Caractère
Aldric est un grand calme. Il l’a toujours été. Sa vie il l’a passée entre deux femmes au fort caractère. Sa façon d’exister face à Maman et surtout face à Catherine a toujours été d’être plus calme, plus analytique. Cette qualité lui a plusieurs fois permis de les sortir du pétrin, lui et Catherine.Il était par exemple très bon pour trouver une excellente raison pour expliquer leur retard quand ils revenaient des quais de Port Salem.
Aldric ne parle pas beaucoup. Il préfère écouter, réfléchir et synthétiser. C’est un homme de peu de mots, mais de mots généralement pertinents. Catherine a pu constater à maintes reprises que s’il s’opposait à ses envies ou ses projets, c’était qu’il avait une bonne raison pour cela. Il est toujours la voix de la patience et de la modération. Aussi sa demande pour le moins impulsive de ne plus sortir l’épée pour la Trinité a dû étonner sa femme.
En apparence, c’était le bon petit soldat de la trinité, obéissant, zélé, soumis. Mais intérieurement, il se sentait depuis longtemps tomber en morceaux de l’intérieur. Sa mère a essayé de ne pas trop l’imbiber des croyances corporatistes pour qu’il n’ait pas autant de difficultés qu’elle à s’intégrer parmi ses pairs, mais des choses ont filtré. Les êtres humains sont égaux. L’esclavage ne devrait pas exister.
Douloureuse convictions quand ton job c’est de défendre l’épée à la main les vaisseaux esclavagistes. Douloureuse conviction quand tu es conscient que ton épée est la seule chose qui se dresse entre ta famille et la pauvreté. À la limite, s’il était mort, Simon serait peut-être venu en aide à sa veuve de soldat de sœur, mais personne n’aurait levé le petit doigt pour la famille d’un mutin et d’un hérétique. Finalement, Aldric est extrêmement égoïste, faisant passer l’intérêt de sa famille avant celui des innombrables Mo’ats qu’il a contribué à briser. C’est un choix qu’il a fait froidement. Il regrette d’avoir dû le faire, mais c’était le seul choix logique à sa portée. Il le referait dans les mêmes conditions.
Une fois sa mère morte, il a cependant perdu tout courage de se battre pour la trinité. Catherine était là en bonne santé, elle était très capable de les sortir de là. Il lui a fait confiance. Il ne fait pas confiance à grand monde, Aldric. À feu sa mère, bien sûr. Et à Catherine. Son épouse est plus qu’une épouse, plus que la mère potentielle de ses enfants potentiels. C’est sa meilleure amie et la personne en qui il peut toujours avoir confiance. Il ferait n’importe quoi pour elle. Il a fait n’importe quoi pour elle. Et il sait qu’elle en fera autant pour lui.
Elle a réalisé son vœu de déserter plus vite qu’il ne l’aurait rêvé possible.
Depuis, Aldric sent les barrières qu’il a posées entre lui et son terrible boulot s’effondrer une à une. Il s’était cloisonné à mort pour survivre à la dissonance entre ses actes et ses valeurs. Aujourd’hui, ses actes changent. Il tape toujours sur des gens, mais plus sur des esclaves ou des défenseurs d’esclaves. Taper sur des gens nécessite des cloisons. Mais plus les mêmes que celles du soldat trinitaire. Il essaie de les monter avant que son esprit ne s’effondre sous la culpabilité de ses crimes.
Histoire
Aldric Lambert est né d’Alexandre, Père Sariel, et Ainsley Lambert née Creeg.
À l’époque, lui était capitaine de La Hallebarde, un fier vaisseau corsaire au service de la Trinité. Il était prêtre et excellent officier… En combat. En dehors il la ramenait beaucoup. Trop. Beaucoup trop. Ça avait fortement ralenti sa carrière jusqu’au jour où on lui avait proposé de prendre le commandement de La Hallebarde. Avide de commander son propre bâtiment, et avec l’accord de sa hiérarchie, le Père Sariel avait saisi avec plaisir cette opportunité en 80 AD.
Il était un corsaire efficace et sans scrupules. En 85, il engagea une infirmière d’origine corporatiste pour l'infirmerie de son bâtiment, Ainsley Creeg. L’année suivante, il l’épousa, l’année encore suivante, elle donna naissance à un fils et l’année encore suivante il trouva la mort à Port Salem, des blessures récoltées lors d’une escarmouche.
On est donc en 88 AD, Ainsley Lambert a un bébé d’un an, Aldric Lambert, sur les bras. Son premier réflexe fut de quitter la Trinité avec son fils sous le bras.
Ha.
Ha ha.
Genre ce serait si facile.
