Son sang sur tes mains. [Jez]

Port Salem.

C'est pas ton astroport préféré, loin de là. Trop de trinitaires, trop d'esclavagistes et même si t'as plus grand chose avec la petite Ren'anwë qui a pu a un moment faire partie de leur liste de têtes à chasser, t'es jamais tout à fait sereine.

Et c'est pas avec ce que tu vis en ce moment que ça va te permettre de faire la paix avec ce port. Le mec est énorme, t'as attrapé par le col au détour d'une ruelle commerçante en te parlant de ton accent, voir si tu serais pas un de ces foutus esclaves qui a réussi a ramper hors du système. T'arrives à peine à tenir sur la pointe de tes pieds, il te pousse contre un mur.

Il est trop proche. Trop dangereux. Pour toi, pour ta liberté, pour trop de choses auxquelles tu tiens. Et il y a personne qui fou rien, les regards qui s'égarent dans la ruelle se détournent vite et ta voix de souris arrive à peine à s'échapper de ta gorge, serrée d'angoisse.

C'est trop. Trop en trop peu de temps. Trop pour toi et tes nerfs en pelote. Juste trop.

Et son pistolet est trop proche de ta main. Trop facile à récupérer. Et il est trop sûr de lui, trop confiant, trop vivant et menaçant pour toi. T'as à peine conscience de l'avoir attraper, à peine conscience d'appuyer sur la détente. Pourtant, son cri se grave dans ton crâne, peut-être pour toujours.

Et il s'écroule sur toi, t'étouffant à moitié, sifflant des insultes qui n'ont plus la force de ses propos d'auparavant alors que le sang s'échappe de la blessure à son abdomen.

Les regards s'arrêtent davantage, tout à coup. Même que des gens s'arrêtent, jugent. Et t'es pas certaine d'être encore vivante. Tout est flou, tout est lourd et ralentit comme dans de l'eau.

Pourtant, ton cerveau fait le calcul. T'as une arme dans les mains, du sang sur toi et le vide se fait dans son regard.

T'as tué quelqu'un.

Port Salem.

Une ville sale, puante, emplie d'êtres infâmes qui n'arrangent en rien l'estime déjà basse que je possède pour elle. Pourtant, il vient des jours comme celui-ci où il nous faut nous y poser, pour une raison ou une autre ; et il vient des jours où j'ai le cœur d'aller m'y balader, vêtue d'une manière suffisamment discrète pour ne point que l'on me reconnaisse. Une chemise, mes cheveux élégamment tressés, un pantalon sombre et des bottes de cuir - dissimulant mon unique arme, un poignard monofilament bien suffisant pour me défendre contre les êtres trop avides.

Port Salem.

Le chaos y est usuel, et m'use plus qu'autre chose. Les gens qui croisent ma route ne font pas même attention à moi, trop enfermés dans leurs quotidiens monotones. Les rares regards qui s'arrêtent sur moi sont bien vite détourné par l'air menaçant peint sur mon visage - seul réelle manière d'être tranquille. Mais, un autre facteur intervient : il semble que tous les regards soient irrémédiablement attirés vers une autre scène qui se déroule seulement un peu plus loin. Loin d'être pourvue de cette curiosité malsaine, je me refuse tout de même à faire demi-tour, me contentant de poursuivre ma progression. Je regarde alors. Et je vois.

Un homme, trop lourd et trop grand. Du sang. Une jeune fille à la chevelure violette. Une jeune fille que je connais et que je reconnais. Ren'anwë.

Tu voudrais lâcher l'arme, mais t'en est incapable. C'est comme si le sang poisseux t'y soudait la main irrémédiablement. Tu peux pas reculer, t'uses alors d'ta force de souris pour le repousser, sa main est lâche sur ton col, tombe avec le reste de son corps par terre.

Ton regard reste fixé sur lui, tu te sens incapable de bouger. Incapable de rien faire. Tu tiens à peine debout, les genoux tremblant. Une petite voix dans ta tête te siffle que t'es en état de choc.

