Décoration d'intérieur [Aeÿ'gis]

Je n’ai jamais été du matin. Se lever aux aurores pour chanter la rosée et voir le soleil se lever est une immense arnaque et si on me laissait faire, je traînerai dans mon lit pendant des heures avant de mettre un pied dehors.
Le drame, bien sûr, c’est qu’on ne me laisse pas faire. Qu’avoir un travail à bord d’un navire signifie ne pas choisir totalement mes horaires.
Il est donc trop tôt lorsque je mets le nez hors de ma cabine. J’ai l’air encore vaseuse, je n’ai pas mis mon cache-oeil mais je mets très en valeur mon vêtement de nuit en pilou rose rayé de blanc, orné de petits motifs de baleines mignonnes. Bref : je suis une loque. J’en ai conscience. J’espère très fort pour la survie de mes collègues que personne ne fera de remarques là dessus.

C’est dans le couloir qui mène au mess que je croise Aeÿ’gis. Je lui baille un salut, lève la main pour accompagner les mots mollement sortis. Le matin, vraiment, c’est tragique.
Sauf celui-ci. Il doit y avoir une justice en ce monde parce que je fais un pas vers la jolie demoiselle aux cheveux verts et au bout du couloir, je vois Jaziel quitter son bureau.
En laissant la porte ouverte.
LA PORTE OUVERTE.
Je suis curieuse, c’est mon métier, c’est un petit vice comme un autre. Je fais signe de garder le silence à l’artilleuse et je me glisse, très discrète dans mes chaussons, jusqu’à la pièce.
C’est blanc.
Tout est blanc.
C’est beaucoup trop tentant.

- J’ai envie de tout peindre...

J'entre ouvre la porte de seulement quelques millimètres, écoute puis jette un oeil. Le corridor semble désert, parfait. Je jette un dernier regard à la silhouette endormi d'Ichabod, puis me glisse à l'extérieur. J'aurais dû m'éclipser cette nuit, il y a moins de chance qu'on me surprenne à ce moment-là, mais j'ai été faible. Faible au sens incapable de quitter ses bras. Mais je ne peux pas retarder davantage. Je referme donc la porte le plus silencieusement possible derrière moi puis m'éloigne en priant pour que personne n'apparaisse maintenant. Je n'ai rien à faire aussi tôt le matin dans la section des quartiers des officiers, et nue pieds, vêtue de mon pyjama une pièce aux imprimés de têtes de chats multicolores, je fais tout sauf passer inaperçue.

À ma plus grande horreur, je vois alors apparaître Ati, puis la porte du bureau du capitaine s'ouvre et Jaziel en personne sort dans le couloir. Ça y est. C'est comme ça que je meurs, d'une crise cardiaque à 27 ans dans mon pyjama parce que je ne suis pas foutu de mentir et qu'il n'y a aucune chance qu'ils ne me demandent pas ce que je fais là. Mais... la question ne vient pas. Le Capitaine passe son chemin, et Ati fixe l'intérieur du bureau laissé ouvert de Jaziel. Infiniment soulagée et maintenant intriguée, je m'approche, jette un oeil à l'intérieur... et en oublie complètement la presque catastrophe que je viens de vivre.

"Je... c'est pas possible autant de blanc.

- N’est-ce pas ?

Je me penche encore un peu vers l’intérieur.
Il n’y a que du blanc partout. J’ai le nuancier qui me démange d’autant plus que je suis certaine que Jaziel détesterait qu’on vienne mettre du rose et du jaune sur ses affaires.

- Juste… Juste un peu de couleur…

Je plisse les paupières. Je vois… Un peu de bleu. C’est joli, le bleu.

- Le capitaine est du genre à s’énerver facilement ?

Que je demande à Aeÿ’gis, qui doit mieux savoir que moi.

C'est fou comment une bonne distraction peut vous faire oublier rapidement vos angoisses et inquiétudes. Et, par Calypso, cette distraction-ci est tout simplement de calibre intergalactique. Je me penche moi aussi, passant ma tête à l'intérieur en profitant de ma petite taille pour pointer mon nez trente centimètres sous celui d'Ati.

"Ouai... j'suis certaine qu'le Capitaine aime le bleu en plus."

C'est plus stérile qu'une chambre d’hôpital comme bureau, c'est dingue. Je crois que j'ai connu des cellules plus décorer que cette pièce-ci, et je sais de quoi je parler pourtant. On dirait presque que le vaisseau vient d'être fini de construire et que personne n'a encore eu le temps de passer pour ajouter les touches esthétiques finales. Bon sang que ça me démange de remédier à la situation...

