L'Univers est si petit

Valentia. Une ville sous cloche sur un misérable caillou sans atmosphère. Il y a presque neuf ans que j'en ai foulé le sol pour la dernière fois, je ne l'ai jamais appréciée car j'avais vu d'autres mondes plus joyeux, plus vert. A vrai, elle me dégoutait presque. Néanmoins, je retrouvais des anciennes connaissances et me renseignais sur le sort de ceux que j'avais connu jadis. Nombre d'entre eux étaient morts victimes des pirates, d'autres avaient eus des promotions et quittés Dorado.

Bien des choses avaient changés mais certaines restaient immuables, comme l'atmosphère de corruption et de criminalité qui régnait en maitre dans le système. Je m'étais fait quelque amis histoire de me tenir au jus en ce qui concernait les derniers développements politiques. La Trinité et l'UC avait créé un beau bordel avec leur petite guéguerre faisant de la piraterie un fléau pire que jamais. J'avais pu voir des photographies de l'ampleur des dégâts sur Vanguard, c'était impressionnant et je n'osais imaginer combien y avait perdu la vie. Mais les regards s'étaient aussi tournés vers Esperanza.

C'était justement ce dont j'étais en train de discuter avec un de mes amis quand il s'est interrompu pour interpeller une passante qu'il était convaincu de connaitre... J'avais l'impression que sa bouille ne disait rien du tout à cette dernière et qu'il la dérangeait, je parierais ma chemise là-dessus.

Valentia. Anna n'avait qu'une envie, c'était de repartir, elle n'aimait pas spécialement cet endroit, maintenant qu'elle était pleinement remise sur pied, elle n'avait qu'une envie, c'était de rattraper le fait qu'elle n'ait pas vraiment pu participer à l'abordage de l'Anneau d'Odat.

Anna se fichait pas mal des conséquences de leurs actions d'il y a quelques mois, elle, son boulot c'était de faire ce qu'on lui dit et de le faire bien, pas de finir à l'infirmerie... enfin bref, tout ça pour dire que c'était pas son problème.

Elle errait donc dans les rues de Valentia, à la recherche d'un quelque chose qui lui permettrait de s'occuper en attendant le départ. Deux hommes discutaient entre eux, elle ne fit pas attention à eux, sauf quand l'un deux la fixa intensément, puis il sourit et vint la saluer quand ils furent assez proches, qui était-il ? Aucune idée, mais lui, il semblait la connaître.

-Alaia ! Ca faisait longtemps ! Je ne savais pas que tu avais été envoyé à Dorado ! Si je n'avais pas vu tes yeux, jamais je ne t'aurais reconnu ! Alors qu'est-ce que tu deviens ? Dit-il alors avec enthousiasme.

-Vous devez vous tromper monsieur, je ne pense pas vous connaître. Répondit-elle d'un ton des plus neutre.

Qu'elle sera sa réaction ? Aucune idée. Néanmoins, Alaia ? Ce nom m'était inconnu, mais en même temps... il m'étais très vaguement familier...

J'entendais  leurs paroles  de là ou mon collègue m'avait laissé planter bien que  certains mots soient happés par les murmures des véhicules et des passants. Mais je l'entendis rire et répondre à la soit-disant Alaia, que c'était une bonne blague mais que ça ne fonctionnerait pas sur lui. Il ne voulait pas qu'elle l'évites et se sauve avec cette excuse.

Il avait beau être sur de lui convaincu que c'était Alaia, je sentais d'ici la sincérité de la réponse de la jeune femme. Elle n'était pas cette Alaia qu'il croyait reconnaitre en elle. Peut-être était-elle une sosie. Je me demandais ce que j'allais bien dire pour calmer le jeu car je craignais que mon collègue ne s'énerve. Je m’approchait donc prêt à passer un savon à Ricardo Valbuena.

-Je vous assure vous vous trompez de personne. Dit Anna sûr d'elle.

Cette conversation la mettait mal à l'aise, elle espérait juste que l'homme la laisserait tranquille et qu'elle pourrait vite oublier tout ça.

Ricardo jeta par dessus le bord toute notion de courtoisie militaire et de décence, se mit à brailler qu'Alaia devait arrêter de déconner et je dus intervenir.

Valbuena ! Vous vous oubliez !

L'homme s'emporta, par réflexe Anna, fit un pas en arrière et mis sa main sur sa garde prête à dégainer. Cet homme était fou ou alors il... NON ! Il ne pouvait qu'être fou, ou la confondre avec quelqu'un d'autre. Fort heureusement un autre homme intervint et l'homme se reprit, néanmoins, on pouvait sentir qu'il n'en démordait pas.

-Je suis désolé, mais je ne suis vraiment pas cette Alaia pour qui vous me prenez.

