# 3 - Et une bouteille de Rhum !

Salem s’était avéré être une excursion plus mouvementée qu’il n’y paraissait. Pour des raisons, comme pour d’autres, il avait dû quitter la ville en urgence pour rejoindre un autre point de Dorado, plus propices à ne pas le marquer au visage. Les pirates sont si brutaux. Comme à son habitude, il avait réussi à négocier avec une bande de contrebandiers son passage vers une autre planète en échange de quelques documents falsifiés et d’une mise à jour des systèmes de leur ridicule petit vaisseaux. Il fut jeté dans la cale sans trop de ménagement comme un passager clandestin et ce n’est qu’une fois arrivé à Hope qu’il vît à nouveau le soleil. Il était habitué à ce genre de voyage en classe très (très) économique.

Il ne connaissait pas vraiment la ville, il n’y avait jamais été. Elle sentait bien trop le compromis et l’ordre. Ces quartiers, bien délimités pour ne pas franchir la frontière des autres factions, ressemblaient à des grands murs d’enceinte limitant plus que protégeant les habitants. Autant, pouvait-il supporter les quelques règles qu’obligent les points d’amarrages comme Torturga, autant dès qu’il se rapprochait de la société bien uniforme que leur offrait les trois factions, il ne pouvait restreindre son envie de tout voir brûler dans un magnifique feu de joie.

Une fois « gentiment » mis dehors par ses « camarades » de fortune, il se connecta discrètement à l'une des bornes du spatioport. Sa quête d’informations lui permit de récupérer un plan de la zone, mais aussi le manifeste d’amarrage des vaisseaux qui « mouillaient » là. L’un d’eux attira son regard. C’était un gros truc, carrément immense, qui, selon les informations, s’affichant maintenant directement devant lui grâce à ses prothèses, était un genre de restaurant, hôtel, SPA et tout le tralalala qui trainait dans l'espace Hope'ien.

Cesare n’était pas particulièrement fan de ce genre d’établissement, mais après quelques jours dans une cale à manger des barres de nutrisoja et à boire de l’eau dont la provenance était plus que douteuse, il lui fallait quelque chose de plus concret pour ravir son estomac. C’est donc le pas nonchalant qu’il s’avança vers une navette pour le gros machin.

Comme à son habitude, il était habillé assez sombrement, une capuche tombant sur sa tête pour mieux cacher son visage. N’ayant pas besoin de la dissimuler, la lumière provenant de ses yeux était d’un éclatant bleu azur qui pouvait surprendre les rares qui osaient le regarder en face.

Une fois au bon endroit, il prit directement à droite pour tomber dans une belle salle de type « taverne ». Il y avait un peu de monde, mais sans plus et il y régnait une ambiance chaleureuse. Ne trouvant pas de table vide, il s’avança vers le bar où il fit un signe au barman le plus proche afin d'obtenir — au moins — quelque chose de chaud à boire... Du rhum peut-être ?

La musique n’était pas trop mal, bien qu’étrange, le jeune homme aurait juré avoir entendu le chanteur crier :

« Oh, riche de fantaisies
Vile vie d’un doradien
Sublimé par l’eau-de-vie
N’a rien à envier au chien ! »

Cesare se fit promettre de demander au barman le nom de cette chanson.

Une femme vint s’asseoir à côté de lui, son œil droit, derrière sa capuche ; bougea silencieusement et, changeant de spectre, il put jeter un premier regard à sa voisine de boisson. Elle commanda un thé quasi au même moment où le serveur lui apporta une bouteille de rhum qu’il posa délicatement devant le jeune homme avec un verre propre.

Cesare était loin d’être l’homme le plus bavard du monde, en dehors des parties de cartes et des débats politico-anarchistes, mais il lui était parfois difficile de maintenir sa bouche fermée quand il voyait des choses étonnantes. Il s’agissait certainement de son éducation, ou de son manque d’éducation plutôt, ou alors de son côté anarchiste, se rêvant comme abolisseur de codes de bonnes conduites et de toutes règles de manière générale.

Délicatement, il attrapa la bouteille de sa main droite. On pouvait y voir le début de son long tatouage, composé de 0 et de 1, remontant jusqu’à son épaule, le reste étant caché par sa veste. Son verre une fois rempli descendit tout aussi vite. Posant celui-ci peut-être trop brutalement sur le bar, il s’exclama :

« Un thé ? Sérieusement ? »

Lui ? Quelqu’un de banal ? Il n’y avait probablement personne sur la station qui ressemblait moins au portrait sous-entendu dans la question de la femme au thé. En bon pirate informatique qu’il était, il ne manqua pas d’entendre les autres informations que la femme à l’allure étrange lui adressait dans sa remarque piquante. Elle était ainsi patronne de vaisseau, leader d’un équipage. Il s’agissait souvent d’une information intéressante pour le jeune homme qui s’évertuer toujours à trouver des vaisseaux où il pourrait squatter quelques moments vendant ainsi ses talents et profitant et des butins amassés et de la relative tranquillité que la piraterie offrait au regard des établissements organisés de Dorado. 

« Ah ? », un regard malin se dégagea des étranges pupilles bioniques du jeune homme, « j’étais pourtant assuré qu’un bon supérieur devait pouvoir s’abaisser au niveau de son équipage de temps à autre ». 

Sans quelques ruses à l’esprit, il plongea son bras derrière le bar pour en extirper un verre qu’il posa juste devant la patronne. Puis, dans un geste volontairement lent lui servit un bon shot de rhum. 

« Pour vous montrer que je suis toujours ouvert aux nouvelles aventures, je boirai votre thé si vous buvez mon rhum... », un léger sourire se dégagea du visage du jeune homme.