What I'm looking for

Visiblement, je ne débarque guère au moment adéquat. Si je connais Cathwulf Searuweard depuis plusieurs années, je n'ai aperçu son jeune frère qu'à de rares occasions. Il ne semble pas très à l'aise, et pendant un instant, je me demande s'il doit cette pâleur cadavérique à quelques fantômes ou monstres rencontrés par mauvaise fortune. Sans y accorder guère plus d'importance, je m'avance dans la large pièce, en direction de la table à laquelle est assis le tavernier. Je lui offre un sourire radieux, ôte mon tricorne et le dépose sur la table.

- Bonjour, Cathwulf. Et... Wynnstan, est-ce bien cela ? Vous êtes d'une pâleur effrayante, jeune homme. Il vous faut un remontant.

Sans réellement attendre de réponse, je prends place face au tavernier. Droite et fière, je croise élégamment les jambes, balayant les excuses de l'homme d'un revers de main.

- Seigneur, nous avons dépassé ce genre de formalités insipides, Cathwulf.

Je fixe avec une curiosité certaine sa prothèse, qui semble mal en point.

- Songez-vous à la remplacer ?

Euh. Euh. Euuuuuuuh. Le bar. Le frigo. Oui, voilà, c'est bien, c'est loin, et comme la porte est occupée je peux pas sortir, ça voudrait dire passer devant elle. Je vois même pas son visage avec le contre-jour, et accessoirement parce que je me suis viiiite retourné vers le frangin, mais je suis sûr qu'elle est... enfin j'en sais rien, pleine de dents avec des yeux rouges qui brillent dans le noir ? Ou toute vérolée avec des dents en moins. Le scorbut est plus un danger depuis qu'on a inventé la boîte de conserve et encore plus le nutrisoja, la vérole non plus d'ailleurs, mais avec ces gens-là...

Iiihellemeparlejefaisquoijefaisquoije- Bah je fais comme d'habitude, je me tends comme un string et je file vers le bar comme si j'avais un balai dans le cul. Je me cache quasiment derrière pour ouvrir le frigo. Bouteille avec l'étiquette violette, violette, violeeeeett-ah, là. Et là je réalise qu'elle connaît mon nom. Je la connais pas. Je lui ai pas dit. Je l'aurais jamais dit. Putain Wulf je vais tellement te massacrer. Ils se connaissent en plus, pas difficile de savoir qui a bavé.

J'attrape deux gros verres au pif, j'en sais rien moi quel verre il faut, je sais même pas ce que c'est dans la bouteille, je remplis, et je viens poser tout ça sur la table. En évitant soigneusement de regarder qui que ce soit. J'ai beau savoir que ça me fera pas disparaître... Et après, on file.

Evidemment qu'il est d'une pâleur effrayante,  le petit frère. Le Capitaine Alvarez (les deux Capitaines Alvarez) a une sacré présence et ça, c'est en faisant abstraction de la tenue coupée sur mesure et du tricorne alors pour un couard comme lui... Cathwulf n'est pas étonné et c'est autant par besoin que par gentillesse qu'il l'envoie chercher les verres. Il lui coûte une boisson gratuite cet idiot. Heureusement qu'elle ne boit pas d'alcool. De son côté, le tavernier lui fait un sourire accueillant, laissant son cadet s'enfuir avec la démarche d'un canard en tuxedo puis reprend sa réparation, laissant les muscles de son torse jouer avec le métal qui dépasse de son épaule. De sa main libre, il trifouille les fils à l'aide d'un tournevis très fin, aimanté.

« Nope. Je l'aime bien. Mais elle m'a cassé deux verres ce matin alors je tente un petit réglage. Je crois que la pince s'est grippé, l'affreuse. Comment allez-vous Jezabel ? Ne prenez pas mal la pâleur de mon petit frère, on a un léger désaccord mais il va finir par se rendre compte que j'ai raison. »

Il se tourne vers son cadet, regardant les deux verres en haussant un sourcil. D'un côté, il lui dirait bien de partir et de revenir au soir. D'un autre, il faut qu'il arrête avec ses peurs stupides, personne ne le mangera ici.

