Après l'effort...

Le Runny était une chouette taverne, vraiment. Mais elle n'était pas située dans le quartier le plus sur de la ville. Généralement, ça ne dérangeait pas Audrey. Au heures ou elle circulait, le risque était généralement minime. Il y avait peu d'ivrognes dans les rues le matin ou dans l’après midi. Et le soir, quand elle quittait vers vingt-trois heures, les ivrognes étaient généralement encore à l’intérieur à s'imbiber.

Mais cette fin d’après midi là, elle avait eu la malchance de tomber sur une bande de quatre poivrots, probablement mis précocement dehors d'un bar pour mauvais comportement qui se cherchaient une nouvelle victime. Petite, mignonne et apparemment frêle, Ils n'avaient pas mis longtemps à décider qu'Audrey ferait une parfaite "conquête" pour la soirée. Ils étaient donc allé lui faire part de leur décision.

La jeune cuisinière avait d'abord poliment repoussé leurs avances avinées, puis moins poliment, puis elle avait fait une clef de bras à celui qui avait décidé de se passer de son accord pour lui tripoter le cul. 

Soudain, les quatre individus semblèrent moins avinés et plus alertes. Bagarre?

Ben oui, bagarre. Audrey sentait qu'elle allait s'en mordre les doigts, à une contre quatre, mais elle n'avait guère eu de choix. Elle envoya l'homme qu'elle tenait encore par le bras sur celui qui semblait être le chef du groupe et la bagarre commença.

Pendant une minute, elle eu l'illusion que sa sobriété allait lui donner l'avantage qui lui manquait, Elle réussis à asséner quelques mauvais coups à ses adversaires, puis elle pris un méchant coup de pied dans l'estomac qui la désillusionna.

Heureusement, à peu prés à ce moment là, une silhouette se jeta dans la bagarre, de son coté. Galvanisée par cette arrivée inespérée, Audrey réussis à faire abstraction de son abdomen et se jeta de plus belle dans la bagarre. A deux,ils réussirent bientôt à neutraliser les quatre poivrots. 

Se tenant le ventre, Audrey se tourna vers le renfort inespéré, qu'elle reconnut sans mal.

"Noor... J'ai jamais été aussi contente de vous voir!"

Ah, le Runny Amber ! Il n'y avait bien que la perspective des permissions qu'elle pourrait passer au sein de la taverne qui permettait à Noor'hayl d'affronter la morosité de la vie sur Oscuro. Elle attendait chacune de ses visites à Hope comme un enfant attend son anniversaire en trépignant. À peine sortie de l'astroport, elle s'était mise à arpenter ces rues qu'elle connaissait si bien.

L'agitation devant le bistrot de son ami n'avait rien d'inédit. Seulement, Noor'hayl reconnut assez facilement la petite rousse dans la mêlée. Elle lâcha ses bagages et fonça dans le tas sans trop hésiter. Quelques minutes plus tard, elle en ressortait, vociférant aux quatre fuyards des insultes qu'elle seule semblait comprendre. Les lèvres en sang, la pommette droite tuméfiée et une sale douleur aux côtes ne l'empêchèrent pas d'aller récupérer ses bagages comme si de rien n'était. Revenue devant la porte de la taverne, elle adressa un clin d'oeil à la cuisinière. "J'suis comme les super héros, j'arrive toujours au bon moment. Même si là j't'avoue j'm'en serai bien passé." Elle épongea son visage dans le creux de son coude. "Dis moi, il est pas là au moins Cath' ? J'sens qu'il va nous passer un savon s'il nous voit dans cet état..."

Pendant que l'obscurienne récupérait ses bagages, Audrey passait en revue son corps. Elle avait hyper mal au ventre a cause du coup de pieds, mais sinon, ça semblait all... Un truc tomba dans son champ de vision. La jeune femme se touche l'arcade sourcilière. Éclatée. Et merde. Ça pissait le sang ce genre de blessures. Ah et évidement elle avait les mains écorchées par les coups. Super. Être cuisinière et avoir les mains écorchées, CA voulait dire porter des gants quelques jours. La Joie.

Noor revint, un peu amère sur son état.

"Désolée. Mais merci."

Audrey rit ironiquement quand la pilote demanda si Wulf ne serait pas absent par hasard.

