Le souvenir commence avec la cicatrice [Billy & Eugène]

Il n'a pas besoin de lui répondre, il se contente d'un pouce l'air et d'un clin d’œil avant de trébucher, de tomber ... ou presque et de se remettre droit. Ce qui le fait plus que marrer. Il se marre d'autant plus que la gamine aussi a commencé à se marrer. Elle rigole fort, ça l'arrange pas. Mais il aime bien son rire. Et le singe aussi se met à rire. Et ils se retrouvent tous les trois dans la nuit, sous la bruine à se marrer comme des dindons. On entend un chut dans une fenêtre pas loin. Ce qui n'arrête pas Eugène, loin de là.

"Ah ça j'peux t'croire. T'es bien gentille pis tu sais c'que tu fais pis il est rigolo. Z'ont raison ces gens. Et les autres... ceux qui veulent s'donner bonne conscience... tant mieux pour toi pis tant mieux pour eux. Sont tout p'tit. P'tit p'tit p'tit."

Il montre un tout petit espace entre ses doigts. Son discours bourré n'est certainement pas des plus compréhensibles mais il se comprend lui.

"Ils sont p'tit mais sont pas méchants. Au moins ils donnent... ça s'fait pas toujours. Y'en a ils croient tout savoir pis y donnent même pas. Y'en a qui pensent qui z'ont été élus par j'sais pas quel Dieu... et qu'les autres sont bons qu'à rester dans la boue. Ceux là j'les f'rais exploser. L'reste aussi... dans une belle explosion... Mais toi j'suis sûr qu't'es un des anges d'la Calypso. J'en suis sûr sûr sûr."

Il rigole avec nous, le monsieur Eugène, et puis on l'écoute parler aussi. Il est gentil, nous on l'aime bien. Il est pas très clair, mais je crois qu'on comprend bien ce qu'il dit, surtout moi. Dodu, il a trop faim pour essayer de comprendre. Et moi aussi, je commence à avoir très faim. Et puis il parle d'explosion, et quand il recommence à dire que je suis un ange, je rougis un peu, et je souris.

- Toi aussi, t'es bien gentil monsieur Eugène, et puis t'es le tout premier qui me dit à moi que je suis un ange, ça c'est sûr ! Y a pas de gens vraiment méchants, enfin nous, on en connait pas, ça non !

Et puis, je suis aussi un peu gênée par ses paroles, dans un sens, parce que j'essaie bien d'oublier mes origines, mais c'est pas trop facile facile. Je me dis que peut-être bien qu'il sent que j'étais une mo'at avant ? Mais je dis rien, parce que je veux pas le dire. Et puis, on arrive devant la petite taverne qui va nous offrir un bon repas chaud.

- Voilà c'est là, on peut s'installer au chaud dedans et puis commander à manger !

On rentre, et puis on s'installe à une table. Y a le tavernier qui est toujours là, et puis il nous reconnait alors il sourit, et il va venir prendre nos commandes.

"Pas de gens méchants..."

Le regard d'Eugène se voile. Sa réflexion est comme un courant d'eau rapide, impossible à attraper. A chaque fois qu'il a une idée, une pensée, elle se faufile entre ses mains et il ne sait plus ce qu'il voulait dire. Les seules choses auxquelles il peut se raccrocher sont les sensations qu'il a quand il y pense.
Il n'arrive pas à mettre le doigt dessus et même en entrant dans cette auberge, en pleine nuit, auberge où il fait chaud et ça sent bon, il a la tête ailleurs.
Il ne s’assoit pas, il s'écrase comme une loque, plus fatigué, plus embrumé, plus souffrant qu'il ne le pense. Ses yeux se ferment.

"T'es sûre de c'que tu dis ? Qu'y'ait pas de gens méchants ?"