Prises à mes réflexions et à mon hébétement devant cette avalanche de blanc, je mets un temps de retard à comprendre la question d'Ati. Me redressant ensuite un peu, je me mords la lèvre et lance un regard derrière nous pour voir si le Capitaine revient déjà.

"S'énerver facilement, non. Mais il aime l'ordre et le respect, donc je crois pas qu'il aimerait qu'on repeigne tout en bleu sans son autorisation. Par contre, peut-être qu'on peut..."

Je glisse la main dans mon sac et en sors une pile de petits post-its de toutes les couleurs.

"... lui laisser des recommandations?"

C’est parfait, nous sommes d’accord sur le bleu. Je hoche la tête avec enthousiasme.

- Je pensais aussi à un joli bleu.

Un peu profond, mais pas trop… Bleu canard peut-être ? Un bleu paon ? Je ne sais pas trop. Pas bleu glacier en tout cas, la thématique générale de la neige commence à me sortir par les narines.
La suggestion de l’artilleuse me fait sourire. Les notes autocollantes sont une superbe idée qu’on pourrait même rendre encore plus ludique.

- On peut même…

Je lance un coup d’oeil sur le couloir juste au cas où, puis je murmure la suite.

- Décorer avec ça ? Faire des motifs. Pour lui suggérer un peu mieux comment repeindre. Et plus s’amuser.

Parce que soyons honnêtes, c’est mon objectif principal : je veux coller du papier coloré partout, faire des dessins dessus, et passer un bon moment avec Aeÿ’gis. Du coup j’entre dans la cabine du capitaine avec vaillance et bonne intentions, le torse bombé, la chevelure totalement décoiffée.
Il n’y a qu’un petit détail à fignoler, et… Voilà, j’ai les caméras du couloir sur mon écran pour être tranquille.

- Je surveille les couloirs. Tu peux entrer aussi !

La suggestion d'utiliser les post-it pour décorer me fait ouvrir de grands yeux probablement brillants d'étoiles alors que milles et une idées me traversent l'esprit. C'est officiel, Ati est une génie et je l'adore. J'en oublie même un instant mes inquiétudes concernant la possible colère du Capitaine.

"Si on trouve des ciseaux, ou pourrait même faire du découpage... il aime l'origami en plus. Et ca s’enlèvera facilement s'il aime pas, c'est juste parfait."

Bon sang, mes doigts me démangent de m'y mettre maintenant. Et ce plaisir là, il en vaut bien les quelques corvées désagréables de punition qu'on risque, non? J'entre donc à la suite d'Ati et lui tend la moitié de mon paquet de post-it tout en regardant partout comme une gamine dans un magasin de bonbons. J'ai tellement d'idées que je ne sais pas par où commencer.

"On aura peut-être pas beaucoup de temps alors..."

J'offre un large sourire à ma nouvelle complice, sort un marqueur de mon sac et me met à écrire sur le premier post-it avant de le coller sur le rebord du hublot. Dessus, il est écrit "mettre une plante ici" avec un petit dessin de fleur.

"... j'vais commencer par les recommandations. Si tu veux t'mettre à la déco de papier, lance toi et balance moi tes suggestions que je les lui colle un peu partout."

Des ciseaux ? Des ciseaux ! Où est Chaton pour chercher des choses quand on a besoin de lui, franchement ?

- C’est un bureau, il doit en avoir…

Je commence donc à fouiner très légèrement dans les affaires après avoir récupéré ma moitié des post-its. Je suis à la recherche -par ordre de priorité- de ciseaux, de feutres colorés et de paillettes. Même si je me doute qu’il n’a pas de paillettes dans ses affaires écoeuramment blanches.

- Il lui faut des étoiles, qu’est-ce que tu en dis ?

HA ! Les ciseaux ! Je les prend dans le pot à crayons où ils trainaient et j’admire leur état stupidement neuf. Notre Capitaine a un problème.

- Et des lumières colorées. J’en peux plus du blanc.

Je pose mon auguste fessier sur le sol pour commencer mes découpages, appliquée. Une étoile, deux étoiles…

- Et tu sais, des choses chaudes et douces… Une couverture, un tapis… Les objets dont il a l’air d’oublier l’existence.