Des centaines d'autres te disent que cet homme est mort par ta faute. Ta faute.

Tu sais pas comment réagir vis-à-vis de cette information. C'est... Trop irréaliste. Toi ? T'as fais ça, toi ?

T'entends à peine les gens qui chuchotent, qui regardent, qui se massent.

Des soldats vont finir par débarquer. Des soldats trinitaires. Tu peux pas rester là... Mais c'est un cul-de-sac. Et les gens devant, t'arrives pas a approcher. T'es juste... Perdu. Et figé. Et la panique monte, insidieuse.

Je demeure immobile durant moins d'une seconde, le temps pour moi d'évaluer la situation et de réaliser que la jeune fille n'a pas l'air d'avoir la moindre intention de se mouvoir. Pour autant, si elle demeure en cette position, elle sera attrapée par des soldats trinitaires puis exécutée. Si je perce la foule pour l'attraper ainsi, il ne sera guère compliqué de nous repérer. La foule s'amasse rapidement, et je remarque un homme à mes côtés, qui porte une cape et qui semble peu attentif à ce qui l'entoure. Je m'approche de lui, ma lame rejoint ma main, et je donne deux coups de couteaux, chirurgicaux. Le premier coupe les ficelles de la cape, de manière à la détacher tout en me permettant de la rattacher. Le second vient couper net les tendons derrière son genoux gauche. L'homme s'effondre en hurlant.

J'ai déjà la cape entre mes mains et mon couteau dissimulé dessous. Personne ne m'a vu faire, trop concentré sur Ren'anwë. Et les hurlements de l'homme font paniquer la foule qui se met en mouvement de manière désorganisée. Je rejoins vivement la jeune fille tétanisée, et je lui place la cape du blessé sur les épaules, rabat la capuche sur sa tête en un même geste. Il y a bien trop de témoins qui sauront offrir une description détaillée de la jeune fille, et plus personne ne fait attention à nous, désormais.

- Allons-y, il nous faut partir d'ici.

Quelqu'un hurle, te faisant sursauter vivement, c'est tout juste si ton doigt represse pas sur la détente et qu'un nouveau coup ne part pas. La foule s'agite, comme paniqué sans que tu comprennes vraiment pourquoi, mais tout d'un coup, une femme est à tes côtés et tu te retrouves dans l'abri illusoire d'une cape dont la capuche recouvre ta tête colorée.

Tu lèves les yeux vers elle, reconnais sans mal Jezabel Alvarez. Une voix de souris tremblante s'échappe de tes lèvres.

- Madame... Je... Oui.

Partir d'ici. C'est ce qu'il faut faire. Avant que des soldats n'arrivent, avant que d'autres esclavagistes s'en prennent à toi. Avant que plus de sang encore ne te macules. Tes mouvements ressemblent à ceux des automates, mais au moins, tu bouges enfin. Pour sortir de cette ruelle que tu reconnaîtras a jamais, celle où tu as tué pour la première fois.

Tu as tué.

Ça semble toujours aussi... Impossible.

Toi ? Tuer ? Mais comment ?

Pourtant, tes doigts sont encore serrés sur l'arme que tu lui as prise. Comme si le sang, dessus, était de la colle. Comme si quelque part, ta main reconnaissait que tu en aurais besoin à nouveau et que pour sauver ta vie, tu pourrais recommencer.

Tu sais pas quoi en penser. T'avances juste. Pour sortir de là. Pour t'arracher à cette scène improbable. Faut bouger, suivre la capitaine du Némésis qui te sors à nouveau d'une scène difficile, mais qui n'a rien à voir avec celle de votre rencontre.

Calypso. T'as tué quelqu'un.