"Ma chère, pour décoller Wulf de son bar, faut soit un cas de force majeur, généralement familial, soit, à la limite, que tu viennes l'embarquer... Et depuis le départ de Sarr', c'est encore pire. Il est là, c'est sur. Mais on peut essayer de l'éviter..."

Au lieu de rentrer par l'entrée principale, la jeune femme contourna la taverne pour atteindre la ruelle sur laquelle s'ouvrait la cuisine du Runny Amber. De sa poche, elle sortit une clef et elle déverrouilla la porte de la cuisine.

"Ne touche pas les plans de travail s'il te plaît, ils ont été désinfectés. Viens."

Elle lui indiqua une petite table en bois et ses deux chaises, dans un coin, bien différente des impeccables plans de travail en inox. C'était manifestement un bureau. La jeune femme dégagea au maximum la surface de la table.

Elle suivit la cuisinière sans rien ajouter, se contentant de grogner doucement. Elle cracha un mélange de sang et de salive dans la ruelle avant d'entrer dans la cuisine du bar. Si elle connaissait la salle principale comme sa poche, il ne lui semblait pas avoir jamais mis les pieds dans les coulisses. Elle jeta un oeil curieux à tout ce qui l'entourait, hochant doucement pour elle-même.

"C'est plus grand que c'que j'pensais en vrai. T'gères tout toute seule là ?", demanda-t-elle en se laissant tomber sur une chaise. Ses bagages négligemment lancés un peu plus loin, elle se massa la pommette d'un pouce, grimaçant et reniflant à chaque fois que la douleur la lançait. "P'tain ils nous ont pas loupé les cons." Elle releva les yeux sur son vis-à-vis, l'avisant d'un oeil. "Ça va, toi ouais ? Va falloir t'recoudre l'arcade parce que là tu vas tâcher toute ta belle cuisine. T'es pas douillette au moins ?"

Norr'hayl souffla un rire en se redressant. Elle se plia bien vite sous la douleur, ralentissant son geste pour se retrouver sur ses deux pieds, cambrée, une main sur les côtes. "L'est où, ta trousse de soin ? Bouge pas, sinon tu vas tout dégueulasser."

Ouais, la cuisine était grande et belle. Audrey n'avait pas à se plaindre sur ses conditions de travail:

"Ouais, je suis seule en cuisine. Bon, quand je suis pas là, C'est Wulf qui gère, mais bon. On est toujours seul en cuisine, ouais."

C'était pas toujours facile, parfois il leur aurait fallut un commis, mais bon. C'était pas le moment de demander ça à Wulf.

Non, il les avaient pas loupé. Mais au moins...

"Ils sont partit dans un état pire."

Elle essuya machinalement son arcade sourcilière quand Noor y fit allusion

"Ça ira. Et non, je suis pas douillette. Mais ça devra attendre, j'ai pas le temps d'aller voir un médecin avant de début de mon shift. Je vais juste bien panser ça. ça ira..."

Le ton de la jeune femme était à moitié interrogatif, pas trop sure d'elle qu'elle était.

"Dans le placard vert, là." La pharmacie était bien approvisionnée, conçue qu'elle était à la fois pour gérer les accidents de cuisine, qui pouvaient être gratinés, mais aussi les problèmes en salle. Il y avait donc pile poil ce qu'il fallait pour soigner une bagarre. Elle indiqua aussi un frigo marqué "personnel".

"Et dans le frigo, là, tu as un paquet de petits pois congelés, ce sera bien pour ta joue."

Elle fit l'effort de se traîner jusqu'au placard indiqué. Elle farfouilla dedans un moment, faisant tomber au sol quelques boites de pansements et autres bandages et comprimés. Noor'hayl n'était pas infirmière, loin de là, mais l'adolescente qu'elle était il y a peu avait retenu quelques règles d'hygiène de base. La première : une plaie devait être nettoyée. Armée d'une compresse et d'un désinfectant incolore, elle revint à hauteur de la cuisinière. "Ça va piquer j'pense." Elle imbiba la compresse et s'employa à essuyer la plaie de son interlocutrice avant d'enrouler sa tête dans un bandeau probablement trop serré pour maintenir la compresse en place.