J’ai l’illumination, une image splendide en tête, je relève le nez pour la partager en mimant.

- Un bonnet. Avec des pompons et des fils de couleur, des motifs, de la laine douce.

Je fais donc les pompons sur le sommet de la tête, les fils qui partent des tempes, et même les zigzags des motifs. Il faut qu’Aeÿ’gis profite elle aussi de cette magnificente image.

Sur un second post-it, bleu marine celui-là, j'inscrit les mots "un peu de couleur bleu sur les murs, peut-être?" avant de le coller directement sur le mur en question.

"Excellente idée les étoiles! Peut-être faire de petites planètes et tout pour aller avec?"

Je m'applique ensuite à transcrire les idées d'Ati sur papier - qui sont excellentes d'ailleurs, particulièrement celle du bonnet - et les collants aux endroits appropriés avant de m’asseoir en tailleur sur le sol pour mieux réfléchir.

"Magnifique ce bonnet. J'savais pas qu't'étais aussi douée en dessin."

Les choix à faire sont importants. Ça ne lui prend pas seulement n'importe quelle décoration sympa, ca lui prend SA décoration à LUI qui le représente. Qu'on entre dans son bureau et qu'on sache tout de suite qu'il s'agit de celui du capitaine de l'Iceberg. Que lui y entre et s'y sente chez lui. Parce que là... je peux pas croire que l'un ou l'autre puisse être possible actuellement, on dirait un simple bureau sans identité dans lequel personne n'a encore emménagé. Et ca, c'est inadmissible.

"C'est dingue, j'veux dire... même Louk' a une meilleure décoration de chambre que ca."

Les notes commencent à s'accumuler. Installer des cadres photos ou de cartes spatiales sur les murs. Acheter un poisson rouge. Mettre un iceberg en verre sur son bureau. Installer plus d'étagères avec des livres et pour exposer ses origamis. Utiliser du papier de couleur pour faire ses origamis. Ajouter une lava lamp dans ce coin...

Des planètes ! C’est du génie, que dis-je ? De l’art ! Je mets un petit tas de post-its à part pour en faire mes planètes du coup, totalement charmée que je suis par la suggestion.

- Je vais lui faire de jolies petites planètes, de toutes les tailles.

Et de tous les climats. Même un petit glaçon spatial, pour faire plaisir au capitaine.
Il faut que j’admette quelque chose : je m’amuse comme une petite folle. Aeÿ’gis est adorable, elle me colle un sourire jusqu’aux yeux juste en parlant et en virevoltant dans la pièce avec ses petites notes dans la main. Et en me disant des choses gentilles sur mes incroyable -oui, oui, incroyables !- dessins.
J’en suis d’ailleurs rendue aux planètes. Je m’applique fort à les colorier avec mes surligneurs empruntés.

- Louk ?

Je relève le nez.

- Oh, Loukian ! C’est vrai que même sa cabine déprimante est mieux que ça.

Une seconde de réflexion.

- Il faut un Robert à Jaziel aussi… Un Robert avec des fleurs blanches...

Je ris lorsqu'Ati qualifie la cabine de Louk' comme étant "déprimante", heureuse d'avoir enfin du support moral dans ma quête contre la morosité de cette salle qui a pourtant un énorme potentiel.

"Exact, et aucune personnalité. Sa cabine pourrait tellement mieux le représenter. J'comprend pas comment il peut arriver à se détendre et se sentir chez lui là dedans alors que ca a la même ambiance qu'un vieux placard à balais désaffecté. Depuis qu'il a eu sa promotion d'officier j'lui casse les oreilles pour qu'il me laisser refaire sa déco."

Puis la hackeuse parle alors de Robert et je redresse la tête de mes notes - celle là mentionnant "Étagère de présentation pour origami" - avec enthousiasme et les yeux brillants, comme si elle venais d'avoir une révélation.

"Des plantes! Mais oui, c'est parfait pour le Capitaine! Ça reste sobre et professionnel tout en ajoutant de la vie et des couleurs. On pourrait même lui proposer des Roberts de différentes couleur et des fleurs de Renaissance? et en plus il pourra en prendre soin méticuleusement s'il en a envie ou nous demander de l'aide, ca serait sympa. Ou du moins à moi, ca me ferait plaisir."

Je détache mon post-it puis le colle à l'endroit ou je visualise déjà une jolie étagère pour exposer les œuvres de papiers du Capitaine.

