Bienvenue au paradis !

« Bienvenue au paradis »

Tel est le titre aguicheur de l'un des plus gros salons ouverts au public au sujet des nouvelles technologies spatiales et organisé par l'Union Corporatiste. Évidement, en cette terre neutre, chacune des factions à droit à son espace réservé pour présenter ses nouvelles découvertes. Et, bien sûr, l'UC est celle qui en présente le plus et qui foudroie les deux autres en scène par ses mécanismes révolutionnaires en plus d'être hors de prix.

Un endroit parfait pour organiser une émission et remettre la main au micro. Il n'a pas été très dur de mettre la main sur quelques compagnons dans l'astroport et pour les convaincre d'animer une émission à mes côtés. Et puis, je fournis le matériel alors ça motive toujours les plus timides. Surtout quand on a un sacré cachet de l'UC derrière. De quoi arrondir la fin du mois.

Le rendez-vous est immanquable pour tous les mordus de l'espace. Autant pour les militaires, les pirates sous couvertures, les commerçants, les dignitaires, les politiques, les fans d'aérospatiale et les enfants. Bref, en ce jour, c'est un joyeux bordel qui se mélange avec une étonnante facilité. Et c'est d'autant plus facile de faire de la radio par une ambiance aussi fraternelle et détendue. Dès que ça parle affaire, les Trinitaires et les Corporatismes ont la fascinante faculté de mettre leurs différends de côté et on n'entendra jamais parler du bombardement de Vanguard ici. Drôle de journée hors du temps.

« _ Bonjour et soyez les bienvenues sur HellDoradio, en direct du célébrissime salon Bienvenue au Paradis ! Bien que nous soyons sur Esperanza c'est un appel à l'amitié envers les Trinitaires que le salon a ce matin ouvert ses portes devant une foule de gens prêts à découvrir toutes les nouveautés de cette édition ! Et quelle édition ! Les constructeurs les plus pointus sont présents, les techniciens les plus renommés nous font l'honneur de leur présence et les corporations les plus éminentes nous réservent de nombreuses conférences. Vous êtes prêts à vivre en direct -et avec votre Searuweard préféré- ce salon aussi grand qu'Hell Dorado elle-même ? Restez collés à votre radio ! On se retrouve après l'un des tubes de l'année ! »

La Pierre au Fusil n'est pas le plus beau vaisseau, ni le plus célèbre, ni le plus puissant, mais j'en suis le Capitaine et même si l'Oeil est resté cher à mon coeur, j'ai forgé un lien réel avec la Pierre.

Ce salon était l'occasion de trouver de mieux servir l'Unique en améliorant la Pierre, mais aussi d'avoir une idée d'avec quoi nos adversaires voleront demain. J'avais mes atours de Capitaine Trinitaire, ma cape d'Évêque, mais j'avais retiré mes insignes l'Inquisiteur. Je savais que l'on me reconnaîtrait, notamment à cause de ma canne et ma petite taille, aussi j'espère que mon effort de diplomatie serait noté.

C'est avec une discrète escorte que j'évoluais de stand en atelier, d'atelier en boutique éphémère, de boutique en stand.

J'étais à regarder la démonstration d'un nouveau canon pour frégate, une technologie surpuissante valant aussi cher que mon vaisseau tout entier, quand une musique Corporatiste ignoble se mit à jaillir des hauts parleurs.

L'origine de cette horreur étant non loin, je m'y rendais :
> Bonjour, je ne savais pas qu'HelloDoradio c'était lancé dans l'armement. C'est une véritable arme psychologique que vous avez là ! dis-je en désignant la platine. L'air vibrait au rythme des basses. J'espérais que le schisme entre Corporatiste et Trinitaire ne gâcherait pas cette tentative d'humour.

Je n'ai même pas le temps de déposer mon casque pour étendre mes jambes et mes bras qu'un gars déboule dans l'espace du studio. Un type louche. Genre habillé en blanc. Avec une cape. Puant le Trinitaire dans tout Dorado. J'essaye de ne pas transformer mon sourire de façade en une grimace atroce. Pire, je me force à lâcher un rire, enfin, plus un étouffement, à sa "blague".

