Bataille de Florès

"Je vous en conjure, cette ruse ne fonctionnera pas longtemps, utilisez votre vitesse et votre coup d'avance à bon escient."

Elle se mordit la lèvre et ajouta d'une voix lasse.

"Ne m'abandonnez pas."

La voix grésilla et se coupa, tandis que l'évêque tira sur la boîte. Il rougeoyait de haine. Evidemment, le subterfuge était découvert. Tout le monde sauf l'évêque le savait pourtant. Il se sentait humilié, et par une femme, devant tous ses hommes.

"Par l'Unique..."

Deux hommes soulevèrent Flora qui ne faisait pas le poids entre deux soldats. Quelle drôle d'image. Elle fixa sans sourire l'évêque dans un regard de défi. Jamais elle n'avait été aussi insolente.
Il la gifla si fort que sa tête partit en arrière et que des larmes roulèrent malgré elle sur ses joues. D'autres tenaient le jeune rondouillard Oro Verde qui l'avait aidé.

"Eh bien bravo, tu viens de lui offrir un aller simple pour l'enfer... quoique son sort est préférable au tien."

Il enleva sa robe et prit une lame mono filament et égorgea le jeune garçon face à Flora qui hoqueta et faillit tomber dans les pommes. Il découpa la tête et la tendit face à elle. Pâle, en sueur, le visage inondé de larmes, la joue rouge et du sang dans la bouche, il mit ses deux mains pleines de sang sur les joues et le front de Flora. C'est à ce moment qu'elle s'évanouit. 15 minutes plus tard, les turbines fonctionnaient en sens inverse, ils espéraient récupérer leur retard.

De leurs nouveaux déplacements, je comprenais que la ruse n'avait pas duré : leur frégate impériale de commandement commençait à revenir sur le champs de bataille, les autres ralentissant dans l'espoir qu'elle les rejoigne avant que ne débutent les tirs. Un espoir vain, puisque l'attente avait été trop longue, et nos accélérations respectives trop avancées pour qu'ils n'aient le temps de perdre suffisamment de vitesse avant que nous ne rejoignions leur corvette et frégate trinitaires.

« Madame, que faisons-nous ? », questionna le Capitaine de pavillon.

« Victoria, entre le Solares et leur frégate pour couper leur ligne de tir. Solares, ils seront aveuglés par le Victoria. Profitez-en : roulez à 90° sur la gauche, puis passez au-dessus du Victoria pour frapper la frégate adverse sur le dessus de votre flanc gauche, puis l'arrière. Feu à volonté, visez les propulseurs et senseurs en priorité. Brisez-lui les jambes et crevez-lui les yeux. »

Je laissais passer un instant avant de poursuivre.

« Florès, trajectoire d'interception sur la corvette. Elle est lourdement endommagée, charge à vous de la détruire. »

« Madame, vous êtes sûre ? Cela signifie nous exposer aux tirs de l'Azucena avant que le Victoria et le Solares ne puissent nous rejoindre », s'enquit l'officier Rodriguez, aux senseurs.

« C'est exactement ce que je recherche. Il n'aura ainsi pas le temps de fuir les deux autres frégates si celles-ci changement brutalement de cap dans exactement 32 secondes, et nous aurons de quoi l'encercler. »

Ses paupières se soulevèrent difficilement. Elle papillonna. Comme elle aurait papillonné un matin, le soleil sur son visage dans les draps blancs, profitant de ce doux instant. Sauf qu'elle sentait sa joue enflée, une odeur de sang, son visage tiré par un masque de sang où seuls les sillons de ses larmes avaient tracé leurs lignes, elle était par terre, les mains tirées et menottées dans le dos, décoiffée, sa robe était déchirée et pleine de sang, elle était pieds nus.

L'haleine fétide d'un trinitaire à deux centimètres de son visage la fit grimacer. Ou étaient-ce ces menottes qui rongeaient sa peau tant elles étaient serrées ? Le mot passa qu'elle était réveillée. Sa tête lui tournait. On pouvait faire ce que l'on voulait d'elle, ils ne la considéraient plus que comme une ennemie et une proie. Même l'évêque qui n'était plus du tout cajoleur. Elle le voyait de loin. Il tenait un martinet à la main, s'était changé, des bottes de cuir noires, et un autre habit qui faisait plus militaire même si les références religieuses étaient partout.
La tête d'Oro Verde traînait devant dans une expression de surprise mais pas de trace du corps.

"Tu as voulu jouer. Je te frapperai pour chaque boulet de canon que nous prendrons à cause de toi."

Flora voulut ouvrir la bouche mais sa langue était pâteuse et des larmes jaillissaient de nouveau même si elle essayait de s'en empêcher.

"Tu peux pleurer, cela ne me fait que plus plaisir."

Cela avait pris plus de temps que prévu, ce qui n'était pas pour me plaire étant donné que l'Abiscale avait sans doute été découverte, mais quelques minutes plus tard la corvette n'était plus, non sans avoir échangé quelques salves plus précises que ce à quoi nous nous étions attendus, mais sans dommage critique pour autant. Quant au Victoria et au Solares, ils avaient agit à la perfection : le premier avait bloqué la vision de la frégate trinitaire, alors que le second s'était glissé soudain sous elle, forçant l'ennemi à accuser à la fois les tirs de proue contre proue de l'un et d'un flanc complet de l'autre, dans un angle mortellement dangereux.

Si les capitaines des deux vaisseaux trinitaires avaient été échangés, l'histoire aurait été toute autre, songeais-je, avant d'assesser la situation : la frégate trinitaire n'avait plus de propulseur en état de marche, et resterait paralysée un bon moment, tandis que nous restions mobiles. Certes, les senseurs du Victoria étaient en piteux état, mais nous n'étions pas plusieurs pour rien : il suffisait que le Solares définisse leur cap. Il ne reste plus qu'à rejoindre l'Azucena, presque à portée mais s'étant sagement mais trop tard retiré des combats.