Parce qu'il en voit beaucoup des gens méchants, des gens qu'il ferait souffrir avec plaisir. Parce que si ces gens ne sont pas méchants alors c'est lui qui l'est. Sa mère lui a suffisamment répété qu'il était mauvais. Et c'est lui ou elle qui détient le monopole du mal. Si elle avait raison, il abandonne. Il abandonne les Hommes et leurs bêtises, et il n'attend plus rien. Si il a raison, il continue. Il continue d'être dans ce monde et de chasser, torturer rendre leur pareille à ceux qui sont "méchants" s'il les croise.

Son air, et puis sa réflexion, ça me fait un drôle d'effet, et je sais pas trop quoi en penser d'abord. Et puis Dodu aussi, il penche la tête sur le côté, intrigué par ce qu'il entend et surtout intrigué parce que moi je suis intriguée. Je vois bien qu'il est bizarre tout à coup, et puis je sais pas trop pourquoi. On dirait qu'il pense à quelque chose, peut-être une carabistouille qu'il a vécu, je sais pas !

- Oh, j'ai dit quelque chose de mal, Monsieur Eugène ? C'est que, y a des gens qui font des actes méchants, et peut-être que ça, ça les rend un peu méchants. Mais y a personne qui né méchant, et qui est juste méchant parce qu'il est méchant, enfin je crois. Moi je pense que c'est juste les choix que tu fais dans ta vie qui font que tu fais des choses méchantes ou bien gentilles. Mais y a du bon dans tous les gens, même ceux qui font des actes méchants. Et puis ça, ça fait pencher la balance pour savoir s'ils sont plutôt bons ou plutôt mauvais.

Je finis par hausser les épaules un peu vite avec un grand sourire.

- Mais tu sais, moi je suis une médecin, alors les gens, et ben je suis pas là pour dire ce qu'ils sont, et puis d'abord, je le sais pas et puis je peux pas juger. Moi je sais pas tout, ça non !

Eugène fronce les sourcils. Il ne comprend pas tout le raisonnement de la gamine. Il est d'accord pour dire que les gens ne naissent pas méchants. Il pense à tous ces gens qui ont du être enfant et qu'il ne peut imaginer autrement qu'en monstres. Pour elle, ce sont les choix qui définiraient le bon ou le mauvais. Eugène se raccroche alors à ça. Les gens faisant les mauvais choix deviennent donc mauvais. Il existe des gens mauvais. Le mal existe donc. Et ça le rassure en un sens. Il occulte le reste, trouver des justifications c'est trop tordu pour lui. Impossible de trouver des justifications à sa propre mère ou à son père.
Quand elle hausse les épaules et qu'elle sourie, il sourit en retour, ses sourcils se défroncent et il attrape les couverts.

"J'crève la dalle. J'suis certainement pas médecin pis j'vais certainement pas sauver tout l'monde comme tu veux l'faire. J'crois qu'y'a des gens qu'faut pas les laisser faire c'qui font. Même si c'est qu'des choix mauvais. Tu peux essayer d'les sauver. Moi j'les f'rais imploser."

Ce n'est pas cruel, juste un fait, quelque chose d'évident, qui ne mérite aucune question. Il ne réfléchit plus vraiment maintenant. Son regard est redevenu comme avant, dans l'excitation de ce qui va arriver, la nourriture en l'occurrence. Et plus dans une espèce d'auto-réflexion qu'il parvenait lui même difficilement à saisir.

- T'vas voir, c'est vraiment super ultra méga giga bon ici ! On vient souvent, et puis on est jamais déçu. Et te méprends surtout pas, Dodu et moi, on aime beaucoup ça, manger !

Mais le reste de ses paroles, ça me fait pas l'même effet. Il a un côté un peu sombre, Monsieur Eugène. C'est étrange, attirant et puis bizarroïdouille aussi.

- Pourquoi t'aimes ça comme ça, de faire imploser des trucs, et pis des gens, et pis tout le monde ? Tu nous f'rais imploser, Dodu et moi ? Parce qu'on est pas toujours gentils aussi, surtout parce qu'on sauve les méchants. Parce que les méchants, ils ont pas le visage des méchants, et puis les gentils pas toujours non plus. Parce que moi, j'ai pas un visage de gentil, pas vrai ? Et puis si nous on peut pas faire la seule chose qu'on aime vraiment, et bah tu vois, tout devient tristissime !