« C'est comme ça qu'on t'apprend à compter dans tes écoles d'intellos ? J'ai dit TROIS verres tête de pioche. »

J'observe toujours avec curiosité les gestes experts du tavernier. Je n'ose pas même imaginer le nombre affriolant de fois où il a dû réparer ainsi son propre corps. Les machines et autres modifications corporelles sont autant de processus qui me fascinent et me répugnent. Pas une once de sang ne coule au sein de ces boyaux métalliques. N'est-ce pas tout à fait cocasse ?

- Je vous comprends tout à fait. Je possède moi-même quelques vieilleries sans allures dont je ne saurais me débarrasser. Ce sont celles-ci les plus précieuses, n'est-il pas ?

Le Némésis est sur Hope pour une durée indéterminée mais très certainement éphémère. S'il m'était possible de le faire, je dépenserai très certainement bien plus de temps et d'argent au sein de cette taverne qu'il m'est agréable de fréquenter.

- Et bien, je me porte comme un charme, je vous remercie. Et vous donc ? Cela faisait un long moment que l'occasion de vous rendre visite ne s'était pas présentée. Vous savez bien ; je m'évertue d'éloigner le Némésis de ce côté-ci de la galaxie autant qu'il m'est tolérable de le faire.

L'image d'Hannabeth s'impose à moi telle un parasite dont on ne sait se débarrasser. Les désaccords entre ma jeune soeur et moi-même sont de notoriété publique.

- Il n'y a aucun mal à cela. A la lumière de mes expériences, je suis en parfaite mesure de comprendre l'effet des différends au sein d'une fratrie. J'ose espérer que je n'interromps rien de trop substantiel.

Léger désaccord mon cul ouais ! On s'engueule sur genre le seul truc où on est d'accord ! Non mais j'te jure, j'te jure, qu'est-ce que je fous encore à traîner avec lui. J'ai bien envie de lui coller un lapin ce soir, ça monte, ça me serre la gorge, et puis je secoue la tête en posant les verres sur la table, un peu sèchement. Non non, pas la peine de se faire remettre le dentier en ordre encore une fois, ça ira. Brute épaisse.

« "Un verre chacun". Je reste pas, j'suis attendu. »

Ailleurs. Genre ailleurs. Genre maman. Genre pour une fois dans ta putain de vie, fais pas chier Wulf.

Je lève les yeux des verres en faisant mine de me tourner vers la porte... ... ...elle a pas du tout la face vérolée ni les yeux rouges et phosphorescents. Elle a la trentaine et elle parle comme au siècle dernier, ça va pas du tout ensemble, et surtout elle est ouah.

« ...rien d'important non. Madame. » je bugue.

Ouais non, court-circuit total pendant une bonne seconde, le temps de redécouvrir que le gros truc noir au-dessus de sa tête c'est un tricorne. Là ça remarche à toute allure avant de buguer dans l'autre sens, et d'activer les systèmes de survie. Je recule de la table, je lève vaguement la main vers Wulf pour dire bye, et je trace vers la porte. Sans courir. Mais vite quand même.

Vieilleries sans allures toi même hé. Bon, okay, son bras n'est pas la partie la plus sexy de son anatomie (il suffit de voir le reste) mais quand même. Tiens, si ça avait été Wynn qui avait sorti ça, il s'en serait pris une. Mais de la part de la femme en tricorne, bizarrement, ça passe nettement mieux, ça le fait même sourire alors que ses pensées bougonnent. Il jette un coup d'oeil par en dessous à son crétin de cadet mais hoche finalement la tête.

« Ouais, bah vas-y alors au lieu de rêvasser. »

Le petit ne se le fait pas dire deux fois, obligeant son aîné à lever le ton. Evidemment. Mais s'il croit s'en tirer à si bon compte, il se trompe. Il a du coffre le Tavernier.