"Wouah, t'as vraiment une sale gueule, comme ça. D'solé !" Elle souffla un rire et suivit les conseil de la cuisinière. Son paquet de petits pois sur le visage, elle se rassit dans le fauteuil. "Ça s'passe, sinon ? J'viens pas souvent derrière, j'suis plus du genre à rester vissée au comptoir." Elle parlait en faisant tourner son index devant elle, comme si elle ne savait plus quoi faire de ses mains : la conversation n'avait jamais été son fort. "Après, vrai que quand j'suis trop imbibée, Cath' me fait porter à manger. Et à chaque fois, c'est pas mauvais. Du coup, merci, ouais !"

Le bandage était effectivement trop serré. Mais C'était très gentil de la part de Noor de la soigner alors Audrey n'en dit rien. A la place, elle marmonna un "Merci!" en touchant le bandage.

Elle rit ensuite à la remarque de la mécano sur sa sale gueule:

"Ha ha! Par contre, toi, le sac de petit poids te va merveilleusement au teint!"

L'obscurienne fit une remarque sur le fait qu'elle n'était jamais venu dans l’arrière boutique qui fit sourire l'Hopienne:

"Bienvenue dans l'envers du décors! Et Merci, on fait de très bons burgers."

La conversation semblait prête a s'enliser dans des banalités, donc Audrey choisis ses banalités:

"Vous êtes proches, Wulf et toi. Vous vous connaissez depuis longtemps? Vous vous êtes rencontré comment?"

Instinctivement, Audrey voyait entre les deux amis le genre de complicité qui naît entre des pirates du même équipage, elle avait envie de supposer que Noor avait été pirate avec Wulf. Mais elle savait que Noor n'était pas sur le 'Roar a son époque, ni après puisque Wulf la lui avait donné comme contact pour si elle le cherchait. (C'était par Noor qu'elle avait retrouvé Wulf et Sarrazin.) Alors comment?

Elle soupira en balançant la tête en arrière, la nuque posée sur le sommet du dossier de la chaise, les yeux rivés sur le plafond. "Ça commence à dater un peu, ouais...", fit-elle en se passant une main sur le visage. Les souvenirs lui revenaient rapidement, lui arrachant un petit rire teinté de nostalgie. "Quand j'ai débarqué à Hope, j'savais pas bien quoi faire. Mais j'devais travailler, pour Marali. Alors j'ai commencé à bosser en mécanique. Et c'est là que j'ai connu Cath'."

Elle se redressa et planta ses coudes dans la table. Elle posa son menton sur le perchoir improvisé et poursuivit. "On a fait toutes nos études ensemble. Et comme on était cons, on a aussi fait pas mal de conneries." Nouveau rire, nouveau soupir. "Puis après, il est parti, tu sais. J'ai pas bougé, moi. J'voulais pas retourner là haut, j'avais eu ma dose. J'ai continué à bosser à droite à gauche, à piloter dans des p'tites courses. Puis il est revenu. Et voilà, en gros." Elle conclut sa courte présentation en tapant dans ses mains, relevant sur son interlocutrice deux yeux fatigués et une joue endolorie. "C'est un peu... J'sais pas, j'ai que ma mère, et Cath'. Petit entourage, mais entourage quand même."

"Marali?"

Ah donc ils étaient camarades d'études.

Audrey sourit quand Noor mentionna les conneries qu'ils avaient fait ensemble:

"Quel genre de conneries?"

Puis la mécano mentionna le séjour de Wulf sur le 'Roar. Audrey nota qu'elle parlais de "retourner la haut". Et tout a l'heure elle avait dit avoir "débarqué" à Hope.

"Tu viens d'un vaisseau?"

Elle souris quand la métis qualifia son entourage de restreint:

"Oh tu sais, j'ai guère de leçons à te donner. J'ai mon pere, un ancien voisin qui est un ami cher et j'ai le Runny Amber. Et encore, pour le Runny, je ne connais pas Wulf aussi bien que toi, loin de là..."

"Ouais, c'est ma mère." Elle balaya la question d'un mouvement de la main et se balança en arrière. Le dos suffisamment enfoncé dans l'assise de sa chaise, elle croisa les jambes sur le coin de la table et renifla bruyamment.