Elle se décide à me suivre et je n'ai que peu de pression à exercer sur son épaule pour l'aider à se mouvoir. Il ne nous est guère difficile de sortir de la rue en longeant les murs : tous semblent paniqués, beaucoup se courent littéralement les uns sur les autres, des cris retentissent à tous les coins de rues et il me semble entendre le pas pressé des gardes trinitaires qui s'en viennent à toute allure. Je conserve mon emprise sur l'épaule de la jeune Ren'anwë ; cependant, mon attention est dirigée sur les dangers potentiels qui nous entourent. J'aurais souhaité être plus armée que je ne le suis actuellement. Cependant, j'ose espérer qu'il ne s'agira point d'un problème.

Je ne réalise que tardivement que Ren'anwë tient encore l'arme du crime. Après avoir bien regardé derrière moi, je nous autorise une courte pause et fais face à la jeune fille, l'obligeant à me regarder dans les yeux. Si nous sommes trouvées et qu'elle conserve l'arme du crime en sa possession, je ne donne point cher payé de sa peau.

- Il faut que vous me donniez l'arme. Immédiatement.

Ma voix est calme et posée, mais personne ne saurait douter de l'ordre bien présent. Ordre qu'il serait dangereux de discuter, peu importe les circonstances.

Ça cri, ça court, ça fuit. Des claquements de semelles se rapprochent, pressées.

Et dans ce bordel, tu suis Jezabel, à peine consciente de tout ça. Faut juste. Bouger, peu importe où veut l'emmener la femme pirate, peu importe si c'est dangereux. Ça le sera toujours moins que si tu restes sur place.

Elle t'arrête d'un coup, tu manques lui rentrer dedans, la regardes dans les yeux, les tiens légèrement écarquillés.

L'arme ?

Oh. L'arme.

Ta main tremble alors que tu lui tends le pistolet, sans pouvoir articuler un mot.

T'as juste confiance en elle. Une confiance aveugle qui pourrait être mortellement dangereuse, mais peu importe.

Qu'est-ce qui importe vraiment maintenant ? Tu ne saurais le dire.

La jeune fille semble totalement ailleurs, comme si le monde autour d'elle n'existait plus vraiment. Il me semble qu'elle est en état de choc. Je n'ai pourtant guère le temps de régler cela pour l'heure. Ainsi, lorsqu'elle tend l'arme en ma direction, je la prends vivement mais avec la plus grande des précautions. Je n'ai jamais appris à réellement manier les armes à distance, que ma famille a toujours jugé comme étant odieuses et dépourvu d'honneur. Cependant, je sais m'en servir au besoin - mal très certainement, mais qu'importe.

J'ignore le sang qui macule encore l'arme, tâchant néanmoins de ne point en répandre sur ma chemise blanche - cela serait bien trop visible, et je n'ai nullement fait l'effort d'éviter les éclaboussures lorsque j'ai blessé l'homme pour me retrouver avec du sang sur moi désormais. Je m'assure qu'aucun coup ne puisse partir par mégarde, puis je la range dans ma seconde botte. Je pousse Ren'anwë pour que nous continuions à marcher. Nous adoptons un pas vif mais qui ne ressemble point à celui de ceux qui ont quoi que ce soit à se reprocher.

- Nous avons toutes les deux besoins que tu demeures en conscience le temps que nous sortions de ces rues. Concentre-toi sur ta respiration.

Elle met l'arme dans sa botte. Ton regard suit son mouvement, parce que cette arme... Elle. Tu.

Par Calypso.

Elle t'entraîne à nouveau, le pas rapide, toi camouflé par ta cape, à l'abri des regards qui chercheraient ta tignasse colorée, si aisément repérable. Qui pourra si facilement figurer sur des avis de recherches. Tu entends la voix de Jezabel. Ce qu'elle te dit. De te concentrer sur ta respiration.

Tu peux faire ça. Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer. Et avancer, un pas rapide, mais pas trop. Comme queqlu'un de pressé. Mais pas pressé parce qu'il vient de tuer quelqu'un. Pressé comme on peut être pressé d'aller retrouver un ami, de faire une simple course pour mieux rentrer chez soi. Pressé, pas coupable.

