Damoiseau en détresse

18.04.112

Audrey etait de retour depuis peu au Runny Amber. Et elle etait encore en plein lune de miel, a savourer avec bonheur son intimité retrouvée, ses fourneaux à elle (ok, et un petit peu à Wulf. Un petit peu) et Hope la cosmopolite, ville qu'elle aimait finalement beaucoup.

Ce matin là, elle marchait rapidement pour arriver au boulot. Pas qu'elle soit en retard, simplement, elle aimait marcher vite le matin. Ça réveillait. Et soudain, au détour d'une ruelle, à une rue seulement du Runny, elle découvrit un jeune homme châtain, menacé par Dédé la dégaine, un ex-pirate sans flamme, abandonné à Hope par un capitaine pirate quelques années plus tôt et qui vivait de mendicité et de rapines. Aujourd'hui, il avait choisis la rapine, apparemment.

Audrey décida bien vite de venir en aide au jeune homme. Eut elle eu la carrure d'un Cassagnac, elle aurait put menacer Dédé pour lui faire lâcher sa proie, mais elle etait mince, rousse et haute comme trois pommes à genoux. L'intimidation, ça marchait pas chez elle. Elle se glissa donc derrière lui, le fit chuter d'un coup de pied dans les couilles et l'envoya dans les vapes d'un grand coup de coude dans la tempe.

Pendant que Dédé geignait sur le sol, elle attrapa le grand jeune homme par la main.

"Suivez moi."

Et elle se mit a courir vers le Runny. Une fois à l’abri de ses murs, elle se tourna vers le jeune homme:

"Ça va?"

Espoir portait son nom un peu comme l'on tente de se persuader. C'était un petit astroport, plus riche que Port Salem, plein de structure bizarre, sans harmonie, sans cette unité qui est le sel d'une faction. On voyait au détours des rues de l'Impérial, des Corporations et puis, de temps en temps, un produit trinitaire. Mais Espoir avait ses pauvres aussi et ses âmes perdues. Et il était de son devoir d'utiliser son temps libre pour aider son prochain. Aussi, a l'aube, il avait quitté la Pierre dans sa vieille tenue blanche et était allé rendre visite à des familles en besoins, leur donnant des vêtements pour les enfants, et un peu de soulagement pour leur âme, les renforçant dans leur chemin. Il rentrait, bien plus léger, vers sa propre chapelle lorsqu'un homme se mit à le menacer. Surpris, Jean essaya bien de le raisonner, mais il ne voulait rien entendre et commença à sortir une arme. Il aurait donné ses avoirs si on le lui avait demandé et surtout s'il n'avait pas déjà tout distribué mais là, il n'avait plus rien et l'autre s'énervait de plus en plus. Les coups n'allaient plus tarer lorsque, d'un coup, l'homme tomba au sol et une petite femme rousse le prit par la main.

Une seconde plus tard, ils étaient dans une taverne presque vide et elle se tournait vers lui. Il baissa les yeux, un peu honteux d'avoir du être sauvée par une fille aussi jeune. "Oui. Merci beaucoup Mademoiselle."

"Je vous en pris. Dédé est généralement sans malice, mais de temps en temps, ca lui prend de détrousser les passants. Faut lui rappeler de temps en temps que ça a ses risques. Il ne vous a rien pris avant mon arrivée?"

Elle salua les serveuses déjà présente et vérifia l'heure sur la pendule. Bon, elle avait une petite demi heure avant son service. Elle avait prévu de ranger un peu, mais elle pouvait sacrifier ça au réconfort du type.

"Vous vous appelez comment? Moi c'est Audrey Darand."

"Dédé ?" Quel prénom était-ce là ? Il savait que les autres factions n'avaient pas forcément des noms à signification comme eux mais Dédé ne sonnait vraiment pas bien. Il secoua doucement la tête. "Non, je n'avais plus rien, je revenais de ma distribution. Il ne me restait que mon pendentif que je ne laisserais jamais derrière moi." Il n'avait pas même d'arme ou de pièces.

"Officiellement je suis le Père Artaban mais je suis né Jean Profitendieu si vous ne voulez pas utiliser mon titre ? Enchanté. Et merci encore."

"Ouais, Dédé. Personne connais son nom complet. Probablement même pas lui. Trop de Rhum."

L'interrogation avait été évidente dans le ton dubitatif du prêtre, aussi Audrey lui avait elle répondu.

"Bien. Contente d'etre arrivée à temps." Elle lui offrit un sourire satisfait.

