comprends pas, je réponds "pareillement!" toujours par réflexe. Mes réflexes sont des connards. Mais je suis avec deux nanas super jolies, dont une qui sent le jasmin. J'y survivrai.

Je refuse poliment la clope. J'échappe un "wow!" lorsque Rei transfère ses données directement dans la tête d'Alexis.
Quand j'aurai mis des crédits de côté, expliqué-je, en agitant machinalement mon bras détaché dans la main naturelle, je passerai par chez toi, Alexis, pour mes yeux ou de la mémoire. Pour mon taf de navigatrice, ça sera utile!
Je me retourne légèrement vers Rei. Sa mère la Supernova...
D'ailleurs, y'a pas une étoile qui s'appelle 'Rei' quelque part?
Non mais écoute toi, Woodward! On dirait Raoule la Poule Maboule qui a fumé du nari. J'espère que je ne suis pas aussi con quand Good Pops me contrôle...

- Si tu l'dis Rei ! Ch'uis pas psy, mais j'reste convaincue que c'est phobique son truc, juste compensée par son égo.

J'suis une peu surprise quand elle tend son doigt vers mon visage, mais suis positivement surprise quand elle active la synchro ! Enfin une cliente qui se souvient et utilise les interfaces que je leur installe ! C'quand même bien plus pratique.

Au "Wow" de Pops, je réponds d'un clin d'oeil :
- Quand on me donne les moyens de bien faire mon taf, je lésine pas sur les trucs stylés ! Bien naturellement, Pops veut continuer à se faire augmenter, après tout, qui de raisonnable ne le voudrait pas ? Pas de problème Pops, j'te trouverai une date de rendez-vous, on pourra en discuter au calme.

Navigatrice, hein ? Faudra que j'demande à Logan ou à Thadd s'ils connaitraient pas c'te Poppy, à tout hasard, que j'me fasse une idée de qui circule là haut. J'pourrais aussi demander à M'dame Alvarez, maiiis... nan, mauvaise idée, l'est trop parano.

J'observe la scène qui se déroule devant mes yeux pendant que mon IV traite les données, affichant le pourcentage en surbrillance sur mes rétines. C'est l'une des tentatives de drague la plus ridicule et clichée que j'ai eu l'occasion de voir et d'entendre. J'tourne pudiquement le dos à Poppy avant d'éclater de rire. J'essaie de me soutenir à une table, mais attrape l'extrémité d'une plaque, faisant voler les pièces et outils posés dessus :

- Oh merde ! M'écriais-je en commençant à ramasser, toujours secouée par mon fou rire.

" Hmm-hmm. Elle est bonne. " confirma la géante en retirant sa main. " La seule que j'ai laissé me toucher, pour les bras. "

Le domaine de l'augmentation humaine était large, mais on pouvait être assuré que Reilin l'avait parcouru en long et en large, par perfectionnisme autant que par vanité. Elle avait eu des dossiers sur tout les plus grands chirurgiens et plasticiens de l'UC, fut un temps, pour s'assurer de ne pas se faire travailler par des bouchers. La Plaga avait toujours rechigné à se faire toucher par n'importe qui.

Elle observa l'échange en entreprenant de retirer son long manteau. L'imposante couverture beige céda la place à un charmant col roulé près du corps, anthracite et sans manche, exposant avec attrait l'intégralité de ses appendices de nacre couverts d'arabesques dorées. La détente avec lequel elle vint s'appuyer contre une table avec grâce apporta un caractère surréaliste à la scène, comme si Reilin tournait un clip publicitaire minimaliste. L'un dans l'autre, il n'y aurait pas à douter qu'on viendrait demander à Alexis si c'était une star connue venue incognito se perdre en Dorado.

Et là se posait la question de Poppy, qui ne venait qu'ajouter du carburant au réacteur. Le rire de la chirurgienne fut à cet égard contagieux, Reilin venant chastement cacher de sa main un furtif éclat cristallin.