« ET JE TE VEUX ICI A HUIT HEURES PETANTES OU J'ENVOIE MES AMIS TE RAMENER PAR LE FUTAL ! »

Le cas Wynstann réglé – et bien réglé, le petit serait à l'heure, sa stupide peur des pirates y veillerait. Sérieusement, il ne comprenait pas comment il pouvait avoir tout mélangé à ce point dans sa tête de singe. L'UC les avait laissés tomber. Pas les pirates. Eux avaient juste fait leur vie, c'était la faute à pas de bol. Enfin. Ca n'allait pas changer dans les prochaines 24h.

« Nah, il fait sa crise d'ado et je suis sa figure paternelle c'est tout. Il faut bien que quelqu'un s'y colle. Qu'est ce qui vous amène de ce côté-ci du monde incivilisé ? »

J'observe les deux frères et leur mésentente provoque un sourire discret qui flotte délicatement sur mes lèvres. Je n'ai pas l'indélicatesse de les interrompre. J'offre un regard charmeur au plus jeune, juste avant qu'il ne s'en aille. Enfin, lorsqu'il disparait, je me concentre sur l'aîné, amusée.

- Votre frère semble être enclin à la nervosité.

Mon regard demeure accroché un instant à la porte par laquelle le jeune homme s'en est allé. Fort heureusement, ma fille a la bonté de m'épargner ce genre de spectacles désopilants... Voire désobligeants. Seigneur, je n'ose imaginer l'ampleur qu'une telle querelle pourrait prendre à bord du Némésis.

- Oh, rien de plus que quelques obscures affaires qui nécessitent une intervention directe de ma part. Croyez bien que je suis la première à déplorer le manque de constance et de cohérence de certains hommes importuns. Il m'est extrêmement désagréable d'avoir à traverser la galaxie dans l'unique but d'obtenir ce que je souhaite ; cependant, un vieil adage nous rappelle fort bien que l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, n'est-ce pas.

Pensive, j'effleure le manche d'une de mes épées.

- Fort heureusement, l'existence de votre taverne rend notre perdition moins oppressante. Il faudra que j'y emmène ma fille, un jour...

C'est de bon cœur qu'il rit en entendant le plus bel euphémisme du monde sur son petit frère. Enclin à la nervosité n'est pas VRAIMENT comment il aurait défini la petite chose timorée qu'était le plus jeune des frères Searuweard. Non, vraiment, même si Jezabel n'était pas aussi belle il apprécierait sa présence pour sa conversation désuette et le charme de ses formulations prudentes.

« Il fait ça. Il serait hypocrite pour moi de m'en plaindre puisque j'ai le plaisir de vous voir, tout ça. » Ayant arrêté l'école trop tôt, il n'avait pas le vocabulaire précis de la capitaine. Ni de tricorne. Il parlerait à Sarrazin de cette histoire de tricorne, ils trouveraient probablement quelque chose d'amusant à faire de ce début d'idée. Son visage s'éclaira à la mention d'une fille. Si elle était seulement aussi jolie que sa mère...il s'assombrit, cela voudrait probablement dire des ennuis. Et les ennuis, ce sont des frais.

« Etes-vous sure que c'est une bonne idée ? Nous avons une clientèle...chahuteuse. Quel âge a votre fille déjà ? Ce n'est pas une place pour une enfant...»

Je n'irai nullement prétendre que Jillian est habituée aux tavernes et à leurs chaos, cependant, il ne s'agit guère d'un univers contraire à celui dans lequel elle évolue depuis sa naissance.

- Je ne souhaite guère préserver ma fille du monde et de ses travers. Il ne faut guère omettre que lorsque je m'éteindrais, elle devra reprendre mon flambeau. Soyez sûr qu'elle saura aisément honorer son rôle.

Depuis sa naissance, elle est élevée dans ce but-ci. Elle sera digne de notre si belle famille ; c'est une certitude.

- Nous venons tout juste de fêter son quatorzième anniversaire. Les enfants grandissent si vite... Mais soyez sans craintes ; elle n'est nullement impressionnable.

Je n'essaie pas même de dissimuler l'immense fierté qu'elle me procure.