Tu veux rejoindre l'Albatros et t'enfoncer aux tréfonds de ses artères de métal pour t'y cacher et que personne ne puisse te reprocher quoi que ce soit.

Inspirer. Expirer. Oui. Comme ça. T'hoches légèrement la tête, sans voix.

Elle s'exécute. Je la vois respirer, je la sens se détendre très légèrement. Le temps n'est guère à la panique. Le temps est à la réflexion, et à la fuite. Personne ne saurait paniquer une fois mort. Sérieuse et professionnelle, je sors mon h-com afin de prévenir mes hommes. Ils doivent se tenir prêts. Je suis suffisamment lucide pour savoir que, si peu armée et avec une jeune fille presque tétanisée, je ne saurais faire le poids face à l'armée trinitaire. S'ils devaient nous encercler et nous prendre au piège, un sol mot et mes hommes seraient présents à mes côtés pour nous sortir d'affaire. Il ne s'agirait nullement de la première incartade avec les Trinitaires, et notre vaisseau est tellement recherché par cette faction qu'il ne serait absolument point contrariant que l'on nous assigne un nouveau chef d'inculpation. Le résultat demeurera le même. S'il me trouve, je suis une femme morte.

Les ruelles sont de plus en plus dégagées, et nous sommes bientôt seules à marcher. Nous nous sommes éloignées du foyer du drame, et la situation là-bas doit être suffisamment prenante pour que les troupes trinitaires ne décident de se préoccuper des fuyards. Cela dit, ils vont activement rechercher les coupables du meurtre et de la blessure de l'homme. J'espère que nous saurons nous mettre à l'abri avant qu'ils ne remontent jusqu'à nous.

T'avances toujours, lentement vous vous retrouvez dans des ruelles plus calmes, seules. Tu vois du coin de l'oeil Jezabel manier son Hcom, mais t'essais pas de savoir ce qu'elle fabrique. C'est juste...

T'es perdu. Tu sais même plus de quel côté est le port alors que tout en toi te dit que faut le rejoindre avant qu'ils ne bouclent l'accès, inspecte la moindre personne qui approche.

- J... M'dame ? Où va-t-on ?

Juste pour être certaine. Même si elle te disait que vous allez ailleurs, tu la suivrais quand même. Elle sait mieux que toi.

Voilà qu'elle est capable de parler, de s'exprimer et de s'inquiéter de notre destination. Je vérifie que nous sommes toujours seules avant de lui répondre. Je n'apprécierais pas que quiconque nous suive, et s'il se trouvait être seul, il est très probable que ma fureur serait ce qu'il verrait en dernier.

- Nous allons dans un lieu sécuritaire. Il serait imprudent de s'aventurer en direction du port. Il s'agit-là du lieu dans lequel les forces armées trinitaires nous chercheront en premier. Je ne prendrais guère le risque de nous faire aller là-bas sans préparation préalable. Et il me semble qu'un peu de calme te ferait le plus grand bien avant que nous ne rentrions.

A peine ai-je dit ça que des bruits de courses résonnent non loin de nous. Je me fige une seconde, sur le qui-vive, prête à dégainer mes armes et à m'en servir s'il le faut.

Elle parle. Beaucoup. Tu avances en écoutant sa voix.

Pas le port. Pas l'Albatros. Pas ta cabine avec Hilton qui t'y attend.

Ta gorge se serre, mais tu ne dis rien. C'est clair qu'elle s'y connaît mieux que toi. C'est plus sûr de lui faire confiance.

- ... Okay...

Que tu souffles avant de t'arrêter tout aussi nette que Jezabel en entendant les bruits de courses. Deux soldats apparaissent devant vous, leurs regards passent sur Jezabel, hésitants, puis se fixent sur toi et tes cheveux colorés que ta capuche ne peut pas complètement cacher. Leur hésitation tombe alors qu'ils sortent leurs lames en vous déclarant en état d'arrestation.