"Quel genre de conneries... Bah d'jà, du genre qui nous ont pas coûté la vie, hein. Ce qui est déjà un bon point." Elle reprit après un rire gras. "Des conneries du genre des bagarres pour rien, des excès d'boisson quotidien et des coups d'oeil aux mauvais endroits, ce genre de conneries." Elle refusa de rentrer dans les détails. Non pas qu'elle craignait la réaction de la petite cuisinière, mais elle ne connaissait pas vraiment la nature de la relation qui la liait à son patron. Aller trop loin pourrait créer un malaise dont elle ne voulait pas avoir la charge.

"Ouais, j'suis né et j'ai grandi à bord. Mais c'était pas fait pour ma mère, elle avait besoin d'une vie plus tranquille. On a demandé à être posées. J'ai appris la mécanique avec Cath'. Puis voilà, je vogue entre Oscuro et ici. La routine, quoi." Elle hésita un instant et reprit. "Tu t'fais pas chier, ici ? 'Fin j'veux dire, tu fais ça pour t'barrer un jour ou même pas ?"

Audrey sourit malicieusement quand Noor resta vague sur les conneries qu'elle avait fait avec Wulf. Bien sur, la mécano n'avait pas dit grand chose. Bien sur. Dommage!

"Je suis née a bord d'un vaisseau aussi. Le 'Roar. Ma Mère était officier à bord."

Le parallèle entre leurs deux situation était amusant. Toutes deux nées et élevées à bord. L'une avait quitté le vaisseau pour protéger sa mère, l’autre en avait été chassé  pour divergences d'opinions avec sa mère.

"Non, je me fait pas chier. Je me suis même barré de chez moi pour venir ici. C'est... Comment dire... Quand ma mère est morte, j'ai ressentit le besoin de me rapprocher de ses anciens camarades."

Ce qui ne voulait pas dire qu'elle y resterait indéfiniment... Audrey n'en avait en fait aucune idée. Elle n'avait aucun projet, ni dans un sens ni dans l'autre. Elle vivait au jour le jour.

Noor'hayl resta impassible. Elle avait entendu tout un tas de choses sur le Lionroar. De la bouche de Cath', évidemment, de celle de Sarrazin, aussi. Mais elle n'avait encore jamais entendu la petite cuisinière évoquer ne serait-ce que le nom du vaisseau. Encore que pour se faire, il aurait fallu qu'elle lui ait déjà parlé... Elle ressentit soudain comme une sorte de culpabilité, du genre de celles qui montent le long de l'échine quand on réalise qu'on a depuis longtemps manqué de la politesse la plus élémentaire. Elle s'efforça alors de sourire vaguement en retour.

"Ouais, puis ici c'est.. Vivant quoi. Y'a du monde, du grabuge, ça bouge un peu", commença-t-elle, hésitante, pas vraiment experte dans le rôle de celle qui doit épauler. "'Fin. Ouais... Désolé pour ta mère du coup. La mienne dit pas mal que vivre dans le passé, c'est un peu tuer son futur." Un léger silence s'installa alors que Noor'hayl elle-même semblait réfléchir au sens de sa phrase. "Ouais, elle est dans un délire philosophique je crois."

Une vague plaisanterie pour ne pas assumer la véracité d'un adage inventé. Ce sourire maussade ne voulait plus quitter ses lèvres. Elle ne pouvait s'empêcher de penser au sien d'avenir. Au flou qu'il était. À ce sombre gouffre qui ne laissait distinguer que de vagues formes abstraites : les courbes d'un speeder, les trajets d'un droïde, la paresse d'une vie morose. Qu'il pouvait être effrayant, ce futur, dans ses atours noirs et opaques.

"Oui, on ne s'ennuie pas!"

Noor cita ensuite sa père et Audrey soupira, songeuse.

"Je... Je pense que ta mère à raison, mais... Mais parfois, on est prisonnier du passé. Je pense que je suis un peu prisonnière de ce qui... Enfin de la mort de ma mère."

Puis Audrey releva soudainement la tête, chassant volontairement ces pensées morbides.

"Je t'offre quelquechose? Un Soft? J'ai droit à deux softs par jour."

Noor'hayl s'esclaffa bruyamment en se redressant. La tape de sa main sur sa cuisse la fit tout de même tressaillir. En quelques secondes à peine, voilà qu'elle avait déjà oublié ses blessures.

"Deux par jours ?! Mais c'est un rat le Cathwulf ma parole !"