"J'm'occupe déjà du Robert de Louk' alors une ou deux de plus... Pauvre petite chose d'ailleurs, je crois qu'il a tenté de l'arroser avec du rhum l'autre jour."

- OooOOOOooOh il devrait te laisser faire !

Qu'est ce qui pourrait mal tourner si Aeÿ’gis décore quelque chose, hein ? Rien du tout ! Cette demoiselle a l'air d'être de bon goût, je lui ferais confiance avec ma propre cabine si elle n'était pas déjà pleine de fleurs et de coussins et de paniers chauffants pour Chaton. Calkuen devrait dire oui. Sale rabat-joie de mécanicien.
Enfin bon on ne va pas se pencher sur son cas, là on est sur celui du non moins austère Capitaine et c'est déjà beaucoup. J'en suis rendue à dessiner une ceinture d'astéroïdes tout en réfléchissant aux plantes qui iraient bien dans la pièce.

- Est-ce que des plantes accrochées au plafond… ? Il pourra continuer d'avoir de la place pour faire ses trucs de Capitaine mais il aura aussi des plantes. Et on aura qu'à s'en occuper nous, comme ça il ne perd pas plus de temps et toi, et moi aussi, on trouve ça agréable…

Je tape ma main sur le sol pour valider moi-même mon idée.

- Je contacterai mon fleuriste sur Valenos. On aura qu'à choisir ensemble dans son catalogue.

Et je re-frappe le sol, cette fois parce que je suis amusée. Je présente mon plus bel air fourbe à la joyeuse étincelle qu'est l'Artilleuse.

- Je peux t'avouer quelque chose ? J'ai des dizaines de Robert dans ma chambre. S'il tue Robert Premier, il en aura un autre dans la journée. Il ne peut pas s'en débarrasser.

"Je saiiiiiis. Mais il est plus têtu qu'un vieil Ataa'or bourru. Mais je l'aime aussi pour ça."

Je ris doucement à ma propre comparaison puis secoue la tête avant de retourner mon attention sur le cas du Capitaine de Nieves. Je colle ma dernière recommandation sur le dossier d'une chaise, celle où les membres d'équipages viennent s’asseoir lorsqu'ils sont convoqués par le Capitaine et pour laquelle je propose un coussin, puis me laisse tomber sur le dos. Les bras en étoile, je fixe le plafond en fronçant les sourcils pour tenter de mieux imaginer la proposition de plantes suspendues d'Ati.

"Hmm. Ouais, bonne idée. J'crois qu'il aime bien avoir ses surfaces... comment dire... Libres? Minimalistes? Il apprécierait surement que les plantes ne l'encombrent pas dans son espace de travail. Dans ce soin-là, ça serait bien. Et près du hublot aussi, juste là."

Quand elle propose d'aller ensemble choisir ses plantes chez son fleuriste, un large sourire étire mes lèvres et je tourne la tête vers elle sans pour autant me redresser.

"Oh, j'adorerais, oui! Je connais pas de fleuriste, j'ai toujours acheté mes plantes dans les marchés des astroports. Peut-être que j'y trouverais quelque chose pour moi aussi? Genre... une plante que Sorewn essayera pas de manger ou qui ne risque pas de l'empoisonner."

Le retour à Loukian me fait de nouveau rire et je roule sur le ventre pour mieux la regarder.

"Bon plan. J'te tiendrais au courant si j'avise d'un décès prématuré.

Parce qu’Aeÿ’gis n’est pas bien grande et que moi je suis bien trop montée en graine, j’écris “plantes ici” sur deux post-its et je me lève pour aller les coller au plafond. Oui, au plafond. Je n’ai qu’à me mettre sur la pointe des pieds et à tendre très haut les bras au dessus de ma tête pour le toucher, après tout. Autant que ça serve.

- Il y a forcément des plantes qui te plairont et qui ne seront pas toxiques pour un Mo'eylan. Mon fleuriste devrait pouvoir t’aider.

Je retourne me poser au sol pour commencer à découper mes étoiles.

- S’il peut trouver ce qui n’empoisonne pas un Ni’ìt, il devrait t’être utile.

Lorsqu’elle me dit qu’elle me préviendra de la future probable mort de Robert, je me dis même qu'il faut que je lui offre des douzaines de plantes au lieu de me contenter de lui présenter un fleuriste. Je ne peux pas m'empêcher de sourire avec une satisfaction fourbe en me rendant compte que j’ai une alliée.