- Qu'en est-il de vous ? Dieu vous a-t-il offert un héritier, ou votre jeune frère est-il l'unique pour lequel vous endossé le rôle paternel ?

Elle saura peut-être être un bon capitaine mais les mineurs n'ont pas le droit de boire d'alcool hein Enfin ça dépend de son âge, probablement, si elle a sept ans il n'est pas sûr que la voir au Runny Amber, même avec un bébé tricorne, soit une bonne chose pour la réputation du dinner. Il ne peut pas vraiment refuser cependant et se contente de hocher la tete et de reprendre ses réglage. Le reste du discours le rassure immédiatement. A quatorze ans...on est adolescents. On est presque une femme/un homme. Si elle a l'air un peu mature pour son âge – et que sa mère est d'accord – ça peut le faire. Cela ne veut pas dire qu'il aurait laissé Sunny faire ce genre de connerie hein.

« J'ai deux petits frères et une petite sœur. » Tout Hope sera bientôt au courant de la Famille Searuweard mais vous savez quoi, il s'en fiche, il est fier d'eux. Même de cet abruti de Nynniaw. « Je fonderais une famille, c'est certain mais je dois d'abord veiller à la génération précédente. Quand ils seront indépendants et lancés dans la vie, alors je me poserais. En attendant j'ai déjà beaucoup à faire pour veiller sur eux. Ils ne sont pas à un âge facile. Parce qu'ils sont majeurs et qu'ils ont fait des études, ils pensent tout savoir de la vie et j'aimerais...qu'ils apprennent sans les coups que celle-ci peut donner parfois. »

- Ce sont des souhaits tout à fait honorables, et il me semble que je suis fort bien placée pour le comprendre. J'ai beau savoir depuis ma plus tendre enfance que l'on apprend jamais mieux que lorsque l'on choit, je couve ma fille bien plus qu'il ne le faudrait. Je songe avec une assurance certaine qu'il s'agit-là de ce que l'on nomme amour. Nous souhaitons épargner nos blessures aux êtres qui sont chers à nos coeurs. Je suis certaine que vous ferez un père tout à fait merveilleux lorsque l'heure sera venue.

Je prends l'initiative de remplir nos verres avec la bouteille amenée par Wynnstan. La soif me tiraille le gosier depuis mon entrée dans la taverne, et elle est fortement stimulée par notre conversation.

- Est-ce sans alcool ?

Surtout quand il est trop tard et que les têtes rousses ont déjà vécu plus que ce qu'on aurait aimé les faire vivre. La perte de la belle maison. Et le fantôme corporel du père, immobile, à peine conscient, avec dans l'oeil la force et la rage qui les conduit tous mais aucun moyen de se faire comprendre. Prisonnier d'un corps immobile et silencieux. Il ne connaît pas de pire image pour un héros. Alors il essaie d'en devenir un pour ses cadet. Un sur ses deux jambes à défaut d'avoir ses deux bras.

« Je préférerais qu'ils choient moins et apprennent plus, personnellement. Mais ils sont à l'âge où ils croient tout savoir de la vie déjà et nous sommes un brin têtu dans la famille. » Il hausse les épaules. Niaw se fera trahir, comme leur père,reste à espérer qu'il sera en meilleur état. Quant aux deux autres, il les garde à l'oeil. « Alors j'essaie au maximum de mettre des matelas pour amortir leurs chutes. » C'est ce qu'on attend de lui. Et c'est l'une des raisons d'être du Runny. Quoi qu'il arrive, même s'il tombe lui, un commerce aussi florissant est un investissement que l'on peut revendre pour moins de soucis plus tard. Et comme il est à deux noms, tout est prévu.

« Mais je ne vais pas vous assommer avec ma famille. Je pourrais vous en parler des heures. Servez-vous, c'est sans alcool, je sais que vous n'en buvez pas. »

Il me confirme que le liquide contenu dans la bouteille est sans alcool, et j'hoche la tête avec satisfaction. J'apprécie les attentions que le tavernier sait avoir lorsque je lui rends visite. Cela participe grandement au plaisir que je peux éprouver lorsque l'occasion de venir dépenser de mon temps dans cet endroit se présente.