Après ces paroles, elle jeta un regard et fit un léger signe de tête dans la direction de l'homme qui était intervenu pour le remercier.

Si mon intervention calma brièvement Valbuena, le fait que la jeune femme porte la main à l'épée, poussa ce dernier à se saisir également de son arme. Il n'avait pas l'intention sosie d'Alaia ou pas de se faire embrocher si la jeune femme dégainait.  Je me saisis de sa main pour l’empêcher de dégainer  et leva la main pour arrêter la jeune  femme d'un ordre silencieux si elle continuait à tirer son arme.   Les badauds sentaient la bagarre  et s'écartaient pour éviter de recevoir des lames qui ne sortirent pas de leur fourreau.

Je ne vous connais pas, jeune fille, mais tirez seulement une fois la lame, vous  expliquerez pourquoi vous avez menacé des militaires devant un juge. Quant à vous, Ricardo, ne vous énervez pas en présence de civils ou je ferais un rapport., menaçais-je d'une voix  d'Adjudant-chef intimidante. J’espérais m’être montré suffisamment clair pour qu'ils cessent l'un et l'autre.

On s'est compris ? , demandais-je à l'un et à l'autre.

Oui Quartier-Maitre.

Cela ne lui plaisait pas mais il éloigna sa main de son arme. Je ne commettrais pas l'erreur de croire qu'elle ne savait pas s'en servir, ni qu'il n'y avait aucun risque que cela dégénère. Par contre, je n'étais sur de rien quant à l'issue d'un éventuel combat, je savais  que n'importe qui pouvait tuer avec une bonne dose de chance, de ruse et d'adresse.  Je me savais suffisamment bon contre bien des adversaires ; j'en avais tué  de nombreux au fil des ans.

Tirer sa lame n'était pas dans ses projets actuellement, elle s'était juste senti menacé et par réflexe s'était préparer à dégainer. L'homme qui avait pris la parole était autoritaire et menaçant dans ses propos, surtout que c'est visiblement un militaire. Va falloir faire attention. Et au vu de la réponse de l'homme en face d'Anna, ce n'était pas un simple soldat. Lorsque celui qui se nommait Valbuena apparemment, retira la main de sa lame elle fit de même et se détendit un peu.

-Oui, c'est compris. Finit-elle par répondre.

Anna espérait que ça en resterai là et qu'elle pourrait partir, disons qu'être avec des soldats et en plus qu'il y en a un qui était persuadé de la connaître était plus malaisant.

Je relâchais ma poigne sur la main de Valbuena, qui laissa retomber son bras le long de son corps. Il ne faisait pas confiance à la sosie d'Alaia, je crois qu'il a en tete ses compétences. Il suffisait de voir la façon dont elle avait reculé pour se préparer à se défendre qu'elle savait se battre. Je n'étais pas idiot. Elle était loin du banal civil. Comme tout semblait rentrer dans l'ordre, je me détendis.

Maintenant que tout le monde est calmé, v's allez lui offrir un verre et vous excuser de l'avoir confondue avec une autre Valbuena.

Il n'était pas content de devoir s'excuser alors qu'il était convaincu d'avoir raison mais j'étais plus gradé que lui et j'avais plus d'ancienneté. Pour moi, cette jeune femme ne mentait pas en disant qu'elle n'était pas Alaia. Puis je murmurais à l'intention de l'inconnue.

Je m'excuse de vous avoir menacé Madame mais c'était la meilleure façon de calmer le jeu.

Valbuena n'avait pas entendu et présenta également ses excuses visiblement de mauvaise foi et lui proposa un verre avec un peu plus de naturel. Comme si le souvenir d'Alaia parasitait le présent lui donnant des attentes que l'inconnue ne saurait combler. Des petits gestes de comportement. Il voulait sans doute la confondre, la convaincre qu'elle était Alaia. Mais je savais qu'elle ne mentait pas. Elle n'était pas cette personne.

Bon, il tentait de désamorcer la situation et de calmer son collègue, néanmoins, la proposition qu'il fit n'arrangeait en rien Anna, mais celle-ci ne laissa rien paraître. Lorsque le quartier-maître vint lui murmurer des excuses, Anna lui répondit d'un léger signe de tête pour dire merci, car même si là elle se retrouvait avec une personne lui présentant des excuses de mauvaises foi et un verre, cela avait peut-être évité une situation bien plus délicate.

Anna souhaitait refuser ce verre, mais... quelque chose lui disait que ce n'était pas le choix à faire et puis comme ça, elle arriverait peut-être à le convaincre qu'elle n'était pas la personne qu'il croyait.

-J'accepte volontiers ce verre et puis que nous ne sommes pas partis du bon pied... Elle tendit alors la main à Valbuena. Anna Vasquez. Enchanté.  
Maintenant, il y avait plus qu'à espérer qu'il s'enlève de la tête qu'elle était Alaia.

