Petite lumière [Jean]

Faut-il donc que tout aie une raison ? Est-ce que le Père ne change son apparence que parce qu’il est triste, parce qu’il se repent ? Si c’est le cas, tu trouves ça triste à en pleurer. Ca te met une boule dans la gorge.

- Juste parce que c’est joli.

Tu souffles en tirant sur le bout d’une de tes mèches blondes.

- Ce n’est pas suffisant pour faire quelque chose ? Une raison qui ne soit pas de la contrition mais de la joie.

Tu tires encore sur tes cheveux, très distrait.

- J’ai envie de me faire les pointes en rose, juste parce que c’est beau et que c’est la couleur du soleil qui se lève. Je ne peux pas, mais ça… Vous n’avez pas juste envie de rajouter de la couleur pour rien, pour vous faire plaisir, des fois ?

Juste parce que c'est joli serait de la prétention. De l'arrogance, son pire défaut. Et quand il voit ce que son arrogance fait à ceux qu'il aime, il n'ose penser ce qui arriverait s'il devenait prétentieux. Non. Il ne se change pas pour des raisons cosmétiques. Jean imagine. Rougit.

"Ca vous irait bien." Le symbole de l'aube sur l'être de lumière. Oui, ce serait joli, comme le soleil à travers du verre teinté sur des sols de pierre ou de métal. Il avance la main pour toucher les cheveux, la recule précipitamment, baisse les yeux. "Mais l'on nous enseigne que vouloir améliorer son physique est une arrogance. L'Unique nous donne un visage, beau ou laid et c'est pour nous guider sur notre chemin. Nous devons nous accepter tel que nous sommes, pas nous inventer une autre identité. Car malgré la beauté de certains, c'est la beauté intérieure qui doit ressortir. Alors se changer pour montrer à tous sa beauté intérieure, j'imagine que cela pourrait passer, si ce ne sont pas des modifications pérennes mais juste pour être joli, même si c'est le cas, n'est-ce pas un peu vain ? Pour la beauté nous avons la création d'objets, de musique, nous pouvons rendre notre monde joli, nous pouvons rendre notre moi intérieur joli. Si nous faisons tous cela alors nous deviendrons tous physiquement jolis, sans artifice et sans aide extérieure. Ne serait-ce pas une joie encore plus véritable ?" Il pose la question. Vraiment.

Tu l’aurais laissé te toucher les cheveux sans hésiter une seconde, parce que tu es certain qu’il a les gestes doux. Mais il n’ose pas et tu ne peux pas lui en vouloir pour son recul.
Tu continues donc d’enrouler ta mèche autour de ton doigt en l’écoutant parler et tu ne peux t’empècher de penser que son monde est trop plein de contrition, de retenue, et tu as envie de le prendre par la main et de le faire danser pour fêter les lumières avec les siens.

- Je pense…

Tu commences ta phrase et tu t’arrêtes, incertain de comment formuler correctement tes idées.

- … que créer rend le monde beau. Créer permet de sortir ce qui est là, fais-tu en portant ta main à ton coeur, et de le montrer à tous ceux qui veulent le voir. Mais je pense aussi que l'enveloppe compte. Un bout de marbre n’est qu’un caillou si personne ne le sculpte. Et si personne n’ose le faire, le monde est un peu moins beau.

Tu fermes les yeux et tu souris à personne en particulier.

- Il y avait un garçon à l’école qui avait des serpents plein les bras, de toutes les couleurs, tatoués. Pour faire beau. A chaque fois que je le voyais, je souriais. Il m’a apporté un peu de bonheur chaque jour pendant des années. Est-ce que ce n’est pas bien même si c'était vain ?

Créer rend le monde beau. Il a un don des mots l'homme lumière. Et Jean l'écoute, fasciné, concentré, mais aussi réfléchissant à ses paroles. Il n'est pas certain d'être d'accord parce que les êtres humains ne sont pas des morceaux de marbre. Celui-ci a certes une beauté intrinsèque, interne mais il n'a pas la capacité de travailler dessus, il n'a pas d'âme à modeler.