Il lui dévoila son identité. Elle entendit en pensée sa mère grimacer à l'idée d'appeler un prêtre par son nom ecclésiastique. Elle ne put réprimer un gloussement et répondit.

"On va laisser votre titre aux gens qui" respectent "suivent votre religion. Je peux vous appeler Jean? Vous distribuiez donc aux pauvres, Jean?"

"Jean c'est très bien" Dédé s'était donc perdu dans l'alcool, pauvre âme. Il était aussi pauvre que ceux qu'il avaient aidé plus tôt et il aurait peut-être mérité une aide. Sauf que les enfants passaient avant, toujours, dans le coeur du jeune homme. Il retourna son attention vers la jeune femme. "Oui, l'on m'avait donné des vêtements de seconde main dont on n'avait plus besoin et je connaissais une famille qui pouvait en avoir besoin alors j'étais passé les voir et discuter un petit peu." Il avait aussi acheté des produits de première nécessité sur sa paye. Tout ce qui ne servait pas à soigner sa femme et sa fille, il le reversait, ne gardant rien pour lui.

Le prêtre était un peu difficile. Il fallait lui arracher chaque répliques au forceps. Il devait etre encore choqué. Ça choque de se faire attaquer par une montagne comme Dédé.

Elle lui fit signe de s'assoir à une des tables et alla leur chercher deux verres d'eau. Elle en posa un devant le prêtre et commença à boire le sien.

"Buvez. C'est juste de l'eau, ca vous fera du bien."

Elle pris une ou deux gorgées puis tenta encore de lancer la conversation:

"Vous êtes d'Hope, Jean?"

Il prit le verre d'eau, le vidant doucement, savourant l'onde au fond de la gorge, la fraîcheur qui réveille un corps endormi de chaleur. Il aimait bien boire très froid ou très chaud et sentir ces différences couler le long de sa gorge jusqu'à l'intérieur même de son être. Doucement, il reposa le verre vide, faisant attention à ne pas le faire tinter sur la table en bois. Il n'aimait pas plus brusquer les objets que les gens.

"Merci. Je suis né à Port Salem." Une hésitation. "Et vous ? C'est Espoir qui vous a forgée ainsi ?" Il n'allait pas se plaindre des capacités de combat de la jeune femme, elles lui avaient évité de se prendre des coups ce qui n'est jamais agréable mais l'idée d'une jeune fille aussi petite et jeune qui mettait à terre une montagne comme Dédé ne lui serait jamais venu à l'esprit.

Hallelujah! Il rendait la conversation! Audrey décida qu'il allait donc mieux. Le verre d'eau avait donc aidé.

"Je suis née sur un vaisseau marchand. Ma mère était... agent de sécurité. Elle m'a appris les bases de son métier très jeune. J'ai continué à entretenir ça et tadaaaaaa, ça a donné moi."

Elle se plongea dans ses souvenir et réfléchis à ce qu'elle pouvait en partager.

"J'ai visité Port Salem, gamine avec ma mère. C'est une ville qui a son caractère."

Un vaisseau marchand. Une mère agent de sécurité. Les autres factions étaient décidément bien aveugle à ce que l'Unique avait voulu pour les hommes et les femmes. Etait-ce bien l'endroit pour élever un enfant ? Dans la violence et dans le sang ? A la rigueur un garçon dont on sait qu'il grandira en force et en vitesse mais une femme ? Et pourtant elle l'avait aidé, il aurait été bien ingrat de se plaindre. De fait, il ne savait pas trop quoi en penser.

"Port Salem est une petite ville sans rien de remarquable. Les rues sont pleines de gens qui font sa richesse malgré la pauvreté qui y rôde derrière les façades clinquantes des rues marchandes. C'est une ville d'avenir. Elle est au début de son chemin. Elle est comme Dorado, violente, sale, corrompue. Mais j'ai foi en la nouvelle génération, celle qui est juste après nous, je pense qu'elle pourra redresser la barre, combattre la paresse, donner à ce Port la grandeur et la justice qu'elle mérite sans perdre son commerce."

Les paroles de Jean rappelèrent à Audrey une vielle discutions qu'elle avait eu avec Wulf.

"Pourquoi attendre la nouvelle génération? Pourquoi lui refiler les problèmes sans essayer d'y remédier d'abord nous même. Dorado est a construire, c'est vrai, et Port Salem avec elle, mais c'est notre responsabilité, à nous, pas celle de nos enfants, pas encore."

De sérieuse, elle passa à un rire mutin:

"Enfin à vos enfants, parce que moi, j'en ai pas encore."

