Câblage de nerf, sans rendez-vous [Enguérand]

Quand Enguerrand me tend l’une des sondes, je le regarde, perplexe, haussant un sourcil. Je prends la sonde entre mes doigts, tout en regardant mon client.

- C’est gentil, mais si ça a la forme d’une sucette, ce n’en est pas une et je n’ai pas grand intérêt à signer mon ADN dans mes serveurs. Dis-je en posant délicatement la sonde sur mon bureau.

Il ne faut que quelques secondes au dispositif, une fois en contact avec la salive, pour créer une signature, unique, exclusive. Lors de première implantation, la sonde teste également un gène qui interdit l’implantation de cyberware à quelques malheureuses. Dans le cas d’Enguerrand ce n’est pas clairement pas nécessaire.

Il regarde et comprend un peu mieux le fonctionnement de la chose.

Vous avez un tube ? demande Enguerrand.

Genre les tubes petits dans lequel elle pourra cracher. Il y a d'autres solutions comme lui prendre des cheveux. Mais ça manque de classe.

La question me semble bien étrange, voyant mal où il voulait en venir. Récupérant la sonde d'Enguerrand et jetant la partie consommable dans l'incinérateur,je réponds avec une condescendance que je peine à contenir :

- Un tube ? Qu'est ce que tu veux faire d'un tube ?

Je laisse divaguer mon esprit quelques secondes, imaginant Enguerrand tel un dragon sur un tas d'objets divers et variés :
- T'es pas bien net comme mec ! Si tu veux bien que l'on procède aux mesures, que je puisse te faire un devis

Elle est dure à la détente où elle fait exprès.

- j'ai pas du comprendre à quoi servait mon ADN. dit-il simplement. Mais si c'est une forme d'assurance, alors j'ai besoin aussi d'une forme d'assurance n'est-ce pas ?

Un peu surprise par sa réponse, je fini par comprendre ce qu’il a probablement en tête :

- Ah ! C’est la première fois qu’on me la fait celle-là ! Dis-je en riant. Je sais pas d’où il venait ce mec, mais clairement pas du même monde que moi.

- Clairement, c’est une assurance oui, mais autant pour toi que pour moi. Parce que du coup ton dossier ne pourra être ouvert qu’avec la signature de ton ADN et donc qu’en ta présence. Ça veut dire que si quelqu’un me vole des données, elle ne pourra pas accéder aux dossiers médicaux. J’ai essayé d’employer des mots simple, ne pas utiliser le jargon des hackers qui m’était bien plus familier.

- Et t’aura pas d’échantillon de mon ADN, ça c’est hors de question. Et si tu me forces à quoi que ce soit ou que tu me la joue à l’envers, tu pourras t’asseoir sur ton implantation et t’aura une si grosse plainte au cul que tu pourras plus t’asseoir. Donc t’arrêtes avec tes idées chelous et tes demi-mots à la con ! Lui dis-je en haussant le ton, adoptant une posture plus sportive, plus forte.

Je me laisse retomber dans mon fauteuil en soufflant, bras croisés sur ma poitrine.
- Merde, j’en étais où ? Soupirais-je pour moi-même.

Il regarde la petite bonne femme qui s'excite. Certes sa réputation la précède... mais elle sait vraiment pas comment gérer ses clients. Et encore moins ces clients particuliers. Lorsqu'elle change de posture le combattant en lui réagit. Parce qu'il n'a jamais sous estimé qui que ce soit et encore moins une spécialiste en cybernétique. Il existe des cyberwares très vicieux. Son bouclier personnel apparait soudainement et ses yeux cherchent rapidement une menace autant en provenance d'elle que de l'environnement. Il se retient de sortir son épée, mais il se tient prêt à bouger.

- Une plainte ? qu'il demande intérieurement surpris, comme une poursuite judiciaire.

Décidément elle ne comprend rien la petite. Il faut sans doute l'aider à appréhender ce genre de situation. Il connait des pirates qui ne prendraient pas les choses aussi bien que lui. Il reste hyper vigilant.