Tu sais que la femme a tes côtés ne se laissera pas faire, aussi, tu préfères reculer pour ne pas la gêner, sans pour autant trop t'éloigner, effrayé malgré toi. Tu veux pas finir entre les mains des trinitaires.

Des soldats apparaissent au bout de la rue. Ils ne sont que deux, fort heureusement, mais les autres ne doivent guère être loin. Plus inquiétant encore, l'un d'entre eux sort son h-com afin de communiquer leur position.

- Oh, Seigneur.

Je ne m'autorise guère d'autres commentaires malgré tous ceux, fleuris, qui me viennent à l'esprit en cet instant. Ren'anwë s'est écartée du chemin afin de me laisser le champ libre, et je n'attends guère avant de sortir l'arme du crime. Ils sont trop loin pour que je ne puisse les atteindre avec ma lame, trop près pour que je ne risque réellement de rater ma cible en leur tirant dessus, malgré tout le dégoût que cet acte m'inspire. Je débloque l'arme et je tire. Le tire frôle le bras de celui qui détient le h-com entre ses mains. Ce n'est point une blessure suffisamment grave pour avoir un réel impact, mais il lâche tout de même son h-com - avant d'avoir pu établir la communication, je l'espère.

Je laisse tomber l'arme sur le sol, aux pieds de Ren'anwë, et je tire ma lame. Désormais, le combat plus sérieux peut espérer débuter. Si je parviens à récupérer l'une des lames de mes adversaires, tout sera plus simple. En attendant, je compte bel et bien faire le nécessaire afin de me battre vaillamment, et de ne point laisser ces trinitaires mettre la main sur nous.

PAN.

Le bruit te file un sale frisson... avant que l'arme ne vole à tes pieds, te faisant figer.

La prendre ? Ne pas la prendre ?

Pas les sentiments. Pas les émotions, Ren. La logique. Juste, la logique, froide et efficace.

Et elle, elle te dit de prendre le pistolet. Tu te penches, le récupères du bout des doigts avant de serrer les doigts dessus, d'assurer ta prise.

Inspire. Expire. Inspire.

T'entends un bruit derrière toi, te retournes sèchement. La logique. Pas les sentiments, pas les émotions.

PAN.

Le soldat s'écroule au sol, mort sur le coup, avant que sa lame ne puisse t'atteindre.

Logique. Logique. Logique.

Ta main tremble, tu pourrais presque faire tomber ton arme.

Logique. Logique. Logique.

Tes doigts s'y serrent. LOGIQUE.

T'en a besoin. Tu ne peux pas laisser Jezabel courir tout les risques, te laisser capturer comme une gosse incapable. NON. TU PEUX PAS.

Tes doigts se serrent plus fort. T'inspires un grand coup, tournant la tête vers l'autre femme pour voir où elle en est.

Je m'élance dans le combat à corps perdu, sans réfléchir aux conséquences, mais en calculant minutieusement chacun de mes gestes ; je ne possède qu'une arme courte, et eux ont chacun une longue lame qui pourrait me transpercer bien avant que je ne sois suffisamment proche pour les atteindre. Je tournoie, me baisse, et lorsque le coup de feu retentit derrière moi, je crains un instant d'être la cible visée. Les soldats semblent aussi surpris que moi, et il s'agit-là de l'unique raison pour laquelle je parviens à prendre le dessus aussi facilement. Je me baisse, en fait chuter un à terre. Sa lame se perd un peu plus loin.

L'autre se jette sur moi, il rencontre mon talon puis ma lame que j'ai envoyé de toutes mes forces dans son œil, à bout de bras. Il hurle puis recule et choit. L'autre a rampé jusqu'à son épée. Je récupère mon poignard et la lame du blessé. Ainsi armée, le soldat n'a plus la moindre chance. En quelques secondes seulement, les deux sont morts. Je range mon poignard à sa place et récupère la seconde lame. Je serai plus efficace ainsi.

Je retourne ensuite vers Ren'anwë d'un pas rapide, ignorant presque le macchabée à ses pieds, et l'entraînant avec moi. Ma voix est froide et directe. La capitaine en moi prend le dessus sur le reste.

