"Messieurs, Mesdames, je tenais à vous annoncer que l'abordage a été repoussé. Nous allons accueillir à bord les otages des pirates qui nous ont attaqués, nous les déposerons en sécurité dès que nous le pourrons et continuerons le voyage. Merci de votre compréhension."

La porte s'ouvre.

"Mon Dieu, Joseph. Regarde comme ils semblent misérables. Les pauvres diables. Ils sont faméliques. Il y a même un enfant... Oh ! Tu as vu ! Quel regard ! Petit ! Hey ! Petit !
- Carlie, qu'est-ce que tu fais ?
- Viens ! Viens !
- Mais !
- Tu veux vraiment qu'il finisse à la rue ? Allez, approche. Comment tu t'appelles ?
- En'theven.
- Tu as de la famille, En'theven ?
- Non. Ils sont morts.
- On ne peut pas le laisser là, Joseph.
- ... "

Carlie et Joseph Stevenson n'étaient pas les meilleurs parents. Ni les pires. Le jour où ils l'ont adopté, En'the avait cinq ans. Elle avait travaillé une grande partie de sa vie chez les compagnons et avait fini par prendre sa retraite avec l'un de ses clients, un médecin fortuné. Rentrés sur Valenos, ils le prennent sous son aile. Il doit s'acclimater à la vie en dehors d'un vaisseau d'esclavagiste. Et loin de Dorado. Souvent, il se réveille la nuit en hurlant. Il rêve qu'on arrache des fil attachés à ses membres et ça lui fait mal. De longs fils noirs d'étoile. Les cauchemars cessent après quelques années, de bonnes séances chez un psychologue ("Un trouble post-traumatique, pauvre enfant...") et beaucoup de médicaments pour oublier. Il suit les études qu'on lui demande suivre, grandit beaucoup et s'installe sous la houlette de son père adoptif dans un large bureau dont les fenêtres sont de larges baies vitrées sur une ville bouillonnante. Calme, docile et intelligent, En'theven est très apprécié par la corporation qui l'a engagé, Anthema. Il vit confortablement et semble heureux. C'est une belle vie qu'on lui a donnée, il serait assez ingrat de dire le contraire.

"T'as le regard éteint."

En'the lève le nez vers l'homme dans l'astroport. Un sourire aimable se pose sur ses lèvres, tandis que sa main se tend naturellement vers celui qui vient de lui parler. Il trouve que c'est certainement une drôle de manière de commencer le rendez-vous qu'ils s'étaient donné en ligne.

"Hakim ?"

Lui est archéologue pour l'U.C. Ils discutent de temps en temps quand il est dans le coin, sur les réseaux. C'est la première fois qu'ils se voient réellement. Il y a un truc qui lui plaît, à En'the, dans cet homme un peu brut. Les verres sont servis, ils regardent la ville vivoter. En'theven commença.

" Tu travailles dans le système Dorado, donc ?
- Yep, tu connais ?
- J'en viens. J'ai été adopté et emmené ici.
- Ah ! Tu dois connaître Tech12 alors !
- Pas vraiment. Je ne m’intéresse plus vraiment à ce système, c'est juste un...
- Attends, attends. Tu viens de là-bas... mais tu n'y es jamais retourné ?
- Pourquoi faire ?
- Tu es Moa't, non ?
- Oui, et ?
- Il faut que tu y retournes."

En'the resta un moment silencieux en observant cet homme qui ne sortait de nulle part ou presque, qui était arrivé dans sa vie comme un boulet de canon et voulait maintenant l'emporter dans un système presque sauvage, dévasté par la piraterie. Il secoua la tête avec un sourire. Il était mignon, mais c'était proprement impossible.

Trois mois plus tard, il serre la main d'Hakim sur son épaule tandis qu'ils s'approchent de la station warp. Le beau bureau est vide et la lumière des néons extérieurs se reflète sur une moquette trop propre. En'theven expire fort tandis que le vaisseau passe entre les systèmes. À l'arrivée, il inspire de nouveau. Rien. Il fixe le vide extérieur et hausse les épaules. Ils voyagent tranquillement vers Tech12. Un étrange sentiment de déception pointe en son ventre. Il s'attendait à autre chose.

Mais lorsque le sommeil se fait enfin, dans sa cabine, il le sent. Des fourmillements dans ses mains remontent jusqu'à son cou, la chaleur douce et paisible qui l'enveloppe tandis qu'il se recroqueville lentement dans une position fœtale. Il entend le souffle des vents spatiaux contre la coque, aussi bien que s'il y était assis. Les larmes coulent d'elle-même contre ses joues. Il tend ses mains pour qu'elles soient enveloppées dans les lambeaux de ce qu'il avait connu.