« _ C'est vrai qu'à part les chants religieux, vous pouvez pas écouter grand chose ! Que je rétorque en... me mordant les joues parce que c'est peut-être UN PEU trop violent comme introduction. Mais tout mon corps s'est tellement crispé à son arrivée que je n'ai pas pu m'empêcher de répondre à la pique. Je vais devoir reprendre l'antenne, une interview ? Ou vous aviez besoin d'autre chose, peut-être ? J'essaye d'être un peu plus... poli. Cordial. Le job, quoi. »

Je m'étais visiblement trompé, mon interlocuteur n'était pas spécialement capable d'humour, du moins c'est ce que me fit comprendre l'animateur radio, manifestement odieux envers les Trinitaires. Alors que j'hésitais encore à quitter ou non le studio sur l'instant, l'animateur me propose indirectement une interview.

> Commencez déjà par connaître votre rang et à qui vous avez à faire, fils. Vous crachez votre fiel sur les miens, face à moi. Je dois admettre que vous ne manquez pas de cran, mais peut-être n'avez-vous juste aucun instinct. dis-je, d'une voix cassante. Marquant une pause, je me détend quelque peu avant de poursuivre, plus paisiblement.

> Vous allez vous excusez, fils. Si votre fierté vous l'interdit, j'en referai à votre hiérarchie. J'avais mon habituel ton paternaliste, s'il avait été Trinitaire, je lui aurais certainement posé une main sur l'épaule en disant ces mots.

Woops. Trop loin. Trop vite. Trop fort. Nous n'étions peut-être pas sur la même longueur d'onde côté humour. Si son ton ne me plaît guère, encore moins le terme "fils" qui me hérisse la nuque, je ne peux pas me permettre de faire une scène, pas ici, pas maintenant. Instinctivement, je me réfugie entre mes épaules. Mettre en péril ma place sur le Flare ? Là où m'sieur Charley m'a offert la chance de ma vie ? Jamais. Mais je donnerai beaucoup pour avoir mon Capitaine à mes côtés pour rabrouer ce Trinitaire.

Je fais quelques gestes derrière pour que quelqu'un d'autre reprenne l'antenne et qu'on ne se retrouve pas avec un gros blanc en plein salon. Je replace mon casque autour de mon coup et prend une mine de chien abattu.

« _ Pardon, Monsieur. Loin de moi l'idée de froisser vous et les vôtres. Je reprends ma respiration. Outre la musique, le salon vous plaît ? Détendre l'atmosphère, revenir à quelque chose de plus... sympa ? »

Dès que l'animateur se fut excusé, j'adoptais une attitude bien plus détendue et sympathique.

> Je trouve ces moments de trêve très agréable. Il est bon de pouvoir arrêter de se battre pour échanger quelques mots et partager nos goûts. Faisant un signe vers l'une des chaises, je m'en empare et m'y assoie, ne pouvant rester debout trop longtemps.

Tendant une main ouverte à l'animateur, je me présentais :
> Je suis le seigneur Lazare, évêque de Renaissance, Inquisiteur et Capitaine de la frégate de guerre La Pierre au Fusil. Et vous ? S'il ne m'était pas courrant de me présenter ainsi, j'avais un doute quant à la capacité de mon interlocuteur de comprendre ou reconnaître les diverses composantes de mon uniforme. C'était aussi un moyen explicite de lui rappeler pourquoi sa repartie n'avait pas été bien accueillie.

Par chance, ou par politesse, le Trinitaire accepte mes excuses et ne se gêne pas pour s'installer dans le studio. Soit. Je hoche la tête, plutôt d'accord avec ses paroles mais tendu par le dernier bombardement trinitaire en terre Corporatiste.

