Salvation [Eurydice]

Il appartient à chacun de trouver la voie de la rédemption, de se laver de ses péchés et de ses échecs. C'est par le tatouage que j'ai trouvé mon exutoire, une façon d’incruster et célébrer ma Foi dans ma peau, ma chair et ainsi ne point oublier ce que l'Unique, dans sa grande miséricorde, aura bien voulu me pardonner.

Habilement dissimulé par mon uniforme, ce n'est pas chose connue de tous, sans que j'en fasse un secret, c'est simplement un élément de mon intimité, chose que fort peu de monde partage. Il s'agit d'illustration, de citations ou libre interprétations de L'Emerentius et de L'Adeodatus, à l'encre noire ou verte, mon corps devient peu à peu un manuscrit, relatant les passages les plus importants, selon moi.

Cependant l'Homme est imparfait, aussi nul n'est à l'abri que quelque chose ne se déroule pas selon ce qui était prévu. Ne m'étais-je pas montré digne du pardon de l'Unique, avais-je contrarié Ses plans en considérant mon action comme fautive ou était-ce simplement un aléa dont Il ne se préoccupait pas ? Il m'était impossible de le savoir, toutefois les faits étaient là et me rongeaient :
Le dernier tatouage que j'avais effectué était gravement infecté et à présent me rongeait le flanc. A la fois odorant, douloureux et dégouttant, s'il eut fallut que je m'en occupe plus avant, il était plus que nécessaire de solliciter l'aide de l'Infirmerie.

C'est ainsi, aux environs de 20h, alors les quarts de gardes tournaient, que je me rendais à l'infirmerie, revêtu d'une épaisse cape, prenant garde à ce qu'elle ne touche pas mon flanc.

Pensant trouver là Père Veilleur, je ne vis que Soeur Eurydice :
> Bonsoir ma Soeur, je vais avoir besoin de votre assistance pour palier à une négligence de ma part. L'un de mes tatouages s'est infecté et j'ai tardé à m'en occupé. Dis-je pour toute explication. J'avais pour habitude, bonne ou mauvaise je ne le sais, de laisser le personnel médical se forger son propre avis et prendre les mesures et initiatives qu'ils jugeaient bonnes. Aussi je me tenais juste à l'entrée de l'Infirmerie, après avoir refermé la porte, ma cape toujours refermée sur moi, debout en m'appuyant sur ma canne.

L'infirmerie est vide à cette heure, le médecin de garde accompagné des soeurs et d'une grande partie de l'équipage se sont rendus au réfectoire. Elle s'est naturellement proposée pour garder le lieu, peu friande des salles bondées. En tant que femme et encore plus en tant que nouvelle arrivante, la soeur est restée isolée depuis son arrivée sur le vaisseau ; grand bien lui en fasse, elle n'a que peu d'attrait pour la camaraderie.

D'un geste sec elle change les draps blancs de la dizaine de lits se faisant face au fond de l'infirmerie. Entre chaque couchage un rideau rigide semi-opaque se déplie sur commande, tous sont rétractés à cette heure ci, aucun patient ne nécessite une nuit à l'infirmerie. Les journées sont calmes à bord de la Pierre, les visiteurs relativement rares, et toujours pour des motifs bénins. Elle ne s'en plaint pas, au contraire.

Elle dispose les draps usés dans une panière quand elle aperçoit la silhouette de son Capitaine sur le seuil de la pièce. Elle se redresse immédiatement, se courbe respectueusement devant son supérieur. Cet homme suscite une certaine curiosité chez la soeur. Impassible mais doux, intransigeant mais presque paternel. Elle l'admire pour sa foi inébranlable, pour sa volonté incontestable et ses moeurs irréprochables. Fascinant personnage.
- Monseigneur Lazare. Je vais m'occuper d'examiner cela, si vous n'y voyez pas d'inconvénients ?

Elle attrape une paire de gants propres et indique d'un mouvement leste le premier lit sur sa gauche.
- Si vous voulez-bien vous installer ...