"Parce que ce genre de chose prend du temps et que c'est à notre génération d'élever les jeunes pour qu'ils puissent avoir la force de se battre. Pour nous, il est trop tard, je vois trop de gens de nos âges déjà touchés par la corruption, la facilité et l'ignorance. Enseigner aux adultes est presque impossible. C'est dans l'enfance qu'il faut espérer." Il y croit passionnément et ses yeux souvent éteints se sont quelques secondes allumés d'une lumière chaude que la notion de ses enfants vient étouffer d'un coup. Vive lui manque terriblement.

"Alors d'une si vous estimez que tu dois élever la prochaine génération, vous ne faites pas rien." fit remarquer Audrey, une lueur d'amusement dans l’œil.

"Et je pense quand même que vous choisissez la facilité en décidant d'agir via vos enfants plutôt que directement. Il reste plein de choses que vous pouvez faire pour leur paver la voie, au lieu de les laisser se démerder."

Après, se dit-elle, C'était très trinitaire de faire des gosses d'abord et de tout leur faire reposer sur les épaules après.

Elle n'a pas tort. Il la regarde, surpris. Elever les enfants lui est tellement naturel que, pour lui, c'est à peine faire. Et puis elle se contredit d'elle-même, renforçant l'impression qu'il avait depuis le début. Ce n'est rien, éduquer, mais que peut-il faire, lui ?

"Comme quoi, par exemple. Ce n'est pas en menant ma propre vie sans corruption que je vais changer quoi que ce soit, même si je le fais par éthique personnelle. Ce n'est pas à mon niveau que je vais pouvoir être écouté par ceux qui dirigent et qui font et si je devais m'élever à ce niveau, il faudrait, outre être bien plus intelligent et brillant que moi, tremper dans ce que je veux combattre et risquer d'être corrompu à mon tour car je n'ai pas appris à me protéger. Je voulais donner à mes enfants, aux enfants qui étaient sous ma charge, la force et la conviction pour s'élever sans se salir, pour marcher d'un pas franc et ferme. Je ne vois pas ce que je peux faire d'autre sinon soulager les plus démunis de toute ma force et de toute mon âme."

Ce n'est pas assez. Il le sait bien. Il le voit bien. La pauvreté gagne du terrain, la mort aussi. Il continue pourtant. C'est son chemin à lui, les grains de poussière emportés par le vent, l'ouvrage sans cesse démoli puis reconstruit.

"Et bien... Vous pourriez apprendre à vous protéger, déja. Vous êtes prêtre. Ca vous permettrait ensuite de l'enseigner à vous ouailles. Ensuite, vous pourriez vous impliquer plus profondément dans les causes qui vous tiennent a cœur. Vous donnez aux pauvres, c'est bien, mais vous pourriez militer pour pousser le pouvoir a consacrer plus de moyen à la charité, par exemple."

La jeune femme finit son verre d'eau.

"Commencez par améliorer votre petit monde. Par en faire ce que vous voudriez voir, puis une fois que vous avez ce que vous voulez chez vous, essayez de convaincre les autres d'adopter vos methodes. Une personne à la fois, un petit bout après l'autre. Quand une tache est monumentale, il faut la subdiviser en petites taches individuelles simples."

"C'est ce que je fais déjà." Répondit-il sans aucune véhémence mais avec une douceur infinie. C'est ce qu'il faisait, avant, lorsqu'il était professeur. C'est ce qu'il faisait à bord de la Pierre aussi, prêcher pour la charité et pour la pureté de coeur, contre la corruption, pour la préservation des Chemins de l'Unique. Elle ne pouvait pas le savoir et ses conseils venaient du bon du coeur. "Mais une personne n'est rien, c'est une poussière. La force est dans la communauté unie par le même but, c'est ce que nous apprend l'Unique, à nous dépasser seul en s'appuyant sur la force du groupe et faire avancer le groupe comme une seule personne en s'appuyant sur la force des individus qui le composent. C'est pour cela qu'il est important de savoir qui on est mais aussi de savoir s'oublier dans le groupe, penser plus grand, et à plus longue échelle que la vie seule de la personne."

"Alors vous voyez, entre ça et vos enfants, vous ne faites pas rien. Faut prendre conscience de ce que vous faites aussi!"

Audrey offre un petit sourire malicieux au prêtre.

"Et de poussière en poussière, on peut accumuler pas mal de matière, d'une part, et d'autre part, une poussière bactérienne peut faire fermenter une jarre entière de lait. Une poussière, ça peut être puissant. Après faut réussir à faire du fromage et non juste du lait caillé avec notre jarre de lait fermenté."

Hum...