Elle inspecta un peu les lieux, sans cesser de rire. Quand elle s'arrêta enfin, ce fût pour déclarer presque trop solennellement.

"J'bois pas d'soft. C'est mauvais pour la santé. En revanche, si dans t'as ration quotidienne t'as le droit à du rhum, je t'avoue que j'dis pas non."

"Bah, tu le connais... Il est radin. Il était déjà radin dans mes souvenirs, je suis pas surprise de voir qu'il l'est resté."

Au milieu de pirates plutôt flambeurs, la pingrerie de Cathwulf n'avait pas put passer inaperçue sur le Lionroar.

Audrey retint un soupir.

"J'ai droit à un rhum, mais a un seul. Là, je vais devoir acheter ma boisson. S'pas grave, je suis juste un peu radin moi aussi."

La jeune femme se leva, attrapa un soda dans le frigo pour elle et versa un bon verre de rhum pour sa camarade. Elle nota les deux consommations sur une feuille accrochée au mur.

"Et donc, toi, tu bosse dans la mecanique?"

Elle la regarda faire en secouant doucement la tête en signe de désapprobation. Elle approcha ensuite de la table, saisit son verre et le porta à ses lèvres avant de retenir son geste.

"Merci", dit-elle simplement, remarquant qu'elle avait presque manqué à la politesse la plus élémentaire.

Elle put ensuite avaler une petite gorgée de rhum qui lui brûla la gorge. Elle grimaça un peu, reposa le verre, essuya ses lèvres d'un revers de la manche et renifla. Elle hocha ensuite la tête.

"La mécanique ouais... 'Fin. J'bosse dans une mine, là. Donc clairement, même un manchot qu'aurait appris à resserrer un boulon avec les pieds y aurait sa place. J'répare des droïdes à la con et eux ils font l'boulot."

Le dédain était palpable, tant dans l'intonation que dans les mots choisis par la poète. Elle haïssait son job, détestait en parler et détestait se savoir si... Inutile. Elle attrapa son verre à nouveau.

"Ça paye. Alors qu'le reste... J'me fais un peu d'rab avec les courses de speeder. Quand on était gamins, Cath' et moi on en a retapé un. J'continue de l'améliorer. J'suis la meilleure du système mais j'ai pas les ronds pour entrer en pro'."

L'excuse était peut-être rodée, elle n'en était pas moins fausse. Si Noor'hayl ne courait pas chez les professionnels, c'était parce qu'elle ne voulait pas épouser leur mode de vie et inquiéter sa mère trop souvent.

"Tant que ca paye..."

Audrey allait enchainer sur les courses de speeder quand son Hcom sonna. Un Rappel.

"Ah merde, il faut que j'ouvre la cuisine. Bouge pas."

La jeune femme pris quelques minutes pour sortir des bacs de légumes découpés et les préparations qu'elle avait fait en amont. Du moins celles qui pouvaient supporter la température ambiante.

"Donc tu es passionnée de Speeder?"

De nouveau affalée sur une chaise, Noor'hayl regardait la petite cuisinière s'affairer avec ses préparations diverses. Le spectacle était divertissant, du moins il l'était pour une cliente régulière du Runny Amber qui n'avait encore jamais pénétré ses coulisses. Elle esquissa un sourire simple en essayant de faire tomber une goutte de rhum bien accrochée au fond de son verre.

"Ouais, ouais, la vitesse, l'adrénaline, tout ça", commença-t-elle en reposant son verre sur la table. "C'te sensation d'vitesse que tu chopes là d'dans... Ça te colle au siège, ça t'remet bien les idées en place puis en vrai, ça remet tout en perspective."

Des souvenirs de certaines courses lui revinrent en mémoire par flashs. Elle aurait aimé courir plus. Elle aurait probablement aimé ne faire comme ça, si elle en avait un jour eu l'occasion. Se faire un nom parmi les étoiles, devenir la pilote la plus aguerrie du système.

"Puis en plus, tu vois, mettre la raclée à tous ces enculés de machos, ça m'procure un plaisir vraiment ouf. J'te jure, leurs têtes quand ils comprennent que c'est une nana qui les a défoncés...", dit-elle en mimant une expression faciale horrible. "''Fin bref... T'as besoin d'aide avec tes machins ? Si faut découper ou quoi, dis moi. Mais me demande pas d'être méticuleuse hein."