« _ La méconnaissance de l'autre mène parfois à de lourdes conséquences. Je suis bien d'accord avec vous. Je serre sa main en retour, quelque peu décontenancé par l'abondance de titre qu'il arbore. J'y connais rien en hiérarchie Trinitaire. Mais s'il les évoque c'est qu'il doit peser. Et il est Capitaine. La Pierre au Fusil, je note. Jamais entendu parlé de ce navire, mais on ne peut pas tous les connaître. Je souris, un peu crispé par la situation. On sert pas des mains aux Trinitaires tous les quatre matins, surtout après une blague ratée. Et j'suis pas un politique. Parler, c'est bien, mais caché derrière un micro, c'est mieux. Nynniaw Searuweard, ingénieur en communication à bord du Flare. Enchanté, monsieur Lazare. Lui donner du seigneur, c'est sans façon. Je n'ai pas eu le temps de faire le tour du salon, mais j'ai l'impression que les ingénieurs se sont surpassés, cette année. Vous avez vu des choses intéressantes ? Parler de façon journalistique, c'est plus simple. »

Si j'ai vu des choses intéressantes, assurément, est ce que je veux vraiment révéler ce qui m'a tapé dans l'oeil, bien entendu que non. Si l'ambiance était sympathique, bien qu'un peu tendue, c'est aussi parce que nous avons tous qu'au-delà de ces murs, nous sommes des adversaires. Le Flare et la Pierre au Fusil seront peut-être un jour amenés à se combattre et de nos mots échangés ici il ne restera pas grand chose.

> Je note que vos laboratoires et votre industrie de l'armement sont toujours aussi inventifs. Tout le monde sait combien la guerre est lucrative, mais cela m'impressionne toujours. adoptant un ton proche de la confidence, je lui dis : Je m'intéresse aux technologies d'abordage, cette stratégie étant particulièrement payante dans le cadre de mes..attributions. Auriez-vous entendu parlé d'innovations en la matière ?
Bien entendu, cela n'avait rien de la confidence, si mon propos n'était pas totalement faux, il était évident que je ne révélerai pas d'informations sensibles ici.

Je me demande vraiment pourquoi ce Trinitaire s'attarde ici, dans un studio de radio mené par un Corporatiste qui, vraisemblablement, n'est pas son meilleur ami. Et puis j'ai du taff. Mais j'ai au moins un semblant de jugeote, je peux pas congédier un gars aussi haut placé sans offusquer son droit d'être ici. Alors je l'écoute, je hoche la tête en signe d’approbation quant aux nouvelles technologies.

« _ Cela dépend du type de navires que vous souhaitez aborder. J'ai entendu parlé de canons immobilisant qui font dysfonctionner les moteurs afin de rendre l'abordage plus aisé tout en n'abîmant pas le vaisseau adverse. Une belle arme pour s'emparer d'un navire. Il y a aussi des techniques moins conventionnelles qui arrivent cette année... Je fronce les sourcils. Je suis pas sûr d'avoir envie de parler d'une technologie qui a une chance de ioniser les corps vivants à l’intérieur d'un navire par impulsion des canons. J'imagine que c'est pas très nouveau de faire place nette avant même l'abordage. Pour peu que ton vaisseau soit plus imposant que l'adversaire, ça peut vite tourner au cauchemar. Je hausse les épaules. Je suis pas spécialiste de l'abordage, vous devez être plus calé que moi. Ce qui est vrai, je m'intéresse plus aux technos de communication inter-planétaire. Des choses qui tardent à arriver. »

Alors que mon interlocuteur s'interrompt, sourcils froncés, se rappelant sans doute qu'il avait à faire à un capitaine du camp adverse au sien, un sourire amusé se fraye un passage sur mes lèvres.

Haussant moi-même les épaules, préférant ne pas répondre à cette question.

> Monsieur Searuweard, finalement, je vais accepter votre proposition, bien que malheureusement introduite. laissant planer quelque peu le doute, je précisais finalement ma pensée : Vous avez parlé d'une interview, vous le semblez assez respectueux pour que je m'essaie à l'exercice avec vous.

Lui laissant digérer l'information, je lui demandais ensuite :
> Quand auriez-vous un créneau pour moi ? Ce n'était pas tous les jours qu'il était possible de faire de la propagande gratuitement en territoire UC, il était hors de question de louper cette occasion, surtout avec un journaliste capable de rester professionnel.