Je le regarde et puis je réfléchis un peu.

- Y a des gens méchants qui t'ont fait des trucs méchants, pas vrai monsieur Eugène ?

Il dévore, s'en met partout. Puis s'arrête, reprend son souffle, observe la gamine qui lui paraît plus vieille maintenant qu'il a quelque chose dans le ventre et moins de buée alcoolisée dans les yeux.

"Moi vous faire exploser ?"

Il rigole un peu. L'idée lui traverse l'esprit, c'est joli une explosion, même quand il y a quelqu'un dedans. Sauf qu'il ne veut pas tuer un petit ange et encore moins un singe qui ont l'air d'être aussi innocents.

"Nan. Et pis t'as pas l'visage d'quelqu'un d'bien ou d'mauvais. L'visage c'est traître. Les plus beaux c'pa les plus innocents."

Il attrape le poulet par la main et en arrache la chair avant de passer sa langue pour récupérer un bout au coin des lèvres.

"J't'empêcherai pas d'faire c'que t'aimes. Moi c'que j'aime c'est les explosions et le feu. J'trouve ça beau. ça m'fait du bien."

Quand elle lui demande si on lui a fait du mal, les mots s'insinuent soudainement par ses yeux pour rentrer comme une flèche dans son cœur. Il est pris par surprise. Eugène la regarde de yeux ronds. Il pose doucement l'os qu'il tenait. Ses yeux se mettent à briller, il serre le poing, son cœur s'accélère, ses sourcils se froncent. Dans le même instant ses lèvres tremblent, ses épaules s'affaissent, son poing se desserre, les commissures de sa bouche semblent tomber vers le bas. Des larmes atteignent ses cils avant de rouler. Son esprit vacille dans son terrain miné. Un sourire carnassier finit par l'emporter.

"Oui."

Il rigole et puis moi, ça me rassure un peu et puis je rigole avec lui. J'aime pas beaucoup ça, l'idée qu'on se fasse exploser, Dodu et moi, ça non ! Mais en vrai, on n'est pas vraiment inquiet, parce que Monsieur Eugène, il est très très gentil, et puis il a l'air d'être doux et puis il nous dit qu'on est des anges, alors ça, c'est vraiment gentil.

- Moi, j'aime bien ce qu'il y a dans les yeux des gens. Parce que, on dit que les yeux c'est un peu le miroir de l'âme, et puis des fois c'est vrai. Mais moi, j'ai des prothèses alors ça marche pas. Et puis, faut pas aussi regarder n'importe quand, mais quand les personnes le savent pas, ça oui.

Et puis je repense au petit spectacle qu'il m'a montré tout à l'heure et puis je souris encore.

- C'est vrai que c'est beau, les explosions, comme tu m'as montré tout à l'heure ! Moi aussi, j'aime bien ça, c'est vraiment vrai !

Et puis je vois son expression se ternir, et j'ai l'impression qu'il est vraiment triste d'un seul coup, et puis moi aussi ça me rend un peu triste. Il me dit qu'on lui a fait du mal avant mais il sourit en le disant.

- C'est contre eux, que t'es en colère, monsieur Eugène ?

Eugène plisse les yeux. Il s'approche vite des yeux de Billy, sans penser à un espace vital. Il les observe. Mi surpris, mi excité.

"T'es un robot !?"

Le reste du discours lui passe au-dessus. Observer les gens, il ne l'a pas fait, ne le fera sans doute jamais. Ses opinions arrêtées et sa façon de vivre au jour le jour, suivant ses sensations l'empêchent d'analyser autour. C'est un homme d'action. Il n'est pas observateur et encore moins fin psychologue. Eugène renifle et s'essuie avec son bras en se reculant.

"J'sais pas si l'âme ça s'voit dans les yeux. J'pense ça s'voit dans c'que tu fais."