Elle était encore citoyenne de l’UC. Elle pouvait quitter Port Salem si elle voulait. Personne ne l’en empêchait. Mais son fils, lui, il était (binational) Trinitaire. Et il ne quitterait la ville qu’avec l’accord de son tuteur légal. À savoir… Comment ? Sa mère ? Comment une faible femme pourrait-elle être tutrice légale, voyons ? Non, son grand-père, évidemment.
Et Pépé Lambert s’opposa fermement au départ de sa bru et de son petit-fils. Celui-ci serait élevé ici, en terre trinitaire, ça ne faisait pas un pli. La loi trinitaire lui permettait de l’imposer à sa bru et il ne s’en priva pas.
Contrainte et forcée, Ainsley s’installa donc chez ses beaux-parents. Au départ ils la logèrent et la nourrirent, elle et son gosse, sans problème puis, après qu’Aldric eut été accepté à l’E-Cole, ils lui firent comprendre que comme elle ne s’occupait plus H25 de son enfant, il était temps qu’elle gagne sa croûte. Mais honorablement.
Trouver un job honorable n’était pas si simple, mais en 92 l’armateur de La Hallebarde, Charles-André Pontillac, la recruta pour servir d’infirmière à sa femme malade. Son diplôme n’étant pas reconnu dans la Trinité, il pouvait la payer une misère, mais au moins, elle avait un emploi. Un emploi qui lui permit de louer une maisonnette à proximité de chez les Pontillac. Elle avait regagné un peu d’autonomie.
Petit, Aldric n’avait pas totalement conscience de la perte d’autonomie dont sa mère avait souffert pendant sa petite enfance. Lui était trop occupé à être un petit garçon plein d’énergie et de la piété instillée par son grand-père. Il était fier d’avoir pu entrer à l’E-Cole et de devenir prêtre un jour!
Mais en quittant la maison de Pépé, il commença à sentir que sa maman n’était pas une fervente croyante. Elle ne s’enthousiasmait jamais quand il retenait ses leçons de catéchisme. Elle le félicitait et lui apprenait à les apprendre, mais elle n’avait pas cette lumière dans les yeux qu’avait Pépé.
Il commença à reporter ses efforts vers les matières plus profanes, négligeant un peu les matières religieuses qui ne rendaient pas Maman fière. Et il récolta un avertissement. Et se fit engueuler par Maman. Apparemment, ses études religieuses étaient importantes, très importantes. Mais ça ne rendait pas Maman fière.
C’était compliqué.
Maman l’emmenait au travail avec elle, parfois. Et là-bas, il rencontra la personne la plus formidable du monde. Catherine Pontillac. C’était la fille cadette des Pontillac, elle était vive, curieuse et gentille. Ils devinrent très vite les meilleurs amis de la vie du monde !
La mère de Catherine mourut en 94. Aldric eut très peur que Monsieur Pontillac ne renvoie Maman et ne le sépare ainsi de Catherine, mais ça n’arriva pas. Il choisit plutôt de faire d’Ainsley la gouvernante des enfants. Ainsi ils purent rester ensemble. Aldric avait sept ans.
Et plus il grandissait, plus il sentait le fossé se creuser entre ce qu’on lui apprenait de la grandeur de l’Unique et ce que Maman en disait ou n’en disait pas. Elle ne disait jamais un seul mot contre la religion. Jamais. Mais… elle ne disait jamais rien pour par exemple. Elle vivait la religion mécaniquement sans jamais s’y impliquer vraiment. Elle en donnait l’impression, pour qui ne la connaissait pas. Mais Aldric la connaissait.
Pour perturber également ses études de prêtrise, il y avait également Catherine. Elle était assoiffée de liberté et n’aimait rien tant que de s’échapper pour aller jouer sur le port. Elle y retrouvait même une amie, la soeur d’un ami de son frère, Modestie. Parfois Aldric l’accompagnait et ils jouaient tous les trois. Mod était fière et pleine de défis, mais il ne l’appréciait pas plus que cela. Il la trouvait aussi dure et presque froide. Puis il était un peu jaloux de voir Cathrine si heureuse avec quelqu’un d’autre que lui.
Mais seulement quatre ans plus tard, Mod devait disparaitre, suite a ses fiançailles avec Simon. Aldric comprenait sa fugue. Qui voudrait épouser ce serpent de Simon ? Il n’aimait pas Mod, mais il lui souhaitait le meilleur. Et surtout d’être encore en vie.
À 12 ans, il vit le remariage du père de Catherine. Une idée commença à germer sous son crâne. Il la censura bien vite et continua ses études.
Il se demanda également pourquoi sa mère ne se remariait pas. Sa vie serait plus facile avec un homme pour s’occuper d’elle, au lieu de passer ses journées à s’occuper de Catherine et d’assister Placide. Il lui posa la question. La réponse vint, sèche. Ainsley n’avait pas besoin d’un autre donneur de leçon pour régenter sa vie, Pépé Lambert suffisait largement. La vie était dure, mais au moins, elle avait sa propre maison et elle la contrôlait un minimum.
