[Vanguardia] De la glace sur les bleus [Barto]

- Si vous nourrissiez le moindre doute sur ma discrétion, professionnelle, je suis certain que je ne servirai plus sur ce vaisseau.

Il faut parfois être honnête et avec sa voix sèche, Vako l’est en cet instant. Il est certain que si mademoiselle De Caetano trouvait quelque chose à lui reprocher qu’elle puisse véritablement faire remonter à sa hiérarchie -son implication professionnelle, le passif de son père, ses propres particularités-, il serait débarqué à la première escale.
Il se rapproche de nouveau avec sa gaze, son sparadrap, et ses sourcils froncés de concentration pour appliquer les pansements.

- Et vous vous contentez déjà de désinfectant et d’un peu de gaze...

Si ce n’est pas une métaphore fabuleuse pour le peu de confiance qu’il pense placée en lui, il ne voit pas ce que la situation pourrait bien être de plus.

Elle le laisse parler, immobile, un peu plus raide qu'auparavant peut-être. Quand il semble n'avoir plus rien à ajouter, elle reprend la parole d'un ton doux.

"De fait." Confirmation qui pourrait s'adresser aussi bien à l'éventualité du renvoi immédiat d'un médecin de bord indélicat qu'au constat qu'elle aurait techniquement pu se débrouiller toute seule. Elle la précise d'un ton posé, bien qu'un peu tendu : "Mais vous venez de dire que j'avais de la chance, alors pour l'instant le désinfectant, la gaze et vos prescriptions me suffisent. S'il advenait que j'aie besoin d'autre chose, je n'hésiterais pas à me souvenir des recommandations que vous m'avez adressées."

Mais elle n'aura besoin de rien, évidemment. Après quelques secondes à pianoter sur son bras, elle se redresse sur un coude pour fixer le médecin et reprend, un peu plus ferme :

"Si vous avez un reproche particulier à m'adresser, docteur Montagne, je vous en prie, faites-le maintenant. Je vous fais confiance pour que les mots échangés ici n'en sortent pas, et l'avenir gagnera à être débarrassé des non-dits."

Peut-être se souviendra-t-elle de ses recommandations, mais Vako doute -fort à propos-, que la Navigatrice fasse plus que simplement s’en souvenir. Il ne pense pas qu’il la verra débarquer dans sa cabine pendant la nuit si elle fait des cauchemars, ou qu’elle se présente devant son bureau pour obtenir des somnifères.

- Je n’ai pas de reproches à vous adresser que vous ne partagez pas avec les deux tiers du Vanguardia.

Il relève les yeux de son ouvrage pour croiser le regard de Bartolomea.

- Vous êtes trop fiers pour accepter des soins préventifs et admettre votre douleur. C’est culturel. Je ne vous en veux pas pour cela et je fais très bien avec. Je commence à avoir l’habitude.

Un sourire légèrement tordu lui vient, incongru dans leur situation. Il doit être trop fatigué pour se soucier de le réprimer. Il y a plus important dans son esprit que le besoin de passer pour une porte de prison.

- Vous ne me facilitez pas toujours la vie mais ce n’est pas grave.

Il change de ton, de version, de mots. D'inexpression, aussi. Il n'a plus envie d'aborder le sujet, il n'a plus envie de la traiter d'espionne de l'armée. Elle a envie de pousser le sujet, autant qu'elle a envie de simplement prendre congé et souffler un peu.

Ils viennent tout de même d'affronter la mort ensemble.

Après tout, au fond, qu'importe. Le vaisseau est censé être impérial, et il semblerait que même déchu un Impérial conserve certains lambeaux de bonne éducation. La jeune femme se réinstalle sur le ventre, plus frustrée qu'elle veut bien le penser. Ses nerfs auraient bien aimé agresser quelqu'un.

"Les autres factions ont une éthique différente de l'Impérium." répond-elle simplement.

Sérieusement. Des soins préventifs. Entretenir une épée pour qu'elle ne se brise pas, oui. Un homme s'entretient tout seul et trouve la force de ne pas rompre dans son éducation, ses responsabilités, son honneur et la gloire de ses ancêtres.

- J’en ai bien conscience.

Plus qu’elle ne pourrait le croire, oui, il sait les différences culturelles entre les factions. Il s’est bien assez plaint de ne pas avoir eu la chance de naître citoyen de l’Union Corporatiste et il a bien assez souffert des travers de sa Trinité de naissance pour ne pas avoir douloureusement conscience de ce qui sépare les différentes cultures de Dorado.

- Vous êtes plus inflexibles, fait-il après quelques secondes de silence. Vous accomplissez des miracles incroyables, soutenus uniquement par votre moral. C’est admirable.

Il semble réfléchir quelques instants de plus.

- Les Trinitaires diraient que c’est votre Foi qui vous pousse en avant et ils auraient tort. Vous…

Il fronce les sourcils, surpris par la réalisation qu’il ne se place ni comme citoyen impérial, ni comme fidèle trinitaire. Qu’est-il censé être maintenant ?

- Je ne dis pas vous parce que je me considère trinitaire. Je vous l’assure. Je sais que je sers l’Impérium.