Ses yeux à lui brillent comme s'ils venaient de voir une explosion. Elle aime les explosions Ah ça... ça lui fait bien plaisir. Jusqu'à l'autre sujet.

"Non. Eux, ils sont morts. Brûlés. Vifs. D'la fumée."

Il est très heureux, très, très heureux de ça. Il ne sait pas si ça l'excite encore plus ou si ça l'apaise. Les deux à la fois sans doute.

"Mais j'suis pas en colère t'sais. J'me vengerai. Pis quand j'aurais fini j'continuerai à faire c'qui m'plaît. Et tous ceux qui s'trouv'ront sur mon ch'min avec leur cœur noir pis leur âme cruelle, ils m'rencontreront."

D'autres suivront, d'autres exploseront, d'autres brûleront, d'autres se retrouveront soulevés dans l'espace, d'autres se feront criblés de balles ou lacérés par des couteaux. Des dizaines d'autres.

Je réfléchis un peu, un peu amusée par l'appellation et puis un peu pensive aussi.

- J'crois pas que je suis un robot. Mais un peu, si. Mes yeux, ils sont bien mieux que des vrais yeux, ça oui. J'vois loin, et puis j'peux zoomer, et puis j'vois dans le noir aussi ! C'bien pratique ça ! C'comme ça que j'peux soigner même dans la nuit, et puis ça rattrape bien que j'entends pas trop.

J'hausse un peu les épaules et puis je penche la tête sur le côté.

- Mais y a des menteurs, bah ils font du mal mais on le sait pas. Et puis y a des gens gentils, que tu vois pas du tout tous les actes gentils qu'ils font. Et puis, y a des gens qui font aussi des actes mauvais et puis des actes bons et puis ils sont un peu les deux, mais ils sont gentils au fond.

Je frémis.

- Ca doit faire mal, d'être brûlé, ça oui. Moi le feu, ça m'fait aussi un peu peur parfois, mais ça vient souvent dans les rêves et puis les brûlures, c'est difficile à soigner, ça oui !

Et je souris encore.

- Toi, t'es le vengeur explosif ! Ca t'va bien, ça oui !

Un gamin devant un sapin de noël.

"J'adore. Des yeux de robot. P't'être ben qu'j'en aurais un jour. Ou un bras mécanique ! Ah ça... un bras d'robot ça m'plairait bien."

Malgré son air enfantin, ce que dit Billy n'est pas sans pertinence. Cela fait même réfléchir Eugène. Des menteurs qui ont l'air d'être gentils, des gentils qui cachent leurs actes. Bien sûr que ça existe, pourtant il ne comprend pas forcément comment ces gens-là fonctionnent.

"Si tu t'caches d'être gentil y'a que'que chose de louche là-d'ssous. Et si tu t'caches d'être méchant, un jour tu tomberas sur quelqu'un comme moi qui t'fera assez peur pour qu'tu t'montres qui t'es vraiment. Parce que personne sait c'que j'vais faire dans l'moment qui suit. Pis ça force à montrer son vrai visage. Et à c'moment."

Il plante son couteau d'un coup, profondément dans la table, avant de sourire, fier à la gamine.

"Pourquoi t'as peur du feu ? Parce que t'as peur d'avoir mal ?"

Vengeur explosif... ça lui va bien, ça lui plaît bien. Quoiqu'il ne sait pas si c'est réellement un vengeur. Mais explosif ça ... c'est certain.

- Tu veux devenir un robot, Monsieur Eugène ? C'est vrai qu'c'est ben cool, ça oui ! Et puis moi, un jour, bah je saurais aussi soigner les membres mécaniques ! Comme ça, j'pourrais faire de la médecine du corps et puis de la machine machinique ! Et puis quand t'auras tes yeux robots ou bien ton bras, bah on pourra aussi te soigner !

Je souris, un peu rêveuse à cette idée. C'est vrai que Dodu et moi, on aimerait bien ça, pouvoir soigner les membres mécaniques.