- Vous avez fait ce qu'il fallait. Allons-y.

Jezabel est d'une efficacité... Indubitable.

Tu la regardes faire, presque fassiné, mais elle est vite de retour près de toi pour te pousser à la suivre, ses mots froids et directs. C'est pas grave. Ses mots sont des pansements, son ordre est là pour te garder en vie.

Alors tu t'empresses de suivre, sans lâcher le pistolet. T'en a eu besoin une fois. Peut-être qu'il faudra encore. Et... Malgré tout, tu préfères tirer encore que de te faire attraper, enfermé, torturé, renvoyé à l'esclavage, peut-être même tué.

Tu veux rien de ça. Surtout pas. Alors tu gardes ce pistolet en suivant la capitaine, peu importe son rythme.

Inspire. Expire. Inspire.

Nous n'avons point de temps à perdre. Alors nous filons à grande vitesse au travers des ruelles. Je m'assure que la jeune fille qui m'accompagne est capable de me suivre. Je tiens mes lames fermement, tâchant de ne guère en laisser échapper une. Je suis habituée à me battre ainsi, aussi, il sera certainement moins difficile de faire les combats suivants. Je suis mitigée, et en mon fort intérieur, j'espère autant ne plus croiser la route d'aucun soldat que d'avoir le plaisir d'en écharper quelques uns au passage.

Cependant, les bruits qui parviennent jusqu'à nous n'ont rien de rassurant. Il s'agit-là de dizaine de soldats, certainement bien plus redoutables que les trois que nous avons croisé. Alors, une idée me vient. Je crois ne plus être très éloignée d'une cachette que l'on m'avait montré il y a de cela quelques temps déjà. J'accélère encore mon pas, je tourne brusquement et nous débarquons dans une ruelle plus fréquentée. Je range mes lames comme je peux, coincées dans ma ceinture, et je prends Ren'anwë par le poignet afin que nous ne nous perdions point dans la foule.

Tu manques pas les bruits de pas. Beaucoup de gens qui se déplacent ensemble au pas de course et ça n'a sûrement rien d'anodin par rapport a votre situation. Tu accélères le mouvement avec Jezabel, peu désireuse qu'ils vous repèrent, pire, qu'ils vous mettent la main dessus.

Même si tu t'avoueras un peu surprise quand elle te guide dans une ruelle où il y a davantage de gens, t'attrapant le poignet au passage pour te garder a ses côtés. Ton autre main disparaît bien sous ta cape, y cachant l'arme pour que personne ne la voit, mais que tu puisses l'utiliser rapidement au besoin.

C'est juste une question de logique. C'est tout ce qui importe.

Je n'ai pas réellement de difficulté à traverser le flot humain, en m'y plongeant moi aussi corps et âme. Il suffit de suivre la foule et de se perdre à l'intérieur. Les gardes ne débarquent que quelques poignées de secondes après nous. J'entends leurs lames et leurs cris. Mais ils ne peuvent pas nous voir, dissimulées comme nous le sommes, au milieu des badauds qui accomplissent leurs tristes desseins.

Je ne ralentis pas le pas pour autant, entraînant la jeune fille derrière moi, jusqu'à une nouvelle ruelle. La porte se dessine devant nous, semblable à mes souvenirs. La porte est verrouillée, mais la clé se trouve également au même endroit que dans mes souvenirs. J'ouvre, je fais entrer Ren'anwë à l'intérieur, et je referme derrière nous. Les lieux sont vides, et la couche de poussière qui macule les meubles indiquent qu'il n'ont vu aucune présence humaine depuis longtemps.

Je déplace un sofa derrière la porte pour être certaine que personne ne rentrera ici, et je me dirige vers les fenêtres. Les volets sont fermés, les rideaux tirés. A travers un trou, je peux observer la situation dans la rue. Je ne vois guère autant que je le souhaiterais, mais je ne possède aucune manière plus satisfaisante de surveiller nos arrières. Je demeure donc aux aguets, mes mains sur mes lames, silencieuse.