« Mettez-moi en communication avec l'Azucena », ordonnais-je. « Ici le Commandant Mia de Moya des Forces Impériales à bord du Florès. Nous allons vous encercler, rentrez vos canons ou nous ferons feu. Et croyez-moi sur parole, nous ne raterons pas notre objectif : votre destruction. »

Deux bras la soutenaient, ou plutôt la portaient avec brutalité. Ses pieds délicats ne pouvaient plus la porter. C'était la première fois qu'elle faisait face à une violence aussi terrible. La première fois qu'elle était victime de cette violence physique. Qu'elle saignait, qu'elle était blessée par un acte malveillant. Son univers ouaté s'était d'abord transformé en cauchemar empli de menaces, de pressions. Elle avait tenu. Mais ce n'était plus un cauchemar mais bien l'enfer désormais.
Jamais au grand jamais elle n'aurait pensé être traité comme ça un jour. Elle se sentait faible et vulnérable pour la première fois. L'honneur impérial tenait dans les yeux vitreux de la tête sans vie. Pourtant c'était la seule chose à laquelle, elle pouvait se raccrocher.
Sa tête tombait à intervalles réguliers, elle manquait de force pour la remonter. Son corps gracieux et si fragile entre deux militaires était placardé comme une mouche sur une toile.

Toute l'attention de l'évêque était sur la bataille mais il faisait exécuter ses ordres et le dos de Flora se constellait de gouttes de sang. Sa robe avait été lacérée, tout comme sa fine peau.

Je suis une marquise se répétait-elle pour ne pas hurler.

En entendant la fréquence radio, il ne put retenir un cri de rage.

"Ici Gérard de Montesquieu, évêque de la Trinité et capitaine de ce vaisseau. Nous avons une otage, nous n'hésiterons pas à l'exécuter."

Il sembla hésiter. Négocier ? Il n'était pas en situation de force pourtant Flora était une carte à jouer.

Je faisais signe à l'officier aux communications, qui hocha doucement la tête pour attester de la réponse du Capitaine trinitaire. Mihaela seule pouvait l'entendre, car là était le plan : puisque je n'avais que peu de cartes à jouer, mais que lui tenait l'Abiscale, il me faudrait jouer mes uniques atouts : l'intimidation, la persuasion et l'autorité. Si je ne pouvais pas - officiellement - savoir qu'il avait capturé l'Abiscale, il lui serait difficile de jouer son seul atout. Et puisqu'il avait déjà tenté de fuir, il

« Azucena, ne ne vous entendons et ne pourrons pas vous entendre », débutais-je en leur laissant tirer les conclusions qui les arrangeait, bien qu'il fut probable qu'ils concluent à un défaut des systèmes de communication. « Vous avez trente secondes, pas une de plus, pour rentrer vos canons et vous mettre en panne. Passé ce délai, nous vous détruirons. Prenez la moindre mesure répressive avant ou après cette panne, et nous nous verrons dans l'obligation d'exécuter votre équipage, sans la moindre retenue. Rendez-vous sans heurts, et vous pourrez rentrer chez vous dans le cadre des accords locaux entre l'Imperium et la Trinité. »

Quelques regards croisèrent les miens, un peu surpris : ce n'était pas dans les protocoles habituels d'exécuter froidement sans tribunal des membres d'équipage ennemis une fois qu'ils s'étaient rendus, mais je supposais qu'ils n'en savaient rien. De plus, j'étais à peu près certaine que le meurtre d'une Abiscale justifierait l'acte.

"Par l'Unique."

Il frappa un poste du poing. Son visage était congestionné par la colère.

"Les canaux ne fonctionnent-ils pas ? Comment cette scélérate a pu communiquer ?"

Il s'approcha d'elle, pour la gifler probablement mais elle semblait tellement faible. Son regard était vide et elle ne semblait pas comprendre ce qui lui arrivait.
Il avait 30 secondes. Pas de mesure répressive. Qu'est-ce que cela voulait dire au juste ? Et impossible de s'enfuir, il était encerclé.

"Rentrez les canons."

Sa voix était glaciale et brûlante à la fois.

"Devons-nous nous mettre en panne ?"

Une gifle surprit le soldat trinitaire. L'évêque lui hurla dessus en crachant.

"AVONS-NOUS LE CHOIX ?"

Il reprit brusquement la liaison radio avant de la lâcher. Après tout ils ne les entendaient pas. L'application des accords locaux le protégeait de la mort mais pas de la honte. Il rentrerait dans la trinité mais serait assigné à un petit patelin paumé jusqu'à la fin de ses jours. L'angoisse lui tordit le ventre. Il reprit la radio tout de même. Au cas-où.

"L'otage ici présent est une noble de l'Imperium. Vous ne voudriez pas qu'il lui arrive malheur n'est-ce pas ? Nous avons rentré nos canons et nous sommes mis en panne. Laissez un détachement partir et nous lui laissons la vie sauve. Une vie contre une autre."

Un détachement voulait dire que l'évêque comptait prendre avec ses officiers une sorte de navette barque pour rejoindre la Trinité.

"Voyons voir ce que vaut ta vie très chère."

Mais aucune réponse ne parvint au Capitaine.

S'ensuivirent de difficiles négociations , longues et pénibles, avant qu'un accord ne soit validé : chacun retournerait chez soi, et les impériaux récupéreraient leur vaisseau et, plus important encore, leur Abiscale. Une amie d'infortune qui, plus tard, deviendrait une protectrice invisible et un allié de poids, mais avant tout une amie proche.