- Mais parfois on fait pas exprès aussi. Nous, des fois, on croit qu'on est méchants, parce qu'on est pas jolis à regarder, et puis en fait on n'est pas méchants mais on est un peu trop gentils parfois. Y a des gens qui me disent ça. Mais moi je vois pas comment qu'on peut être trop gentils, ça non.

Cette pensée me fait vraiment beaucoup réfléchir, parce que c'est vrai que j'arrive pas à comprendre ça. Et puis pourtant, nous on comprend vite les choses, et puis on aime bien ça, comprendre. Mais on veut pas être méchants parce qu'il faut l'être, on trouve que ça a pas beaucoup de sens, ça non.

- Oh ça non ! La douleur, ça me fait pas vraiment peur, et puis j'connais bien ça, ça oui ! J'crois bien que j'ai peur du feu parce que j'me souviens. J'sais pas trop, mais ça revient des fois la nuit, quand je dors. Des boums, et...

Il se pose la question. Devenir un robot ? Il en pas les moyens mais il aimerait. Avoir des membres améliorés, pouvoir cacher des armes dans ses membres, devenir un super-héros presque. Presque un rêve de gosse. Encore mieux que les cicatrices.

"Ah ouais ça c'est sûr que j'aimerais ça. P't'être pas tout d'suite parce que j'aurais juste des membres en moins, c'qu'est pas pratique. Mais j'suis sûr qu'toi tu vas réussir à guérir chaque humain pis robot humain pis tout c'qui tombera sous la main."

Bien sûr que les domaines de médecine et de mécanique, puisque c'est de ça dont il s'agit, sont différents mais Eugène s'en fiche, il ne s'en rend même pas forcément compte. Pour lui on peut tout faire. Et la petite a l'air douée.

"Trop gentil parce que tu t'fais avoir... R'garde imagine qu'tu meurs parce qu't'as fait confiance à que'qun qu't'aurais pas du. Y'a pleins d'gens qu't'aurais pu sauver et pis qu'y vont mourir. Du coup t'es morte pour rien pis au final ça a fait plus d'mal que d'bien."

Il rote bruyamment et essuie sa bouche du dos de sa main. Puis il fronce les sourcils, ce qu'elle dit n'a ni queue ni tête et il est clairement pas en état de démêler le vrai du faux. S'il l'a jamais été.

"Tu t'souviens d'quoi ? Des explosions ?"

Il sourit... c'est forcément un excellent souvenir si elle se souvient d'explosions.

Je rougis un peu, parce que les mots de Monsieur Eugène, ils me touchent sacrément, ça oui. Et puis Dodu aussi il est content mais je crois qu'il sait pas trop pourquoi. Enfin, nous ça nous touche beaucoup ce qu'il dit.

- J'te décevrai pas Monsieur Eugène. T'entendras parler de moi, et puis moi de toi, et puis tu feras les plus belles explosion de tout l'univers et au-delà. Tu feras tellement de lumière que nous, on la verra de très loin, et puis on saura que c'est toi qui a fait ça, ça oui. Et quand on saura réparer les prothèses et puis tout ça, nous, on pourra te le faire, ça oui !

Et puis je réfléchis à ce qu'il a dit, en me posant une main sur mon menton et en le frottant. Dodu, il fait comme moi.

- Ben, c'est-à-dire que, les gens, ils nous tuent pas. Parce que, ils pensent qu'on est un peu bêtes et puis aussi, des fois on leur rend bien service à eux. Et que, quand on a sauvé le monsieur ou bien sa femme ou sa fille eh ben il veut plus jamais qu'on nous fasse de mal et ça, c'est comme ça. C'est que, les gens, ils sont pas assez méchants pour tuer quelqu'un comme nous, parce qu'on est pas des gens qu'on tue.

Silence.

- Beeeen. J'aime bien tes explosions à toi, mais j'aime pas les explosions qui tuent des gens gentils et puis qui détruisent tout.