"C'est toujours bien d'apporter un soleil, un sourire à autrui, du bonheur mais si lui n'aime plus ses serpents en grandissant ? Si son âme a changé et qu'ils lui rappellent des mauvais souvenirs ? Alors, à chaque fois qu'il les verra, ce sera un peu plus de tristesse et de malheur. Et malgré la beauté des dessins sur son corps, n'est-ce pas un peu dommage d'avoir échangé un bonheur à long terme pour pouvoir se faire remarquer à l'école ? Contrairement aux objets, les gens évoluent, leur âme se transforme, leur moi intérieur s'exprime par lui-même. L'Unique, lui, connait notre chemin et nous construit en fonction. Après..." il regarde son poignet "je ne suis moi-même pas un exemple de ce que je prêche..."

- Un peu.

Tu n’es pas agressif. Tu ne saurais même pas l’être contre monsieur Artaban. Tu es trop attentif à tout ce qu’il est, tout ce qu’il dit, pour ça mais tu sais admettre qu’il prêche à droite et agit à gauche. Ca le rend plus touchant. Plus humain.

- Mais vous n’avez pas fait vos tatouages pour la même raison que lui. Vous voulez vous rappeler de quelque chose lorsque vous les voyez et ça semble efficace.

Mais triste. Ce ne sont pas tes affaires, bien sûr, mais tu trouves tragique quelqu’un qui décore son corps juste pour pouvoir se planter un poignard dans le coeur à chaque fois qu’il se regarde dans une glace.

- Alors que lui voulait… Je ne sais pas. Je sais juste que peut-être qu’il les aime encore. Qu’il a rajouté encore plus de serpents, qu’il a fait des fleurs avec, ou des oiseaux. Que la personne qu’il aime les caresse avec adoration parfois. Que si son âme a changé, ce soit en mieux et que maintenant ils lui rappellent d’où il vient. Je veux croire que c’est ce qui s’est passé.

Tu refuses de voir les choses en noir, de perdre l’espoir. Le monde est déjà assez désespérant sans le décolorer jusqu’à le rendre gris.

- Je préfère voir le bien, justifies-tu dans un murmure.

"Ca vous irait bien." Oui, le rose qui se fondait à l'or de ses cheveux rajouterait de la chaleur à sa lumière, transformerait la luminosité pure à quelque chose de plus réconfortant comme un feu de cheminée lorsque l'on a froid ou la beauté de l'aurore. Pure, neuve, unique chaque jour comme Il l'était. Il inspira. "Parce que je suis un homme d'église, je dois montrer l'exemple de ce que j'enseigne. Me faire plaisir n'est pas la route que l'Unique a tracé pour moi. D'autres le peuvent et si vous décidez de le faire, je ne vais certainement pas vous juger. Je pense que votre route est celle du beau. C'est ce qui illumine votre regard."

Tu rosis.

- Oh.

Et tes yeux se baissent, tes doigts cessent de jouer avec ses cheveux pour se poser plus sagement sur tes cuisses, ton visage se tourne un peu pour que monsieur Artaban ne voie pas trop tes joues. Ce n’est pas vraiment que tu es embarrassé, mais tu ne voudrais pas lui imposer tes réactions.

- Je pense que ma route est déjà toute tracée, mais c’est gentil. Vous êtes gentil.

Si tu le connaissait mieux, tu aurais pris ses mains dans les tiennes parce que tu as envie de le réchauffer. De lui donner un peu de ce qu’il semble voir en toi, de réconfort aussi.
Sauf que tu ne le connais presque pas. Tu gardes pour toi tes mains, tes bras, toute ta lumière. C’est dommage.

- J’espère que la vôtre vous mènera vers quelque chose de plus...

Comme si tu avais une idée soudaine, tu te redresses un peu, tu oublies le début de ta phrase.

- Il y avait des lumières sur le chemin que j’ai suivi. Est-ce que vous voulez venir les voir avec moi ?

Tu ne peux pas prendre ses mains, mais tu peux faire ça.