Ricardo n'avait pas l'air heureux mais il devait se plier à mes paroles comme si elles m'avait été mise dans la bouche par quelques divinités qui soit. Dieu, Calypso et tout le bataclan. A vrai dire, je considérais la religion avec suspicion comme un ramassis de connerie faite pour les crédules. ça faisait fondre le cerveau par les oreilles. Je servais l'Empereur et l'Impérium un point c'est tout mais je ne m'interdisais pas d'avoir mes propres idées sur mes supérieurs, les ordres que je recevais sans me plaindre ou baver sur leurs défauts dans leurs dos.

Pour revenir à notre homme, il s'était présenté avec réticence comme étant Ricardo Valbuena à la jeune Anna Vasquez qui m'avait remercié d'un signe de tete. Mais avec plus d'entrain, sans doute, l'espoir que la jeune femme reconnaisse son nom. Pauvre petit, il n'avait aucune chance qu'elle soit Alaia, et puis si j'avais proposé un verre, c'était pour enterrer tout espoir qu'il aurait à ce sujet. Je faisais confiance à Anna pour s'en charger toute seule. Néanmoins, j'apprécie qu'on ne perde pas de temps à faire de long remerciement, c'était chiant comme pas possible et c'était pas toujours sincère.

Gerardo Del Ruiz, je vous propose le Canard Lapin pour vous désaltérer le gosier avec du bon rhum.

Comme on pouvait s'y attendre, le nom de Ricardo Valbuena ne dit absolument rien à Anna, et même si ça lui avait vaguement été familier elle aurait écarté cette sensation et se serai persuadé qu'elle délirait.

-Le Canard Lapin ? Pourquoi pas. Par contre, il va falloir me montrer le chemin, je ne connaît pas vraiment Valentia.

Anna était prête à suivre les deux hommes, par contre, il lui faudrait réfléchir à quoi répondre s'ils lui demandaient ce qu'elle faisait comme boulot, mais bon, ils n'en étaient pas encore là. Pour le moment autant tenté de profiter de l'instant.

Elle ne devait pas être une habituée de Valentia, peut-etre était-elle une voyageuse de passage et elle faisait bien de n’être que de passage. Ce monde est si morne qu'il faut régulièrement se rendre sur Alegria pour ne pas péter les plombs. J'ai beau m’être engagé pour défendre l'Impérium, je n'avais jamais aimé Oscuro, sa surface rocailleuse et son absence d'atmosphère.

Par ici, ce n'est pas très loin.

Le Canard-Lapin ne se trouvait qu'à trois rues de l'endroit ou nous nous trouvions. Raison pour laquelle, je l'avais choisi lui plutôt qu'un autre.

Anna les suivit donc. Il ne leur fallut pas bien longtemps pour atteindre le Canard-Lapin, un établissement assez commun, du moins en façade. Ils entrèrent donc et tout comme l'extérieur, l'intérieur n'avait rien de bien spécial, une taverne ordinaire en somme.

Anna se dirigeât vers une table libre, ou suivit les autres s'ils avaient décidé plus vite qu'elle, où aller. Dans tous les cas, elle laissa Valbuena commander, après tout, c'était lui offrait non ? Puis en attendant qu'ils soient servis, Anna tenta de démarrer une conversation.

-Alors messieurs, vous êtes en permission ? Si ce n'est pas indiscret, bien sûr.

Notre vaisseaux sont à terre pour refaire leurs stock et dans l'attente d'une nouvelle mission, j'espère que ce sera pas encore une de ces putains de mission de routine.

Valbuena, je ne dirais pas que les jours se ressemblent tous à bord même pour le cas d'une mission banale. Tu es impatient de te battre, je peux le comprendre mais j'apprécie aussi la tranquillité de la routine. Un abordage est synonyme de perte. J'ai vu assez d'amies mourir pour ne pas être pressé de retourner au feu.

Je parlais de la bataille de Manzana évidemment, mon vaisseau avait essayé des pertes très lourdes au cours de l'affrontement et je devais y ajouter le poids de la mort des civils de la station qu'ils soient des inconnues ou des amies. C'était une tragédie dans tout le sens du mot.

Anna écoute les deux hommes parler et hoche la tête, pour dire qu'elle a comprit. Dans les deux camps, on a des connaissances, voir plus, qui meurent au combat, c'est le risque de cette vie.

-Désolé si cela vous rappel de mauvais souvenirs. Dit alors Anna avec sincérité, même s'ils ne sont pas amis, mais plutôt ennemie, c'est quelque chose qu'elle comprend et connaît, mais il faut continuer d'avancer.