- Il faut que je réfléchisse à comment mettre en scène les résurrections de Robert, alors… Je voulais juste lui en donner un à chaque fois que je me rends compte qu’il a tué le précédent, mais ce serait pas drôle, non ?

Elle me parle d'une mise en scène et j'arrête tout ce que je fais pour lever des yeux brillants vers elle, mon intérêt tout aussi piqué que quand il a été question d'entrer dans le bureau du capitaine pour refaire la décoration. C'est plus fort que moi, j'adore quand ca implique de jouer un tour à quelqu'un que j'aime.

"Oh, là tu me parles. Faudrait trouver une façon qu'il ne comprenne pas ce qui se passe, mais qu'il ne se doute pas tout de suite qu'on a quelque chose à voir là dedans. Peut-être... quand le Robert est tout sec, on le remplace par un Robert légèrement plus gros, d'une teinte légèrement différente et en pleine forme? Comme s'il avait eu un regain de vie la nuit et se métamorphosait lentement? Et plus ca va, plus on exagère sur la grosseur. Et peut-être même changer pour un Robert à fleurs, à un moment. Louk' fera pas la différence des feuilles si c'est relativement semblable."

Je plisse les yeux un instant en réfléchissant, puis ajoute soudain avec un sourire plus qu'enthousiaste :

"Et si on change ca la nuit, quand il se doute de rien? Genre... si je remarque que notre Robert en poste est sur le point de rendre l'âme, je passe te voir, cacher un Robert de remplacement dans mon sac, et je m'arrange pour passer la nuit dans sa cabine? J'y suis tout le temps, de toute façon."

... ah. C'était peut-être drôlement formulé comme fin, ca.

Je l’ai intéressée, je le vois. Je repose donc mes ciseaux pour me pencher vers Aeÿ’gis façon comploteuse de roman d’espionnage. Je sens mon sourire s’étaler plus encore, les bords de mes lèvres se relever plus haut encore de satisfaction vicelarde à chaque mot que prononce ma complice de plan fourbe.

- Je vais faire en sorte d’en avoir une dizaine de plus en plus gros pour ça, oui…

L’idée de lui présenter un monstre de Robert, une plante qui revient plus forte et plus grosse à chaque mort, me rend folle de joie aux dépends de Loukian. Est-ce que je peux inventer un mythe autour de ces plantes ? Oui. Oui, je le peux et oui, je vais le faire.
Et non, je ne vais pas relever le fait qu’elle est tout le temps dans la cabine de notre victime. Ce n’est pas parce que la notion de vie privée n’existe pas pour moi que je suis malpolie au point de faire remarquer les informations lâchées par erreur -ou que je pense être sorties trop facilement. Je me contente de hocher la tête d’un air entendu.

- Je pourrais même te les déguiser en autre chose, pour qu’il ne se doute de rien la nuit. Est-ce qu’il irait fouiller dans des boîtes à gâteaux, tu crois ? Oh, je sais ! Dans des seaux de croquettes pour ton Sorewn !

Je suis heureuse qu'elle relève pas comme étrange le fait que je passe la nuit chez mon ami et qu'elle ne semble pas en tirer de fausses conclusions. Après tout... c'est Ati. Je sais à quel point les potins et ce genre d'histoire l'intéressent. Mais ceci étant dit, effectivement... c'est Ati. Alors elle doit déjà savoir et connaitre mes déplacements, comme elle est responsable des systèmes de sécurité et de surveillance du vaisseau. Ce qui veut aussi dire qu'elle doit savoir pour Icha... oh merde.

Bon, okay, calme-toi, Syenä, si elle sait et n'a jamais rien dit, c'est que tout est okay, qu'elle ne te juge pas et qu'elle et le capitaine ne doivent pas y voir d'inconvénient. Oh... est-ce que le capitaine De Nieves aussi est au courant d'ailleurs? Et est-ce qu'elle... ou ils... croient que je fréquente les deux? NON. Focus, tu as un plan diabolique à mettre en place pour jouer le tour du siècle à ton meilleur ami, arrête de paniquer avec des peut-être contre lesquels tu peux rien.

"Les gâteaux il risque d'y mettre son nez, et j'emmène pas les sceaux de croquettes de Sorewn quand je vais chez lui, malheureusement... mais j'ai toujours un sac? Et il fouille pas dedans, normalement. Alors peut-être... les déguiser en trousse à maquillage? Y a encore moins de chance qu'il s'y intéresse comme ça!"