> Cela me convient. Répondis-je en me dirigeant vers le lit le plus proche de moi, la douleur était lancinante, chaque pas était une épreuve, bien plus qu'à l'accoutumée. J'étais fou d'avoir tant attendu.

Je pose ma canne contre le lit, les deux mains appuyées sur le rebord, je me sens soudainement faible, perdu, face à l'épreuve qu'est de monter sur ce lit. Main serrées sur le rebord, pour être certain de ne pas tomber :

> Aidez-moi je vous prie, ma Soeur. J'ai bien peur de ne pouvoir m'y installer seul. Ma demande était aussi un aveux, cela ne me coûtait guère, j'étais habitué à avoir besoin du personnel médical et avait appris à différentier l'assistance que nécessitait mon corps de la force et l'indépendance de mon esprit.

Je me fais attentif, prêt à suivre ses indications sans vraiment en chercher le sens, ni en exiger une motivation.

Rapidement, sans pour autant paraître empressée, Eurydice vient lui offrir son soutien. Son visage impassible ne trahi aucune émotion, et pour cause, elle n'en ressent aucune à l'égard du pieux Capitaine Lazare. Un distant respect, au moins, comme il est d'usage pour un supérieur. Une once d'admiration et de curiosité peut être, pour un de ces êtres énigmatiques qui la fascinent par leur Foi immuable et leur détermination.

Elle l'aide à s'allonger sur le couchage avec la douceur qui lui est coutumière, prenant garde à ne pas appuyer ses mains sur le côté qui semble le faire souffrir. Elle avise le regard flou, la respiration profonde, et le corps tendu :
- Me permettez-vous ... ?

Elle désigne d'un geste la cape et l'uniforme qui lui dissimule la plaie et attend sagement son assentiment pour rabattre la cape et déboutonner d'un geste rapide le bas de la chemise. Elle retient un froncement de sourcil devant le tatouage suintant.
- Puis-je vous demander à quand remonte ce tatouage, Monseigneur ?

Avec l'aide de la Soeur Hospitalière, je monte sur le lit tant bien que mal, un souffle et un râle m'échappent quand je suis enfin allongé et en place sur le lit. Je savoure la fraicheur de la pièce qui apaise un peu les diverses douleurs qui le cuisent la chair.

> Oui, bien sûr. Ne faites dont point de manière, énoncez-moi juste ce que vous faites.

Elle m'aide à m'extraire de la cape qu'elle dépose avec soin sur un lit voisin. Torse nu sur le lit, je n'aime d'ordinaire pas être ainsi exposé, mais à force d'habitude, je ne souffre plus d'aucune gêne au sein de l'infirmerie. Ma peau est cousue de tatouages et bientôt il sera plus simple de compter la surface non-encrée.

Sur mon flanc, le tatouage représente un serpent de nuage dévorant un soleil, représentait tout du moins, car le résultat est tellement vicié que je n'ai plus trop osé me préoccupé de son rendu actuel.

> Cela fait une quinzaine de jours, je paie ma négligence. Sans doute est-ce mon châtiment pour avoir inscrit ce symbole d'apocalypse. Ma bouche est pâteuse, je sens quelques gouttes de sueur perler sur mon front.

> Qu'importe le tatouage, délivrez-moi de ce mal. Dis-je espérant m'éviter une interminable discussion sur la possibilité de déformer plus encore le tatouage.

Le regard de la soeur court sur la peau suppurante. Elle masque sa surprise de découvrir ce corps encré, quoi qu’elle ait ouï-dire d'une coutume pour le clergé de graver sur leurs corps l’étendue de leur Foi. Une pratique qu’elle n’a que rarement pu observer, le petit peuple n’ayant pas le loisir de s’adonner à de telles excentricités.