"Oui." Il le veut. Il ne réfléchit pas à ce qu'il devrait faire, à si c'est une bonne chose ou à ce que voudrait l'Unique. C'est sorti tout seul avec, pour une fois, une assurance qu'il ne ressent pas souvent. Il se lève, époussette sa robe blanche pour en enlever la poussière grise. Il y a une lumière qu'il a envie de suivre et elle est là, devant lui et si elle veut le perdre au milieu des marais comme dans certaines vieilles légendes qu'il lisait aux enfants et bien que la volonté de l'Unique soit faite. Il ira avec un plaisir certain qu'il refuse déjà de s'avouer.

Monsieur Artaban époussette ses vêtements mais toi, tu te contentes de te remettre debout sur tes longues jambes sans prendre le temps de nettoyer son pantalon sombre. Ce ne sont pas des vêtements de fête que tu portes. Il y a une dizaine de bas très semblables juste dans tes affaires à bord du Flare, et un nombre encore plus élevé dans les placards de ta maison. Tu n’as pas à faire très attention à ça.
Mais tu es attentif au bel homme triste à côté de toi. Tu as l’impression que sa présence se détache du reste, en blanc et lumineux et juste un peu bleu, un peu mélancolique. C’est fascinant. Tu dois te retenir de ne pas simplement le fixer du regard.

- C’était par là.

Et ta main se tend vers la rue que tu as prise à l’aller. Et tu fais un pas dans cette direction. Tu t’arrête en voyant les hommes et les femmes qui continuent de se diriger vers l’église, te rappelant que tu es en train de leur voler temporairement un de leurs chapelains.

- Votre présence ne manquera pas à la cérémonie… ?

Par là. Il le suit donc, par là. Et il regarde ses mains, ses belles mains à la peau blanche et fine. Comme une feuille de papier, c'est vrai. D'un oeil absent, il observe les fidèles aller sans lui vers les prêtres les plus gradés et entrer dans l'église. Il toujours ma guitare au cas où l'inconnu lui proposerait de chanter. Les lumières sont belles, mais moins que celle qui se dégage de cet homme. Il se retient de hausser les épaules. "Pas vraiment. J'étais en surnuméraire et si je peux partager avec quelqu'un les lumières de la fête, alors j'aurais fait mon devoir. Les routes que nous empruntons sont uniques, il serait idiot de me forcer à rester immobile." Il jette un dernier regard au lieu saint, avec une pointe de regret qui disparait dès qu'il retrouve le blond dans son champ de vision. "Fêtez-vous, vous aussi, la victoire de la chaleur sur les ténèbres et le froid ?" Il connait tellement mal la pensée corporatiste...

Tu es rassuré. Ca ne fait pas trop sens, c’est pourtant le cas : le fait que le père Artaban ne manquera pas à ses devoir pour t’accompagner toi, un étranger à sa faction, te soulage. Tu ne peux pas empêcher un poids de se lever de tes épaules ou ta démarche de se faire plus légère à ses mots.
Jusqu’à ce qu’il te demande si vous fêtez vous aussi les lumières. Là, tu es un peu déçu que la pensée corporatiste soit bien moins poétique, parce que tu es obligé de lui dire non.

- Oh… Non. Nous fêtons des choses plus terre-à-terre.

Et voilà que tu lèves les doigts un par un, jusqu’à faire quatre, alors que tu expliques tes coutumes.

- Nous avons une fête où nous donnons notre temps pour quelque chose qui est utile à tout le monde. Une où nous faisons la fête au travail, une où tout le monde reste chez soi et nettoie la maison. Et un jour que passé avec ceux qu’on aime, où on leur offre des cadeaux avant d’aller voir les feux d’artifice. Nous n’avons rien d’aussi beau que la victoire de la lumière sur la nuit.

Et rien d’aussi agréable pour simplement se promener en ville, non plus, bien que tu aimes beaucoup les feux d’artifices du jour de l’Union.

- J’imagine que nous avons l’air un peu tristes pour vous, à célébrer notre travail...