T'entends les gardes derrière, mais tu cherches pas à regarder. Si tu le fais, tu pourrais peut-être croiser le regard d'un deux...

Et tu veux pas. Tu veux pas y lire ce que tu as fait, ce qu'il pourrait ressentir à ton encontre. Alors tu continues d'avancer. De respirer. De tenir ce pistolet entre tes doigts. Jezabel t'entraîne toujours avant de pivoter dans une ruelle où tu suis sans un mot avant de la regarder s'arrêter devant une porte, sortir une clef de sa cachette et ouvrir. Tu t'y faufiles sans demander ton reste, sans demander a qui est cet endroit. C'est un refuge appréciable en attendant que le calme ne revienne sur Port Salem.

En voyant Jezabel pousser le canapé devant la porte, tu l'aide... Avant de poser ton arme dessus et de regarder tes mains tremblantes.

Tu déglutis alors que t'as conscience que maintenant que vous êtes dans un simulacre d'abri, tu risques juste de craquer.

Les secondes s'écoulent. Elles me semblent longues, lentes, trainantes. J'écoute les bruits, les craquements, les respirations, les hurlements qui viennent de l'au-dehors. Les pas des soldats se rapprochent, et mon emprise se resserre sur mes lames. Lorsqu'ils font mine de s'éloigner, je demeure tendue, le corps prêt à combattre au péril de ma vie. S'ils doivent me capturer, je veux que mon dernier combat demeure gravé dans toutes les mémoires, et bien au-delà. Cependant, les soldats ne reviennent nullement en notre direction. Ils poursuivent leur course, jusqu'à disparaître de mon champ auditif.

Je m'autorise à soupirer, et à relâcher mes lames. Je les gardes dans ma ceinture, puisque je ne souhaite point être prise par surprise. J'inspecte ensuite rapidement l'ensemble de la maison, dont je me souviens bien. La poussière est la même partout, et il n'y a personne - y compris dans les placards. Alors seulement je m'intéresse à Ren'anwë. Je ne suis guère certaine qu'elle se sente bien, alors je m'approche d'elle avec douceur.

- Ren'anwë ? Regardez-moi. Tout va bien. Nous sommes en sécurité, désormais.

Ses mots sont doux. Elle t'appelle, tu lèves lentement les yeux vers elle, avises le sang sur elle. Il y en a aussi sur toi. Et tu trembles. Comme une feuille.

T'as tué. Deux fois.

T'as tué.

T'essais d'avaler ta salive, t'étouffes à moitié alors que les larmes commencent à couler sur tes joues.

C'est arrivé si vite ! Sans que tu comprennes bien. Sans que tu réalises totalement. Ça pouvait rester dans un coin pendant que vous échappiez aux soldats, mais maintenant, il semblerait que tu sois à l'abri et...

Par Calypso. T'as tué des gens. Deux personnes. Mortes parce que TU as appuyé sur une détente.

Elle tremble comme une feuille, et il me serait impossible d'ignorer les larmes qui naissent aux coins de ses yeux. J'ignore ce qui est arrivé, et j'ignore la raison pour laquelle elle est dans cet état. Mon instinct maternel certainement trop prononcé ne m'autoriserait pas à la laisser ainsi sans tenter quoi que ce soit. Aussi, je m'approche d'elle et prend son visage entre mes mains.

- Allons, allons. Dites moi ce qui vous met dans un tel état.

Ses mains se posent sur ton visage et tu la regardes avec détresse. Tu sais que pour elle, ce n'est rien. Qu'elle a l'habitude de valser avec la mort. Mais...

Pas toi. Pas du tout toi.

- Je... J'ai tué des gens.

Que tu souffles pitoyablement.

- J... j'avais... jamais.

Et tes larmes continuent de couler. Tu continues de trembler comme une feuille. Comme si ta détresse était trop grande pour ton corps, qu'il peinait à la contenir.