Décidément, cet homme-là est des plus intriguant. J'ai l'impression qu'il déplace des pièces d'échec de façon très mathématique alors que je ne vois même pas le plateau. Il me mène par le bout du nez et je n'arrive rien à répondre à part "oui, monsieur". Frustrant. Mais ma posture me force à rester dans cette position de faiblesse. Pire, il accepte l'interview. Maintenant que je sais toutes les informations à son propos, je ne suis pas sûr de vouloir lui tendre le micro. Tout est de toute façon trop tard. Rigide, je hoche la tête et me dirige vers les accolytes du studio. Après quelques échanges rapides, on convient d'un créneau.

« _ On est sur une fin de playlist, puis une page de pub. Si ça vous convient, on peut faire ça derrière. Dans huit minutes et douze secondes précisément. »

Je réfléchis déjà aux questions qui pourraient être balancées sur la table. Rien de très correct ne me vient en tête, là, maintenant.

> Bien, très bien dis-je posément. Il m'appartenait à présent de mettre à profit ces huit minutes.

> Comptez-vous me soumettre vos questions avant l'interview ? Je dois vous avouer ne jamais avoir été interviewé sur une radio Corporatiste. dis-je avec un petit rire. Je ne connaissais rien de leur protocole habituel, rien de leurs habitudes.

Je n'étais toutefois pas stressé, la prise de parole était naturelle chez moi, devant une personne, un équipage, des paroissiens ou les amateurs de technologie spatiale.

> Sachez toutefois que je ne tolèrerai aucune question injurieuse envers ma personne ou les miens. Dis-je, un ton glacial et calme, mes yeux gris métal plus froid que les étendues glacées de Tech12. Mais cela vous devez vous en douter. Finis-je, un sourire aimable aux lèvres.

Saisissant ma canne, je me levais et pris la direction de la salle que Nyniaw m'avait indiqué.

Il accepte sans hésitation. Eh bien, il est sacrément motivé. J'écarte sa seule hésitation d'un mouvement de la main.

« _ Je crois que les nôtres fonctionnent à peu près comme les vôtres. Enfin, je sais pas trop à quel point les radios Trinitaires ont droit à la liberté de la presse, pourtant fondamentale. Aucune question personnelle, vous êtes seulement interviewé en tant que visiteur du salon, cela tient toujours ? Je vais pas non plus lui tendre la perche Trinitaire pour qu'il lâche sa propagande. Faire juste comme si on venait de se rencontrer sur le salon. »

Je check l'horloge. Plus que quelques minutes.

« _ Je vais commencé par une simple présentation puis vous demandez ce que vous pensez du salon, ce que vous avez aimé, ce que vous regrettez, ...rien de très... injurieux en somme. Mais, mine de rien, je commence à suer un peu. Parce que c'est jamais simple de reprendre l'antenne et d'enchaîner direct sur une interview. Encore moins avec un type comme lui. Allez, pour la gloire. »

L'homme est très pro, peut-être un peu plus habile que je ne le pensais tout d'abord. Toutefois, je sentais que sous cet air, je pouvais l'ébranler, que si je frappais suffisamment fort je saurai le plier à mon aise, mais il n'en était pas encore question.

Affichant mon doux sourire consensuel :
> Cela me convient. Je suis étonné que vous ayez entendu parlé des radios au sein de la Trinité, positivement surpris. Ce n'était un secret pour personne que les Archevêques avaient un grand poids sur les médias. Que la propagande et la censure étaient choses communes, même nécessaires pour maintenir la population au niveau d'éveil et d'information qui convenait.

Tournant ses mots dans mon esprit, je cherchais rapidement les réponses pertinentes aux thèmes qu'il voulait aborder. En soit rien de complexe, mais d'être interviewé dans le salon était politiquement fort, surtout compte tenu des tensions qui s'étaient créées entre la Trinité et les autres Factions.

> Dites-moi, vous affirmez que ce salon est un appel à l'amitié. Sans entrer dans le paternalisme ou la propagande, pourrais-je dire un mot sur le sujet ? Je pense la chose nécéssaire et positivement symbolique. D'un regard entendu, j'ajoutais : De plus cela profitera à la réputation de votre radio, j'en suis certain.