Avec le temps, Aldric se demanda aussi si elle ne voulait pas éviter le devoir conjugal, aussi. Autour de lui, ses camarades découvraient l’appel du sexe. Mais Aldric, lui, préférait mettre son énergie dans ses études, alors il comprenait un peu sa mère.
L’année de ses quinze ans fut agitée. D’abord, Catherine décida de devenir nonne. Elle lui avait expliqué ses raisons et elles n’étaient pas stupides en soi, mais… Mais elle ne réalisait pas à quel point la hiérarchie du clergé pouvait être impérative. Aldric tenta bien de la prévenir, mais… Mais elle n’écoutait rien quand elle ne voulait pas. Donc il fit la seule chose possible. La regarder essayer et échouer.
Ensuite, il y eut sa mère. Qui commença à démontrer des signes de dégénérescence neurale. Une forme non curable, mais ralentissable. Mais les traitements étaient chers. Et pour pouvoir payer ses traitements à sa mère, Aldric choisit l’orientation qui rapporterait le plus à l’issue de son E-Cole : l’armée. Il l’annonça et, au vu de ses résultats en sport, tout le monde à l’école fut ravi de sa décision de se battre pour l’Unique.
Un an plus tard, Catherine fut jetée avec perte et fracas de son couvent. Et après une discussion houleuse avec son père et son frère, elle se réfugia chez les Lambert. Là, Maman réussit - il ne savait toujours pas comment - à lui faire accepter l’impensable : épouser Aldric. Aldric fut aussi surpris que son amie de la proposition de sa mère. Il lui était bien arrivé de se dire que Catherine serait la seule femme qu’il envisagerait d’épouser, genre quatre ans plus tôt, au mariage des Pontillac, mais il n’aurait jamais imaginé qu’elle pourrait accepter ! Et pourtant, deux jours plus tard, ils étaient officiellement fiancés.
À dix-sept ans, fraîchement diplômé de l’E-cole, devenu le pere Uriel, il commença ses classes d’officier. Le jour de ses dix-huit ans, il épousa sa promise. Prudents, et soucieux de ne pas risquer d’avoir un enfant, ils ne consommèrent jamais le mariage. Et puis… C’est pas comme si Aldric en avait l’envie.
Et deux ans plus tard, il était en poste sur Le Téméraire, une frégate de l’armée. Il aurait bien fait une école de spécialisation pour devenir Maître d’abordage, mais c’était cher, il n’avait pas les moyens, au contraire, il se devait de gagner de l’argent pour soigner sa mère. Et nourrir sa femme. Et il avait beaucoup trop de responsabilités, l’Unique en soit maudit!
Il servit ainsi 7 ans, tiraillé entre sa carrière, ses responsabilités de chef de famille et sa conscience. Mal fanatisé à cause de l’attitude distante de sa mère, il ne pouvait s’empêcher de se poser des questions quand son métier était d’escorter des esclavagistes pour protéger les cargaisons. Surtout qu’il entendait par Catherine ce que devenaient lesdites cargaisons.
Et puis un jour, il reçut une lettre. La lettre qu’il redoutait de recevoir depuis ses 15 ans. Catherine lui annonçait, aussi doucement que possible que… Que Ainsley avait succombé à sa maladie. Il en fut retourné. Au point qu’à l’assaut suivant, deux jours plus tard, il ne vit pas le coup d’épée qui lui faucha la jambe. Il tomba et fut piétiné, tant pas ses camarades que par ses ennemis.
Il se réveilla dans un hôpital militaire d’Hope, Catherine à son chevet, une nouvelle jambe cybernétique au bout de la cuisse.
“Je ne veux plus. Je ne veux plus porter l’épée pour ces gens-là.”
Elle le regarda profondément. Mais une infirmière entra à ce moment-là. Ils n’eurent pas l’occasion d’en discuter. Mais quand, quelques semaines plus tard, on encouragea Aldric à aller faire un tour pour apprendre à se servir de sa nouvelle jambe, ils n’hésitèrent pas. Ils prirent la direction du port, s’engagèrent sur un vaisseau pirate, L’Iceberg, et prirent la fuite.
Il est désormais défroqué et hérétique. Et ça fait du bien de ne plus devoir cautionner les exactions de la trinité. Il est libre. Il se doit d'apprendre à exprimer ses opinions et à avoir une opinion autre que celle de ses supérieurs. Il doit trouver sa place parmi l'équipage braillard, mais discipliné de l'Iceberg. Il trouve que c'est une aventure formidable et il a hâte de la vivre. Son seul regret est d'avoir entrainé sa femme dans sa chute. Il espère qu'elle trouvera elle aussi son compte dans cet exil.