"Oh non. Pas triste, non." Il ne peut pas trouver triste des gens qui pensent à se décorer les cheveux comme des couchers ou des levers de soleil, ni la peau juste pour le plaisir de la rendre belle. Mais c'est donc vrai que le travail est leur dieu et que même lorsqu'ils le fêtent, c'est autour de quelque chose. "Donner son temps pour quelque chose d'utile à la communauté, c'est beau. C'est penser à tous, créer ensemble. Nous n'avons pas une telle chose chez nous." Et pourtant la solidarité est une vertu importante. C'était étonnant même s'il était logique que les Cardinaux avec tous leurs savoirs ne se mêlent pas au petit peuple sale et frêle. "Et puis quelque part, les feux d'artifice sont une victoire des lumières sur la nuit. Mais des lumières artificielles et colorées créées par le travail alors que les notres sont plus naturelles, données par l'Unique. Mais je me demande, vers qui vous tournez vous lorsque la vie devient trop dure ?"

- C’est parce que le reste du temps, nous pensons plus à nous qu’aux autres.

N’est-ce pas triste ? Mais tu ne l’es pas. Tu es simplement réaliste, te dis-tu, même si tu as conscience que c’est la rébellion qui gronde en toi qui parle en cet instant. Ce sont les mots de cette partie de toi qui n’est pas totalement douce, pas parfaitement lissée, qui sont sortis sans pour autant être chargés d’animosité.
Et puis tu ranges tes crocs, tes griffes. Tu te fais de nouveau mélancolique, les yeux fixés sur les lumières dans la rue, la voix comme un courant d’air tiède dans la nuit.

- Nous nous tournons vers nous-mêmes. Vers nos familles, nos amis, les personnes proches. Nous nous tournons vers notre propre force. Nous nous sauvons seuls de la nuit s’il le faut.

Un sourire se pose lentement sur tes lèvres.

- Si je crois assez fort en moi pour que rien ne m’arrête, imaginez les montagnes que peuvent soulever mes concitoyens moins fragiles…

Penser à soi est un obstacle commun sur la route de l'Unique. C'est sa lumière qui rappelle que l'autre doit être considéré plus que comme un frère mais comme soi-même. Même lui, avec toute sa foi et toute sa misère se surprend parfois à être égoïste. On ne peut le reprocher à cet homme, pas alors qu'il l'admet lui-même, qu'il le regrette et qu'il se le reproche. Un être de lumière, simplement, envoyé sur son Chemin peut-être pour lui apprendre que même dans les factions qui se sont détourné de Lui, l'Unique sait faire son chemin et guider des êtres beaux et bons. Des qui se tournent vers la famille, les amis, dans les plus pures valeurs trinitaires. Il sourit en retour, tristement.

"Nous croyons que l'Unique est en nous et que c'est lui qui nous donne cette force. Peut-être est-ce la même chose. Peut-être que vous considérez simplement que ladite force vient de vous." Alors qu'il est évident qu'elle vient de l'Unique puisque c'est ce que disent les gens instruits. "mais dans le fond, nous sommes tous identiques, inégaux certes mais avec la même recherche d'absolu." Il a envie de lui prendre la main. Ses doigts frôlent les siens, et il se retient. "Est-ce vraiment le hasard qui nous fait avoir cette discussion par exemple." Qui les a fait se rencontrer. Il est persuadé que non.

Il est beau, ce sourire triste, mais il t’arrache le coeur. Tu y réponds avec un peu plus de lumière, un peu plus de chaleur, allant chercher entre les ronces de ta rébellion ce que tu as de plus doux pour lui offrir.
Tu aimerais pouvoir lui prendre la main pour transmettre cette tranquille joie que tu exsudes. La seule chose qui t’empêches de le faire est l’impression que l'effleurement de vos doigts était un accident.

- Peut-être que ce n’est pas le hasard.

Tu l’admets sans sourciller, mais tu ne crois pas non plus à une entité qui aurait provoqué votre rencontre. Ce serait trop étrange. Trop éloigné de tes croyances, vides comme l’espace au dessus de vos têtes.


- Peut-être que ce sont nos choix… J’ai choisi de venir vous parler parce que vous aviez l’air de pouvoir me guider et parce que…

Parce qu’il est beau. C’est aussi simple que ça. Tu te retiens de le dire.