Soudain, le vieux mec chelou sort son bouclier et semble prêt à sortir les griffes. Voyant ça je me renfonce un peu dans mon siège, pas forcément hyper confiante.

Et v'la qu'il a de nouveau perdu tout son vocabulaire, en plus d'avoir fait évaporer le peu de sympathie que je lui avais trouvé... On est pas sorti de l'auberge... Ce mec est soit déjanté, soit stupide, en tout cas il a l'air hyper instable et dangereux.

- T'es un grand malade ! Qu'est-ce que tu branles ?! T'as encore pas bien compris ce que je t'ai dit ? Ou alors t'as des retours d'acide ?

J'espérais juste une chose, c'est que si je lui demandais de quitter la clinique, qu'il veuille bien le faire, sans foutre la merde ou me chercher des noises.

Elle n'a pas l'air dangereuse et semble ne pas comprendre la situation. Néanmoins il stoppe son bouclier qui est é priori inutile présentement.

- faut pas se lever soudainement comme ça. dit-il simplement. Si vous aviez survécu a autant de champ de bataille que moi, vous auriez aussi des réflexes parfois indésirables dans des situations comme celle-ci. Je ne vais pas vous apprendre la définition d'un réflexe.

Il contrôle pas forcement ce genre de réaction surtout quand il ne s'y attend pas. Entouré de pirate il fait attention en permanence et sait contrôler ses réflexes parce qu'il est hyper vigilant. Pour le coup il n'avait pas de raison d'être hyper vigilant.

- vous n'avez jamais opéré de vrai professionnel visiblement. dit-il en se posant des questions sur les capacités de la dame a effectuer des réglages parfait pour un homme comme lui. Je suis un des meilleurs dans mon domaine. Est-ce que vous avez l'expérience nécessaire pour opérer un homme comme moi ?

Il a pesé ses mots. Il ne parle pas de talent ou de maitrise technique. Il parle d'expérience. Visiblement elle n'a jamais travaillé avec un pirate, un criminel ou même un mercenaire.

Je me retiens de lui faire remarquer qu'avoir pour réflexe de faire flipper les gens et être à deux doigts de dégainer, il ferait peut-être bien de consulter un psy pour calmer un peu le jeu.

Sa remarque me fait grincer les dents, serrer les poings et monter le rouge aux joues.

> Pour qui tu te prends ?! C'est pas parce que t'es le roi du château de sable de ton bled paumé que tu peux chier dans les bottes du reste de l'univers ! Lui lançais-je, tâchant de ne pas faire de mouvement en sa direction. Eh pis, un homme comme toi ? Tu veux dire quarante balais, des bras cybers et une forte envie d'en découdre ? Je sais pas d'où tu crois que t'es exceptionnel. Sans doute que tu bouges bien, mais tu restes qu'un tas de viande avec un peu d'os et de métal ! Dis-je avant d'éclater de rire, complètement dépassée par ma nervosité.

Le fou rire qui s'en suit me permet d'évacuer mon stress, et j'en avais foutrement besoin ! C'est un peu haletante que je lui relance :
> Si tu veux savoir, t'es pas le plus gros gibier à passer par ma clinique, ça m'a pas empêchée de faire affaire.

C'était une demie-vérité, car on avait pas vraiment fait affaire, mais ça il ne le savait pas et ne le saura probablement jamais.

Enguerrand regarde la femme devenir hystérique. Sans doute un excellent médecin mais elle est particulièrement nulle en gestion de sa clientèle et n'a pas la moindre idée du genre de client qu'elle peut avoir en Dorado.

- vous devriez prendre un assistant qui sait gérer tout type de clientèle. dit-il simplement de sa voix neutre. Vous n'êtes absolument pas professionnelle dans ce domaine.

Il n'a pas de temps à perdre avec une hystérique qui prend une posture agressive avec un inconnu, qui ne comprend pas la définition du mot réflexe, et qui ensuite devient insultante. Le fait qu'il soit un des meilleurs dans son domaine est un fait. Il n'y a pas d'arrogance derrière ce fait. Et elle habite désormais le même château sable dans le même bled paumé que lui. Tant pis. Il voulait s'économiser les efforts de rejoindre Providence. Il aurait du écouter son instant premier, seul les pirates peuvent prendre soin de lui correctement. La Légion n'étant plus une option.