Nulle fourberie en mes mots. Sans croire en cette hypocrite promesse d'amitié, je pense sincèrement que de souligner ce moment de paix était important, serait un placement politique intéressant et notable.

Rester. Parfaitement. Imperturbable.

Une entreprise franchement pas facile face à l'homme et sa prestance naturelle. Moi qui est toujours du genre cool, symbole de la force latente de l'UC, lui est d'un tout autre type. Et c'est plutôt flippant. A côté de lui, je suis qu'une petite fourmis, prête à être écrabouillée. Ça me plaît pas trop d'être dans cette situation alors que je m'apprête à lui offrir sur un petit plateau une interview. Difficile de juger s'il m'a déjà eu ou si je suis en possibilité de l'avoir d'un revers de main.

Je ne dois pas lui montrer que je suis impacté par ses paroles. Toute sa posture me fait sentir qu'il veut faire exactement l'inverse de ce qu'il annonce. Maudits Trinitaires.

« _ Bien entendu, faites comme vous le sentez. Tant que nous restons centrés sur le salon. Il peut bien partir dans son délire, qui saurait véritablement démêler son délire halluciné parmi les spectateurs ? Probablement moins de dix pourcents. Les autres le prendrait pour un illuminé. Ça, c'est ma chance. Je m’éclaircis la gorge alors qu'on me confirme l'entrée à l'antenne de mon micro. Nous revoici en direct du salon Bienvenue au Paradis. Toujours au milieu de la vaste étendue de technologies de pointes mais, ça y est, je ne suis plus seul ! Le seigneur Lazare nous fait le privilège de nous accorder une interview sur ses premières impressions sur le salon. Alors, dites-moi, qu'est-ce que vous retenez de cette matinée ? »

Je repose le verre d’eau qui m’a été apporté et prend le micro pour rebondir sur l’introduction du corporatiste.

> Merci pour cette introduction M. Searuweard. Je dois avouer venir pour la première fois à ce genre de salon, je suis découvre une ambiance très positive. Que vous m’ayez invité à votre micro me prouve que malgré nos différences, nous pouvons nous entendre et discuter paisiblement. Dis-je en lançant un regard entendu à mon interlocuteur, un léger sourire aux lèvres.

> Je ne peux que constater l’excellence de nos chercheurs et ingénieurs. A l’instar de la coopération qui donne vie à cette magnifique colonie qu’est Espoir, ce salon donne à voir le meilleur de l’innovation au service de la conquête spatiale.

Relâchant le bouton du micro, je me recule contre le dossier, attendant la réponse de l’animateur radio.

> Je suis agréablement surpris que vous ayez consentis à m’appeler par mon titre Trinitaire, je vous en remercie. Je savais la chose plutôt désagréable chez les Corporatistes, c’était donc une victoire d’autant plus symbolique.

Je hoche à la tête à ses différentes paroles. Du blabla de haut Trinitaire. Il y a sérieusement des gens qui vont penser un instant que ce type est fiable ? J'aime moyennement l'inclusion avec laquelle il procède en utilisant le "nous". Tout ça pour ne pas avouer que les chercheurs de la Trinité sont les plus à la masse. Par cette pensée, j'arrive à répondre à son sourire. Nous avançons chacun nos pions mais je suis largement déficitaire.

« _ Il est certain que nos chercheurs ont tout donné pour cette édition. J'insiste sur le "nos" à la fois provocateur mais voulu par mon rôle radiophonique. Etiez-vous déjà venu ? Je hoche gravement la tête lorsqu'il me remercie alors que je suis en train de tenter de ne pas perdre le fil de l'interview. Et, si ce n'est pas trop curieux de ma part -mais je suis certain que nos auditeurs rêvent de savoir- Avez-vous déjà installé une technologie de l'une des éditions précédentes sur l'un de vos navires ? Des détails croustillants à propos de La Pierre au Fusil, que vous dirigez, si je ne m'abuse ? »

Ce Nynniaw est audacieux, un peu trop, sans compter ses sous-entendus non-assumés. Il n'était cependant pas question de laisser cela passer :

> Quel enthousiasme M. Searuweard ! Comme je vous l'ai déjà dit, c'est la première fois que je viens.