- Vous semblez avoir beaucoup d'affection pour eux. N'ayez craintes, Cathwulf. Vous ne m'assommez pas le moins du monde. J'admire les familles qui parviennent à demeurer souder malgré l'adversité.

J'aime à croire que mes filles auraient su avoir la plus belle des complicités, si mon aînée ne m'avait guère été arrachée. Je ne connaitrais jamais cette réalité. Cependant, le temps passant, je possède de plus en plus de difficultés à considérer les relations que j'entretiens avec Hannabeth comme la meilleure des potentialités. Seigneur, quelles sont ces divagations futiles ? Ma langue claque contre mon palais, tandis que je porte le verre à mes lèvres. Comme à chacune de mes dégustations au sein du Runny Amber, je le savoure avec un réel plaisir et ne m'en cache nullement.

- Qu'est-ce ?

Il a plus que de l'affection. Ses petits c'est sa vie. Ca a longtemps été tout ce qui lui restait. Il a élargi ses horizons à présent. Il a Sarrazin, Noor, Audrey et Adèle qui complètent le trio roux dans son cœur. Cela reste peu. Fragile. Une explosion et il peut tout perdre, il le sait. C'est aussi pour ça qu'il est ravi de les voir éparpillé. Il y a moins de risque ainsi. Un petit sur Renaissance. Un autre à bord du Flare même si c'est contre tout ce en quoi il croit. La dernière en cours. Et parmi ses amis, Noor sur Oscuro, Adèle sur son vaisseau. Sarrazin et Audrey près de lui pour réchauffer ses jours de plaisanteries douteuses et de paris divers. Ils sont restés soudés. Malgré la dispute entre Niaw et lui, le silence radio boudeur qu'ils ont instaurés. Ils sont restés proches parce que Wulf sait parfaitement qu'il viendrait au premier appel à l'aide sérieux et qu'il connaît assez son petit frère pour savoir que la réciproque est vraie. Rien ne vient entre les Searuweard. Ensemble, ils sont invincibles.

« Une nouvelle recette que je teste. Cedrat, kiwi, sucre de canne évidemment, une pointe de bergamote et de la banane. Vous aimez ? Je dois encore lui trouver un nom. »

Malgré la couleur violette de l'étiquette et le verre coloré, le liquide est d'un or pâle aux reflets irisés vert d'eau que l'on a peu l'habitude de voir d'habitude mais n'est pas forcément désagréable.

Tandis qu'il m'offre les ingrédients clés de sa recette, je savoure une nouvelle gorgée. Cela demeure simple, mais diablement efficace.

- Tout bonnement divin, Cathwulf. Il faut bien avouer que jusqu'à lors, je n'ai jamais été désappointée par aucunes de vos créations.

Les compliments que j'offre sont rares, cependant, je n'ai guère de difficultés à avouer lorsque des services me plaisent. Ceux offerts par le Runny Amber valent bien davantage que beaucoup de tavernes ouvertes depuis des lustres. Un sourire en coin, je fixe l'homme.

- Si un jour vous veniez à vous lasser de votre entreprise, ce que je ne vous souhaite nullement, sachez que les cuisines du Némésis vous sont ouvertes.

C'est vrai qu'elle a toujours l'air d'aimer ses petites expériences. Depuis qu'il a ouvert le Runny, Cathwulf s'est lancé dans la création de cocktails et de plats sans trop savoir ce qu'il faisait. Certes, il avait apprit et testé les bases en cuisinant pour ses petits après l'accident de son père et le début du naufrage maternel, et oui, il avait passé beaucoup de son temps libre à traîner dans les pattes du Maître Coq du Lionroar. Sans parler de tous ces livres qu'il s'efforçait de lire sur le sujet mais surtout, il s'était découvert un goût sûr et un don certain pour les créations. Et ça, c'était chouette.