Vous n’y êtes pour rien. On a choisi cette vie. On meurt pour que des citoyens n’aient pas à se salir les mains. Ni à mourir sous la torture entre les mains des pirates. On meurt pour protéger l’impérium de ces cabrons de trinitaires, de ces putains de technocrates. On continue de se battre et d’avancer, encore et toujours. Pour la Justice. Pour nos camarades tombés au combat et survivants.

Mon éclat est violent, plein de rage, il pique comme ces discours de meneurs d’homme. Qu’un pirate ou un trinitaire me tombe sous la main et je le pendrais vite fait. Il y a longtemps, j’avais déclaré que nous n’etikns que des bourreaux au service de l’Imperium. C’est la vérité. On exécute les ordres des juges - nos supérieurs - en mettant fin à des vies. Mais pas obligatoirement.

L'éclat de rage du quartier-maître frappe Anna de plein fouet, heureusement pour elle, elle n'est pas du genre à être très émotive avec des étrangers, saufs quand il y a de l'alcool... Quand même, c'est assez impressionnant, ils ont la même vision de leurs adversaires, faut dire que chaque camp à tendance à diabolisé son adversaire, même si faut dire ce qui est, les membres des factions sont assez hypocrites et ils mentent pas mal aussi.

-Et ben, j'ai rarement rencontré des personnes aussi engagées !

J'hausse les épaules en me mettant à chanter un poème impérial tandis que Valbuena  rougit du compliment et se mit à  bafouiller  en expliquant  que j'étais un vieux routard  avec près de vingt ans de carrière. Que lui était pas aussi héroïque  que moi. Je soupire en arrêtant ma récitation. Valbuena, je n'ai fait que mon devoir. Il n'y rien d'héroïque là-dedans ; c'est les poètes qui ont inventé cette histoire. C'est des conneries. On se sent sale après avoir tué des gens, de regarder leur cadavre baignant dans leur sang.

Anna écoute le poème et Valbuena, au vu de ses paroles, celui-ci semble assez admiratif de son quartier-maître, cela lui rappelle elle et Ichabod, par contre, son sourire disparaît bien vite lorsque le militaire sortit sa tirade. C'est vrai que ça n'a rien d'héroïque et qu'on peut se sentir sale après avoir tué des gens... Ce n'est pas quelque chose qui affecte beaucoup Anna par contre, elle aime se battre, pas tuer, se battre, néanmoins, lors d'un abordage, on n'a pas vraiment le loisir de chercher à épargner ses adversaires. Ils ont voulu ce combat, ils en payent le prix. Suite à cela, Anna reste silencieuse et observe et écoute les deux hommes.

Je m'arrête brièvement avec un soupir, leva la tête pour observer le dôme  protecteur qui englobe la cité de Valentia. L'image que je venais de dessiner parut choquer le jeune militaire alors que la civile semble  neutre et silencieux.  Est-ce du respect ou un accord muet ?   Je me demande parfois  comment peut-on garder son humanité en sachant qu'on a retiré  des vies, comment rester soi-même en voyant des amis disparaitre. C'est important de trouver sa propre réponse à ces choses là-dedans sinon on devient cinglé. termine-je en me tapotant la tempe.  

Je sais que j'ai trouvé les miennes, je vis avec la  certitude de faire ce qui est juste. Il n'en reste pas moins que je vois des jeunes engagés traumatisés, des vieux endurcis finir par craquer. Peut-être devrais-je envisager de mettre fin à mon service militaire un jour pour une vie plus tranquille. Avant le pire.Tout n'est pas si noir heureusement, il y a des bonnes choses qui aident.  Ah ! Voilà le Canard-Lapin !, m'exclamai-je en reconnaissant l'enseigne avant même de voir le nom de la taverne situé sur la gauche de la rue.  Le symbole, qui a fait  la réputation du lieu, est toujours une source de débat pour les habitués, qui sont incapables de déterminer si c'est un lapin ou un canard.

L'interrogation du quartier-maître impérial fit réfléchir Anna, qui répondit peu après.

-Peut-être esse simplement la nature de l'homme, que je sache, l'homme n'a jamais arrêté de tuer ses semblables pour une raison ou pour une autre bien longtemps... Quand on y pense, c'était assez fataliste comme résonnement, mais bon, cela ne gênait absolument pas Anna, faut dire qu'elle avait tendance à être assez pragmatique.

Ils arrivaient enfin au Canard-Lapin, un verre ou deux et elle pourrait s'en aller.

Anna ne peut qu'approuver ce que raconte le quartier-maître, elle se contente alors d'un petit hochement de tête pour le monter.

J'ouvre la port du Canard-Lapin, dont l'enseigne lumineux faisait toujours débat entre les habitués, et choisit une table libre. On allait pouvoir discuter tranquillement et tirer au clair cette histoire de sosie autour d'un verre. Ils ont quoi au menu ? Bière ? Rhum ? Alcool de Renaissance ?