Sa question suivante me fait presque grincer des dents, après une seconde d'hésitation, c'est en le fixant d'un regard glacial et menaçant que je lui répond, d'une voix étrangement normale, contrastant avec mon attitude :

> Je suis en effet le Capitaine de la Pierre au Fusil, vous avez bien retenu notre discussion. La Pierre au Fusil est un bâtiment de guerre de classe Frégate, au service de l'Inquisition, aussi vous comprendrez que je ne vous en ferai pas un inventaire exhaustif. Toutefois je peux vous révélez que nous avons récemment fait installé il y a peu le modèle primé l'année dernière en gestion de prisonnier. Tout le monde se doutait de ce que pouvait signifier "gestion de prisonnier" dans la bouche d'un Inquisiteur. Retenant un sourire et me penchant légèrement vers lui, j'ajoute :

> Nous sommes tous deux ici car on n'arrête pas le progrès. Vos auditeurs, comme moi-même sommes impatients de connaître votre avis sur les modèles proposés cette année. Bien entendu, c'était un marché strictement militaire, mais bien présent et comme sur trop de points, les Coporatistes étaient encore en avance sur nous. Des technologies qui nous permettait de stocker très efficacement des Mo'Ats et des hérétiques.

Ça me glace le sang, ma main se crispe sur le micro, je crois trembler un instant. Je ne peux pas jouer sur le même terrain que ce... cet être infâme. Des prisonniers... J'imagine sans peine. Des Mo'ats, à n'en pas douter une seconde. Mais aussi des prisonniers politiques, des membres de l'UC ! Cet homme est immonde. Si nous jouions quelques secondes auparavant pour savoir qui de nous deux gagnerait cette joute verbale, il m'a dégoûté d'y participer. Je lui laisse la victoire face aux immondices révélées.

Pourtant, je dois bien me reprendre même si je me suis un peu affaissé sur mon siège. Je m'attendais pas à ça. Ma curiosité journalistique a été réduite à néant. J'ai juste envie de faire arrêter ce gars. Ce fou.

Un instant de silence se répercute sur les ondes. Jusqu'à ce que l'un des techniciens me fasse de gros yeux. Je fronce les sourcils et reprends tant bien que mal l'antenne.

« _ Je... euh.. oui ! Évidement. Merci pour ces précisions. On peut dire que la Pierre au Fusil a l'air... bien équipée. Je n'arrive plus à m'amuser de ses paroles. Mon ton est terne, bien plus sérieux. Quant à moi je suis heureux de découvrir les nouveaux modèles de propulseurs ! Toujours plus compactes, toujours plus puissants ! Les navires peuvent maintenant embarquer une sacrée puissance moteur sans négliger leur agilité. C'est de plus en plus impressionnant. Tout comme les prix, d'ailleurs. Je lâche un rire un peu rauque. »

Alors que l'animateur se décompose sur son siège, je prends le temps de finir mon verre d'eau, je me fais neutre. Je n'ai en effet aucune animosité envers cet homme qui c'était senti pousser des ailes, je n'avais fait que le remettre à sa place à grand coup de réalisme.

C'est donc pas le moins décontenancé du monde que je rebondis sur sa relance :

> vous avez tout à fait raison Monsieur Searuweard, les vaisseaux sont de vrais bijoux de technologie. Aujourd'hui le simple choix d'un type de propulseur et des moyens que l'on peut y investir peut largement changer la tournure d'une traversée, le comportement d'un convois ou les tactiques d'un assaut. La simple évolution de votre spécialité que sont les communications est faramineuse. Je suis impatient du jour où vaisseaux et planètes pourront communiquer simplement et à moindre frais.

Éteignant mon micro, je regarde l'animateur, sans émotion apparente :
> Je vous propose d'arrêter là l'interview Monsieur Searuweard, mettez donc une page de publicité pour reprendre pied, suite à votre audacieuse embardée.

Et sur ces mots, je me lève et au rythme des claquements de ma canne, je m'en retourne au salon.