Eugène se fout qu'elle le déçoive ou non. Il oublie vite les gens. Pourtant elle a le ton des gens convaincus, elle est presque... inspirante ? Il n'est pas du genre à se projeter, il suit ses envies, dit tout ce qu'il pense mais n'a ni plan ni mission. Son lendemain n'existe pas. Pourtant, une grande explosion qui illuminera le monde, il pourrait y croire. Il pourrait le vouloir. Il arrive presque à le voir. Ce serait comme un ange, une lumière divine. Il se rappelle de son enfance, des paroles des prêtres... Ils lui ont promis un enfer sombre et lui, il illuminera ceux qu'il rencontrera. Un grand sourire répond à Billy.

Eugène trouve amusant le singe imitant la fille. Il reste plus beau qu'elle cela dit.

"Ah ouais ... ?"

Son regard est sombre, menaçant. D'un coup il a changé. Son sourire s'est transformé en une grimace. Il grimpe sur la table, attrape une assiette et la brise d'un coup sur la table. Souple, ses genoux touchent presque son menton. Il s'approche d'elle, un bout d'assiette coupant dans la main à quelques centimètres.

"Tu t'penses à l'abri ? T'aimes mes explosions ?"

Un geste tranche une gorge. Sa main est fébrile. Elle a tort. Il est aveugle aux autres. Ses explosions qu'elles soient de rage, ou des explosions plus matérielles touchent tout le monde à égalité. Les saints et les démons.
Un silence pèse dans la taverne, ils regardent cet énergumène dangereux, prêts à intervenir sans doute.

Moi j'regarde monsieur Eugène, et j'vois bien qu'il change tout d'un coup, mais moi, ça m'impressionne pas, ça non. C'est que, Dodu et moi, on a l'habitude de soigner toutes sortes de gens, et puis même des gens instable, ça oui. Et puis, on perd pas notre contrôle, mais moi, je souris plus non plus. Parce qu'un seul petit geste, et puis il me tranche bien la gorge, BOUM.

- C'est qu'on est dans Dorado, Monsieur Eugène. Personne est à l'abri, ça non. Les anges et puis les démons, ils souffrent tous. Mais ton repas, il risque bien de refroidir. Et moi, je voudrais bien la voir, cette explosion forte qui illuminera tout le ciel.

Suspendu. Le temps, Eugène, le morceau d'assiette, tout est suspendu. Un fourmillement parcourt ses membres. Il abaisse doucement l'objet tranchant.

"Tu verras."

Ses yeux brillent, s'il ne peut décemment se défouler sur cette gamine et son singe, il le fera sur quelqu'un d'autre. C'est bien la première fois qu'il se retient de quoi que ce soit. La première fois qu'il épargne, qu'il résiste à ses pulsions. Pas qu'il aime particulièrement la fille, demain il l'aura oublier. Pas qu'il doive quoi que ce soit, il avait rien demandé. Pas qu'il ait peur des autres. Mais elle pourrait être utile pour d'autres, et elle a ce brin d'innocence dont on a privé Eugène à la naissance, cet optimisme qui rend fou Eugène et qu'il adore à la fois. Il ferme les yeux, n'écoute plus rien autour, renifle avec dédain. Un sourire fend son visage et il saute sur le sol.

"A toute !"

Il n'a pas lâché son bout d'assiette. Bout d'assiette qui finira dans la gorge de quelqu'un. Comme ça, parce qu'il en aura envie.

Dodu et moi, on n'a pas peur. On sait bien que c'est pas du hasard, et puis même si on doit mourir, et bah ce sera notre moment à nous, et au moins, on l'aura sauvé lui. Mais il nous tue pas, ça non. Il s'arrête et puis il s'en va. Nous, on le retient pas. On espère juste qu'il va pas faire trop de mal, mais on sait bien qu'on peut rien faire. On l'a vu, son regard à lui. C'était plus celui de Monsieur Eugène, ça non. On espère qu'il finira par trouver sa voix à lui, celle des étoiles et du Némésis, et puis qu'il arrivera à plus se perdre. On finit de manger et puis nous, on repart. On a encore tout plein de gens à soigner.