"Mais je me perd un peu dans mes métaphores. Vous allez mieux?"

C'est rien parce qu'il sait que ça n'aura pas d'impact, ce sont des grains de poussières. D'autres sauront, il espère, en faire des choses plus solides. Il lui sourit doucement. "Oui. Merci. Je savais que l'astroport était violent mais je n'avais pas pensé pouvoir être source d'envie." Et en effet, il ne paye pas de mine avec sa soutane usée. Seule sa guitare est de prix et il ne l'avait pas prise cette fois. Heureusement, elle aurait pu être abîmée. Rétroactivement, il se rendait compte de sa chance et du fait que seul l'Unique pouvait avoir mis la jeune fille sur son Chemin. Mais pourquoi ? Elle ne semblait pas à la recherche de réponses.

"Vous semblez bien intéressée par la question, Mademoiselle. Vous aidez vous aussi les plus démunis ?" Les trinitaires n'avaient pas le monopole de la charité.

Non, Audrey n'était pas à la recherche de réponses. En tout cas pas du genre de réponses que pouvait lui offrir un petit prêtre trinitaire.

"Dédé est des plus démunis. De son point de vue, propre sur vous comme vous l’êtes, vous pourriez avoir sur vous de quoi lui payer un verre ou deux de rhum. Il n'en demande pas plus."

Si elle aidait les démunis?

"Pas vraiment. Pas autant que je devrais. Simplement, quand On met sur ma route une personne en détresse, je vais jusqu'au bout de la démarche. Et par ailleurs, vu l'heure, je vais bientôt devoir prendre mon service. Attendez."

Elle s’éclipsa dans la cuisine, enfila son tablier et récupéra de quoi commencer a préparer le service, à savoir des tomates à trancher. Elle s'installa derrière le bar et fit signe au beau prêtre de s'avancer.

"Voilà, on peut continuer à causer, maintenant. Dites moi, Jean Profitendieu de Port Salem, qu'est ce qui vous emmène faire la charité à Ho... Espoir?

On. Il n'était pas certain d'avoir entendu la majuscule, il n'était pas sûr de son propre ressenti, et pourtant. Peut-être était-ce pour cela que l'Unique les avaient mis, Dédé et elle, sur son Chemin. Il n'avait pas l'âme d'un convertisseur mais il ne s'était jamais non plus imaginé inquisiteur et pourtant, c'était là qu'il était à présent. Il s'avança à sa suite et s'assit sans difficulté sur le haut tabouret. "Je fais la charité partout où je suis. La misère est présente dans tous les endroits habités par les hommes et ceux qui y vivent deviennent aveugles à ce qui n'est que trop familier. Aussi, pour aider de mon mieux les démunis, je donne ce que j'ai dès que je le peux, je garde des registres, je procure des paroles de réconfort, quelques prières, à mon simple niveau, j'essaie d'apporter un peu de lumière dans l'obscurité de la réelle pauvreté, celle tellement crasse que ce n'est plus un verre ou deux de rhum qui est espéré mais bien un peu plus d'eau, ou une barre entière de nutri-soja." Il avait vécu ces moments là, la honte de devoir quémander, de cacher sa faim. Et encore. En tant qu'aîné de la famille et mâle, il avait eu une part belle qu'il partageait volontiers avec les punis de sa trop nombreuse famille.

Il y avait bien une majuscule dans le On d'Audrey. Mais elle n'était pas consacrée à la bonne divinité, du point de vue du jeune prêtre. Audrey n'était guère religieuse, mais peut être que le contact de l’ecclésiastique faisait ressortir cela chez elle. Mais en bonne pirate, si elle servait quelqu'un, c'était la Dame.

"Vous ne connaissez pas la dépendance. Dédé est alcoolique au dernier degré. Il cherchera toujours à s'intoxiquer avant de boire ou de manger. Il est dans une misère crasse. D'autant plus que les généreux donateurs considèrent souvent, comme vous venez de le faire, que s'il cherche de l'alcool, c'est qu'il a déjà de l'eau et du soja. Ce n'est très probablement pas le cas."

Puis elle haussa les épaules.

"Cela dit, il n'accepterait pas d'aide. Il a besoin d'une desintox, mais il veux juste un verre. Et les desintox, sans volonté, ça ne marche pas."

Il cherchera toujours à s'intoxiquer avant de boire ou de manger.

"Pourquoi je m'acharne à défendre ce pauvre Dédé, moi? Je sais pas. Je me sens p'tet un peu coupable de l'avoir tabassé. Mais bon, sans ca, il ne vous aurait pas lâché. Je suis pas du genre à intimider les gens."