« C'est un honneur, Capitaine Alvarez et croyez-moi que si le besoin s'en fait sentir, je n'y manquerais pas. Malheureusement, mes responsabilités me maintiennent à terre pour le moment. Et mon bras reste un handicap. »

Il lâche ledit bras et le tend pour se servir à boire, testant sa nouvelle motricité. C'était mieux. Il attrapa le verre, sans le casser, et le porta à ses lèvres, doucement pour être sur de bien viser. Trop sur la gauche. Il lui faudrait régler ça aussi.

« Je n'avais jamais pensé qu'il me serait possible de remonter sur un vaisseau avec la barre de métal qu'on m'a greffé. Vous me donnez à réfléchir. »

J'apprécie l'intérêt qu'il semble porter à ma proposition. Fort heureusement, je ne propose guère de telles opportunités à tout un chacun ; cependant, il m'est impossible d'ignorer les potentialités et talents qui s'offrent à moi. Cathwulf viendrait parfaitement complété mon équipe de cuisinier, c'est certain. Quoi qu'il en soit, le Némésis sera toujours suffisamment vaste pour accueillir de nouveaux membres d'équipages.

- Pour ce qui est de vos responsabilités, j'entends tout à fait ; quant à votre bras, et bien. Nous nous accommodons parfaitement des forces et faiblesses de chacun à bord du Némésis.

Il est vrai qu'à bord du Némésis, l'on trouve aisément des membres brisés, parfois dotés d'une faiblesse handicapante ; cependant, leurs forces et leurs valeurs justifient tout à fait leur place sur mon vaisseau. Pour l'heure, jamais je n'ai eu à regretter le recrutement d'un seul d'entre eux. J'ose croire que cela perdurera.

- Mon offre n'est nullement limitée dans le temps ; réfléchissez-y autant qu'il le faudra. Je dois tout de même avouer que je serai attristée si je ne trouvais plus guère la chaleur de votre taverne lors de mes excursions sur Hope. Aussi poursuivrai-je mes visites tant qu'il me sera possible de le faire.

C'est sûr qu'après avoir dépensé autant pour se faire sa Taverne, il n'a pas non plus envie de l'abandonner tout de suite. Il sait pourtant à quel point l'espace manque à Sarrazin. Il peut le voir dans son œil clair le soir quand ils discutent ou en un éclair au milieu de deux plaisanteries. Ils parlent souvent de repartir tous les deux. Wulf n'y croit pas tellement mais il ne veut pas éteindre l'espoir dans le cœur en or de son ami.  Il boit une longue gorgée de son verre, le vidant déjà à moitié puis change encore un réglage, testant avec sa boisson. C'est déjà mieux.

« Et vous serez toujours la bienvenue ! Ainsi que votre fille et le reste de votre équipage. »

Il range sa trousse doucement, heureux d'avoir terminé son œuvre mais assez inquiet du temps passé et du travail qui a du s'accumuler depuis. Il se lève, rebouche la bouteille. Pour les autres cocktails, elle devra passer par la procédure classique et les payer. Il était déjà très rare que Cathwulf offre un verre. Quand on a 4 personnes à charge à 15 ans on apprend vite la valeur de l'argent. Ou on mange du nutrisoja.

« Je vais devoir prendre congé, la cuisine m'appelle et j'ai une réservation pour une réunion d'officiers dans moins d'une heure. Faites ici comme chez vous, Capitaine et au plaisir de bavarder à nouveau avec vous une autre fois j'espère. » Il lui tend la main.

Le tavernier est toujours d'une compagnie fort agréable ; différent de ceux que j'ai l'habitude de côtoyer, il a su faire du Runny Amber un lieu agréable et réconfortant. Autant qu'un endroit puisse l'être sur terre, en tous les cas. Lors de mon séjour sur Hope, il ne fait plus aucune doute que je viendrais présenter à Jillian les mets et les concoctions délicats proposés par Cathwulf et ses équipiers.

- Je vous remercie, Cathwulf.

Je finis de vider mon verre avant de me lever et de serrer la main valide de l'homme, mes yeux glacés plongés dans les siens.

- Vous êtes un homme fort occupé. J'apprécie à sa juste valeur le temps que vous me consacrez. Prenez grand soin de vous, Cathwulf.