" Ooooooouh, comme c'est mignon ! " s'exclama-t-elle d'un charmant ton fluté renforcé par son accent, avec une candeur et gentillesse qui ne cachait aucune arrière-pensée, " Tu essayes de me draguer ? "

D'accord. Je viens de me taper la honte devant deux meufs mignonnes, dont une qui est responsable du reboulonnage de mon bras et une qui sent le jasmin! Je m'y attendais, cela dit. Comment est-ce que je fais pour réussir à draguer quand je suis en phase Good Pops? J'ai presque envie d'arrêter les pilules, histoire de me laisser porter par cet état super agréable, bien que super risqué...

D'un geste de ma main manquante, suivi par un lever de mes yeux au plafond puis d'un geste de ma main gauche, j'indique à Rei que je lui répondrai plus tard et je fonce aider Alexis à ramasser ses outils.
Allez, j't'aide, c'est la moindre des choses. C'est la faute à mes conneries, comme souvent!
L'envie d'arrêter mes pilules s'en va aussi vite qu'elle est venue. Sans ces machins, j'aurais probablement gueulé sur Alexis, insulté Rei, et couru en dehors de l'atelier avec mon bras droit sous le gauche. Là, j'ai juste envie de me marrer avec elles. D'ailleurs je le fais. Doucement, mais j'le fais.

Et pour vot' gouverne, il y a bien une étoile nommée Rei! Rei-gulus, de son patronyme exact!
Et je leur balance les coordonnées de cette étoile, qui se trouve faire partie de la constellation tatouée dans mon dos. Parce que j'ai techniquement pas menti, et je veux que ça se sache. Quand même!

J'regarde Poppy avec un gentil sourire :
- T'inquiète meuf, on est toutes responsable de la situation actuelle. Que j'agrémente d'un clin d'oeil.

On termine rapidos de tout remettre en ordre, y'avait pas masse de trucs. Pendant ce temps, mon IV avait eu le temps de traiter les données et m'affichait les logs qui s'affichaient sur ma rétine et illuminant mes iris.

- Y'a bien une perte de linéarité sur plusieurs éléments. Pas besoin d'un démontage total, juste une intervention en surface. Dis-je au terme de mon analyse à Reilin. Merci pour l'info Pops, mais je sens que j'vais avoir du mal à valoriser c't'info. Sauf dans le cas de c't'annecdote, mais j'me gardais bien de le souligner, histoire de pas la mettre plus mal à l'aise qu'elle ne l'était déjà.

J'me laisse tomber sur l'un des tabourets à côté de l'établi :
- Du coup, miss navigatrice étoilée, on en était où ? J'ai perdu le fil avec toutes ces... digressions. Finis-je avec un sourire malicieux.

Un " Uh-uuuuh " opiniâtre fut grosso modo la réaction de Reilin à la description de cette histoire d'étoile. Et là, pour le coup, il y avait des arrières-pensées.

" Merci ", répondit-elle ensuite en se tournant à nouveau vers la doctoresse, avant de regarder son bras pour s'assurer d'une chose. Elle se trouva vite rassurée en voyant les fines plaques composant sa coque extérieure s'ouvrir telle une chrysalide pour révéler les entrailles tout aussi fastueuses de son appendice. Même le démontage se voulait artistique et piloté par la pensée, pour mieux camoufler tout les affres organiques que ces bras venaient pallier. Des affres que Reilin prenait d'ailleurs grand soin de cacher derrière sa neutralité d'expression, se contentant de le refermer d'une pensée en livrant à Alexis un : " Même pas besoin de l'ouvrir à l'ancienne, ça fonctionne encore. "

Tout ça, évidemment, pour ne pas manifester à quel point elle ne désirait pas voir sa "peau" ouverte par des outils brutaux. Elle se contenta même de s'effacer aimablement, le temps que ne finisse la curieuse tractation entre la chirurgienne et Pops qui avait de drôles de moments pour étaler sa science ...