Il fait donc volte face et se dirige vers la sortie.

Les mots d’Enguerrand me glissent dessus comme de l’eau sur mon chrome. Il se lève façon drama-king et prend la sortie. Pendant une seconde, j’ai envie de ne pas déverrouiller la porte, je l’imagine déjà, là, comme un con, devant une porte qui ne s’ouvre pas, sans poignée ni prise. Je l’imagine cassé dans son délire de mec dangereux, qui se retrouve finalement vaincu par une porte.

Au final, la seconde s’éternise et ce n’est qu’après une poignée de seconde que je lui lance :
- Tu veux sortir peut-être ? J’essaie de garder un ton sérieux, mais je bouillonne intérieurement, d’une envie de rire et de lui hurler dessus.

Il n’a, de toute façon, pas d’autre choix que de me répondre. Je suis la maîtresse des lieux et à moins de découper la porte, ce qui serait à la fois ridicule et stupide de sa parte, moi seule peut lui ouvrir, depuis mon interface virtuel.

Enguerrand se tient devant la porte qui semble-t-il ne daigne pas s'ouvrir. Qu'importe cela lui laisse le temps de se préparer un cigare. Il sort donc tranquillement un cigarillo. Contrairement aux grands cigares qu'il affectionne ces derniers sont plus simples à préparer. Il se contente donc de mordre dans un des bouts fermés et de cracher ce dernier dans le bureau. Il met l'autre bout en bouche et allume le cigare.

La manœuvre prend quelques secondes qui devraient sans doute permettre à la porte de s'ouvrir. Dans le cas contraire il sera sans doute temps de devenir plus actif. La bonne femme ne connait manifestement pas Dorado et croit que les autorités pourront la protéger. C'est en partie vrai... et en partie faux. Il n'a pas l'intention d'être celui qui lui apprendra ça à la dure. Mais elle va devoir le laisser partir par contre.

Il tire sur le cigare et fait tourner la fumée dans sa bouche avant de la recracher doucement par les narines.

Je le regarde en haussant un sourcil, il se fout vraiment de ma gueule ce connard, mais à ce jeu, il n'est pas prêt de gagner, pas chez moi, ça c'est hors de question.

Je me lève de mon bureau et me rends au sas du bloc opératoire, j'ai quelques maintenances à faire, je lui souhaites de passer un agréable moment, parce que j'en ai pour une bonne heure. Je lui lance :
- Mec, je t'ai déjà dit, on fume pas dans ma clinique, pas plus qu'on ne crache par-terre.

Puis dans un chuintement, la porte s'ouvre puis de referme sur moi, le laissant seul dans le bureau. Les lumières s'éteignent.

Enguerrand trouve la jeune femme puéril et incapable de gérer une situation qui la dépasse. Il n'est pas vraiment inquiet. Il y a des méthodes simples pour sortir de ce genre d'endroit. Ce n'est pas une prison, ni une banque, ni une institution. C'est une zone civile répondant à des normes légales drastiques. Il sort son HCom et se rend sur l'application adéquat pour déclencher une alarme incendie en tant que témoin d'un feu. Localisé via HCom le système de protection anti incendie le plus proche se met en alerte. pendant que la folle se déplace vers son sas de bloc opératoire.

Les portes d'accès s'ouvrent naturellement afin de permettre l'évacuation des personnes. Et si les autres dispositifs ne se déclenchent pas immédiatement c'est que les détecteurs n'ont pas encore repéré le feu signalé par le HCom. Tant pis pour l'arrosage de l'intérieur du bureau de la dingue. Il n'est pas spécialement joueur et ne va pas déclencher un feu réel juste pour souiller son bureau.

Enguerrand passe donc la porte du bureau devant laquelle il patientait et traverse la salle d'accueil de son pas habituel, déterminé et rapide.