- … J’ai vu vos yeux. Et vous avez choisi de me répondre pour vos propres raisons. Vous auriez parfaitement pu refuser et rester avec les vôtres en voyant que je n’étais pas en tenue de fête.

C'est cela. Il semble enfin comprendre. Le hasard n'existe pas et chaque pierre jalonnant le chemin de lumière de chacun le trace, décidant de ses récompenses et de ses épreuves. Chaque pas de Keli, et chacun de ses pas à lui avaient mené à cette rencontre. L'Unique ne faisait plus vraiment de miracles visibles à présent. Il tirait là, poussait ici, et les fils de la destiné de chacun tirait les coeurs vers la Lumière. Si l'on restait fidèles aux Enseignements, si l'on surmontait ses faiblesses, alors nos pas nous mèneraient vers une vie heureuse, dans une lumière apaisante.

"J'aurais pu, mais je ne l'ai pas fait. Vous avez une lumière en vous. Vous n'en êtes pas conscient mais je la vois. Et vous avez demandé à être instruit. Chez nous, ce que vous décrivez, nous y voyons la main de l'Unique. Vous avez remarqué mes yeux mais vous auriez pu passer à côté. J'ai vu votre..." beauté ? Oui. Mais non. Et il a déjà parlé de lumière "curiosité et il est dans ma nature de chercher à partager mes coutumes. D'autres disent le Destin. Les autochtones disent Calypso. A mon sens ce ne sont que des sobriquets de l'Unique venus de ceux qui ne savent pas nommer ce qu'ils ressentent au fond d'eux."

Tu as une lumière, vraiment… ? Oh. Tu ne le sais pas, non. Tu rougis en entendant ses mots, tu lèves ta main pour la poser devant ta bouche tant tu ne te fais pas confiance pour ne pas… Parler, certainement. Dire des choses que tu sais qu’il ne veut pas entendre, parce que tu ne sais pas grand-chose de la culture de monsieur Artaban mais tu as bien compris qu’ils sont moins ouverts que vous pour beaucoup de choses.
Tu ne voudrais pas qu’il cesse de marcher avec toi juste parce que tu fais preuve d’un peu d’affection sincère.
Tu préfères partir ailleurs, sur autre chose, un sujet qui ne semble pas l’intimider.

- Je trouve…

Triste ? Dommage ? Tu hésites. Tu changes.

- J’aime croire que ces envies viennent de nous-même plutôt que de quelqu’un. Je ne suis que très corporatiste, je préfère me dire que tout est de mon propre fait et que je n’ai pas besoin d’aide pour faire les bons choix comme les mauvais. Que je peux décider de faire ça…

Tu continues d’avancer dans la rue, mais tes pas se font dansants et tu fais un tour sur toi-même, bras écartés comme dans une vieille vidéo musicale avant de te retrouver face au Père pour lui sourire.

- Juste parce que j’en ai envie. Parce que c’est agréable. Pas parce que c’était écrit.

C'est Corporatiste et c'est ce qu'il cherchait a exprimer plus tôt dans la conversation. A vouloir à tout prix être le décisionnaire on devenait le responsable, alors que l'Unique guide ses enfants vers la voie de la sagesse. Toute liberté a un prix. Un chaos. Un risque d'échec. Il le regarde tourner, oiseau de vent et d'or. Il est beau libre. Il est fragile aussi.

"Je ne chercherais pas à vous faire changer." Ni d'avis, ni du reste. Aussi perdu qu'il soit au fond, l'homme de lumière, cela lui va à merveille et Jean ne voudrait pas le voir assombri par la conscience de ses propres responsabilités. Modestie avait un peu de cette beauté là aussi. "L'important n'est-il pas que nous nous rencontrions plutôt que comment nous nous sommes rencontrés ?" Il n'a pas conscience vraiment de ce qu'il dit, seulement que ça le fait un peu rougir, déjà. Idiot qu'il est. Il réfléchit, puis reprend.

"Mais si vous êtes toujours intéressé, peut-être puis-je vous chanter quelques uns de nos hymnes ? Des mots qui ne sont pas de moi pourraient, sûrement, vous expliquer notre foi mieux que je ne pourrais le faire moi-même."