Eurydice hoche la tête aux dires de l’inquisiteur, se gardant soigneusement de le sermonner, ce n’est là ni sa place ni nécessaire. D’un geste automatique elle attrape un linge propre sur la table de chevet et tamponne les perles de sueur sur les tempes du Capitaine Lazare. Il ruisselle sur ses draps propres.

- Bien, énonce-t-elle simplement.

Elle s’affaire devant l'armoire mural adjacante, en tire le nécessaire et ne s’attarde pas pour revenir à son chevet. D’une pression sur un bouton elle rempli un verre d’eau qu’elle lui tend avec deux cachets.
- Des antibiotiques. Ils lutteront contre l’infection.

Elle tire une compresse imbibée de solution antiseptique et essuie délicatement la zone infectée, la débarrassant du pus.
En deux en trois mouvements elle dévisse un large pot dont la crème blanchâtre épaisse dégage une odeur aigre, change de gants pour une paire stérile en latex et recueille une noisette de produit sur le bout de ses doigts.
- Cela risque d’être inconfortable, veuillez m’en excuser.

Sa voix froide ne trahi aucun émoi devant l’annonce.

Sœur Eurydice se montre attentionnée, dépassionnée. Quelques-uns de mes doutes s’envolent quant à sa place au sein de mon vaisseau. Relevant la tête pour boire un peu d’eau, après avoir pris les cachets, je me sent déjà un peu mieux. Était-ce une manifestation de Sa miséricorde ? Ou est-ce l’atmosphère sereine de l’infirmerie.

> Mes vertiges s’amenuisent. Dis-je simplement. Père Veilleur m’avait expliqué lors d’une de mes premières visites, il y a de cela plusieurs années, qu’il me fallait décrire toute évolution de mon état, que cela facilitait leur compréhension des soins qu’ils me prodiguaient. J’appliquais toujours cette consigne avec attention et précision.

> La douleur fait partie de la salva… argh Commençais-je à dire, avant d’être interrompu par ladite douleur. Pinçant les lèvres, j’avais l’impression qu’elle nettoyait ma peau avec du papier de verre, me confinant au silence. Je récitais intérieurement les versets Inquisitoriaux, ceux qui parlaient de la douleur subie et infligée.

> Ma Sœur, vous vous en doutez, mais je l’exprimerais tout de même. Reprenant mon souffle qui était raccourcit par mon état. Il n’est pas question de parler de mes tatouages et scarifications au reste de l’équipage. J’ajoute ensuite Si votre nature féminine vous rend incapable de garder cela pour vous, dites-le-moi, je me chargerai moi-même de le révéler. Je préfère que circule une vérité désagréable, plutôt que des rumeurs incontrôlables.

Elle glisse un coup d’oeil rapide vers son Capitaine dont les traits figés trahissent l’inconfort.
- La douleur nous garde en vie. Murmure-t-elle en se hâtant d’étaler le cataplasme, massant légèrement la zone du bout des doigts.

La soeur garde le regard tourné vers sa tâche, impassible, malgré le commentaire dédaigneux de l’homme. Quel intérêt aurait-elle à révéler ce secret ? A part perdre le simulacre de confiance qu’il lui accorde. Qui plus est, à qui le révéler ? Le bavardage n’a jamais été une de ses lubies, d’ailleurs souvent a-t-elle plutôt été au coeur des ragots. Ses pensées la ramène vers la Soeur Aimée et la Mère Prudence. Elle a l’impression que des années ont passé depuis son départ.
- Ce que le personnel infirmier voit entre ces murs … Nous tâchons à ce qu’il y reste, Monseigneur. Père Veilleur s’en assure.

Elle retire les gants qu’elle jette négligemment dans la corbeille. Elle aide l’inquisiteur à s’asseoir sur le bord du lit avant d’attraper des compresses.
- Il vous faudra les garder cette nuit, pour assurer l'action du baume. Après quoi, le mieux sera de laisser la plaie à l’air libre, en la nettoyant minutieusement matin et soir. Ceci couplé avec les antibiotiques, vous serez débarrassé de ce mal d’ici une dizaine de jours.

