Entre ciel et terre [Tad]

Le fin sourire de Colombe continue de s’étirer au fil des paroles de Tad, puis se fige légèrement quand elle perçoit une très légère hésitation dans la voix du marin, juste avant qu’il ne lui parle de ses enfants. Probablement s’agit-il d’un sujet sensible. Elle ne peut lui en vouloir, sachant fort bien elle aussi à quel point les histoires de famille peuvent être complexes, parfois.

– Je suis sûre que vous êtes le meilleur des grands-pères, fait-elle, sincère.

Il y a chez cet homme une aura particulière, une chaleur et une bonté qui ne pourraient pas lui laisser croire le contraire.

Elle dépose finalement son crayon, satisfaite du dessin qui est apparu sous ses yeux. On l’y retrouve assise aux côtés de Tad, dans une ambiance orange et bleue, beaucoup plus chaleureuse que l’atmosphère froide de la navette dans laquelle ils se trouvent réellement. Le sourire de la jeune femme se fait timide alors qu’elle détache délicatement la page de son carnet pour la tendre à son compagnon de voyage.

– Alors?

- Alors, d'après leurs réactions quand j'arrive, ils aiment ben leur grand-papa Tad.

Et tu leur rends volontiers, c't'es p'tites frimousses-là savent définitiv'ment t'faire craquer. Encore heureux qu'ce soit pas l'cas des p'tiots dans l'équipage, parce qu't'aurais du soucis à t'faire. Mais ça va, pour l'moment, t'es encore assez impressionnant avec une épée pour qu'ils s'gardent un peu d'respect pour l'vieux loup d'mer qu't'es.

Elle t'montre l'dessin qu'elle a fait et tu reste silencieux un instant, tout occupé qu't'es à l'admirer. Elle est modeste, la Colombe, mais elle a un sacré coup d'crayon.

- Vous m'avez fait plus beau qu'j'le suis ! qu'tu commences par taquiner avant de sourire à la jeune femme.

- J'aime beaucoup comment vous faites. Avec les couleurs. Ça donne d'l'ambiance.

Ses soupçons sont rapidement confirmés par Tad, et Colombe émet un petit rire attendri en l'entendant parler de ses petits-enfants.

– Je le savais, fait-elle fièrement. Le contraire m’aurait étonnée.

Vraiment, il a le physique de l’emploi.

Elle garde le silence pendant que Tad admire le dessin qu’elle lui montre, mi-nerveuse, mi-intriguée de connaître ses impressions. Elle voit déjà dans ses yeux que le résultat lui plaît, mais ne peut s’empêcher d’attendre avec appréhension qu’il ouvre enfin la bouche. Ses premières paroles la font rire, ses secondes la font rougir. Timidement, elle baisse les yeux sur son carnet et sur la feuille qu’elle tient toujours dans ses mains.

– M-merci. J’aime dessiner avec les couleurs que m’inspirent les gens. Vous… vous êtes un très bon modèle.

Elle hésite, effleure doucement le papier du bout du pouce, avant de tendre la page à son compagnon de voyage.

– Tenez! C’est pour vous… si vous le voulez bien sûr.

Ça t'amuse qu'elle affirme l'savoir, quand tu dis qu'tes p'tits enfants t'aiment ben. Visiblement, t'es rendu a cet âge où t'fais typiqu'ment grand-père. Ça t'gêne pas. Au final, t'acceptes ben les années qui passent et qui laisse des traces sur toi. C'dans l'ordre des choses et tu t'estimes chanceux d'continuer d'pouvoir faire c'qui t'plaît, malgré des limites qui s'sont montré leur sale museau.

Elle rit, puis rougit à tes mots sur son dessin, t'retourne un compliment en disant qu'tu fais un bon modèle et t'offre même l'dessin. Ça t'fait vraiment plaisir, ton sourire doit ben lui faire sentir ça alors qu'tu récupères la feuille pour soigneus'ment la ranger dans ton sac, histoire qu'ça s'froisse pas.

- C'vraiment très gentil d'vot' part. J'vais l'garder précieus'ment, pour sur !

T'sens la navette tanguer alors qu'elle entre dans l'atmosphère d'la planète. Ton r'gard r'vient vite sur Colombe. T'voudrais pas qu'elle stresse pour ça.

- On est presque arrivé. Ç'aura pas été si terrible, voyez ?