- Si.

Tu lui réponds avec un sourire, un de ceux qui découvrent tes dents et mangent tes yeux à force de puissance, un de ceux qui décrochent les soleils pour les mettre sur ton visage. Si, si, si, il n’y a rien de plus important que votre rencontre en cet instant. Les pourquoi, les comment, tu n’en as pas besoin. Il a raison. Tu n’as qu’à profiter du moment présent, de la personne du Père Artaban. De sa voix, si c’est ce qu’il veut partager, même si…

- Vous ne devriez pas vous déprécier autant. Vos explications sont parfaites.

Elles se heurtent simplement au mur des différences entre vos cultures, ce n’est pas de leur faute, simplement celle de vos éducations.

- Mais je serais ravi de vous entendre chanter, si vous le voulez. Et de vous accompagner si vous le permettez ?

Tu ne connais pas les paroles. Tu ne connais pas non plus l’air. Mais tu ne doutes pas une seule seconde de pouvoir t’adapter à ce qu’il t’offrira.

Si ses réponses étaient parfaites, alors elles seraient compréhensible mais quelque chose l'empêche de salir le sourire lumineux de son vis à vis. Il pourrait se nourrir de ce soleil là. Comme une plante déploie ses feuilles pour en saisir la moindre goutte.

Qu'a-t-il fait, lui pêcheur imparfait pour mériter une telle rencontre? Il sait qu'il devra méditer là dessus plus tard. Peut-être se confesser mais de quoi ? De son échec ? Difficile de se dire qu'on est tombé quand la main que l'on vous tend recèle tant de merveilles.

Il hoche la tête. "Je vous en prie, ce serait un honneur." Il se demande avec quel instrument il veut l'accompagner. Il n'en voit pas ? Il a oublié ? Sa voix peut-être ?

Il attrape sa guitare, l'accorde, commence un hymne simple, un pour les enfants qui dit que les ténèbres ne sont là que pour apprécier la lumière de l'Unique, qu'il ne faut pas en avoir peur. Il est inconscient de son don, de sa voix qui accompagne parfaitement ses doigts. Il est habité de sa musique, avec, au fond des yeux, sa lumière à lui, diffuse, timide mais qui veille dans l'obscurité de sa tristesse.

Tu voulais l’accompagner.
Vraiment, tu le voulais.
Tu allais tapoter le rythme du bout des doigts, lever ta voix, trouver quelque chose, peu importe quoi.
Mais te voilà figé dans une absence de mouvements comme un papillon pris dans un tableau, les yeux grands ouverts, la gorge silencieuse. Et tu bois la voix du père Artaban. Tu te gorges de la petite lumière que tu vois en lui, affaiblie par sa peine mais toujours présente.

Le moment est trop beau. Trop fragile.
Alors tu pleures.
Une larme puis une autre, en silence, toujours sans bouger. Tu es ému, tu ne peux pas t’en empêcher. Tu as au moins le bon sens de baisser un peu le menton pour que l’ombre de tes cheveux cache tes joues, et tu espères de tout coeur qu’il ne verra rien. Qu’il continuera de chanter qu’il ne faut pas craindre les ombres.

Il pleure ? Pourquoi ? Est-ce que les ténèbres lui font peur ou bien a-t-il touché quelque chose dans son âme d'enfant ? Il serait triste d'avoir éteint la lumière en cet homme si spécial et pourtant malgré les larmes, il brille toujours. Peut-être est-il simplement touché par l'Unique à travers sa voix ? Il sait que ses chants ont parfois cet effet, et il en est souvent frappé. Il ne comprend pas pourquoi lui. Et, avec le temps, il a apprit à ne plus questionner.

La musique se termine. Il plaque le dernier accord, tend un vieux mouchoir propre mais gris d'avoir été si souvent lavé au mauvais savon. Le tissu est devenu rêche, montre la trame. C'est tout ce qu'il a. Il donne tout ce qu'il peut à sa famille d'abord, aux moins fortunés après. Les soins coûtent cher.

"Je...ne voulait pas rappeler de mauvais souvenirs. Pardon. Nous avons des chants plus gais..."