"Je me souviens des vibrations du Roar. Les planètes me semblent tellement... Statiques. Mais si tu es habituée à la vitesse d'un speeder, ce doit être encore pire. Je comprend qu'a coté, bosser dans une mine te semble fade. Tu as jamais essayé de faire de la course ton métier?"

Audrey éclata de rire quand Noor décrit le plaisir de foutre une raclée aux machos.

"Je vois tout a fait! Je m’entraîne au combat à main nue en club, et au début, tout le monde me couvais. Vu ma dégaine, j'étais forcement vu comme la petite chose fragile venue ici pour apprendre l’autodéfense. Il m'a fallu plusieurs cours pour que le prof me prenne au sérieux. En fait, il a fallut que je le défie. Il m'a attaqué tout gentiment, je l'ai mis a terre avec toute la brutalité que ma maîtresse d'abordage de mère m'avait enseignée. Tu aurais vu sa tête!"

La rouquine gloussa à ce souvenir.

"Depuis, quand un nouveau expérimenté arrive, il me demande de l'affronter pour jauger de son niveau."

La jeune femme se lava les mains rigoureusement, une fois ses préparatifs fait (ce qui était idiot, elle aurait du le faire avant, mais elle oubliait toujours, avant). C'est là que Noor proposa son aide.

"Non... C'est très gentils, mais les règles d’hygiène m'interdisent de laisser une cliente toucher aux préparations."

Noor'hayl haussa les épaules pour seule réponse. Elle trouvait la petite cuisinière bien pointilleuse pour un lieu comme le Runny Amber. Elle ne se formalisa heureusement de rien et ne fit pas vexée après que son invitation eut été déclinée. Elle se contenta de regarder sa voisine opérer, massant sporadiquement et sans grand entrain les blessures qu'on lui avait infligé au visage. Elle avait beaucoup de mal à croire qu'un si petit bout de femme puisse se défendre convenablement à mains nues, aussi s'efforçait-elle de s'imaginer une scène dans laquelle la petite rousse se défendait. L'image la fit sourire sans réellement la convaincre. Elle haussa les épaules de nouveau.

"Enfin ouais, bref. Non pilote professionnelle c'est quasi impossible, les ligues prennent pas de nanas, même les meilleures. Puis bon après c'est chiant, les paris sont règlementés, tu peux plus faire ce que tu veux avec ton pognon et ils sont beaucoup plus stricts sur les circuits. Genre nan on rentre pas dans son adversaire, nan on jette pas des graviers dans sa gueule quand on l'dépasse... Que des trucs comme ça."

Elle se mentait un peu à elle même. Elle aurait donné beaucoup pour tenter l'expérience au moins une fois. Mais les sacrifices exigés étaient trop importants. Et Marali ne supporterait pas que sa fille voyage à travers le système en permanence.

"On f'rra un tour un d'ces quatre."

"Tu rentre souvent dans tes adversaires? Ta machine doit faire la gueule."

Les premieres commandes arrivaient, Audrey les traita rapidement, preparant les assiettes, et mettant les steaks à cuire.

"Un tour? Ce serait tres cool!"

Noor'hayl se mit en quête d'un bout de papier et d'un stylo. Elle finit par trouver sur le coin d'une table un carnet auquel elle emprunta une page vierge et un stylo usé. De son écriture enfantine et brouillonne, elle inscrivit quelques lignes au dessous d'une ligne. Elle tendit ensuite le papier grossièrement plié à son interlocutrice.

"Tiens, du coup. Si tu passes sur Oscuro, tu pourras venir sonner chez moi. On ira au circuit ensemble", dit-elle dans un fin sourire. Elle s'écarta ensuite pour tenter d'apercevoir la salle et de jauger de son ambiance. Elle se retourna vers la cuisinière et leva une main, celle-là même qui venait de lâcher le paquet de légumes congelés qu'elle tenait alors contre sa joue. "J'vais t'laisser bosser, quand même. J'vais aller digérer tout ça au comptoir. Si t'as b'soin d'aide fais moi appeler. C'était cool de te rencontrer. J'sais pas où tu caches autant de force dans c'mini corps, mais si j'ai b'soin de monter une équipe de gros bras un jour, j't'appelle !"

C'est dans un rire lourd que Noor'hayl disparut pour rejoindre la salle du Runny Amber.