Elle aurait juste pu dire "Oui". Ne serait-ce que pour ménager l'égo de Reilin, qui était maintenant à regarder dans le reflet d'un miroir de l'établi si elle n'avait pas tachée sa tenue pour essuyer un tel rétropédalage attractif.

Mais...je voulais montrer le dessin de Rei-gulus à Rei-lin ! Il est juste sur mon dos, en dessous du soutien-gorge. Je n'aurais eu qu'à relever le bas de mon tee-shirt... Tant pis.

Euh...ah oui! Mon cran de sécurité mal placé. Et un dessin gravé sur le bras. J'avais pensé à un schéma du système Dorado. Simplifié, bien sûr. On ne pourra jamais faire tenir tous les astéroïdes connus là-dessus
En regardant ma prothèse détachée, je réalise que la gravure d'un schéma pareil risque d'être plutôt laid, et incompréhensible. L'esthétique, ce n'est pas mon fort. C'est pour ça que je n'ai que des vêtements noirs ou rouges. Ça s'accorde à tous les coups, jamais de mauvaise surprise.
Ou peut-etre juste...quelque chose qui symbolise Dorado. C'est important pour moi. Depuis que je suis ici, tellement de trucs sont arrivés! Déjà, j'ai perdu mon bras...
Eh merde. Vite, enchaîner avant qu'elles ne me demandent comment c'est arrivé...
...et j'ai commencé à cartographier le système de long en large. J'ai presque atteint le niveau des maîtres navigateurs qui ont vécu toute leur vie ici! Mais je m'acharne, et peut-être qu'un jour je trouverai des endroits inconnus...
Eh bien, si je ne suis pas douée pour éviter le sujet de mon bras, au moins je suis fortiche pour le foutre sous le tapis!
Vous êtes doradiennes, toutes les deux? Ou vous êtes des astéroïdes en dérive comme moi?

La belle mante manipule ses bras de façon a exposer les entrailles mécaniques de ses prothèses, je commence un diagnostique visuel, à l'aide de mon IV, notant certains fragments qui ne se positionnaient pas parfaitement, quelques impuretés et traces d'usure. Mes mains se divisent alors en une multitude d'outils, plongeant simultanément au sein des mécanismes rutilants. De brefs bruits d'efforts mécaniques témoignent des actions en cours, des ajustements minimes que j'effectue et finalement, je me retire de ses entrailles, retrouvant de nouveau des mains, puis des doigts. Voilà qui devrait améliorer tes mouvements, mais il faudra venir me voir à la clinique pour une révision totale, j'aurai deux, trois pièces à changer ou usiner.. Bien entendu, cela signifiait aussi sortir la carte de crédit.

- J'viens de Valenos, c'est là bah que j'me suis construite. Au figuratif et littéralement. Je souligne mon jeu de mot d'un clin d'œil.

- Faudra voir avec Bella, là-bas, pour les gravures. Ch'uis vraiment trop nulle avec un laser artistique ! Dis-je avec sourire plein d'humour. Pose ton bras sur cette paillasse et chope c't'outil chelou avec plein de morceaux, ça va t'aider à ouvrir le bras. Ouais, appuie là. Je suis juste à côté de Poppy et finalement, passe mes mains de part et d'autre d'elle pour lui montrer et palier son momentané handicap. Comme ça, tu piges ? Alors que je l'assiste, je prends soudain conscience de ma proximité, d'être presque collée a elle, mais me reconcentre rapidement sur la maintenance, nettement plus passionnante.

" Merci Docteur. " répondit laconiquement la géante en repliant sa chrysalide, sans quitter du regard le miroir qui ne reflétait plus de sourire charmant ou de regard faussement pétillant. Il n'y avait plus que Reilin, sans ses artifices. Aspirée par son reflet, elle pouvait même retrouver son regard vide, son visage quelconque, ses cheveux noirs. Une inconnue couverte de cicatrices.