Il se réveille doucement et murmure : "Je dois rentrer chez moi."

Remonter à travers les différents systèmes pour retrouver un clan perdu, rien de moins facile. En'theven l'avait essayé, tout comme ses parents. À présent, il n'avait plus besoin de ça. Il avait cette intuition effroyable qu'il les retrouverait. Il se pose sur Renaissance, au port Vanguard après avoir quitté Hakim sur Tech12. Une fois à terre, il se prépare un sac de randonné, apprends ce qu'il doit savoir et part. Une fois quelques jours passés, il pose sa main à terre, regardant autour de lui. Il prie pour une direction. Silence. Il marche de nouveau. Quelques jours plus tard, il pose la main contre un arbre. Il prie pour une direction. Silence. Dans la soirée, une douleur se fait sentir dans son bras droit, sa peau l'ébène est striée de marques encore plus sombres. Il essaye de prendre les antipoisons qu'il a apportés et attends la nuit. Le lendemain, il ne sent plus son bras droit. Il fait un garrot au niveau du biceps et continue à marcher. Il lève sa main restante au ciel et il prie. Silence. Il avance à travers une jungle épaisse sans vouloir revenir. Son bras pend lamentablement sur le côté, dur comme la brique. Les marques zébrées commencent à atteindre son cou. Au milieu du jour, il croise un Toor'kraan qui gratte dans l'interstice d'un arbre. En'the respire difficilement. Avant que le prédateur ait eu le temps de le repérer, il prend une grenade flash à sa ceinture et la jette maladroitement vers la bête. À l'explosion, celle-ci s'enfuit en courant.  De la minuscule ouverture de l'arbre sort une petite tête emplumée aux yeux orange. Le Caly'Uaykai s’approche de l'homme et se perche sur son épaule, s'enroulant autour de son cou. L'homme tombe à genoux et prie alors de nouveau.

"Ce n'est plus si loin."

Le vent souffle dans la forêt découvrant un chemin qui descend vers les côtes brûlantes d'une rivière, au loin, des habitations se distinguent dans la verdure. Ce sera quelques heures plus tard qu'En'theven tombera inconscient dans le village, la face contre terre. L’œil droit couvert d'une cataracte noire. Lorsqu'il se réveillera, une semaine plus tard, il n'aura plus de bras droit et sera borgne, mais il découvrira que ses parents n'étaient pas morts comme il l'avait pensé. Les yeux clairs de sa mère se fondant dans les siens, le visage carré de son père aussi beau que le sien. Et cette peau magnifique. Il serra les deux mains qui tenaient sa main gauche. Il ne comprenait pas ce qu'ils disaient, mais il n'avait pas besoin de comprendre.

"Bienvenue à la maison."

Le clam Iyeywi était à l'origine un clan particulièrement puissant qui avait été particulièrement affaibli par des raids trinitaires il y a des dizaines d'années. Aujourd'hui, il ne restait qu'une centaine de personne là où avant se tenait le quintuple. En'theven commença son apprentissage du Mojat rapidement et après quelques semaines de soins, il put commencer à apprendre les prières auprès des mystiques du village. Son retour fut célébré comme un véritable miracle. Il se fit graver les tatouage rituels qui couvrait la peau des anciens du clan. Pour reprendre l'héritage. Il passa trois ans entre son village retrouvé et Tech12.
Il amenait ce qu'il pouvait pour améliorer la vie de son clan et se perdit beaucoup moins souvent dans la jungle. À travers ses découvertes archéologiques et celles de son clan, il commença à tenter de ré-assembler les connaissances perdues autour de Calypso. Bien qu'Hakim ait été étrangement éloigné de certains projets trop importants suite à leur mariage, ils tentent de faire de leur mieux. Il comprit vite que sa présence pouvait poser problème, de par ses liens avec son origine Moa't.
Il retourna une fois ou deux sur Valenos, en particulier pour se munir d'un nouveau bras et d'un œil. C'est d'ailleurs par amis d'amis en passant dans la station warp qu'il entendit parler de la capture du Flare. Un nouveau vaisseau corsaire de l'U.C. venait de naître : l'Albatros. Sur le moment, il ne réalisa pas.

C'est à force d'entendre toutes les disparations, de voir les clans d'esclaves et un peu à cause de Hakim, que commença à grandir cette flamme pirate. Cette envie d'en faire plus pour aider son peuple. Si devenir un infâme pirate ne lui disait rien de particulier, la situation de corsaire pouvant lui permettre de continuer à avoir de cordiales relations avec sa faction et de tenter plus contre les Trinitaires. C'est ainsi que le grand docteur se trouva un jour face à la petite Hannabeth, avec une proposition pour elle.