Si se départir de ses œuvres est parfois un peu difficile pour Colombe, cette hésitation s’envole toujours dès qu’elle voit à quel point son cadeau fait plaisir à ceux qui le reçoivent. Il n’y a qu’à voir le regard ravi de Tad, qui accepte son présent et le range précieusement dans son sac, pour la convaincre qu’il apprécie l’attention. Le sourire de Colombe se joint au sien alors qu’une douce chaleur enveloppe son cœur.

– Je suis contente qu’il vous plaise.

Une secousse rappelle brusquement à Colombe où elle se trouve. L’espace d’un instant, elle sent ses épaules se crisper. Heureusement, le regard bienveillant de Tad n’est pas loin, tout comme le calme rassurant de sa présence à ses côtés. La navette est certainement en train d’amorcer son atterrissage sur Esperanza. Comme l’a si bien dit le vieux marin, ils sont presque arrivés… et ce n’était si terrible, au final.

– C’est vrai, lui concède-t-elle humblement. C’était même plutôt agréable.

Il faut dire qu’elle était en bonne compagnie. Elle triture un instant la sangle de son sac du bout des doigts avant d’ajouter :

– Merci beaucoup Tad.

Sa réponse agrandit ton sourire. Et si un instant, elle semble s'crispé alors qu'la navette tangue, ça dur pas et t'as l'impression d'avoir jouer un rôle là-d'dans, peut-être qu'les prochaines fois s'ront moins pénibles pour elle.

- Content d'l'entendre, j'aurais pas voulu rallonger vot' trajet.

Qu'tu taquines légèr'ment, n'manquant pas d'r'marquer l'approche du sol. Vous s'rez bientôt sortie d'là et Colombe pourra r'trouver sa sérénité. Enfin, faudra quand même r'faire l'trajet inverse, mais faut qu'elle trouve des choses pour s'occuper et pas trop y penser, à c'trajet, puisque l'espace l'inquiète autant.

- Ça m'a fait plaisir. Merci à vous, Colombe.

Vous atterrissez et bientôt les portes s'ouvrent avec un chuintement, vous laissant la voie libre. Tu t'lèves lentement, proposes ta main à Colombe, toute une histoire d'politesse.

Elle rit, d’un petit rire timide et sincère, aux taquineries de Tad.

– Ça ne m’aurait pas dérangée, j’étais en bonne compagnie pour un long voyage.

Bercée par les histoires et la voix dorée du vieux marin, elle pourrait faire le tour de la galaxie sans une once d’angoisse, elle en est convaincue. Malheureusement, elle ne saura probablement jamais si cette hypothèse est fondée, car la navette atterrit enfin sur Espoir en une secousse qui marque la fin de leur brève rencontre.

Colombe accepte volontiers la main qu’il lui tend, pose ses doigts fins sur la paume rugueuse de Tad et se laisse guider vers la sortie. Le soulagement qu’elle ressent en posant le pied au sol est moins vif que d’habitude, probablement parce que sa peur l’était moins elle aussi.

– Ce fut un réel plaisir, répond-elle lorsqu’il la remercie à son tour.

Elle n’a pas envie de lui dire adieu, mais ne peut pas vraiment lui dire au revoir, car les chances de le rencontrer de nouveau sont minces. Alors elle lui offre son sourire le plus radieux avant de tourner les talons et de disparaître simplement dans la foule d’un pas léger.

T'la guides à l'extérieur, r'lâches sa main quand vos pieds sont sur la terre ferme et que quelques pas vous on éloignés d'la navette pour pas bloquer la voie aux autres passagers.

Il y a c'léger flott'ment. C'lui qu'personne aime vraiment, c'lui qui dit aur'voir ou adieu, même si c'est en silence. Dorado est minuscule et vaste à la fois, si ben qu'vous pourriez vous r'croiser demain comme plus jamais. Tout'fois l'adieu a une lourdeur qui vous convient pas et voir Colombe t'sourire d'la sorte, c'est certain'ment mieux qu'tout c'que vous auriez pu baragouiner. Ton sourire lui répond et t'la r'garde s'éloigner et disparaître dans la foule avant d'toi-même partir vaquer à tes occupations.

L'soir, quand tu t'couches dans ta cabine du Liberty, il y a un nouveau bout d'feuille collé à la paroi au d'ssus d'ton bureau. D'orange et de bleu, les traits d'Colombe et les tiens s'y trouvent, immortalisant dans l'temps votre rencontre.