Qu'elle me donne l'assurance de sa discrétion et du respect des directives de Père Veilleur est une grande satisfaction et un certain nombre de soucis en moins. La valeur de cette sœur était sans doute finalement supérieure à celle que j'avais estimé, ou du moins c'est pour l'instant l'impression qu'elle me donnait.

> Père Veilleur m'avait confié que vous aviez fait de ses vœux les vôtres, je suis satisfait de vous entendre le confirmer.

Accueillant aimablement l'assistance qu'elle m'offrait pour m'asseoir, je n'avais pas de problème à accepter mes faiblesses, ni à recevoir de l'aide pour les surmonter.

> Si à l'air libre signifie ne pas avoir de vêtement par dessus, cela ne va pas être possible. Le protocole se devait d'être respecté et ce n'est pas une infection, aussi douloureuse soit-elle, qui m'y ferait déroger. Merci ma Sœur, je viendrai ici pour m'assurer d'avoir un nettoyage conforme.

Prenant le temps de regarder mon propre corps, je constatais le vieillissement, avec un léger blanchissement des poils sur mon torse, mais aussi l'accumulation des cicatrices, les rides qui se creusaient et des muscles noueux. Ma relation à mon propre corps était fonctionnelle, il se devait de respecter mes vœux, mes devoirs, ma volontés Je n'y accordais que peu d'intérêt, peu d'observation.

> Vous sentez-vous bien intégrée, Soeur Desroy ? Que pensez-vous de la Pierre au Fusil, à présent que vous y avez séjourné et officié ? Demandais-je, réellement intéressé par sa réponse.

Le coin de ses lèvres tressaute, esquissant un début de sourire amusé :
- A l’air libre signifie sans bandages, dit-elle en pointant la compresse qu’elle applique soigneusement sur la plaie. Un maillot un peu plus ample suffira à épargner l’inconfort du frottement pour ces prochains jours.

Elle range sommairement les ustensiles et tend ses vêtements au Capitaine Lazare, affable.
- Il semblerait que je m’y sente même à ma place, Monseigneur. La mission qui est celle de la Pierre, sa noblesse, donne que plus de sens à mes fonctions. J’aime travailler en ces lieux.

Elle reste concise. Son intégration se limite à sa tâche, les Soeurs entre elles ne parlent pas. Ou ne lui parlent pas, qu’importe.

Je perçois sa confusion, ainsi qu'une pointe d'amusement qui trouve sa justification en ma naïveté. J'excuse son manque de contrôle par sa jeunesse et sans doute la nervosité d'avoir là son Capitaine en de biens originales dispositions.

> En ce cas je vais devoir reporter mes prochaines investigations, ma cuirasse étant à l'inverse bien serrée. Investigation était un bien noble mot pour parler de ces descentes dans la poussière et la crasse pour chasser et traîner entre les bras de l'Inquisition les traîtres et hérétiques.

> C'est une bonne nouvelle, j'ai comme soucis la bonne intégration de mon équipage, son bon fonctionnement. Vous découvrirez bien assez tôt que je sais prendre soin des miens et de ceux qui me sont fidèles. Bien entendu, fidèle portait le double sens de ceux qui respectaient ma personne et mes directives, mais aussi ceux qui se rendaient à mes messes, données dans le huis-clos qu'est la chapelle du vaisseau.

Revêtissent mes atours, dissimulant l'encre que nul ne saurait voir, je me laisse doucement glisser jusqu'au sol, le pommeau de ma canne rassurement glissé dans le creux de ma main.

> Ma Soeur, je vous ferai appeler à mon bureau pour que vous veniez nettoyer la plaie. Si votre discrétion est à la mesure de vos dire, sans doute que cela pourra devenir coutumier. J'étais surveillé de prêt par l'infirmerie, de part ma jambe, mais aussi dû à la dangerosité de mes investigations.

> A présent, si vous le permettez, je vais m'assoupir dans ma cabine.