" Jurchen Minor, bordure impériale. " émit-elle, en se tournant vers Pops, se reconnectant avec sa personnalité avant de se retrouver à fracasser le miroir, " Rien d'intéressant. "

Elle avait quitté le miroir du regard pour tomber sur le rapprochement à peine suspect de la doctoresse et de sa patiente, peau contre métal. Un mouvement qui, dans l'absolu, n'éveillait rien chez Reilin. Rien, si ce n'était des doutes sur sa personne, et surtout, sur sa désirabilité ... Après tout, Pops l'avait dragué, elle, non ? Ou alors c'était du sarcasme ?

Un nouveau regard vers le miroir ne fit que lui offrir le même spectacle : une abomination ordinaire. Reilin se dirigea vers le miroir, arma son bras et ... se retint au dernière moment, pour agripper sa veste d'un agile écart et la pendre sur la surface réfléchissante.

" Vous voulez peut-être une chambre, tulowda ? " claironna-t-elle alors en se retournant vers le couple, retrouvant par la même sa radiance, son sourire et son semblant de fantaisie.

Non, c'était peut-être un peu trop, là, d'un coup.

Alexis n'était pas un astéroïde en dérive. Rei-gulus, en revanche, y ressemblait un peu plus. Les gens qui disent que leur origine n'est pas intéressante ont des trucs à cacher. C'est souvent ce que je dis quand on me demande pour mon bras. "Juste un accident de grenade, rien d'intéressant"

Et avant que je ne puisse comprendre ce qui m'arrive, je me retrouve avec Alexis qui guide ma main libre. Elle est tout contre moi, comme si j'étais dans ses bras. C'est...pas déplaisant, même si je sens qu'elle ne fait pas exprès et qu'elle est concentrée sur ma prothèse. A moins que ce ne soit un prétexte? Merde, heureusement que je ne suis ni saoûle ni sous l'emprise de l'autre énergumène maniaque! J'aurais déjà tenté de négocier un plan à trois. Et j'aurais été tellement lourdingue que j'aurais pu ajouter l'atelier à la liste des endroits dont je suis persona non grata

Mauvaise idée, madame l'étoile Rei-gulus! Je serais inutile dans une chambre sans mon bras directeur
Je parle sur le ton de la plaisanterie, mais je suis certaine que je deviens toute rouge. Deux nanas canon d'un coup, c'est un peu trop pour mon cerveau instable.
Ca veut dire quoi tulowda? J'ai jamais entendu ce mot avant
Une diversion, une! La reine du déni et de la mauvaise foi est forcément douée en diversions...

Poppy n'est pas une cybernéticienne née, ni ambidextre visiblement, d'autant plus qu'elle a l'air de penser a autre chose. A la remarque de Reilin je me relève et la regarde d'une air blasée :

- T'as pas changé d'un iota toi. Toujours à essayer de rester sous les projecteurs. Puis je lève les épaules, avec une moue laissant comprendre que je passais à autre chose. Bah, c'est pas grave. Si tu sais pas quoi faire, tu veux bien me ramener une des canettes violettes dans l'frigo là-bas ? S'tu veux quelque chose tu peux te servir.

Revenant à l'infiniment plus intéressante maintenance cyber, je désignais rapidement à Poppy les différents éléments de son bras, à présent ouvert. Je désigne le cran de sécurité et expliques les différentes configurations possible et le temps de travail nécessaire pour chaque.

- Bien-sûr, je te conseille l'interface neuronal, la pièce est pas trop chère, mais faut apprendre à bien l'utiliser, sinon on peut juste l'usiner ou le déplacer là, là ou ici. Par curiosité, j'appuie sur le déclencheur pour voir l'amplitude des lames. Self-défense ? Demandais-je, en pensant à Théo, sourire en coin. Reilin à plus d'un tour dans son sac à ce sujet, pas vrai ? Dis-je en lançant à un regard entendu à la grande blonde.